Gastro-entérologie
DOSSIER
Auteur(s) : Caroline RIBONNET **, Inge DURIE ****, Gaby VAN GALEN ******
Fonctions :
** Dierenkliniek de Morette, Asse, Belgium
**** Evidensia Specialisthästjukhuset Strömsholm, Suède
****** Goulburn Valley Equine Hospital, Congupna, Victoria, Australia & Sydney School of Veterinary Sciences, University of Sydney, Sydney, NSW, Australia
Il n’existe que des preuves peu convaincantes et limitées sur les effets cliniques positifs de l’antibiothérapie en cas de troubles digestifs. Le choix du praticien repose notamment sur le tableau clinique.
La résistance aux antimicrobiens est une menace pour la santé publique mondiale qui entrave le contrôle et le traitement des maladies infectieuses. Comme les micro-organismes présents chez toutes les espèces peuvent servir de réservoir à cette antibiorésistance, la santé humaine et la santé animale sont étroitement liées. L’approche “One Health” est une stratégie pour combattre la résistance aux antimicrobiens, mais elle nécessite des efforts combinés et cohérents de la part des professionnels de la santé humaine et vétérinaire. Chez le cheval, des agents pathogènes zoonotiques entériques et multirésistants sont signalés, tels qu’Escherichia coli producteur de bêta-lactamases à spectre élargi (BLSE) et Salmonella multirésistante aux antibiotiques. Lors d’infections potentiellement mortelles, telles qu’une bactériémie ou une pleuropneumonie, l’instauration rapide d’un traitement antibiotique à large spectre est indispensable, jusqu’à l’obtention d’un diagnostic et/ou d’un antibiogramme précis. D’un autre côté, le risque de diarrhée associée aux antibiotiques est une complication susceptible d’altérer davantage la flore gastro-intestinale protectrice du cheval (encadré 1). C’est pourquoi déterminer la nécessité, le type, le dosage et la durée d’une antibiothérapie lors d’affections moins sévères ou localisées se révèle un réel dilemme sans lignes directrices claires pour l’espèce équine (encadré 2). Un prélèvement fécal permet de détecter une potentielle cause infectieuse et devrait être réalisé chez tout cheval atteint de diarrhée, de fièvre ou de colique d’origine inconnue (encadré 3, photos 1 et 2). Des premières recommandations ont été élaborées pour les maladies équines les plus fréquentes par l’Association vétérinaire équine française (Avef)(1) et la British Equine Veterinary Association (Beva)(2).
L’objectif de cet article est de fournir un aperçu des connaissances actuelles concernant l’utilisation des antimicrobiens pour traiter les différents types de colite aiguë, spécifiquement chez les chevaux adultes, car les poulains nécessitent une prise en charge différente.
Chez le cheval adulte, dans un contexte de risque lié à la diarrhée associée aux antibiotiques et à la résistance aux antimicrobiens, une antibiothérapie systématique pour le traitement des colites aiguës n’est pas recommandée. Cependant, dans certains cas, un tel traitement peut être envisagé (tableau) [13].
