À propos d'un cas de séquestre osseux cortical - La Semaine Vétérinaire n° 139 du 01/07/2003
La Semaine Vétérinaire n° 139 du 01/07/2003

Auteur(s) : F. Orange

Fonctions : Cabinet vétérinaire
3, rue de la Rivetière
44640 Saint-Jean-de-Boiseau

Le choix du traitement des infections osseuses chez le cheval est souvent difficile : l'orientation strictement médicale ou chirurgicale éventuellement associée à des traitements antibiotiques locorégionaux prend en compte l'origine et le stade d'évolution de la lésion.

Les traumatismes, en particulier des régions non recouvertes par des structures musculaires, peuvent induire des lésions du tissu osseux sous-jacent. Qu'il s'agisse d'une fêlure, d'une fracture (ou tout simplement d'une atteinte de l'os et du périoste), il convient d'en évaluer rapidement l'importance et d'envisager systématiquement la possibilité d'une contamination. Cette dernière peut ne se révéler qu'a posteriori, lorsque, après la contusion, la nécrose tissulaire évoluant, l'infection atteint l'os. Le traitement peut être d'ordre médical, chirurgical ou mixte selon les cas.

Une jument trotteur français de trois ans est présentée pour une plaie suintante du canon antérieur gauche associée à une forte déformation osseuse dorsolatérale du métacarpe, proximalement au boulet.

Cette plaie est déjà ancienne de quelques semaines. L'entraîneur a réalisé initialement des bandages alcoolisés et maintenu l'entraînement.

Cas clinique

Examen clinique initial

L'examen de la jument révèle un bon état général, mais elle présente une boiterie de degré 2/5. L'articulation métacarpophalangienne, les tendons extenseurs, les tendons fléchisseurs et le muscle interosseux III sont indemnes à l'examen échographique. La région déformée est inflammatoire et un orifice légèrement plus palmarodistal laisse perler par intermittence un liquide purulent.

L'examen radiographique (photo et figure ) révèle une réaction périostée du métacarpien III (face dorsolatérale) autour d'un foyer ostéolytique d'apparence « mitée ». Un fragment radiodense est isolé du cortex et encapsulé dans les proliférations. Il s'agit d'un séquestre osseux, emprisonné dans un foyer septique, qui intéresse la face dorsolatérale du métacarpe III dans sa région diaphysaire. La présence d'un corps étranger n'étant pas à exclure, trois propositions thérapeutiques sont évoquées :

- exérèse du séquestre, curetage de l'os et large parage des tissus mous concernés (sous anesthésie générale) ;

- débridement des tissus mous (sur cheval debout) associé à une antibiothérapie (par voies générale et/ou locorégionale) selon le résultat d'un prélèvement ;

- repos sous cataplasme (compresse d'eau chaude par exemple) dans l'espoir de favoriser l'élimination de petits débris et d'accélérer la résorption du séquestre. La pose d'un vésicatoire se pratique parfois dans ce cadre, mais cette technique ancienne est controversée en raison de la nécrose des tissus (y compris des tissus sains) et d'une phase algique conséquente. De plus, l'effet de la cautérisation sur l'os est très discutable.

Propriétaire et entraîneur ne souhaitant pas engager de frais, ils décident de mettre la jument au pré pour quelques mois sans autre forme de traitement.

Évolution

À la reprise de l'entraînement six mois plus tard, la région est redevenue chaude, œdématiée et sensible, puis s'est remise à suinter. La jument marque alors une gêne modérée (boiterie de grade 2/5), plus marquée corde à gauche (« elle pousse à droite »). Elle est de nouveau présentée en consultation en vue d'une intervention chirurgicale. Une amélioration radiographique est observée, mais persiste un foyer modérément ostéolytique, hétérogène, avec une prolifération périostée et osseuse modérée. Le fragment radiodense n'est plus identifiable. L'échographie (figure ) montre un trajet hypo-échogène qui part du point d'écoulement cutané vers la corticale du métacarpien III. Cette dernière est irrégulière et présente une cavité peu profonde dorsolatéralement. L'évolution radiographique suggère la présence d'un séquestre osseux initial suivi d'une ostéolyse.

Bien que le traitement conservateur ait permis une résorption du séquestre, la persistance d'une boiterie et d'un sepsis rendait la jument impropre aux qualifications prochaines. Le choix du curetage chirurgical a donc été fait afin de permettre une reprise d'activité plus précoce.

