Résorption de vésicules embryonnaires après injection transvaginale d'amikacine - Pratique Vétérinaire Equine n° 140 du 01/10/2003
Pratique Vétérinaire Equine n° 140 du 01/10/2003

Auteur(s) : C. Piccot-Crézollet*, D. Vaillancourt**, R. Lefebvre***, P. Poitras****

Fonctions :
*Département hippique,
École nationale vétérinaire de Lyon,
1, avenue Bourgelat, BP 83,
69280 Marcy-l'Étoile
**Centre hospitalier universitaire
vétérinaire
Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Montréal
3200 Sicotte, St-Hyacinthe, J2S 7C6
Québec, Canada
***Centre hospitalier universitaire
vétérinaire
Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Montréal
3200 Sicotte, St-Hyacinthe, J2S 7C6
Québec, Canada
****Centre hospitalier universitaire
vétérinaire
Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Montréal
3200 Sicotte, St-Hyacinthe, J2S 7C6
Québec, Canada

Dans une première étude chez la jument, l'injection par voie transvaginale échoguidée d'amikacine dans des vésicules embryonnaires uniques s'avère efficace pour provoquer leur résorption. Cette méthode pourrait être essayée dans le traitement de la gémellité.

La gémellité est considérée dans l'espèce équine comme une anomalie de gestation qui occasionne, une importante perte embryonnaire ou fœtale, ou la naissance de poulains sans valeur économique. L'apparition des cupules endométriales sécrétrices d'hormone gonadotropine chorionique (eCG), autour du 35e jour de gestation, ne permet plus le recours à l'avortement thérapeutique. Au-delà de ce délai, la réduction manuelle par écrasement se révèle également défaillante : cette technique, courammentemployée, donneses meilleurs résultats avant le 30e jour. Ceux-ci chutent de 80 % en moyenne avant J30, et de 15 à 30 % au-delà [2].

Le plus souvent, les chances de réduction spontanée sont épuisées après le 40e jour [2], et la gestation se solde par un avortement ou la naissance plus ou moins prématurée d'un ou de deux poulains, pas toujours viables.

Aucun moyen de traitement tardif de la gémellité (après le 30e jour) n'est, à l'heure actuelle, validé.

Des essais de suppression sélective d'une des deux vésicules embryonnaires par aspiration transvaginale ont été entrepris, d'abord à l'aveugle, sans succès [8], puis sous contrôle échographique [1, 3, 6, 7] avec des résultats mitigés. Des études de ponction vésiculaire transvaginale échoguidée ont également porté sur des gestations simples [5, 10]. À des périodes encore plus tardives (au-delà de deux mois de gestation), un abord transabdominal a été tenté, les résultats s'améliorant au fil des rapports [6].

À l'exception de l'un des groupes de juments suivies par Squires et coll. [10], l'ensemble des protocoles de ponction transvaginale comprend une aspiration de liquide allantoïdien. La difficulté technique de la manœuvre nécessite de répéter la ponction, avec un risque de léser la vésicule à conserver [1, 6].

Macpherson et Reimer suggèrent que l'injection intravésiculaire d'une substance toxique modifierait moins la configuration spatiale de la vésicule traitée et serait donc moins traumatisante pour la seconde vésicule [6].

Soupçonnant la possibilité d'une inflammation utérine à la suite d'une contamination lors de la ponction, Bracher et coll. recommandent une antibioprophylaxie systémique [1].

Il est également préférable d'intervenir avant que la corne utérine ne devienne trop lourde et profonde.

Objectifs de l'étude

L'ensemble des considérations précédentes a conduit à vérifier trois hypothèses, en utilisant des vésicules embryonnaires de gestation simple comme modèle d'étude :

(1) la ponction transvaginale peut entraîner une contamination infectieuse de l'utérus ;

(2) la ponction de l'utérus peut induire une endométrite aiguë aseptique ;

(3) l'injection intravésiculaire d'amikacine provoque la mortalité embryonnaire de manière plus certaine que la ponction simple.

