Approche clinique des suspicions d'insuffisance hépatique aiguë chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 141 du 01/01/2004
Pratique Vétérinaire Equine n° 141 du 01/01/2004

Auteur(s) : H. Amory

Fonctions : Service de Médecine Interne
des Grands Animaux, Département
des Sciences cliniques, Faculté
de Médecine Vétérinaire, Université
de Liège, Bât. B 42, Sart Tilman,
B 4000 Liège

L'identification d'une insuffisance hépatique aiguë chez le cheval peut être difficile. La multiplication des examens complémentaires est souvent nécessaire pour établir le diagnostic, émettre un pronostic et instaurer un traitement approprié.

Les maladies hépatobiliaires sont relativement fréquentes dans l'espèce équine, mais demeurent généralement subcliniques à moins que 50 à 80 % de la masse fonctionnelle hépatique ne soit perdue [3, 4, 7, 21, 22].

L'expression clinique d'un trouble hépatique dépend de la nature, de la sévérité, de l'étendue et de l'ancienneté des lésions hépatiques [3, 20, 22]. Dans la plupart des cas, quelle que soit la durée d'évolution de la maladie, les symptômes se manifestent d'abord de façon aiguë, et sont en général associés au développement d'une insuffisance hépatique, c'est-à-dire à une incapacité du foie à assumer correctement ses fonctions [3, 7, 8, 28].

Une telle insuffisance hépatique est difficile à reconnaître cliniquement dans l'espèce équine en raison de la grande diversité et du manque de spécificité à la fois des signes cliniques et des résultats des examens de laboratoire qui l'accompagnent [3, 21, 22]. Cette variabilité peut également rendre le pronostic malaisé [3, 5, 8, 19, 20 à 22, 27, 28].

Le but de cette revue de littérature est de présenter de façon synthétique les signes cliniques et les examens complémentaires qui sont utiles afin d'établir le diagnostic et le pronostic lors de suspicion d'insuffisance hépatique dans l'espèce équine. Une synthèse des traitements qui peuvent être mis en place est également brièvement abordée.

Signes cliniques

Les signes cliniques les plus fréquents d'une insuffisance hépatique chez les équidés sont l'abattement et l'anorexie (voir l'encadré “Signes cliniques associés au développement d'une insuffisance hépatique aiguë dans l'espèce équine”) [1, 3, 18, 20, 22]. Ils peuvent être accompagnés de signes d'hépato-encéphalopathie, rapportés chez 13 à 85 % des cas selon les études [1, 12, 13, 18, 20].

• Un ictère, un amaigrissement, une photosensibilisation, des coliques, une tachycardie, de la fièvre, l'émission d'urines surcolorées et des troubles de la coagulation peuvent également être présents [1, 3, 7, 8, 4, 18, 20 à 22]. Plus rarement, l'apparition d'œdèmes périphériques, de la diarrhée, des signes de choc septique, un prurit, une polyurie/polydipsie, de l'ascite, une impaction de l'estomac, une hémolyse intravasculaire ou encore de la stéatorrhée sont rapportés [3, 7, 20 à 22].

La suspicion d'un trouble hépatique dépend de la reconnaissance d'un seul de ces signes, et plus les signes sont nombreux, variés et spécifiques, plus le diagnostic en est facilité [4].

• L'hépato-encéphalopathie est un désordre nerveux central qui se manifeste par des phases d'excitation entrecoupées de phases de somnolence et d'abattement, voire de léthargie, une réponse exagérée ou diminuée aux stimuli, du pousser au mur, une démarche sans but, des bâillements répétés, une cécité apparente, une paralysie de la langue, de l'ataxie ou des tremblements [3, 7, 8, 13, 22].

Devant de tels signes, il convient d'inclure d'emblée une insuffisance hépatique dans le diagnostic différentiel, mais d'envisager également l'hypothèse d'une affection nerveuse centrale primaire [4].

Lors d'hépato-encéphalopathie, ces symptômes peuvent être accompagnés d'une paralysie bilatérale des arythénoïdes, ce qui entraîne du cornage parfois accompagné d'une détresse respiratoire [9, 18, 20]. Ce signe est intéressant pour établir un diagnostic différentiel, car il existe peu de causes possibles de paralysie bilatérale des arythénoïdes chez le cheval.

De la même façon, la présence de lésions cutanées suggestives d'une photosensibilisation (érythème, œdème, ulcères, nécrose et/ou croûtes sur les zones dépigmentées de la peau exposées au soleil) est fortement suggestive d'une insuffisance hépatique [3, 21, 22]. De telles lésions doivent être différenciées d'une photosensibilisation primaire.

