Myopathie à stockage de polysaccharides chez un cheval de race lourdeEquine polysaccharide storage myopathy in a draft horse - Pratique Vétérinaire Equine n° 135 du 01/07/2002
Pratique Vétérinaire Equine n° 135 du 01/07/2002

Auteur(s) : C. DEFLINE*, A. BÉNAMOU-SMITH**

Fonctions :
*Clinique Équine de Bernay, Le Manoir d'Irlande,
27300 SAINT-AUBIN LE VERTUEUX
**Département Hippique, École Nationale Vétérinaire de Lyon, 1 av. Bourgelat,
69280 MARCY-L'ÉTOILE

Une jument de type percheron âgée d'une dizaine d'années, pesant environ 1 000 kg, est présentée à la consultation pour l'examen d'entrée dans un effectif. Son passé est totalement inconnu.

Cas clinique

Examen clinique initial

La jument est maigre et présente une amyotrophie symétrique du thorax, des épaules et de la croupe. Sa position est anormale : les quatre pieds sous elle, le dos voussé et le bassin à la verticale (photo ). Incapable de rester immobile, elle reporte son poids en permanence d'un postérieur sur l'autre. Elle se tient préférentiellement sur les surfaces en pente, les antérieurs en haut du dénivelé ou, avec les postérieurs, les pinces relevées sur une petite marche ; elle reste souvent couchée et n'est capable de se lever que dans les pentes.

L'examen clinique révèle une tachycardie modérée au repos (50 battements par minute) sans anomalie du rythme cardiaque.

L'examen locomoteur statique révèle une usure anormale des sabots postérieurs en pince, une flexion exagérée de l'articulation distale du doigt des postérieurs, une chaleur anormale des quatre pieds sans augmentation du pouls digité et une apparente fibrose des muscles de la croupe et des fesses. Le test de la pince est négatif sur les quatre pieds. La palpation des membres et de la colonne vertébrale ne révèle aucune anomalie.

L'examen locomoteur dynamique montre une démarche qui semble aisée malgré la position anormale du dos sur les postérieurs ; une hypermétrie est constatée lors de la phase antérieure de la foulée, ainsi qu'une parésie lors de la phase postérieure de la foulée. Le reculer semble impossible. Les antérieurs ont une foulée normale.

L'examen neurologique ne révèle aucune anomalie neurologique centrale. Le test de croisement des antérieurs est négatif. Celui des postérieurs est douteux. Ceci peut être relié à une diminution de la proprioception ou à une difficulté de retrait du membre. Aucune autre anomalie neurologique n'est constatée.

L'examen ophtalmologique ne révèle aucune anomalie.

Hypothèses diagnostiques

À ce stade, les hypothèses diagnostiques incluent des affections myo-arthro-squelettiques, abdominales, thoraciques et neuromusculaires.

Examens complémentaires

La palpation transrectale ne révèle aucun signe pathologique abdominal ou myo-arthro-squelettique.

Une prise de sang réalisée lors de l'examen clinique initial révèle une leucocytose neutrophilique modérée (11 200 leucocytes/mm3 dont 9 632 granulocytes neutrophiles/mm3), une hyperfibrinogénémie modérée (2,4 g/l ; valeurs usuelles laboratoires : < 2 g/l) ainsi que des taux de créatine-kinase et de transaminases légèrement augmentés (tableau ). Les analyses hématobiochimiques indiquent la présence d'un foyer inflammatoire modéré chronique qui pourrait être en faveur de migrations parasitaires. Les dosages des enzymes musculaires indiquent des lésions musculaires modérées. Ces résultats ne révèlent aucune inflammation active capable d'expliquer les symptômes observés.

Traitement initial et évolution

Dans un premier temps, un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien (butasyl® : phénylbutazone 4 mg/kg + acide acétyl salicylique 1 mg/kg une fois par jour pendant cinq jours, puis demi-dose pendant cinq jours) est administré à la jument afin d'évaluer le rôle de la douleur dans le trouble de posture. Ce traitement semble augmenter légèrement le confort de l'animal (position plus stable sur les postérieurs, diminution de la chaleur des pieds). En revanche, ni la position de la jument ni la fréquence cardiaque n'ont été modifiées.

Une paracentèse abdominale est réalisée et révèle la présence d'un transsudat modifié (tableau ). La légère inflammation chronique mise en évidence est en faveur de l'hypothèse de migrations des parasites, mais ne permet pas d'expliquer les symptômes observés.