Matériel et méthodes

Huit gestations simples sont obtenues par saillie naturelle ou insémination artificielle en semence fraîche sur un effectif de sept juments adultes de 450 à 500 kg. L'une d'entre elles est sélectionnée à deux reprises pour cette étude, à deux mois et demi d'intervalle.

Entre le 25e et le 30e jour de gestation (moyenne : vingt-huit jours), la localisation de la vésicule embryonnaire est repérée par palpation et échographie transrectale. Une sonde transrectale linéaire de 7,5 MHz reliée à un échographe Aloka SSD 900 est employée. Les battements cardiaques sont visualisés et confirment la présence d'un embryon vivant.

Les juments sont réparties en deux groupes :

- un groupe traité par injection intravésiculaire d'amikacine (n = 4) ;

- un groupe témoin pour lequel une ponction vésiculaire est pratiquée sans injection ni aspiration (n = 4).

L'amikacine est un antibiotique de la famille des aminoglycosides, actif principalement contre les bactéries à Gram négatif et certaines bactéries à Gram positif.

Avant l'intervention, les juments sont tranquillisées à l'aide d'acépromazine (0,02 mg/kg par voie intraveineuse), complétée par de la xylazine (0,3 mg/kg, par voie intraveineuse).

Une infusion rectale de 50 ml de lidocaïne à 2 % est utilisée pour relâcher le rectum et faciliter les manœuvres.

La région périnéale fait l'objet d'une préparation antiseptique classique.

Le matériel échographique utilisé pour l'approche transvaginale est constitué d'une sonde échographique transvaginale multiangulaire pour grands animaux de 5 à 7,5 MHz (Pie Medical), montée avec un dispositif de guidage (Veterinary IVF Biopsy Attachment, Terumo) et reliée à un échographe Pie Medical 240 Parus (photos 1 et 2). La sonde est revêtue d'une gaine plastique stérile avant d'être introduite dans le vagin.

Par voie transrectale, une traction est exercée sur la corne utérine pour rapprocher la vésicule embryonnaire contre l'extrémité de la sonde. Une seconde personne manipule le dispositif d'injection, constitué par une tubulure rigide terminée par une aiguille 20 G. Le dispositif est glissé dans le canal instrumental de la sonde échographique (photo 3).

La ponction de la vésicule (espace vitellin ou allantoïdien) est ainsi réalisée chez les quatre juments du groupe témoin (photo 4). Pour les quatre autres (groupe traité), la ponction vésiculaire s'accompagne de l'injection de 1 ml d'amikacine (Amiglyde® 250 mg/ml) (photo 5).

Un contrôle échographique quotidien est réalisé jusqu'à deux jours après la résorption des vésicules embryonnaires ou pendant dix jours en l'absence de résorption. La présence de battements cardiaques, la taille de l'embryon et la présence éventuelle de liquide utérin sont contrôlées.

Deux jours après l'arrêt des battements cardiaques, le cas échéant, des examens cytologiques et bactériologiques de prélèvements endométriaux sont effectués. Ils sont obtenus respectivement à la brosse obstétricale (Fisher Scientific Ltd, Nepean, Ontario, Canada) et par écouvillonnage sur tige cotonnée à double gaine (Continental Plastic, Delavan, Wisconsin, États-Unis). L'écouvillonnage est réalisé dans la région de la corne où la vésicule embryonnaire était localisée.

Résultats

Toutes les ponctions et les injections ont été réalisées à la première tentative.

Dans les quatre cas d'injection intravésiculaire de 250 mg d'amikacine, la mortalité embryonnaire a été observée au premier contrôle, soit vingt-quatre heures après l'injection (arrêt des battements cardiaques, arrêt de la croissance embryonnaire et début de résorption).

Dans les quatre cas de ponction simple, la mortalité embryonnaire a été de deux sur quatre (également constatée dès le premier contrôle à vingt-quatre heures). Deux embryons ont poursuivi un développement normal échographiquement, jusqu'à l'avortement provoqué respectivement après un délai de dix-sept et dix-neuf jours postintervention par injection de prostaglandines F2 (Lutalyse®) ou injection intravésiculaire d'amikacine (létale en vingt-quatre heures pour l'embryon, résultat non intégré à l'étude car il ne rentre pas dans le protocole).