• L'ictère est relativement fréquent, mais n'est pas systématique (23 à 50 % des cas selon les auteurs) lors d'affection hépatique [3, 7, 14, 18, 20, 22]. Lorsqu'il est présent, il est surtout marqué au niveau de la sclérotique et des muqueuses (en particulier la muqueuse vaginale) [21, 22]. En outre, il n'est pas toujours indicatif d'une insuffisance hépatique car il peut notamment accompagner une anorexie de plus de douze heures, l'administration de certains médicaments ou une augmentation de la destruction des érythrocytes (trouble préhépatique) [3, 21, 22].

Quand un ictère est présent, il convient de déterminer s'il est d'origine pré-hépatique, hépatique ou posthépatique. Lorsqu'il est préhépatique, il peut être associé à des muqueuses pâles, à une tachycardie, et à l'émission d'urines rougeâtres. Dans ce cas de figure, les signes spécifiques d'une affection hépatique sont normalement absents (ex. : photosensibilisation ou hépato-encéphalopathie). Cependant, lors d'hémolyse massive, une faiblesse, une ataxie, voire même des syncopes pourraient conduire à une suspicion erronée d'hépato-encéphalopathie.

• La présence de coliques, rapportée par de nombreux auteurs lors d'affections hépatobiliaires, est peu spécifique [3, 4, 21, 22]. Elle peut notamment se manifester par un bruxisme (contracture inconsciente et prolongée des muscles élévateurs de la mandibule), un positionnement en chien assis, un décubitus sur le dos ou encore par une douleur à la palpation des dernières côtes ou juste en arrière de la dernière côte [22].

• De la fièvre, qui, selon la littérature, est suggestive d'un trouble septique ou de cholélithiase lorsqu'elle se manifeste chez un cheval qui souffre d'un trouble hépatique, peut être présent aussi dans les autres atteintes hépatiques [3, 4, 14, 22].

Examens complémentaires

Compte tenu de la difficulté d'établir un diagnostic clinique d'affection hépatique, la réalisation d'examens complémentaires est, dans la plupart des cas, indispensable pour confirmer un diagnostic d'atteinte hépatobiliaire chez les équidés [21]. Toutefois, là encore, les résultats de ces tests dépendent de la nature, de l'ancienneté et de la sévérité des dommages hépatiques, et une grande proportion du tissu hépatique doit être atteinte avant d'entraîner des modifications mesurables [21]. Dès lors, la multiplication des tests réalisés et leur répétition dans le temps augmentent les chances de détecter l'affection hépatique [3, 7, 21].

Parmi ces examens, le plus utilisé et le plus facile à mettre en œuvre est l'analyse de sang. Une analyse d'urine, une paracentèse abdominale, un test d'élimination de la bromosulphophtaléine (BSP), une échographie et une biopsie hépatique peuvent également être réalisés, mais sont plus difficiles à mettre en pratique sur le terrain. Ils ne seront dès lors que sommairement mentionnés ici.

Analyse de sang

Les paramètres sanguins de caractérisation d'une insuffisance hépatique les plus utiles sont les enzymes “hépatiques”, les sels biliaires et la bilirubine totale et conjuguée. L'hématologie et la mesure des temps de coagulation et des taux de glucose, d'urée, de NH3, d'albumine, de globulines et de triglycérides sont moins spécifiques [3, 7, 13, 15, 21, 22] (voir le tableau “Paramètres sanguins les plus utiles en cas de suspicion d'une atteinte hépatobiliaire dans l'espèce équine”).

Les enzymes “hépatiques”

• La mesure de l'activité sérique des enzymes “hépatiques” constitue un indicateur très utile des dommages hépato-biliaires. Leur interprétation nécessite toutefois une connaissance de leur sensibilité, de leur spécificité, de leur cinétique d'élimination et de leur stabilité dans les prélèvements [7]. L'idéal est de combiner plusieurs enzymes en fonction de leurs caractéristiques respectives afin d'augmenter les chances de mise en évidence du trouble hépato-biliaire éventuel [3, 7, 13, 15, 21].