Traitement chirurgical

Les précautions préanesthésiques d'usage (alimentaire, vermifugation, etc.) sont mises en œuvre.

L'analyse hématochimique préopératoire (tableau ) révèle une leucocytose avec une neutrophilie modérée ; un traitement à base de pénicilline sodique (25 000 UI/kg, trois fois par jour), de gentamicine (6,6 mg/kg/j) et de ferments lactiques (Flore Process®, une seringue par jour) est donc instauré quatre jours avant l'intervention.

La tonte puis la désinfection du membre à l'aide de polyvidone iodée sont réalisées douze heures avant le couchage et un bandage iodé est laissé en place.

Une dose de flunixine-méglumine (0,5 mg/kg par voie intraveineuse) est administrée une heure avant la prémédication.

Après la prémédication à l'acépromazine puis à la détomidine, l'anesthésie est induite avec de la kétamine. Le relais est assuré par le mélange détomidine (0,01 mg/kg), kétamine (2 mg/kg), éther glycérique de gaïacols (GGE, 100 mg/kg).

Un garrot est posé, puis le pansement initial est retiré pour permettre une nouvelle désinfection.

La peau est incisée en ellipse partielle autour de l'orifice, puis une sonde cannelée permet de prolonger l'incision le long du trajet de la fistule. Peau et tissus conjonctifs sont parés largement sur toute la zone atteinte. L'os est mis à nu et un curetage à la curette de Volkmann est pratiqué. Les proliférations périostées autour du foyer sont partiellement retirées. Une seringue de 60 ml (montée avec une aiguille 12G 40/12) contenant une solution tiédie de lactate de Ringer permet le lavage sous pression de la plaie. Une mèche (compresse stérile tissée imbibée de gentamicine) est placée au fond de la plaie (cavité osseuse et trajet fistuleux), dépassant à chaque extrémité. Le conjonctif sous-cutané est rapproché par un surjet (Vicryl® déc. 3). Quelques points en « X » à l'aide d'un fil irrésorbable (Ethicrin® déc. 5) referment la peau.

Un bandage stérile est posé pour vingt-quatre heures.

La pénicilline sodique est complétée le soir même avec de la gentamicine (6,6 mg/kg/j par voie intraveineuse, pendant cinq jours), puis cette association est remplacée par de la pénicilline procaïne (25 000 UI/kg par voie intramusculaire, deux fois par jour durant cinq jours). La flunixine est administrée pendant trois jours, puis remplacée par de la phénylbutasone (1 g/j, pendant trois jours).

Localement, la mèche antibiotique est remplacée par une mèche iodoformée laissée apparente au niveau de l'ouverture la plus caudale. Elle est placée sous un pansement stérile et écourtée tous les jours, puis tous les deux jours jusqu'à son retrait total cinq jours plus tard. Des suintements séromuqueux sont apparus dès le lendemain de la pose de cette dernière mèche. Ils ont cessé dès le retrait de la totalité de celle-ci.

Les fils cutanés sont retirés à quinze jours, mais la région est maintenue sous bandage une semaine de plus. La jument est mise en petit paddock (20 x 20 m) progressivement et sous tranquillisation les premiers jours. La reprise de l'entraînement s'est effectuée après un mois, lorsque les signes d'inflammation ont disparu.

Discussion

Le diagnostic précoce des infections osseuses n'est pas toujours aisé. Chez l'adulte, il repose sur l'historique (fixation de fracture par des implants, fracture ouverte, plaie par traumatisme avec fistulisation, arthrite septique). La boiterie est accompagnée de signes locaux d'œdème, de chaleur et de douleur. Les signes radiographiques consistent en une association de plage ostéolytique, de sclérose osseuse périphérique et de proliférations périostées [9]. Ces signes n'apparaissent pas immédiatement puisqu'une déminéralisation d'au moins 40 % est nécessaire pour être visible sous la forme d'une perte de densité osseuse à la radiographie. Le délai est d'environ sept à quinze jours chez l'adulte [17] et semble plus bref chez le poulain (parfois quatre jours) en raison d'un turn-over osseux plus rapide [7]. Les proliférations périostées, quant à elles, ne deviennent visibles qu'à partir d'une à trois semaines [19].