Lorsque la présence de bactéries intraluminales spécifiques est confirmée, notamment en cas de clostridiose, un traitement antibiotique visant à obtenir des concentrations dans le lumen intestinal peut être instauré [13]. Les agents pathogènes qui envahissent les entérocytes comme Neorickettsia ou certains cas de salmonellose nécessitent un traitement antimicrobien à action intracellulaire. Lors de toute colite aiguë, des lésions extra-intestinales peuvent se développer, en particulier en cas de salmonellose. Un traitement antimicrobien est donc souvent recommandé chez les chevaux qui présentent un foyer septique extra-intestinal (par exemple, une pneumonie, un abcès ou une thrombophlébite) ou une bactériémie [32, 33]. Lors d’entérocolite grave, l’atteinte de la barrière muqueuse intestinale peut entraîner une translocation bactérienne provoquant potentiellement une bactériémie, un syndrome de réponse inflammatoire systémique (Sris) et une septicémie [32]. Cependant, des signes cliniques d’endotoxémie ne permettent pas de conclure à l’existence concomitante d’une bactériémie ou d’une septicémie. Il est notamment prouvé que chez les chevaux atteints de Sris, avec une formule leucocytaire déviée à gauche et une culture sanguine positive, le taux de mortalité est plus élevé [19, 32]. Lors d’une étude prospective, 9 chevaux adultes sur 31 présentant une diarrhée aiguë affichaient une culture sanguine positive pour Corynebacterium spp. (n = 6), Streptococcus spp. (n = 2), Pantoea agglomerans (n = 1), un bacille Gram négatif (n = 1), Bacillus spp. (n = 1) et une levure (n = 1) [20]. Les chevaux avec Corynebacterium spp. avaient 25,3 fois moins de chance de survivre, et ceux avec les autres isolats 6,3 fois moins, par rapport aux chevaux sans culture sanguine positive. Les bactéries transloquées dans le sang peuvent donc être non spécifiques et indiquer une plus grande sévérité de la colite, ou être des agents pathogènes à l’origine d’une septicémie et d’un Sris [13]. Lors d’entérocolite d’origine indéterminée, souvent appelée dysbactériose, un traitement antimicrobien pourrait en théorie protéger contre la bactériémie et la gravité des signes cliniques. En revanche, dans cette étude, une thérapie antimicrobienne avant l’hospitalisation n’a pas eu d’effet significatif sur la présence ou non d’une culture sanguine positive, ce qui indique que l’antibiothérapie ne permet pas nécessairement de réduire le risque de bactériémie [32]. En effet, il n’existe à ce jour aucune preuve que le traitement antimicrobien améliore ou non le pronostic chez les chevaux atteints d’une colite d’origine indéterminée [13]. Néanmoins, si une thérapie devait être instaurée afin de réduire le risque de bactériémie, sans résultats de culture sanguine, un traitement à l’aide d’un antibiotique de première ligne non critique à large spectre serait alors à privilégier. Une antibiothérapie par voie intraveineuse ou intramusculaire, pour atteindre rapidement des taux sanguins élevés, est conseillée. Pour des raisons de dysfonctionnement gastro-intestinal, les antibiotiques à administrer par voie orale ne sont pas recommandés pour atteindre des taux sanguins élevés. Il pourrait alors être judicieux de combiner la pénicilline et la gentamicine, l’oxytétracycline ou l’association triméthoprime-sulfamides administrée par voie intraveineuse. Une adaptation du traitement est possible, dès que les résultats de la culture sanguine sont disponibles, mais un délai de plusieurs jours pour les obtenir doit être envisagé [13]. À ce stade, le cheval ne nécessite souvent plus d’antimicrobiens puisqu’il est mort, ou parce que son état s’est nettement amélioré. De plus, il n’est pas certain que les bactéries transloquées le jour du prélèvement soient toujours présentes. Si une translocation bactérienne au travers de la paroi intestinale est toujours en cours après plusieurs jours, il est possible que les bactéries soient différentes de celles présentes le jour du prélèvement [13]. Enfin, les chevaux infectés par le coronavirus équin ne nécessitent généralement pas d’antimicrobiens, à moins qu’ils ne développent une bactériémie secondaire [29].
Au niveau européen, les antimicrobiens ont été catégorisés selon leur usage critique par l’Antimicrobial Advice ad hoc Expert Group (Ameg) pour les humains(3) et les animaux(4), un classement suivi dans cet article. La définition d’antibiotique critique qui en ressort n’est cependant pas la même que celle de la réglementation française(5). En France, la réglementation antimicrobienne, notamment en ce qui concerne les substances antibiotiques dites d’importance critique pour l’homme, est fixée par l’arrêté du 18 mars 2016.
Les antibiotiques de première ligne principalement utilisés en cas de diarrhée chez le cheval sont l’association triméthoprime-sulfamides, les tétracyclines (tétracycline, oxytétracycline et doxycycline) et le métronidazole [13]. Ils sont considérés comme importants par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et appartiennent à la catégorie D (prudence) de la liste Ameg. Le risque de développement de résistances est moindre mais pas nul, et leur utilisation non raisonnée ainsi que la mise en place de traitements de longue durée ou de groupe sont à éviter.