• Les enzymes hépatocellulaires spécifiques, par exemple la sorbitol déshydrogénase (SDH) et la glutamate déshydrogénase (GLDH), présentent une cinétique d'élimination très rapide. Les enzymes hépatocellulaires non spécifiques (lactate déshydrogénase-LDH et aspartate amino-transférase-AST) possèdent une cinétique d'élimination intermédiaire. Enfin, les enzymes d'origine biliaire non spécifiques (g-glutamyl-transférase-GGT et les phosphatases alcalines-PA) présentent une cinétique d'élimination très lente [3, 6, 20 à 22] (voir le tableau “Principales caractéristiques utiles à l'interprétation des valeurs d'activité sérique des enzymes […]”).

• En pratique, la comparaison du degré d'augmentation respective de l'activité des enzymes hépatocellulaires et biliaires permet souvent de différencier une atteinte hépatique d'une atteinte posthépatique [1, 3, 22]. Dans les cas d'atteinte hépatobiliaire, il est en outre intéressant de répéter les dosages enzymatiques afin de déterminer l'évolution de l'affection : ainsi, une augmentation progressive de la SDH ou de la GLDH dans un intervalle de quelques jours indique un processus hépatocellulaire encore actif, alors qu'une augmentation des GGT ou PA dans le même intervalle de temps est normale même si le trouble hépatique n'est plus évolutif [3, 21].

La bilirubine

• La concentration de bilirubine totale n'est pas toujours augmentée en cas d'atteinte hépato-biliaire [3, 13, 15, 20, 22]. À l'inverse, son augmentation n'est pas toujours associée à un trouble hépatobiliaire [3, 4, 22].

• La détermination des concentrations et pourcentages respectifs de bilirubine conjuguée et non conjuguée s'avère utile pour différencier l'origine d'une hyperbilirubinémie.

Une augmentation de la bilirubine non conjuguée (indirecte) est le plus souvent associée à une hémolyse intra- ou extravasculaire, une hémorragie, une anorexie de plus de douze heures ou une maladie hépatocellulaire aiguë [3, 4, 22]. Il convient en outre de remarquer que la concentration en bilirubine non conjuguée est plus élevée en période néonatale qu'à l'âge adulte et qu'elle peut être due à l'administration de certains médicaments (héparine, halothane, stéroïdes) [3].

Une concentration élevée de bilirubine conjuguée (directe) peut être observée lors de maladie hépatocellulaire, qui entraîne souvent une rétention biliaire plus ou moins marquée. Cependant, cette élévation est surtout marquée si l'affection est associée à une compression des canaux biliaires avec cholestase secondaire, comme en cas de cholélithiase [1, 3, 4, 7, 22].

Les sels biliaires

Les sels biliaires sont peu sensibles mais très spécifiques pour détecter une affection hépatique, surtout si celle-ci est chronique et associée à un certain degré de rétention biliaire [7, 13, 20, 22].

Une valeur de plus de 20 µmol/l est en général considérée comme fortement suggestive d'une atteinte hépatobiliaire [7, 22].

Les anomalies de coagulation

Les insuffisances hépatiques sont souvent associées à une coagulopathie qui se traduit par un allongement d'un ou de plusieurs temps de coagulation [3, 22, 28]. Il est généralement conseillé de les mesurer avant la réalisation d'une biopsie hépatique. Cependant, plusieurs auteurs considèrent que, même lorsqu'ils sont prolongés, la biopsie peut, moyennant l'administration préalable de quatre à huit litres de plasma ou de sang entier, être réalisée sans entraîner d'hémorragie significative [7, 8, 21].

Autres paramètres

Les autres analyses sanguines s'avèrent peu spécifiques des insuffisances hépatiques. Il peut y avoir une modification des concentrations en leucocytes circulants et du leucogramme, des variations de l'hématocrite et des concentrations en érythrocytes, une chute ou une augmentation de l'urémie (peu constante), une élévation de l'ammoniémie (très difficile à mesurer dans les conditions de terrain), une chute de l'albuminémie, une élévation des concentrations en globulines, une hypo- (rare) ou (plus fréquemment) une hyperfibrinogénie, une variation de la glycémie (augmentation ou diminution selon les cas et selon le stade), et une élévation des concentrations en triglycérides et en cholestérol [3, 4, 7, 13, 20, 22, 28].

Dans une étude récente qui porte sur 61 cas d'équidés souffrant d'un trouble hépatobiliaire symptomatique ou non, Durham et coll. (2003) ont démontré que les paramètres les plus utiles à la détection du trouble sont une élévation des concentrations de GGT (> 199 UI/l), des globulines (> 43,5 g/l), des PA (> 844 UI/l), des acides biliaires (> 29 mmol/l) ou du taux total de bilirubine (> 72 mmol/l), ou encore une diminution de l'albuminémie (< 26 g/l) [13].