Le terme « ostéomyélite » peut être employé lorsque le cortex et la medulla sont atteints. On parle d'ostéite septique lorsque seul le cortex est touché [9]. Dans ce cas, le tissu cortical profond est irrigué par les vaisseaux endostés et cicatrise. La surface n'en bénéficiant pas, elle se nécrose et devient un milieu de culture où un fragment persiste parfois, sans chance de réparation [17]. Une arthrite septique peut se développer par voie hématogène à partir d'un foyer d'ostéomyélite, même d'origine traumatique. Toutefois, l'extension du sepsis à l'articulation a lieu plus fréquemment par contiguïté lorsque l'ostéite ou l'ostéomyélite concerne initialement l'épiphyse et/ou la métaphyse de l'os [9].

Démarche thérapeutique

Devant une infection osseuse (d'origine hématogène) chez le poulain, sans plaie ni chirurgie préalable, il convient d'examiner les sites primaires de l'infection (ombilic, poumons, appareil digestif, cavités articulaires, etc.). Les prélèvements sont réalisés afin d'identifier le(s) germe(s) responsable(s) : hémoculture, aspiration à l'aiguille, lavage trachéobronchique, etc. Le statut immunitaire du poulain est exploré. Le traitement concerne avant tout le site primaire de l'infection, complété d'une plasmaphérèse ou d'une perfusion de plasma hyperimmun si nécessaire. La mise en place par voie parentérale d'une antibiothérapie adéquate dès les trois ou quatre premiers jours d'évolution peut dispenser d'une intervention chirurgicale sur l'os atteint [19] sauf lorsqu'un abcès de Broglie ou une fistule sont présents. L'abord chirurgical s'impose alors. Lorsqu'une cavité articulaire est atteinte, des lavages sous pression (éventuellement sous arthroscopie) sont réalisés quotidiennement jusqu'à normalisation de la synovie.

Dans les cas d'évolution plus ancienne, le curetage chirurgical est envisageable, mais le pronostic vital est réservé.

En présence d'un séquestre cortical associé à une plaie, il convient de réduire l'infection (antibiothérapie par voie générale) pendant deux à trois semaines avant d'envisager l'extraction, qui est alors plus aisée. Dans des situations plus anciennes, le curetage s'impose.

Lors d'une infection osseuse consécutive à un trauma, lorsque l'antibiogramme et la localisation (extrémité distale des membres) le permettent, les perfusions locorégionales sont avantageuses en complément d'un parage chirurgical agressif qui inclut de l'os.

Traitement chirurgical

• L'abord chirurgical peut être indiqué d'emblée, tout particulièrement lorsqu'il y a une nécrose osseuse, un abcès (ostéocondensation périphérique à la lésion : abcès dit de Broglie), une fistule et/ou un séquestre (fragment osseux dévitalisé et « libre »). En revanche, il convient d'éviter l'abord chirurgical chez le poulain dès lors que le foyer est proche d'une articulation ou si la stabilité de l'os est affectée [17].

Lors d'ostéite infectieuse corticale, l'affection n'atteint pas plus du tiers superficiel du cortex et la résistance de l'os supporte les contraintes, au moins celles non liées à une activité sportive [12]. La facilité d'extraction d'un séquestre peut décroître au-delà de trois à quatre semaines après le traumatisme. En effet, les proliférations osseuses parfois très abondantes et la fibrose des tissus mous avoisinants enserrent fréquemment le fragment. Un séquestre très réduit dans son épaisseur (1 à 2 mm) peut toutefois être résorbé spontanément sans intervention chirurgicale [12].

Dans le cas contraire, le traitement consiste dans :

(1) une incision cutanée large permettant un bon accès au fragment ou, au moins, à la cavité formée dans la corticale ;

(2) le débridement large des tissus mous infectés et fibrosés, ainsi que du fond de la cavité osseuse formée ;

(3) l'exérèse du ou des fragments dévitalisés ;

(4) le curetage de la cavité osseuse nécrotique ;

(5) le remodelage des proliférations osseuses pour redonner le profil initial de l'os [1]. Ce point reste sujet à discussion car l'inflammation résultante peut réactiver le processus prolifératif. Il semble préférable de ne les retirer que si elles ont un aspect septique [9] ou si elles provoquent une gêne mécanique ;

(6) la facilitation de la cicatrisation lors d'ostéomyélite grâce à la greffe d'os spongieux qui assure un apport cellulaire, couplée à la BMP (bone morphogenic protein) [13] qui favorise l'ostéogenèse et la prolifération du conjonctif périvasculaire [4]. Cette greffe améliorerait en outre l'immunité locale [12] ;

(7) le drainage efficace : drain, mèche qui sortent en marge de la plaie en région déclive, ou bien une simple ouverture déclive de la plaie ;

(8) une antibiothérapie locale par voie intraveineuse, médullaire ou par implant parfois intéressante (cf. infra) ;

(9) un pansement stérile contentif avec un matériel absorbant, associé à une immobilisation externe si la région est instable (la pose d'attelles ou d'un plâtre de marche peut s'imposer).