La dose recommandée de triméthoprime-sulfamides est de 15 à 30 mg/kg deux fois par jour par voie intraveineuse ou orale. Cette association présente une pauvre distribution, aucune efficacité intracellulaire, tandis qu’une haute résistance chez Clostridium difficile et un risque de diarrhée associée aux antibiotiques sont rapportés. L’administration de ces antibiotiques peut être considérée en cas de signes de bactériémie associée à une diarrhée [13].
La dose recommandée d’oxytétracycline est de 6,6 mg/kg (5 à 15 mg/kg) une à deux fois par jour par voie intraveineuse. Les tétracyclines ont une activité à large spectre et sont indiquées en cas de bactériémie. Ces molécules ne sont pas conseillées contre les salmonelles, qui sont souvent résistantes, et l’oxytétracycline favoriserait même le développement de salmonelles plus virulentes [4]. De plus, dans le cadre d’une infection expérimentale chez des poneys, l’oxytétracycline a prolongé l’excrétion de Salmonella. Ces antibiotiques présentent de bonnes distribution et pénétration intracellulaire [9]. Ils sont donc le traitement de choix contre Neorickettsia risticii et une mise en place rapide de celui-ci est associée à de plus grandes chances de survie [3]. Néanmoins, cet agent pathogène n’étant pas présent en France ni en Europe actuellement, leur utilisation lors de diarrhée est fortement réduite. Un risque de néphrotoxicité et de diarrhée associée aux antibiotiques est également décrit, et la mise en place d’une fluidothérapie en cas d’hypovolémie et de déshydratation est primordiale avant leur administration [9, 10, 13, 33].
Le métronidazole a un spectre d’activité étroit qui comprend les protozoaires et les bactéries anaérobies, et sa distribution est faible. Il peut être utilisé pour traiter les diarrhées dues à Clostridium difficile, mais n’a pas démontré de valeur ajoutée en combinaison avec les tétracyclines contre les infections à Neorickettsia risticii [13, 33]. Au-delà de ses propriétés antimicrobiennes, le métronidazole aurait un effet anti-inflammatoire au niveau intestinal. Les effets indésirables sont rares, mais son goût est amer et il peut entraîner une anorexie. Un risque de diarrhée associée aux antibiotiques est décrit, mais il est considéré comme faible [25]. Cependant, lors d’une étude récente, une diminution de la diversité et une modification de la flore bactérienne a été démontrée chez le cheval via des prélèvements au niveau du cæcum [1]. La biodisponibilité est bonne (75 à 85 %) après une administration orale, mais plus faible (30 à 40 %) après une administration rectale. La dose recommandée est de 15 à 25 mg/kg par voie orale ou de 30 à 50 mg/kg par voie rectale trois à quatre fois par jour. Les formulations intraveineuses de métronidazole sont coûteuses, donc rarement utilisées chez les chevaux adultes [9]. Cependant, la distribution intraluminale après une administration orale ou rectale, donc les effets contre C. difficile, ne sont pas clairs. Chez le patient humain sans inflammation intestinale, le métronidazole est principalement absorbé par l’intestin grêle proximal ; des concentrations potentiellement sous-inhibitrices sont atteintes dans le gros intestin [38]. Cela pourrait expliquer la faible incidence de la diarrhée associée aux antibiotiques chez le cheval, et un manque d’efficacité contre C. difficile dans certains cas humains [25, 28]. Cependant, lors d’inflammation intestinale, l’acidose intestinale pourrait capturer le métronidazole dans le lumen et augmenter son efficacité contre C. difficile. La résistance au métronidazole a notamment été rapportée dans 18 à 19 % des isolats équins [22]. Le traitement au métronidazole prédisposerait à la colonisation par des souches résistantes. Dans une étude, les chevaux infectés par des souches résistantes présentaient des signes cliniques et un Sris plus sévères, leur hospitalisation était plus longue et le taux de mortalité plus élevé [22]. Enfin, des études contrôlées et randomisées ainsi que des méta-analyses font défaut. Des doutes subsistent quant à l’efficacité du métronidazole contre C. difficile en médecine humaine et équine, et les résultats cliniques ne sont pas toujours en accord avec les tests de sensibilité in vitro [22].