Autres examens complémentaires

L'échographie

• L'échographie hépatique est utile pour :

- déterminer la taille du foie, ainsi que sa position et sa forme ;

- évaluer des modifications d'échogénicité de son parenchyme ;

- détecter des masses hépatiques (abcès, hématome, kyste ou néoplasme) ou des modifications des canaux biliaires (dilatation, épaississement, présence de cholélithes) ;

- réaliser des biopsies hépatiques échoguidées [3, 4, 19, 21, 22].

• Elle offre une faible sensibilité (26 %) mais une forte spécificité (86 %) pour le diagnostic des affections hépatocellulaires dans l'espèce équine. Lorsque des modifications sont observées à l'échographie, une affection hépatique est donc probable, mais, en revanche, l'absence de modifications ne permet pas d'exclure cette possibilité [13].

La biopsie hépatique

La biopsie hépatique est considérée comme la technique de référence pour le diagnostic définitif des affections hépatobiliaires dans l'espèce équine [11, 12, 13].

Elle peut en outre permettre de déterminer la cause de la maladie, et donner des informations utiles pour le traitement et le pronostic [3, 5, 11, 14, 20 à 22].

La paracentèse

La réalisation d'une paracentèse ne permet pas d'obtenir des résultats spécifiques d'une affection hépatobiliaire, mais elle peut aider à établir le diagnostic différentiel lors d'amaigrissement ou de coliques [21]. Elle peut en outre aider à établir la nature du trouble si une affection hépatobiliaire est suspectée.

L'analyse d'urine

L'analyse d'urine constitue un test facile à réaliser sur le terrain. Si de l'urine fraîchement récoltée est disponible, elle peut permettre de mettre en évidence une urobilinurie anormale par examen macroscopique (couleur verdâtre à orange-brunâtre) ou par analyse à la bandelette réactive [3, 7, 8, 21]. Idéalement, l'urobilinurie doit toutefois être mesurée en laboratoire pour plus de fiabilité [3].

Il convient de noter que l'absence d'urobilinurie ne permet pas d'exclure un trouble hépatobiliaire significatif [3].

Test d'élimination de la bromosulphophtaléine

La bromosulphophtaléine (BSP) n'est plus disponible sur le marché sous forme injectable et un test d'élimination de la BSP n'est plus guère réalisable que dans des centres de recherche [3].

Il constitue pourtant un examen simple qui s'avère efficace pour confirmer une insuffisance hépatique dans l'espèce équine : une valeur de T1/2 de plus de quatre minutes et demie est considérée comme suggestive d'une insuffisance fonctionnelle hépatique [3, 7, 21, 22].

Pronostic

Pour établir le pronostic, le praticien doit se fonder sur les signes cliniques observés et les résultats des examens de laboratoire mis en œuvre. Cependant, l'interprétation de ces éléments est controversée dans la littérature [2 à 5, 7, 8, 10, 16, 17, 19, 20, 22, 25, 28].

Une série d'études récentes [11, 12, 24], fondées sur un grand nombre de cas étudiés sur une période de six mois et sur des tests statistiques rigoureux, apporte des informations intéressantes concernant le pronostic chez des équidés qui souffrent d'une affection hépatique. Ces études ont montré que l'établissement d'un score de lésions histopathologiques sur la base d'une biopsie hépatique constitue le meilleur élément pour déterminer le pronostic [11].

Dans le système proposé, le score obtenu varie de 0 chez les chevaux non atteints à 14points chez les chevaux les plus sévèrement atteints. Un score de 0 ou 1 est associé à une mortalité de 4 %, contre 33 % chez les animaux qui présentent un score de 2 à 6 et 86 % chez ceux dont le score est de 7 à 14.

Ces conclusions ne s'avèrent cependant applicables que lors d'affections hépatiques diffuses, qui constituent en pratique la majorité des cas dans l'espèce équine [26, 28].

L'établissement de la nature du trouble sur la base de la biopsie hépatique peut en outre s'avérer utile pour établir le pronostic. Par exemple, si les lésions sont suggestives d'un néoplasme ou d'une cholélithiase, le pronostic est réservé [10, 17, 19].

De ces études, il ressort également que le pronostic ne dépend pas de la race, ni de l'âge ni du sexe de l'animal [24].