• Dans le cas présenté, l'aspect financier et le comportement de la jument ont été deux facteurs limitants. Pour réduire le coût du traitement, l'anesthésie générale, le matériel et les soins devaient être minimisés. Le choix du curetage s'imposait compte tenu de la chronicité, de la fistulisation récurrente et du délai réduit de remise au travail en vue des qualifications.

La solution de lavage du site opératoire doit être composée de produits non irritants. Il semble que le lactate de Ringer seul ou la chlorhexidine diluée à 0,5 % répondent le mieux à ce critère. La pression nécessaire à l'évacuation des débris et des bactéries revêt cependant une importance certaine : un minimum de 0,7 à 1,05 kg/cm2 est nécessaire [3]. Il est recommandé d'utiliser une solution d'antibiotique en mélange (néomycine + bacitracine + polymixine B) lorsque la contamination préexiste ; l'effet est optimal sous réserve d'un débridement préalable [3], car il n'y a pas de diffusion au sein des tissus nécrosés.

La mèche imprégnée de gentamicine aurait pu être renouvelée tous les jours, mais, en l'absence de surveillance et surtout de données claires sur la diffusion à partir d'un tel implant, la mèche iodoformée à extraire progressivement sans contact nécessaire avec la plaie a été préférée. Compte tenu de la toxicité de l'iodoforme pour les tissus mous avoisinants (nécrose notamment) et de la potentialisation des infections à pseudomonas sp., un drain de Penrose ou un drain tubulaire (éventuellement associé à un système d'aspiration) pourrait être plus adéquat dans cette situation.

L'antibiothérapie par voie générale semble inutile dès lors que le séquestre est retiré rapidement dans sa totalité [9] (sauf s'il reste des tissus périphériques nécrosés ou infectés). Cela suppose une intervention réalisée lorsque le séquestre est bien délimité et visible, soit dans les quinze jours après le traumatisme initial. Lorsque le trouble est ancien, les antibiotiques restent de mise.

Traitement médical

Traitements antibiotiques par voie générale

Le traitement médical des infections osseuses à l'aide d'une antibiothérapie au long cours est satisfaisant à condition que le trouble soit découvert précocement [7, 19]. Il peut être préféré notamment chez le poulain, lorsque ce dernier présente plusieurs foyers d'ostéomyélite (situation qui demeure de mauvais pronostic [15]) ou que l'état de santé de l'animal ne permet pas d'anesthésie générale. Il convient d'utiliser des produits bactéricides et qui bénéficient d'une présentation facile d'emploi.

Les infections par contiguïté sont le plus souvent mixtes et peuvent comporter, outre des anaérobies, les germes suivants : Staphylococcus sp., Streptococcus zooepidemicus, Enterococcus sp., Escherichia coli, Enterobacter sp., Pseudomonas [16]. Dans l'attente d'un antibiogramme issu d'un prélèvement par aspiration à l'aiguille, d'un écouvillon, voire d'une carotte osseuse, les associations les plus utilisées sont à base de bêtalactamine (pénicilline, céphalexine ou ceftiofur) et d'aminoside (gentamicine ou amikacine) [14]. Toutefois, si le contexte local fait suspecter une infection à Rhodococcus equi, une association de rifamycine et d'érythromycine est préférable [14]. L'enrofloxacine (sauf chez les poulains compte tenu des effets indésirables sur les cartilages) ou encore le sulfamide-triméthoprime peuvent être choisis (ce dernier peut être complété de pénicilline et/ou de métronidazole pour lutter contre les germes anaérobies) [12, 16]. Une évaluation après trente-six heures permet d'ajuster le traitement. Les antibiotiques sont généralement administrés encore trois semaines après la disparition des signes cliniques [5].