La dose recommandée de pénicilline est de 22 000 UI/kg quatre fois par jour par voie intraveineuse (pénicilline sodique) ou deux fois par jour par voie intramusculaire (pénicilline procaïne). Cet antimicrobien β-lactamine agit contre les bactéries Gram positif et la plupart des anaérobies non dotées de β-lactamases [36]. La pénicilline est utilisée en combinaison avec la gentamicine pour élargir son spectre et pourrait être administrée en cas de colite aiguë avec un risque de bactériémie [13].
La dose recommandée est de 25 à 50 g deux fois par jour oralement. La bacitracine a un spectre principalement contre les bactéries Gram positif et son emploi est parfois suggéré contre Clostridium. Néanmoins, son administration n’est pas appropriée pour le traitement d’une colite due à C. difficile à cause d’un risque élevé de résistance. Cet antibiotique n’est pas absorbé par l’intestin et atteint des hautes concentrations intraluminales, ce qui pourrait lui octroyer une meilleure efficacité que celle prédite par l’antibiogramme [13].
D’après le classement de l’Ameg, les antibiotiques de la catégorie C (attention) sont considérés comme d’importance critique pour la santé publique et présentent un risque de résistance plus élevé. Ils ne devraient être utilisés que lorsque ceux de la catégorie D ne sont pas cliniquement efficaces. En médecine équine, il s’agit des aminoglycosides.
La dose recommandée de gentamicine est de 6,6 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse. Le spectre d’activité est large, mais il comprend surtout les bactéries Gram négatif avec une efficacité limitée contre les bactéries anaérobies [9, 13]. Une résistance élevée existe chez C. difficile [13]. La distribution de la molécule est limitée, maintenant ainsi des concentrations sanguines élevées, et la pénétration intracellulaire est faible en raison de son caractère hydrophile hautement ionisé dans le plasma [9, 13]. La gentamicine atteint le compartiment intraluminal, et un risque variable de diarrhée associée aux antibiotiques est signalé. Une étude a notamment démontré une association entre le retrait de la gentamicine du protocole après une laparotomie et la réduction de l’incidence des typhlocolites postopératoires et de la mortalité liée à celles-ci [36]. D’après une autre étude, les chevaux hospitalisés ayant développé une colite associée à C. difficile étaient le plus souvent sous traitement avec de la gentamicine. De plus, les aminoglycosides pourraient stimuler la production de la toxine β2 de C. perfringens chez le cheval, susceptible d’exacerber la colite [36]. Néanmoins, lors d’une étude multicentrique, la monothérapie avec la gentamicine n’a été associée à une colite que chez 2 chevaux sur 828 [2]. Enfin, l’emploi des aminoglycosides est rapporté lors d’une diarrhée causée par Salmonella chez des jeunes chevaux, mais l’atteinte d’une concentration intracellulaire faible rend cette utilisation inappropriée [13].
Les antimicrobiens de la catégorie B (restriction) sont des antibiotiques critiques de haute priorité pour la santé humaine, comprenant les quinolones et les céphalosporines de troisième et quatrième générations. Face au risque pour la santé publique, leur utilisation doit être assortie de restrictions spécifiques dans le domaine vétérinaire. Ils ne devraient être utilisés que lorsque les antibiotiques des catégories D et C ne sont pas cliniquement efficaces et sur la base d’un antibiogramme réalisé le plus précocement possible.
La dose recommandée d’enrofloxacine est de 5 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse. Les fluoroquinolones ont une activité à large spectre et une efficacité excellente contre les bactéries Gram négatif telles que Salmonella, mais limitée contre les streptocoques et les bactéries anaérobies. Ces antibiotiques sont liposolubles, présentent une distribution élevée et une efficacité intracellulaire [9]. La résistance de souches de Salmonella aux fluoroquinolones est décrite chez le cheval [21]. En médecine humaine, des souches hypervirulentes de C. difficile, associées à de hautes morbidité et mortalité, se développent une fois exposées aux fluoroquinolones [30]. Des isolats hypervirulents résistants à la moxifloxacine sont également rapportés chez des chevaux en Australie [35].