En outre, il a été statistiquement démontré que le pronostic peut être considéré comme défavorable chez les équidés qui présentent :

- des signes cliniques fortement suggestifs d'une insuffisance hépatique (notamment des signes d'hépato-encéphalopathie) ;

- des modifications structurelles détectables à l'échographie ;

- des valeurs sériques de globulines supérieures à 45 g/l, de sels biliaires supérieures à 20 mmol/l, de PA supérieures à 900 UI/l, de GGT supérieures à 339 UI/l, de globules rouges supérieures à 10.1012/l, de globules blancs supérieures à 10.109/l, d'albumine inférieures à 30 g/l ou d'urée inférieures à 3,6 mmol/l [2, 12, 20].

La valeur de pronostic des paramètres sanguins peut être améliorée en associant les résultats de plusieurs d'entre eux [12].

Traitement

• Le traitement d'une insuffisance hépatique aiguë chez le cheval a pour objectif principal de soutenir la fonction hépatique et de réduire la production de métabolites toxiques au niveau du tractus gastro-intestinal jusqu'à ce qu'une régénération du tissu hépatique et une compensation de la fonction hépatique se soient mis en place [3, 4, 7, 14, 22].

• De façon générale, il convient de retenir que, chez un cheval qui souffre d'une insuffisance hépatique, il est nécessaire d'adapter les doses des médicaments métabolisés par le foie et d'éviter l'utilisation de glucocorticoïdes, de chloramphénicol et d'érythromycine [3].

• Chez les chevaux qui présentent des signes sévères d'hépato-encéphalopathie, il convient de réaliser en premier lieu une sédation pour pouvoir réaliser le traitement (notamment la fluidothérapie) et limiter les traumatismes pour le cheval et son entourage [3, 7, 22]. Toutefois, la plupart des tranquillisants utilisés chez le cheval sont métabolisés par le foie ou potentialisent des dysfonctionnements nerveux associés à l'hépato-encéphalopathie ; certains (par exemple le diazépam) sont donc à éviter et, pour les autres, il convient de les administrer à faibles doses en évitant une sédation trop importante (critère à suivre : ne pas utiliser une dose qui induit un port de tête bas).

La xylazine à la posologie de 0,2 à 0,4 mg/kg constitue le meilleur choix [7, 8]. Des petites doses (à la demande) de détomidine, de romifidine, d'hydrate de chloral ou de phénobarbital peuvent également convenir [3, 7, 8, 14, 22].

• Lors de paralysie du larynx, qui se traduit par une détresse respiratoire sévère mettant la vie de l'animal en danger, une trachéotomie est nécessaire [20]. Si la détresse respiratoire associée à la paralysie laryngée n'est pas trop sévère, il est toutefois possible d'attendre de voir si la réponse à la fluidothérapie est favorable, ce qui se traduit par une disparition rapide de la dyspnée.

• La fluidothérapie constitue l'axe principal du traitement [3, 7, 22]. Elle consiste principalement en l'administration de glucose 5 % en perfusion continue au rythme de 1 à 4 ml/kg/h au maximum (soit 0,5 à 2 l/h pour un cheval adulte de 500 kg). Une fois commencée, l'administration de glucose ne doit pas être interrompue jusqu'à disparition des signes d'hépato-encéphalopathie [3, 7, 14, 22].

Les déficits hydriques et les déséquilibres acido-basiques et électrolytiques sont corrigés par l'administration de solutions polyioniques équilibrées [3, 7, 8, 22]. Du potassium peut être ajouté à ces solutions à raison de 20 à 40 mEq/l [8].

• Afin de limiter la production et l'absorption des métabolites toxiques au niveau intestinal, de l'huile de paraffine peut être administrée à la sonde naso-gastrique [3, 7, 22].

La production de NH3 à ce niveau peut être limitée par l'administration de néomycine (5mg/kg par voie orale, trois fois par jour ; 10 à 100 mg/kg selon les auteurs) ou de lactulose (0,2 à 0,5 ml/kg, deux ou trois fois par jour) à la sonde nasogastrique, mais ces derniers peuvent induire de la diarrhée [3, 7, 8, 19, 22]. Comme solutions alternatives, du vinaigre peut être administré (240 ml pour un cheval de 450 kg, par voie orale [8]) ou encore du métronidazole (10 à 15 mg/kg quatre fois par jour par voie orale [19, 20]). La plupart de ces médicaments ne possèdent cependant pas d'AMM en Europe chez le cheval.

