Comment réaliser une trachéotomie - Pratique Vétérinaire Equine n° 0217 du 15/03/2023
Pratique Vétérinaire Equine n° 0217 du 15/03/2023

Pathologie respiratoire

CAHIER PRATIQUE

Fiche pratique

Auteur(s) : Lise GROSS *, Claire DE FOURMESTRAUX **

Fonctions :
*Centre international de santé du cheval d’Oniris (Cisco)
**Oniris, site de La Chantrerie
***101 route de Gachet
****44300 Nantes

Lors d’une obstruction des voies respiratoires supérieures, le pronostic vital du cheval peut être engagé. La réalisation d’une trachéotomie est alors décisive pour la survie de l’animal.

La trachéotomie est une procédure chirurgicale permettant de dévier le passage de l’air en cas d’obstruction des voies respiratoires en amont. Au sens strict, elle correspond à l’exposition de la lumière trachéale ventralement, sans retrait d’anneaux cartilagineux. Cet orifice est temporaire et maintenu ouvert à l’aide d’un trachéotome [3].

Indications

L’obstruction des voies respiratoires supérieures est la principale indication d’une trachéotomie temporaire. Les causes sont variées, mais les plus fréquentes chez les équidés sont un affaissement du pharynx (gourme), un collapsus laryngé ou trachéal, une chondrite aryténoïdienne, un kyste sinusal, des déformations de la face (wry nose, masse, œdème, etc.) (photos 1a et 1b) [3].

La nécessité d’une trachéotomie est à évaluer selon le confort respiratoire du cheval. L’obstruction des voies respiratoires supérieures se caractérise par des bruits inspiratoires (stridor) et un tirage nasal. En cas de détresse respiratoire, le cheval montre la plupart du temps une agitation marquée. Lors de collapsus laryngé ou trachéal, dont l’un des ultimes signes cliniques est une syncope, une intervention d’urgence est nécessaire. Si le cheval doit être référé en vue d’une endoscopie afin d’explorer la cause de l’obstruction, il peut être bénéfique de pratiquer une trachéotomie avant le transport pour limiter les risques de détresse respiratoire liée au stress, ainsi que les complications associées au manque d’asepsie et de précision dans la réalisation de l’intervention en situation d’urgence. Il s’agit alors d’une trachéotomie préventive.

Un critère objectif dans l’évaluation de la capacité respiratoire du cheval est la prise de sang artériel pour un dosage de la pression partielle en oxygène. Lorsque celle-ci est inférieure à 100 mmHg, l’oxygénation du cheval n’est pas satisfaisante. Lors d’hypoxie sévère, les muqueuses peuvent prendre une teinte bleutée, ce qui indique la nécessité d’une intervention d’urgence.

Face à une détresse respiratoire associée à des signes d’obstruction des voies respiratoires supérieures, une trachéotomie temporaire peut être pratiquée avant les examens complémentaires afin de limiter le risque de syncope. La réalisation d’une trachéotomie dans le calme, avant tout état de détresse respiratoire sévère, permet d’améliorer le pronostic et de limiter les complications. Une trachéotomie temporaire préventive est également envisageable avant la mise en œuvre de procédures chirurgicales qui incluent les voies respiratoires supérieures, permettant ainsi de réaliser une intubation trachéale directe, donc de libérer le site chirurgical.

Matériel et préparation

La trachéotomie est exécutée la plupart du temps sur un cheval debout. Cette position physiologique offre un meilleur alignement des structures, mais n’est pas toujours possible lors de syncopes.

Le matériel nécessaire comprend les instruments pour la désinfection de la peau, l’incision cutanée et trachéale, et la mise en place d’un trachéotome (photo 2). Un éclairage est à prévoir avec une lampe frontale ou un spot de chantier. En cas d’urgence vitale, seule une lame de bistouri n° 24 sera utilisée en amont de la mise en place en urgence du trachéotome. Lorsque l’urgence est relative, une sédanalgésie à l’aide d’un alpha2-agoniste et d’un opioïde peut être mise en place selon l’état clinique du cheval. 

Une tonte large de l’encolure est réalisée avant la préparation aseptique du site afin de limiter les complications. En cas d’urgence, lors d’obstruction sévère des voies respiratoires supérieures, aucune préparation du site chirurgical n’est effectué. L’abord chirurgical se situe à la jonction entre le tiers proximal et le tiers moyen de l’encolure, à l’endroit où la trachée est la plus superficielle, sans couverture musculaire (photo 3). Cette partie correspond à la zone de divergence des corps des muscles sterno-céphaliques et à la convergence des muscles omo-hyoïdiens [3].

Procédure 

La réalisation d’une trachéotomie se déroule en plusieurs étapes, réalisées dans la mesure du possible stérilement (photos 4a à 4g). La succession des étapes doit être adaptée au degré d’urgence vitale(1).

1. Le site de la trachéotomie est préparé, tondu et nettoyé chirurgicalement.

2. Une anesthésie locale, à l’aide de 10 à 20 ml de lidocaïne à 2 %, est réalisée dans les plans cutané, sous-cutané et au niveau des muscles sterno-thyro-hyoïdiens.

3. Une incision cutanée et sous-cutanée ventrale d’environ 6 à 10 cm de long est pratiquée à la lame de bistouri n° 24, sur la ligne médiane, à la jonction entre le tiers proximal et le tiers moyen de l’encolure.

4. Le muscle cutané du cou et les corps des muscles sterno-thyro-hyoïdiens droit et gauche sont disséqués dans le plan médian aux ciseaux Metzenbaum à bout mousse, ou incisés à la lame de bistouri n° 24 en cas d’urgence.

5. Les deux muscles pairs sont écartés à l’aide d’un écarteur Weitlaner afin de permettre l’exposition de plusieurs anneaux trachéaux.

6. Une palpation au doigt des anneaux cartilagineux est réalisée et le ligament annulaire à inciser est repéré, en position centrale dans la zone d’incision. La tête est placée en position physiologique pour assurer un alignement optimal des différents plans.

7. Le ligament annulaire de deux cartilages adjacents est sectionné de manière transversale, parallèlement à l’orientation des anneaux, sur 30 à 50 % au maximum du diamètre de la lumière trachéale.

8. En se guidant à l’aide d’un index, le trachéotome choisi est mis en place dans l’ostium créé (encadré 1, photos 5 et 6).

9. Le flux d’air et la mise en place effective du trachéotome dans la lumière trachéale sont vérifiés.

10. La fixité du trachéotome et son calibre sont évalués pour s’assurer que celui-ci est adapté au diamètre liminal de la trachée.

Suivi et complications

La trachéotomie temporaire peut rester fonctionnelle plusieurs semaines, voire 1 ou 2 mois tant que le trachéotome est en place. Une fois que l’obstruction des voies respiratoires supérieures est résolue et que le passage de l’air à travers l’orifice de trachéotomie n’est plus nécessaire, le trachéotome peut être retiré. La plaie cicatrise par seconde intention, en 3 semaines environ [3]. Il est recommandé de maintenir les soins locaux quotidiens de la plaie de trachéotomie jusqu’à la cicatrisation complète.

Une trachéotomie temporaire n’est pas une solution à long terme pour les chevaux atteints d’une obstruction durable des voies respiratoires supérieures. Le cas échéant, une trachéostomie permanente doit être envisagée dans un second temps (encadré 2, photos 7a à 7d) [3]. Les complications de la trachéotomie sont peu fréquentes et peuvent être limitées par la technique chirurgicale, l’asepsie et une bonne connaissance anatomique des tissus adjacents [2].

Infection de la plaie

La complication la plus fréquente de la trachéotomie temporaire est l’obstruction par des sécrétions trachéales séro-muqueuses abondantes. C’est pourquoi il est recommandé de nettoyer, voire de remplacer le trachéotome au moins toutes les 24 heures, et de préférence toutes les 12 heures [3]. À l’occasion du nettoyage du trachéotome, la plaie de trachéotomie doit être nettoyée de l’intérieur vers l’extérieur, à l’aide d’un antiseptique dilué (chlorhexidine à 0,05 %) et de compresses imprégnées de sérum physiologique (photo 8). Cette désinfection permet de limiter les risques d’infection de la plaie de trachéotomie et d’en contrôler quotidiennement l’inflammation. Même lors d’une intervention en urgence, du fait de l’abord faiblement invasif et peu profond, le risque d’infection reste limité à condition d’effectuer des soins adaptés [3, 4]. Cependant, la formation d’une poche sous-cutanée ventralement au site d’incision trachéale est possible, notamment lorsque l’incision cutanée est trop longue. Cette poche peut par la suite collecter les exsudats de la plaie et les sécrétions trachéales, entraînant une infection locale. Des soins locaux et un drainage chirurgical permettent le plus souvent une résolution favorable rapide [4].

Emphysème sous-cutané

Le placement correct du trachéotome doit être vérifié, à chaque mise en place, par le passage de l’air à travers l’ostium. En effet, lorsqu’il est placé dans les tissus adjacents et qu’il les dissèque, cela provoque une inflammation et un emphysème de la région. Une surveillance rapprochée de la position du trachéotome est donc recommandée plusieurs fois par jour, notamment pour ceux à fixation externe.

Lorsque le trachéotome est retiré définitivement, il convient de s’assurer que les incisions cutanées et trachéales sont alignées. En cas de défaut d’alignement, l’air circulant dans la trachée et par l’orifice de trachéotomie peut se retrouver enfermé dans les tissus sous-cutanés et progressivement s’étendre. Une reprise de l’incision cutanée peut être envisagée en cas d’emphysème sous-cutané trop important [2].

Atteinte de structures nobles

Une bonne connaissance anatomique et une palpation minutieuse de la trachée avant l’incision limitent les risques d’atteinte des structures adjacentes. Cependant, lors d’une urgence ou d’anomalies anatomiques, les structures neurovasculaires situées de part et d’autre de la trachée ainsi que l’œsophage peuvent être accidentellement atteints. Ces lésions restent peu fréquentes. Aucune neuropathie du nerf laryngé récurrent secondaire à une trachéotomie n’est rapportée, mais il est possible que l’œdème local consécutif à l’intervention affecte ce nerf localement [2].