Des effets indésirables affectant le métabolisme cartilagineux des jeunes chevaux sont en outre sigalés, et il existe des cas de diarrhée associée aux antibiotiques liés à l’enrofloxacine [9]. Lors d’une étude multicentrique, la prévalence de la diarrhée associée aux antibiotiques était de 5,4 % [2].
La dose recommandée du ceftiofur est de 2,2 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse ou intramusculaire. Le spectre d’activité des céphalosporines est large, la distribution et la pénétration intracellulaire sont basses, car ce sont des acides faibles hautement ionisés dans le plasma [9]. Cela signifie que ces molécules ne peuvent pas atteindre les salmonelles au niveau intracellulaire. De plus, leur activité antibactérienne à large spectre peut provoquer une prolifération ou une surinfection par des bactéries intrinsèquement résistantes, dont C. difficile. Cela conduit parfois à une colite à C. difficile ou à une diarrhée associée aux antibiotiques [10, 13, 33]. Enfin, des Salmonella multirésistantes aux antibiotiques apparaissent résistantes aux céphalosporines. L’administration de ces dernières est rapportée chez des jeunes chevaux atteints de salmonellose, éventuellement en combinaison avec un aminoglycoside, mais l’utilisation des céphalosporines semble inappropriée chez les chevaux adultes atteints de colite aiguë [13].
Les antibiotiques de la catégorie A (à éviter) sont des antibiotiques critiques de la plus haute priorité pour la santé publique et leur utilisation en médecine vétérinaire n’est pas autorisée. Deux études chez le cheval montrent une bonne sensibilité de C. difficile à la vancomycine, même contre les souches résistantes au métronidazole. Cependant, vu son importance hautement critique en médecine humaine, l’administration de cette molécule est totalement inappropriée chez les chevaux. Des effets indésirables, tels qu’une ototoxicité et une néphrotoxicité, sont également décrits [13].
De nombreux traitements simultanés sont souvent mis en place pour les chevaux adultes atteints de colite, comme des probiotiques/prébiotiques, de la smectite di-tri-octahedral (DTO), du psyllium, du sucralfate et du charbon actif [32, 33]. La large gamme de médicaments administrés par voie orale, y compris les antimicrobiens, conduit à une influence mutuelle. Lors d’une étude, la smectite DTO in vitro n’a eu aucun effet sur l’action du métronidazole, mais aucune information n’est disponible actuellement sur la façon dont d’autres traitements oraux pourraient affecter l’absorption et l’efficacité du métronidazole, menant potentiellement à un sous-dosage et au développement d’une résistance. Les antimicrobiens oraux pourraient affecter la survie des probiotiques et leur capacité à coloniser l’intestin. À ce sujet, même si aucune donnée claire n’est disponible, espacer au maximum tous les traitements oraux pourrait optimiser l’efficacité du plan thérapeutique.
La transplantation de microbiote fécal apparaît comme un traitement efficace contre C. difficile en médecine humaine et est suggérée lors de colite aiguë chez le cheval [6, 26, 27]. Chez les patients humains atteints de diarrhée nosocomiale à Clostridium difficile, la transplantation fécale est souvent combinée avec le métronidazole ou la vancomycine [6, 7]. Cependant, une étude récente concernant le syndrome du côlon irritable chez l’humain montre que le prétraitement antimicrobien réduit considérablement la colonisation bactérienne par la greffe [34]. En pratique équine, la transplantation de microbiote fécal est également souvent combinée à un traitement antimicrobien, mais aucune étude n’a pour le moment démontré un effet délétère sur la greffe. De plus, les interactions médicament-aliment sont fréquentes chez les chevaux, et certains facteurs, tels que l’alimentation ou le jeûne, une administration préprandiale ou postprandiale, le type d'aliment, peuvent influencer l’absorption des médicaments antibiotiques administrés par voie orale [37].