Le suivi échographique n'a permis de mettre en évidence la présence significative de liquide utérin dans aucun des deux groupes de juments.

Les résultats des examens cytologiques effectués quarante-huit heures après l'arrêt des battements cardiaques (chez les six juments pour lesquelles une mortalité embryonnaire a été obtenue) n'ont pas révélé d'inflammation endométriale.

Les résultats des examens bactériologiques ont été négatifs à l'exception de deux prélèvements. Pour l'une des juments du groupe traité, une colonie de Streptococcus equi var zooepidemicus a été identifiée après culture et enrichissement. Pour la même jument, utilisée dans le groupe témoin deux mois et demi plus tard, une colonie de Streptococcus α-hémolytique a été isolée. Dans les deux cas, en l'absence d'endométrite associée, ces isolements bactériens ont été attribués à une contamination lors de l'écouvillonnage.

Discussion

• Cette étude préliminaire porte sur des vésicules embryonnaires âgées de vingt-huit jours en moyenne. En cas de gémellité, la résorption spontanée est encore possible à ce stade, mais le recours à des techniques non invasives se révèle plus difficile et moins efficace. Cette étude reproduit donc approximativement une situation clinique de gestation gémellaire diagnostiquée autour du 30e jour. Il a en outre été estimé que l'action nocive de l'amikacine reste similaire au cours des premières phases de la vie fœtale ; le résultat obtenu sur une vésicule de quarante-cinq jours va dans ce sens. Une modélisation idéale devra toutefois prendre en compte les facteurs chronologique et gémellaire.

• Le choix de l'amikacine a été fait sur la base de son activité antibiotique à large spectre, de son pH acide (autour de 4), de son effet toxique sur certains tissus chez le nouveau-né, de sa concentration et de sa disponibilité sur le marché canadien. D'autres aminoglycosides pourraient être essayés dans les pays tels que la France, où l'amikacine est réservée au milieu hospitalier.

• La faiblesse des effectifs (n = 4 et n = 4) ne permet pas une analyse statistique significative. Il ne peut ressortir de cette étude que des tendances en termes de mortalité embryonnaire, de réaction endométriale et de contamination de l'utérus.

• Ces limites ainsi prises en compte, dans cette étude, les résultats de mortalité embryonnaire induite par une ponction simple sont identiques (deux sur quatre) à ceux rapportés par Macpherson et coll. pour des embryons plus âgés (quarante à cinquante jours) [5]. Parallèlement, l'efficacité de l'amikacine semble comparable à celle de la pénicilline potassique (85 %) sur des embryons de quarante-neuf à soixante-cinq jours [10].

Aucune étude sur l'injection intravésiculaire de substance toxique par voie transvaginale lors de gestation gémellaire n'a été rapportée à notre connaissance.

Des injections intracardiaques puis intrafœtales ont été réalisées lors de gestation gémellaire par abord transabdominal, sous assistance échographique, chez des fœtus de soixante-huit à cent soixante-huit jours. Les résultats obtenus avec du KCl oscillent entre 38 et 49 %, ceux obtenus avec de la pénicilline procaïne s'élèvent à 62 % [4, 6]. Le fait que les résultats soient meilleurs pour des vésicules de plus de cent quinze jours incite les auteurs à penser que le jeune fœtus résiste moins bien au traumatisme induit par la perte de la vésicule adjacente. Il semble difficile d'extrapoler l'effet d'injections transvaginales sur des vésicules gémellaires de trente à cinquante-cinq jours à partir de ces données. Des essais sont nécessaires pour évaluer la possibilité de maintien de la gestation dans un tel cas.

• Les résultats obtenus en matière de contamination de l'utérus sont encourageants puisque aucune des huit manipulations n'a entraîné d'infection décelable. Ces résultats sont à rapprocher de ceux de Squires et Cook qui n'ont pas observé d'infections lors de ponctions folliculaires transvaginales pour prélèvements d'ovocytes [9]. À notre connaissance, aucune donnée n'est disponible à ce sujet pour les ponctions transvaginales de l'utérus.