L'examen radiographique des quatre pieds ne montre pas de signe de fourbure.

D'après ces résultats, une affection neuromusculaire est suspectée et un traitement anti-inflammatoire stéroïdien (dexaméthasone : 0,04 mg/kg une fois par jour pendant cinq jours, puis demi-dose pendant cinq jours, par voie intramusculaire) et de la vitamine E (0,5 mg/kg/j pendant cinq jours, par voie intramusculaire) sont administrés, sans amélioration.

Diagnostic

Devant l'absence d'atteinte thoracique, abdominale ou myo-arthro-squelettique pouvant expliquer une telle position une suspicion de maladie neuromusculaire est établie, en particulier de la myopathie à stockage de polysaccharides (EPSM) et de la maladie du motoneurone central (EMND). De plus d'autres éléments sont en faveur de l'EPSM : capacité à lever la tête, appétit conservé mais non augmenté, absence de lésion de la rétine.

Ces deux affections neuromusculaires se manifestent principalement par des troubles de la position et de l'allure sans autre signe associé.

La concentration de vitamine E plasmatique est modérément diminuée (tableau ), ce qui est en faveur de la myopathie à stockage de polysaccharides (dans le cas d'EMND, une forte diminution serait attendue).

Pour établir le diagnostic, des biopsies musculaires sont nécessaires. Elles permettent de confirmer l'atteinte neuromusculaire et de préciser le type de fibres concernées et la nature de l'affection. Cet examen est dans un premier temps refusé par les propriétaires de la jument.

Traitement

Devant la plus forte suspicion de myopathie à stockage de polysaccharides, il est donc décidé de traiter la jument pour cette affection et d'en évaluer le résultat sur trois mois.

Modifications alimentaires et évolution

Chez les chevaux atteints d'EPSM, l'utilisation des glucides par les muscles de la locomotion est impossible. Le traitement consiste en un apport énergétique essentiellement lipidique.

L'alimentation traditionnelle de la jument est supplémentée à l'aide d'un aliment riche en lipides (140 g/kg de matière brute) introduit progressivement sur trois semaines, jusqu'à atteindre 3 kg par jour ainsi que d'huile végétale (huile de tournesol) à raison de 200 ml par jour (dose maximale acceptée par la jument). La jument est maintenue au pré afin de favoriser son exercice.

Au bout d'un mois, une amélioration nette est observée (augmentation du confort, prise de poids, régularisation progressive de la fréquence cardiaque), ce qui est confirmé lors de l'examen de contrôle quatre mois après les modifications alimentaires. Cependant, la jument passe encore beaucoup de temps couchée et sa position au repos n'a pas évolué.

Évolution après une année

La jument se déplace plus facilement, ses allures sont plus souples. Elle est désormais capable de galoper et de ruer, ce qui suppose une récupération fonctionnelle partielle des muscles de la face plantaire des membres postérieurs. Cependant, elle présente encore régulièrement des épisodes de “fatigue” (elle est couchée et refuse de se relever), qui évoluent favorablement avec des traitements symptomatiques (administration de vitamine C, E et B, glucose, phosphore, etc.).

Diagnostic définitif

Après une amélioration immédiate de l'état de la jument, celui-ci se stabilise ensuite et aucune évolution n'est plus observée.

• Un an après, quatre biopsies musculaires sont réalisées pour confirmer le diagnostic et préciser le traitement à adopter (encadré 1).

Deux prélèvements sont réalisés dans le muscle sacrocaudalis dorsalis medialis et deux dans la croupe. Pour chaque site prélevé, un fragment musculaire est placé dans du formol et l'autre est congelé. Leur analyse histologique confirme le diagnostic de myopathie à stockage de polysaccharides et écarte celui d'EMND.

• Un bilan hématobiochimique est à nouveau réalisé ainsi que des dosages d'enzymes musculaires plasmatiques dans différentes circonstances, dont un après l'effort, c'est-à-dire réalisé quatre heures après quinze minutes de trot en cercle. L'ensemble de ces prises de sang ne révèle qu'une augmentation modérée des CPK et des ASAT.

En outre, le test à l'effort n'a pas permis de révéler de rhabdomyolyse subclinique.