Par ailleurs, une approche plus caudale que la jonction entre le tiers proximal et le tiers moyen augmente le risque de complications, car les différentes couches de muscles nécessitent une dissection plus importante. Dans la région caudale, l’artère carotide commune présente une position plus latérale et l’œsophage est plus ventral [3]. Les chevaux et les poneys atteints d’un collapsus trachéal sont à haut risque de lacérations œsophagiennes et carotidiennes lors de la réalisation d’une trachéotomie, en raison du déplacement des structures anatomiques adjacentes à la trachée [3]. Le risque de pénétration accidentelle de l’œsophage est majoré si la trachéotomie a lieu sur un cheval en décubitus latéral droit et en urgence. L’œsophage, qui est localisé dorso-latéralement à la trachée, est alors dévié ventralement. De plus, les repères anatomiques sont modifiés. Lors de perforations de l’œsophage, les risques d’infection du site de trachéotomie sont majorés [2].

Section excessive du ligament annulaire

En cas de section de plus de la moitié du ligament annulaire, une sténose modérée à sévère de la muqueuse trachéale est parfois observée et des asphyxies peuvent apparaître au cours des semaines qui suivent la trachéotomie [3, 6]. Par ailleurs, en cas d’atteinte accidentelle d’un anneau cartilagineux, une inflammation marquée de la lumière trachéale est notée. Un tissu de granulation exubérant peut se développer et diminuer le diamètre de la lumière trachéale [2, 3].

Encadré 1

Choix du trachéotome

Il existe de nombreux types de trachéotome. Les trachéotomes en métal à maintien autonome ne nécessitent pas de suture, assurent une bonne sécurité et sont faciles d’entretien. Cependant, il convient de veiller à ce que les bords n’abîment pas la trachée dans la partie dorsale chez les animaux de petit gabarit. Un trachéotome à canule peut alors être préféré. Il existe aussi des trachéotomes en silicone avec un ballonnet et des fixations externes, qui permettent de limiter les aspirations vers les poumons de sang ou de sécrétions, notamment lors des interventions sur les voies respiratoires supérieures. Ils ne peuvent pas rester trop longtemps en place en raison de l’irritation de la muqueuse trachéale induite par le ballonnet.

En cas d’urgence, une seringue dont le bout est coupé et le piston retiré, voire un morceau de sonde naso-gastrique ou un autre tuyau assez rigide peuvent être mis en place de manière transitoire si aucun trachéotome n’est disponible. Lors d’un collapsus trachéal, une sonde naso-gastrique ou une sonde trachéale d’anesthésie (diamètre 14) peut être placée en urgence jusqu’à la carène bronchique.

Encadré 2

Trachéostomie permanente

La trachéostomie permanente est une procédure chirurgicale élective qui consiste en la création d’une ouverture pérenne de la lumière trachéale lorsque l’obstruction des voies respiratoires supérieures ne peut être résolue [3]. Le taux de succès est de 89 % (retour à l’activité initiale). Le taux de survie à 1 an atteint 97 % et la satisfaction du propriétaire va jusqu’à 98 % [1, 4].

Cet acte est souvent réalisé après une trachéotomie temporaire, cranialement à celle-ci, en regard des anneaux trachéaux 2 à 5. Après l’exposition de la trachée par une incision cutanée, sous-cutanée et une dissection des muscles, quatre anneaux trachéaux sont incisés dans le plan médian et sur deux lignes paramédianes. Les huit rectangles de cartilage obtenus sont retirés. La muqueuse trachéale et les ligaments annulaires ainsi exposés sont incisés en double Y avant d’être suturés à l’épiderme (marsupialisation) par des points simples d’apposition [3, 5]. Les chevaux peuvent ensuite reprendre une activité normale une fois la phase de cicatrisation terminée. Des mesures environnementales sont à mettre en place pour limiter les poussières. Par ailleurs, les propriétaires doivent être informés que le cheval ne pourra plus jamais se baigner.

Références

1. Chesen AB, Rakestraw PC. Indications for and short- and long-term outcome of permanent tracheostomy performed in standing horses: 82 cases (1995-2005). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2008;232(9):1352-1356.

2. Peroni J. Complications of equine tracheal surgery. In: Complications in Equine Surgery. Wiley Blackwell. 2021:488-490.

3. Prange, T. Trachea. In: Equine Surgery. 5th ed. Elsevier. 2018:797-804. 

4. Shappell KK, Stick JA, Derksen FJ et coll. Permanent tracheostomy in equidae: 47 cases (1981-1986). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1988;192(7):939-942. 

5. Rakestraw PC. Permanent tracheostomy in the horse. In: Advances in Equine Upper Respiratory Surgery. Wiley Blackwell. 2015:271-275.

6. Wylie CE, Foote AK, Rasotto R et coll. Tracheal necrosis as a fatal complication of endotracheal intubation. Equine Vet. Educ. 2015;27(4):170-175.

  • (1) Les étapes 3, 4 et 7 à 10 sont indispensables, même lors d’une trachéotomie d’urgence.
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