Toutefois, il existe certaines limites à l'antibiothérapie par voie générale, qui peuvent faire échouer un traitement conservateur (encadré 1). Un complément par voie locorégionale ou le curetage chirurgical sont alors envisagés.

Traitements antibiotiques locorégionaux

Des techniques de perfusion régionale d'antibiotiques adaptées de la médecine humaine sont mises en œuvre chez le cheval depuis quelques années pour traiter, entre autres, des infections osseuses [2, 20].

Par voie veineuse ou intra-osseuse, ces procédés permettent d'obtenir des concentrations élevées d'antibiotique(s) au sein des tissus. Comparées à l'administration par voie générale, les concentrations d'antibiotiques tissulaires atteintes sont supérieures, y compris dans les zones nécrotiques.

Les effets secondaires sont limités par une très faible recirculation générale des produits, ce qui permet une administration au long cours, d'autant que le coût est réduit par l'emploi de doses inférieures à celles des traitements généraux [12]. Les deux voies utilisées (intraveineuse et intra-osseuse) nécessitent la pose d'un garrot et d'une bande d'Esmarch, qui compriment le réseau veineux superficiel, voire profond, et limitent la recirculation des produits injectés. Les traitements antibiotiques locorégionaux peuvent s'utiliser en complément d'une intervention chirurgicale.

Les produits administrés sont essentiellement des aminosides. La gentamicine est utilisée le plus souvent, bien que les germes rencontrés lors d'ostéomyélite postchirurgicale notamment (Staphylococcus coagulase +, Entérobactéries, Pseudomonas sp.) soient plus fréquemment sensibles à l'amikacine [14].

• Technique de perfusion par voie veineuse [11, 12]. Principe : la compression de l'ensemble de la région à traiter ferme le système veineux superficiel. Il s'établit alors des communications entre le réseau profond et le réseau superficiel. Un garrot placé proximalement limite les diffusions hors de la région traitée. Le produit injecté sous pression dans le réseau superficiel diffuse rapidement dans le système veineux profond, puis, par voie rétrograde, passe dans le système veineux osseux. Le procédé, parfois douloureux, peut nécessiter une anesthésie générale. La technique perd alors de son intérêt. Il semble toutefois possible qu'en présence d'un animal coopératif la neuroleptanalgésie (α2-agoniste + butorphénol) permette la réalisation de la technique sans encombre.

Les produits injectés sont l'amikacine (125 mg dans 60 ml de soluté de lactate de Ringer) ou la gentamicine (1 g dans 60 ml de lactate de Ringer).

La procédure est la suivante :

(1) choisir une veine superficielle de préférence distale du site infecté ;

(2) placer (dans le respect des précautions d'usage) un cathéter 22G de 2,5 cm de long. L'hépariner et y brancher la tubulure à perfusion ;

(3) poser la bande d'Esmarch depuis l'extrémité distale vers l'extrémité proximale du membre. Une attention particulière est requise en regard du cathéter pour ne pas le plier ou le sortir en appliquant la bande ;

(4) perfuser lentement pendant environ dix minutes ;

(5) laisser le garrot et la bande pendant trente minutes supplémentaires puis les retirer.

Le cathéter peut rester en place, à condition d'être hépariné toutes les quatre heures et protégé sous bandage.

La procédure peut être répétée cinq jours de suite (ou espacés de quelques jours), mais la durée optimale n'est pas encore établie à ce jour.

• Technique de perfusion intra-osseuse [5, 2, 20].

Principe : le système veineux superficiel est oblitéré sur la portion à traiter, le réseau veineux profond est fermé proximalement et distalement, puis l'injection sous pression est réalisée directement dans la cavité médullaire.

Les molécules utilisées sont l'amikacine (125 mg) ou la gentamicine (1 g) diluée dans 60 ml de lactate de Ringer, ou une fluoroquinolone [11].

Cette technique nécessite une anesthésie générale. Les étapes sont les suivantes :

(1) distalement à la lésion, la peau est incisée jusqu'au périoste inclus ;

(2) un trou de 3,2 mm est foré dans le cortex de l'os, puis le filetage à 4,5 mm avec un taraud adapté est réalisé ;

(3) une vis type AO/ASIF modifiée (cannelée + adaptateur à tubulure) de 4,5 mm est insérée dans l'orifice et branchée à la tubulure ;

ou respectivement :

(2)' un trou de 2 mm est foré dans le cortex de l'os ;

(3)' maniée avec précaution, une aiguille 14G de 2,5 cm de long est insérée au marteau ;

(4) un garrot est posé distalement à la lésion ;

(5) une bande d'Esmarch est placée sur la région traitée jusqu'à l'articulation qui lui est proximale ;

(6) le produit est injecté sous forte pression (à l'aide d'une seringue de 3 ml, ce qui s'avère fastidieux, ou d'un injecteur angiographique), à un débit de 2 à 3 ml à la minute ;

(7) après le retrait de la vis ou de l'aiguille, la bande et le garrot sont laissés en place trente minutes.