• À la différence des constatations de Squires et coll. [10], mais en accord avec ceux de Macpherson et coll. [5], aucune accumulation liquidienne utérine intraluminale n'a été détectée, en dépit de l'absence de supplémentation progestéronique. Pour certains auteurs, un tel apport, qui vise à prévenir l'effet de la libération de prostaglandines lutéolytiques sur la contractilité utérine et à maintenir le tonus utérin afin d'optimiser le contact entre l'endomètre et le conceptus restant, serait indiqué, tout comme l'administration d'inhibiteurs des cyclooxygénases [6].

• Macpherson et Reimer suggèrent trois axes de développement pour l'approche thérapeutique transvaginale de la gémellité :

(1) la détermination de l'âge optimal d'intervention ;

(2) le développement d'une technique la moins invasive possible ;

(3) l'identification d'une substance toxique pour l'embryon visé, sans l'être pour le second, ni causer d'inflammation utérine [6].

L'efficacité de l'injection intravésiculaire d'amikacine pour supprimer une gestation unique et l'innocuité de son utilisation dans ce contexte sont des éléments qui laissent envisager la possibilité de son essai dans le cadre de la gémellité.

Éléments à retenir

• Aucun moyen de traitement tardif de la gémellité chez la jument (après le 30e jour de gestation) n'est validé.

• La mortalité de l'embryon unique a été constatée 24 heures après l'injection dans quatre cas sur quatre, suite à l'injection intravésiculaire d'amikacine. Lors de ponction simple (sans injection ni aspiration), la mortalité a été obtenue dans deux cas sur quatre.

• Chez les huit juments de l'essai, il n'y a eu aucune infection de l'utérus ou endométrite aseptique consécutive aux manipulations.

• Un essai de cette technique dans le traitement tardif de la gémellité pourrait être envisagé, notamment pour déterminer le moment optimal de l'intervention et s'assurer de l'innocuité de l'amikacine pour l'embryon restant.

Références

  • 1. BRACHER V, PARLEVLIET J, PIETERSE MC et coll. Transvaginal ultrasound-guided reduction in the mare. Vet. Record. 1993 ; 133 : 478-479.
  • 2. BRUYAS JF, BATTUT I, FIENI F et coll. Gestation gémellaire chez la jument : une cause majeure d'avortement. Point Vét. 1997 ; 89(183)1261-1271.
  • 3. JONKER F, PARLEVLIET J, PYCOCK J et coll. Twin reduction in sixteen mares by transvaginal ultrasound-guided puncture of the embryonic vesicle. Proceeding BEVA. 1995 : 49.
  • 4. MCKINNON A, RANTANEN N. Twins. In : Rantanen N, McKinnon A (Eds). Equine diagnostic ultrasonography. Williams & Wilkins, Baltimore, MD. 1998 ; 141-156.
  • 5. MACPHERSON ML, HOMCO L, VARNER D et coll. Transvaginal ultrasound-guided allantocentesis for pregnancy elimination in the mare. Biol. Reprod. Mono. 1995 ; 1 : 215-223.
  • 6. MACPHERSON ML, REIMER JM. Twin reduction in the mare : current options. Anim. Reprod. Sci. 2000 ; 2(60-61) : 233-244.
  • 7. MORRIS LHA, GREENWOOD RES, ALLEN WR. Transvaginal ultrasound-guided reduction of twin conceptuses in the mare. Pferdeheilkunde. 1999 ; 15(6) : 614-617.
  • 8. PASCOE RR. A possible new treatment for twin pregnancy in the mare. Equine Vet. J. 1979 ; 11(1) : 64-65.
  • 9. SQUIRES EL, COOK NL. Ultrasound-guided follicular aspiration. In : Rantanen N, McKinnon A (Eds). Equine diagnostic ultrasonography. Williams & Wilkins, Baltimore, MD, 1998 ; 213-220.
  • 10. SQUIRES EL, TARR SF, SHIDELER RK et coll. Use of transvaginal ultrasound-guided puncture for elimination of equine pregnancies during days 50 to 65. J. Equine Vet. Sci. 1994 ; 14(4) : 203-206.
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