• Un autre axe important du traitement consiste en la stimulation de la consommation d'aliments riches en hydrates de carbone et pauvres en protéines, ces dernières devant être riches en acides aminés ramifiés tels que la leucine, l'isoleucine ou la valine et pauvres en acides aminés aromatiques tels que la phénylalanine, la tyrosine ou le tryptophane [4, 22].

Par exemple, une ration constituée de deux tiers de pulpe de betterave réhydratée et un tiers de maïs floconné (additionnée de mélasse si nécessaire pour améliorer l'appétibilité) peut être donnée à raison de 2,5 kg/100 kg, à répartir en au moins six repas par jour [3, 4, 7, 14, 22].

De la paille (d'avoine idéalement) peut également être mise à disposition, suivie de foin (éviter le foin de luzerne ou le foin d'herbe trop jeune) [8, 22].

Le pâturage d'herbe peut être encouragé, sauf si le pré contient de l'herbe trop jeune ou s'il est riche en légumineuses, ou encore si l'animal présente des signes de photosensibilisation [7, 22].

Des concentrés d'acides aminés ramifiés administrés par voie intraveineuse ou orale (à la sonde nasogastrique) sont utiles chez des chevaux qui refusent toute nourriture [14, 22].

• Des anti-oxydants tels que du DMSO (1 g/kg en solution à 5 à 10 %, par voie intraveineuse, une fois par jour pendant trois jours ou pendant cinq à sept jours lors de cholélithiase), de la pentoxyfylline (8 mg/kg par voie orale, deux ou trois fois par jour) ou de la vitamine E (900 UI/j) peuvent être administrés [8], ainsi que des vitamines A, B, C, et D3 [3, 4, 12, 22]. En cas de diathèse hémorragique, de la vitamine K1 peut également être prescrite à raison de 0,2 à 0,5 mg/kg/j.

• L'usage d'antibiotiques est limité aux cas chez lesquels un processus septique est suspecté ou confirmé [7, 14, 19, 22]. Un antibiotique à large spectre est utilisé (par exemple : ampicilline ou pénicilline/gentamicine, céphalosporine ou triméthoprime/sulfamides), et l'antibiothérapie est poursuivie jusqu'à ce que la GGT et les phosphatases alcalines reviennent à des valeurs usuelles (soit deux à quatre semaines au moins) [7, 14, 19, 23].

• Chez les chevaux atteints de photosensibilisation, il convient avant tout d'éviter l'exposition au soleil. En outre, l'application de crèmes locales avec antibiotiques et corticoïdes peut s'avérer utile [20].

Conclusion

Une insuffisance hépatique est souvent difficile à reconnaître dans l'espèce équine. Son diagnostic et le pronostic qui lui est associé reposent sur l'examen clinique et la mise en place de plusieurs examens complémentaires dont il convient de confronter les résultats.

Éléments à retenir

• Une hépato-encéphalopathie accompagnée par une paralysie bilatérale des aryténoïdes, ou des symptômes de photosensibilisation sont fortement évocateurs d'une insuffisance hépatique. Sans être pathognomoniques, ces tableaux cliniques sont en effet assez spécifiques.

• Lors d'insuffisance hépatique, les résultats des examens complémentaires ne sont sensiblement modifiés que si une grande partie du tissu hépatique est endommagée.

• En pratique courante, l'examen complémentaire le plus simple à réaliser est l'analyse de sang. Il convient de tester de nombreux paramètres et éventuellement de les répéter dans le temps pour augmenter les chances d'identifier une affection hépatique.

• Le traitement d'une insuffisance hépatique est essentiellement symptomatique et de soutien, en attendant une régénération du tissu hépatique. Il convient également de limiter ou de supprimer tous les facteurs médicamenteux ou alimentaires qui sollicitent la fonction hépatique.

Signes cliniques associés au développement d'une insuffisance hépatique aiguë dans l'espèce équine

◊ Signes les plus fréquents

- Abattement

- Diminution de l'appétit ou anorexie

- Hépato-encéphalopathie

◊ Signes moins fréquents

- Ictère

- Amaigrissement

- Photosensibilisation

- Coliques

- Tachycardie

- Fièvre

- Urines surcolorées

- Coagulopathie

◊ Signes les moins fréquents

- Œdèmes périphériques (membres, passage de sangle, abdomen)

- Diarrhée

- Choc septique

- Prurit

- Polyurie/polydipsie

- Ascite

- Impaction de l'estomac

- Hémolyse intravasculaire

- Stéatorrhée

D'après [1, 3, 4, 7, 8, 12, 13, 18, 20 à 22]

Références

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