• La pose d'implants imprégnés d'antibiotiques au sein de la lésion semble être une technique d'appoint très utile, dans le cadre du traitement des plaies contaminées, des fractures ouvertes, des ostéomyélites chroniques ou même des arthrites septiques, voire associés d'emblée au traitement des fractures [10, 18].

Lorsque l'implant est placé en milieu biologique, un relargage de l'antibiotique contenu dans sa matrice se produit [8].

La nature de l'implant (polyméthylméthacrylate) permet d'obtenir in situ une quantité initiale d'antibiotique suffisante pour un effet bactéricide. Le relargage progressif maintient ensuite un niveau bactériostatique. La forme de l'implant conditionne la bonne diffusion : un rapport surface/volume aussi grand que possible est souhaité.

Des chapelets de billes de différents diamètres ont été mis sur le marché (Gentabilles®, réservé au milieu hospitalier). Leur retrait n'est pas aisé compte tenu de la fibrose qui rapidement les emprisonne, à moins de les manipuler quotidiennement.

Il est possible de réaliser soi-même la forme de l'implant (en cigare ou en cylindre) après le mélange des deux constituants (poudre et liquide) du polyméthylméthacrylate. Les antibiotiques même liquides (gentamicine injectable par exemple) peuvent être incorporés à la matrice qui se présente sous forme de poudre. Il convient d'employer des molécules solubles dans l'eau pour obtenir une bonne diffusion dans les tissus, stables à plus de 100 °C car la polymérisation est exothermique (ce qui exclut l'amikacine), bactéricides à faible dose et peu allergisants.

Les antibiotiques généralement utilisés sont la gentamicine, la tobramycine, la pénicilline G, les céphalosporines de première et de seconde générations (notamment utiles contre Bacteroides fragilis) [12]. En médecine humaine, les fluoroquinolones (ciprofloxacine), la lincomycine, l'érythromycine, la lincomycine et la vancomycine sont également utilisés.

La préparation se fait en incorporant l'antibiotique à la poudre selon les doses suivantes :

pour 40 à 60 g de poudre,

- gentamicine à la dose de 1 à 2 g,

ou

- tobramycine à la dose de 1 à 2 g,

ou

- céfazoline à la dose de 4 à 8 g,

ou

- céfotaxime à la dose de 4 à 8 g.

Le monomère liquide est ensuite ajouté, en respectant les indications de quantité du fournisseur. Le mélange est mis en forme rapidement (la prise a lieu en une minute environ à partir du début de la réaction de polymérisation) avec une spatule en bois stérile. Un fil d'acier ou de polypropylène (Prolène® 2) est incorporé à l'implant pour en faciliter le retrait.

Un seul antibiotique est habituellement incorporé à l'implant. Dans une même lésion, plusieurs implants d'antibiotiques différents peuvent être mis en place pour élargir le spectre d'action.

Les préparations faites à l'avance sont stérilisées au gaz ou à l'oxyde d'éthylène.

La procédure d'utilisation est la suivante :

(1) administrer une antibioprophylaxie générale per- et postopératoire seulement ;

(2) réaliser un débridement de la plaie ;

(3) l'implant est posé et enfermé partiellement sous la peau, une ouverture déclive permet d'une part son drainage, d'autre part son retrait ;

(4) la plaie est maintenue sous bandage stérile et absorbant ;

(5) l'implant peut être laissé en place deux à trois semaines ou bien retiré juste avant la cicatrisation complète (certains être implants à base d'hydroxyhapatite sont laissés in situ de façon permanente [8]).

Les polymères utilisés sont des produits onéreux et peu accessibles (disponibles auprès des pharmacies des hôpitaux ou bien directement chez le producteur comme 3M). Leur efficacité est toutefois prometteuse.

La perfusion d'antibiotiques par voie intraveineuse est fastidieuse et nécessite de répéter les anesthésies générales.