Des combinaisons de plusieurs molécules sont souvent utilisées en médecine équine. Certaines d’entre elles sont toutefois à éviter [37] :
- les β-lactamines avec les tétracyclines : l’inhibition de la synthèse de la paroi cellulaire est dépendante de la réplication bactérienne qui est affectée par l’effet bactériostatiques des tétracyclines [37] ;
- la procaïne pénicilline et l’association triméthoprime-sulfamides : les triméthoprime-sulfamides inhibent la synthèse d’acide folique, mais certaines bactéries peuvent décomposer la procaïne en acide para-amino-benzoïque, précurseur de l’acide folique, et neutraliser les effets antimicrobiens ;
- les fluoroquinolones et la rifampicine : la rifampicine inhibe la synthèse de l’autolysine par les bactéries, cette dernière étant nécessaire à l’effet antibactérien des fluoroquinolones ;
- l’association triméthoprime-sulfamides et la rifampicine : la rifampicine augmenterait l’élimination des triméthoprime-sulfamides.
Certaines interactions peuvent toutefois être bénéfiques. Ainsi, l’effet synergique dérivé de la combinaison de pénicillines et d’aminoglycosides est bien documenté en médecine humaine, à la fois in vitro et in vivo. Cependant, la synergie n’a pas été validée in vivo pour d’autres combinaisons antimicrobiennes couramment utilisées en médecine équine [37].
Malgré des signes cliniques souvent indiscernables, les diverses causes de colite aiguë chez le cheval adulte nécessitent des approches thérapeutiques différentes. L’antibiothérapie reste actuellement controversée à cause du risque d’induire une diarrhée associée aux antibiotiques et une résistance aux antimicrobiens. Une résistance élevée aux céphalosporines et à la gentamicine et l’apparition de souches hypervirulentes de C. difficile dues aux fluoroquinolones, ainsi que la production de toxine β2 de C. perfringens induite par les aminoglycosides, sont des complications bien réelles. À tout moment, lors du traitement d’une diarrhée chez le cheval adulte, le praticien doit mettre sur la balance les effets négatifs et les effets potentiellement bénéfiques d’un traitement antibiotique. Dans la plupart des cas, les publications n’avancent actuellement que des preuves peu convaincantes et limitées sur les bénéfices cliniques de l’antibiothérapie dans ce cadre.
Encadré 1
• Prévalence de 0,6 à 54 %.
• Mécanismes en jeu :
- la flore du gros intestin est principalement composée de bactéries anaérobies obligatoires (clostridies) et de streptocoques qui sont en compétition avec les bactéries pathogènes par le principe de résistance à la colonisation, entraînant une perturbation de la microflore intestinale par les antimicrobiens, une diminution de la résistance à la colonisation, une prolifération des bactéries pathogènes telles que C. difficile ou Salmonella et la production de toxines à l'origine d’une atteinte de la muqueuse et d’une inflammation ;
- perturbation de la fonction métabolique de la flore et du métabolisme des glucides, des acides gras volatils et des acides biliaires ;
- effet prokinétique notamment par les macrolides.
• Conséquence : le taux de mortalité est plus élevé par rapport à celui associé aux autres types de diarrhée.
• Incidence : même si cette diarrhée est observée avec tous les antimicrobiens, elle est surtout décrite avec l’association triméthoprime-sulfamides, les tétracyclines, le métronidazole, la gentamicine, l’enrofloxacine et le ceftiofur.
D’après [2, 9, 10, 17-19, 25, 32, 33, 36].
Encadré 2
En pratique, dans l’attente de directives plus claires fondées sur une recherche scientifique approfondie, il convient lors de diarrhée de faire un choix thérapeutique au cas par cas, en considérant plusieurs paramètres cliniques et sanguins. Deux exemples illustrent les applications sur le terrain.