• Les résultats d'un nouveau dosage de vitamine E et de sélénium sont dans les limites inférieures pour la vitamine E et dans les limites supérieures pour le sélénium (tableau ).

La jument est maintenue sous le même régime, compte tenu de la stabilisation de son état général.

Évolution

La jument présente encore quelques épisodes de “fatigue” (léthargie et décubitus prolongé), apparus en automne et en hiver et après un changement de pré, ce qui suggère que la moindre qualité de la pâture pourrait être en partie responsable de cette baisse de forme.

La jument est supplémentée avec de la vitamine E à raison de 10 000 UI/j pendant trois semaines. Ce traitement n'a pas été suivi d'amélioration clinique de la jument.

Discussion

Premier cas français d'EPSM

Le diagnostic d'EPSM établi chez cette jument est une première description en France. Il a été décrit aux États-Unis et au Canada chez les chevaux de race lourde. Il s'agit d'une maladie musculaire qui rend impossible l'utilisation des glucides comme source énergétique pour les fibres musculaires de type II (fibres de la locomotion). Cette maladie atteint tous les types de chevaux mais en particulier ceux de races lourdes chez lesquels elle se manifeste par des anomalies de postures et d'allures, de la léthargie, voire des morts subites.

Expression clinique

Le cas décrit est comparable aux cas rapportés par Valentine et son équipe, qui travaillent sur les maladies neuromusculaires des chevaux lourds aux États-Unis [33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40]. Nous avons cependant pu observer quelques particularités. Dans le cas décrit, les symptômes sont beaucoup plus marqués au repos qu'en mouvement, ce qui n'est pas habituellement décrit dans les cas d'EPSM. Cette expression clinique particulière ainsi que l'absence d'évolution peuvent être liés à l'ancienneté de la maladie et à la présence de lésions arthrosquelettiques installées (le faible nombre de fibres musculaires atrophiées révélé lors de l'analyse histologique ne reflète pas l'importance des symptômes). La recherche permanente de pentes, qui était flagrante chez la jument décrite, n'a pas été rapportée par ailleurs dans la littérature. Elle pourrait être reliée à l'atteinte préférentielle des muscles de la face plantaire des membres postérieurs.

La tachycardie observée au repos, et persistante pendant les trois premiers mois, peut être due à une certaine forme de douleur “subclinique” ou à une atteinte directe du myocarde, qui aurait évolué simultanément à celle des muscles squelettiques. Ce symptôme n'est pas décrit classiquement dans la littérature, bien que l'équipe de Valentine [37] ait constaté l'atteinte possible du myocarde par des lésions similaires à celles des muscles squelettiques. Il est intéressant de remarquer que la jument décrite n'a jamais exprimé d'épisode de rhabdomyolyse, ni clinique, ni subclinique, ce qui a aussi été décrit sur certains chevaux lourds [32].

Examens complémentaires

Les dosages répétés d'enzymes musculaires plasmatiques sont comparables à ceux des chevaux de race lourde atteints d'EPSM étudiés par l'équipe de l'Université de Cornell : une augmentation des CPK de modérée à importante et une quasi constante augmentation modérée des ASAT. En revanche, les tests à l'exercice réalisés n'ont pas permis de déclencher de rhabdomyolyse, même subclinique.

Les analyses hématobiochimiques réalisées lors des épisodes de “fatigue” n'ont pas permis d'identifier une cause précise. Ainsi, même les dosages d'enzymes musculaires sériques se sont révélés normaux. Seules certaines modifications alimentaires (herbe de moins bonne qualité, pré moins pentu) pourraient expliquer les baisses de forme qui sont toujours apparues à l'automne ou en hiver, malgré une supplémentation par un aliment concentré. Il est cependant possible que l'herbe en pleine pousse contiennent des nutriments de qualité bien supérieure aux meilleurs concentrés. Les dosages de vitamine E sont plutôt en faveur de l'EPSM (diminution modérée) alors que le dosage de sélénium est dans les normes, à la limite supérieure, ce qui semble en marge des résultats décrits dans la littérature puisqu'une diminution est très fréquente.

Diagnostic et traitement

La biopsie a permis le diagnostic de certitude. Le fort taux de polysaccharides retrouvé dans les fibres musculaires est en accord avec les surcharges les plus fréquemment décrites chez les animaux adultes dans la littérature. Il pourrait expliquer la lente évolution après modifications alimentaires chez cette jument et son absence de guérison à ce jour.