La perfusion locorégionale par voie veineuse semble la plus simple à réaliser sur le terrain, surtout lorsque le cheval est suffisamment coopératif pour éviter d'effectuer une anesthésie générale. Comparativement à la perfusion intra-osseuse, elle semble apporter des concentrations d'amikacine comparables au niveau des articulations interphalangienne distale, métacarpophalangienne et de la gaine des fléchisseurs [6].

Conclusion

Le traitement des infections osseuses chez le cheval est d'autant plus efficace qu'il est instauré rapidement. Dans ces conditions, le curetage chirurgical semble aujourd'hui pouvoir être évité, notamment grâce à l'antibiothérapie locorégionale. Pourtant, certaines situations, dont les infections chroniques (cas abordé ici), sont réfractaires au traitement strictement médical. Le parage agressif demeure le geste thérapeutique de base. L'antibiothérapie locorégionale peut, de façon complémentaire, améliorer le pronostic. Néanmoins, il est important de retenir que la clé d'un pronostic sportif favorable repose sur le diagnostic précoce. Les modifications radiographiques caractéristiques d'un foyer septique osseux n'étant décelables qu'après un délai de quatre à vingt jours, il convient d'évaluer les plaies aussi précisément que possible, particulièrement dans les régions où l'os est en position sous-cutanée. L'échographie apporte parfois des éléments plus précoces que la radiographie dans la détermination des tissus contaminés. Chez le poulain, lors de boiterie, un interrogatoire qui concerne le transfert passif de l'immunité et les antécédents infectieux (respiratoires, ombilicaux, digestifs, etc.) s'impose. L'examen clinique complet doit être orienté dans le sens du dépistage d'une pathologie infectieuse primaire.

Éléments à retenir

• Chez l'adulte, les signes radiographiques d'infection osseuse n'apparaissent qu'après sept à quinze jours puisqu'une déminéralisation d'au moins 40 % est nécessaire pour être visible sous la forme d'une perte de densité osseuse à la radiographie. Les proliférations périostées ne deviennent visibles qu'à partir d'une à trois semaines.

• La facilité d'extraction chirurgicale d'un séquestre peut décroître au-delà de 3 à 4 semaines après le traumatisme. En effet, les proliférations osseuses parfois très abondantes et la fibrose des tissus mous avoisinants enserrent fréquemment le fragment.

• Des techniques de perfusion locorégionale d'antibiotiques adaptées de la médecine humaine peuvent être mises en œuvre chez le cheval pour traiter des infections osseuses : perfusion par voie veineuse, perfusion intra-osseuse ou pose d'implants imprégnés d'antibiotiques.

Limites de l'antibiothérapie par voie générale pour le traitement des infections ostéo-articulaires

• Faible vascularisation des extrémités chez le cheval, d'autant plus si le traumatisme affecte des éléments vasculaires.

• Formation possible de thrombi vasculaires par le processus infectieux.

• La réaction inflammatoire (dépôt de fibrine et sclérose osseuse notamment) isole et protège les germes du système immunitaire comme de l'apport des antibiotiques par voie sanguine.

• La baisse du pH tissulaire réduit l'activité de certains antibiotiques (aminosides notamment).

• Certaines molécules ont un effet dose-dépendant (aminosides, enrofloxacine, etc.) qui nécessite une bonne diffusion au niveau du site concerné.

• La durée nécessairement longue du traitement induit des effets secondaires liés à la toxicité des molécules.

• Le coût du traitement peut rapidement devenir un facteur limitant.

Encadré 1. D'après [5, 7].

Références

  • 1 - ADAMS OR. Ostéomyélite et ostéite. In : Les boiteries du cheval, 3rd éd. Ed. Maloine. Paris. 1990 : 123-126.
  • 2 - ADAMS SB, FESSLER JF. Regional antibiotics perfusion. In : Atlas of Equine Surgery. Philadelphia. WB Saunders Company. 2000 : 393-396.
  • 3 - ARIGHI M. Drains, dressings and external coaptation devices. In : AUER (ed.). Equine Surgery. Philadelphia. WB Saunders Company. 1992 : 159-176.
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  • 5 - BOURE L, MARCOUX M. L'antibiothérapie locorégionale lors d'infection des extrémités chez le cheval. Proceeding congrès annuel AVEF. 1996 : 110-133.
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