• Exemple 1. Un cheval âgé de 3 ans présente une diarrhée aiguë, de la fièvre (38,9 °C) et une tachycardie modérée (60 battements par minute). Une leucocytose (leucocytes à 15 000/µl, valeurs usuelles de 5 000 à 10 000/µl), une déshydratation modérée (hématocrite à 49 %, valeurs usuelles de 35 à 45 % ; protéines totales à 65 g/l, valeurs usuelles de 50 à 70 g/l), une hypoalbuminémie (albumine à 19 g/l une fois l’animal réhydraté, valeurs usuelles de 28 à 40 g/l) et une hyperglobulinémie (globulines à 41 g/l, valeurs usuelles de 18 à 38 g/l) sont mises en évidence via le bilan sanguin. Dans ce contexte, étant donné la forte suspicion de cyathostomose larvaire, l’usage de médicaments antimicrobiens est à éviter, du moins jusqu’au retour des résultats de l’analyse fécale avec sensibilité bactérienne.
• Exemple 2. Un cheval adulte présente une diarrhée profuse, une tachycardie sévère (84 battements par minute), une tachypnée (40 actes respiratoires par minute), de la fièvre (39,5 °C) et une leucopénie marquée (leucocytes à 2 000/µl) avec la formule leucocytaire déviée à gauche. Tous les critères d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique sont donc réunis, avec en plus une importante hypovolémie (hématocrite à 60 %, protéines totales à 70 g/l) et des lésions pulmonaires ainsi qu’un œdème marqué du côlon visibles à l’échographie. Ce cheval est hospitalisé pour la mise en place de soins intensifs incluant une fluidothérapie intraveineuse agressive. Il bénéficie également d’un traitement antibiotique à large spectre de première ligne par voie intraveineuse pour contrer une éventuelle bactériémie, en attendant que les résultats de l’analyse fécale révèlent ou non une origine bactérienne spécifique avec un antibiogramme. Le traitement antimicrobien est alors adapté ou arrêté.
Encadré 3
• Recueillir au minimum 5 g de matière fécale fraîche, de préférence à partir d’un prélèvement rectal.
• Envoyer le prélèvement pour la réalisation d’une culture et d’un antibiogramme (résultats après 48 à 72 heures généralement) ainsi qu’une multiplex polymerase chain reaction (mPCR).
• Rechercher des agents pathogènes spécifiques :
- le coronavirus équin (via une PCR) ;
- des parasites (via une coprologie avec comptage d’œufs par gramme de fèces) ;
- Neorickettsia risticii (via une PCR sur matière fécale) ;
- Clostridum difficile (via une analyse Elisa/PCR pour les toxines A/B et la glutamate deshydrogénase) ;
- Clostridium perfringens (via une PCR pour les entérotoxines) [24] ;
- Salmonella (via au minimum 5 prélèvements à 24 heures d’intervalle pour une culture ou 3 pour une PCR, en conservant les matières fécales au réfrigérateur).
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À ce jour, il manque des directives claires quant à l’utilisation d’antimicrobiens dans le cas de diarrhée ou de colite chez le cheval adulte. Avec l’émergence de résistances aux antimicrobiens et le risque accru, chez le cheval, de diarrhée associée aux antibiotiques, il s’agit d’un sujet fort controversé. En théorie, les antimicrobiens ne devraient être réservés qu’aux chevaux atteints par certains types d’entérocolite bactérienne. Cela dit, en pratique, malgré une étiologie différente, les signes cliniques de diarrhée sont souvent très similaires. Il peut donc être difficile de choisir entre la mise en place rapide d’une antibiothérapie ou un traitement différé mais ciblé sur la base de tests diagnostiques.
Cheval, gastro-entérologie, antimicrobiens, antibiothérapie, colite, diarrhée.
There is still a lack of clear guidance on the use of antimicrobials for diarrhoea or colitis in adult horses. This is a highly controversial topic because of the emergence of antimicrobial resistance and the increased risk of antibiotic-associated diarrhoea in horses. In theory, antimicrobials should only be used for horses with certain types of bacterial enterocolitis. However, in practice, despite the different aetiology, the clinical signs of diarrhoea are often very similar. It can therefore be difficult for the practitioner to choose between rapid antimicrobial treatment or delayed but targeted treatment based on diagnostic tests.
Horse, gastroenterology, antimicrobials, antibiotic therapy, colitis, diarrhoea.