En outre, l'augmentation des lipides dans la ration diminue fortement son appétence. C'est pourquoi, dans le cas de la jument lourde décrit, seule une partie des glucides a pu être remplacée. Cette substitution, seulement partielle, peut expliquer la rapide amélioration dans les trois premiers mois qui ont suivi les modifications alimentaires, puis son évolution plus lente.

Conclusion

Le cas décrit illustre bien l'importance nouvelle des maladies musculaires et neuromusculaires chez le cheval. La fréquence des cas décrits chez les chevaux lourds et chez les chevaux américains est due plus probablement à une meilleure connaissance de ces affections qu'à une augmentation réelle de leur prévalence.

La reconnaissance d'un premier cas en France montre que cette maladie est également présente en Europe. Elle doit constituer une hypothèse de premier ordre dans le diagnostic différentiel du syndrome “rhabdomyolyse récurrente” et des syndromes “amaigrissement-faiblesse-décubitus” en particulier dans les races lourdes [25, 32].

La bibliographie de cet article est regroupée à la fin de l'article “La myopathie à stockage de polysaccharides chez le cheval : état des lieux” du même auteur, p. 57 à 63.

Hypothèses diagnostiques et examens complémentaires réalisés

◊ Affection myo-arthro-squelettique

• Foubure

- postérieurs sous le corps, chaleur des quatre pieds ;

- absence de pouls digité, appui normal sur les pieds, test de la pince négatif ;

- examen radiographique des quatre pieds.

• Malformation du squelette axiale

- position anormale qui ne semble pas réductible ;

- absence d'anomalie à la palpation du squelette axial ;

- palpation transrectale.

• Maladie de Lyme

- faiblesse musculaire ;

- absence de douleur musculaire.

◊ Affection abdominale

- tachycardie persistance, position anormale au repos ;

- absence d'autres signes manifestes de douleur ;

- hématobiochimie, palpation transrectale, paracentèse abdominale pour examen cytologique.

◊ Affection thoracique

• Pleurésie

- position anormale ;

- démarche souple, absence de douleurs intercostales, absence de fièvre, auscultation normale de l'aorte pulmonaire ;

- hématobiochimie.

◊ Affection neuromusculaire

• Maladie du motoneurone

- amaigrissement, position, anomalie de posture → anomalie de démarche ;

- race lourde, carence en vitamine E peu probable, possibilité de lever la tête, absence de modifications du fond de l'œil.

• Grass Sickness

- amaigrissement, tachycardie, animal vivant vraisemblablement au pré ;

- absence de signe digestif.

• Myopathie à stockage de polysaccharides

- race lourde, fibrose des muscles plantaires, mobilisation des muscles plantaires impossible ;

- démarche aisée ;

- dosage de la vitamine E plasmatique, analyse histobiochimique de fragments musculaires.

• Maladie du muscle blanc

- faiblesse muculaire ;

- âge de la jument, présence de modifications de la posture et de la démarche, d'intensité plus importante que la faiblesse musculaire ;

- dosage de la vitamine E plasmatique, dosage des enzymes musculaires plasmatiques, histologie de fragments musculaires.

• Botulisme

- faiblesse ;

- absence de dysphagie, faible représentation en Europe.

Encadré 1.

Résultats d'analyses des biopsies musculaires

◊ L'examen des fragments des muscles en coupes transverses et longitudinales aux colorations HE (hémalun-éosine) et PAS (acide périodique Schiff) avant et après incubation des tissus à l'amylase révèle la présence :

- de rares figures d'internalisation de noyau ;

- de quelques rares fibres atrophiées ;

- de quelques fibres qui témoignent d'une perte de structures transverses et une hyper éosinophilie ;

- de “flaques” d'inclusions intracytoplasmiques de tailles variables PAS positives et résistantes à la digestion par l'amylase (polysaccharides complexes).

◊ Conclusion de l'examen histologique

Les modifications histologiques sont pathognomoniques d'une myopathie causée par une maladie de stockage des polysaccharides. Cette affection favorise la survenue d'épisodes de rhabdomyolyses récurrentes.

(Analyses effectuées au laboratoire d'Anatomie Pathologique de l'École Nationale Vétérinaire de Lyon, sous la direction de Mme Marie-France Lepage).

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Pratique Vétérinaire Equine.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à Pratique Vétérinaire Equine, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr