La leishmaniose est-elle envisageable aussi chez les chevaux ? - Ma revue n° 018 du 01/01/2018 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 018 du 01/01/2018

Fiche – Parasitologie

Auteur(s) : Jacques Guillot*, Amaury Briand**, Gilles Bourdoiseau***

Fonctions :
*Unité de parasitologie-
mycologie-dermatologie
École nationale vétérinaire
d’Alfort, 7, avenue
du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
**Unité de parasitologie-
mycologie-dermatologie
École nationale vétérinaire
d’Alfort, 7, avenue
du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
***Unité de parasitologie,
VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

Les leishmanioses sont des maladies infectieuses à transmission vectorielle dues à la multiplication de protozoaires du genre Leishmania dans les cellules du système des phagocytes mononucléés chez de nombreux mammifères. Les canidés (le chien plus particulièrement), les rongeurs et l’homme sont les mammifères le plus souvent infectés, mais d’autres espèces, comme le cheval, peuvent être contaminées et exprimer des signes cliniques. Les leishmanioses sont endémiques/enzootiques dans de nombreuses régions du pourtour méditerranéen, de pays d’Afrique de l’Est, d’Asie et d’Amérique latine. Certaines leishmanioses se traduisent par une atteinte cutanée, d’autres ont une expression clinique plus complexe, avec une atteinte systémique (cas du kala-azar de l’homme) ou une expression mixte associant des signes cutanés et une atteinte générale. La leishmaniose due à Leishmania infantum fait partie de cette dernière catégorie.

La transmission des leishmanioses est principalement vectorielle, avec l’implication de petits diptères du groupe des phlébotomes (photo 1). Ces vecteurs sont assez ubiquistes et, dans les zones d’enzootie de leishmaniose, les chevaux, comme les individus de nombreuses autres espèces animales, peuvent être piqués et contaminés par des leishmanies. La preuve de la contamination des chevaux a été apportée pour certaines espèces de leishmanies sur plusieurs continents : L. braziliensis (parfois associée à L. infantum) pour des chevaux au Brésil et au Venezuela et beaucoup plus rarement L. infantum pour des chevaux en Espagne, au Portugal et en Allemagne, L. siamensis pour des chevaux en Suisse et en Allemagne [3, 4, 6, 7, 8, 9, 10].

Épidémiologie

En zone d’enzootie, le risque de contamination des chevaux est en relation directe avec l’exposition aux piqûres de phlébotomes et l’abondance des réservoirs animaux (les chiens surtout, mais aussi certains carnivores sauvages pour L. infantum, les rongeurs pour d’autres leishmanies à l’origine de formes cutanées). Des phlébotomes ont été observés en train de prendre leur repas sanguin sur des chevaux en Italie et du sang de chevaux a été retrouvé dans le tube digestif de phlébotomes en Espagne [1, 2]. De plus, quelques enquêtes sérologiques en zone d’enzootie indiquent que certains chevaux sont porteurs d’anticorps antileishmanies, autrement dit qu’ils ont été exposés aux parasites.

Une étude réalisée à partir de prélèvements sanguins de 173 chevaux vivant dans le nord du Portugal a révélé une séroprévalence de 4 % [5]. Une autre étude réalisée en Israël a montré que la séroprévalence chez 383 chevaux était encore plus faible (1,4 %), mais que certains animaux avaient été exposés à L. infantum dans des régions considérées comme indemnes jusqu’alors. Les chevaux pour lesquels une leishmaniose a été confirmée vivaient en zone d’enzootie ou y avaient séjourné dans les mois ou années précédents. Certains cas de leishmaniose équine observés en Suisse ou dans le sud de l’Allemagne semblent faire exception à cette règle [4, 6]. Ils pourraient être liés à un mode de contamination autre que la transmission vectorielle ou simplement confirmer que l’aire de distribution de la leishmaniose est en train de progresser avec l’implication d’espèces “inhabituelles” comme L. siamensis.

Signes cliniques

Même si la contamination est assez fréquente, l’expression clinique de la leishmaniose n’est pas fréquemment rapportée chez le cheval. La plupart des cas sont observés à la suite de la contamination par L. braziliensis en Amérique latine. À ce jour, seul un petit nombre de cas ont été décrits en Europe : 3 chevaux en Espagne, 2 au Portugal, 2 en Suisse et 7 en Allemagne [3, 4, 6, 8, 10]. Pour tous les cas décrits en Amérique latine et en Europe, la leishmaniose s’est traduite par la formation de papules ou de nodules cutanés sur la tête (le plus souvent), les pavillons auriculaires, le cou, le scrotum, le périnée ou les membres. Les nodules sont généralement ulcérés (photo 2). Ils mesurent de quelques millimètres à 2 cm et ne semblent pas prurigineux. Aucun autre signe clinique n’est observé et les chevaux semblent en parfaite santé. Dans tous les cas observés en Europe, les lésions cutanées ont spontanément disparu au bout de quelques mois. Cette expression clinique ressemble au chancre d’inoculation parfois observé chez les chiens contaminés par L. infantum. Cette lésion cutanée transitoire est due à la piqûre du phlébotome infectant. Elle peut persister plusieurs mois et disparaît spontanément. Durant cette période, les chiens demeurent séronégatifs. Ultérieurement, près de 25 % des chiens deviennent séropositifs, et la maladie devient patente et se généralise. Chez le cheval, une séroconversion est possible mais la dissémination du parasite et la généralisation de la maladie ne se produisent visiblement pas : la leishmaniose équine se présente donc comme une affection strictement cutanée et non générale, à la différence de la leishmaniose canine. Il est ainsi possible de rapprocher la leishmaniose équine de la leishmaniose féline qui ne s’exprime que rarement et toujours sous une forme cutanée stricte.

Diagnostic

En Europe, la découverte de cas de leishmaniose équine a toujours été fortuite par la mise en évidence de leishmanies lors de l’examen histologique d’un ou plusieurs nodules cutanés, alors que la leishmaniose ne faisait pas partie du diagnostic différentiel initial. Typiquement, une réaction inflammatoire périvasculaire est observée dans le derme, ainsi qu’une ulcération. Les cellules sont majoritairement des macrophages accompagnés de quelques lymphocytes. Les formes amastigotes de leishmanies se présentent comme de petits éléments (2 × 4 µm) ovoïdes à l’intérieur de certains macrophages et cellules géantes. La confirmation peut être apportée par l’immuno-histochimie qui permet de visualiser plus facilement (et plus spécifiquement) les leishmanies (photo 3). Une des particularités histologiques de la leishmaniose équine est que les lésions sont généralement riches en éléments parasitaires. La mise en évidence des leishmanies doit donc être possible par examen direct d’un calque réalisé sur un nodule ulcéré.

De nombreux tests sérologiques sont disponibles pour le diagnostic de la leishmaniose canine et les recommandations actuelles privilégient la sérologie quantitative comme une des toutes premières étapes du diagnostic. Aucun de ces tests n’a été validé chez le cheval et les seuils de positivité ne sont pas connus. Les enquêtes sérologiques ont montré que des anticorps antileishmanies pouvaient être détectés chez des chevaux asymptomatiques. De plus, certains chevaux présentant des lésions étaient séronégatifs. Pour toutes ces raisons, la sérologie ne peut être préconisée pour le diagnostic de la leishmaniose équine. La même considération peut être faite pour les tests par polymerase chain reaction (PCR), donc seule l’analyse histologique d’une biopsie cutanée est diagnostique chez le cheval.

Évolution et méthodes de lutte

En Europe, les cas de leishmaniose équine sont dus à L. infantum (et dans une moindre mesure à L. siamensis). Une guérison spontanée et une absence de rechute (lorsque les nodules cutanés ont été retirés chirurgicalement) sont rapportées dans la grande majorité des cas. Pour un seul cheval en Allemagne, une nouvelle lésion (après la disparition de la première sur le pavillon auriculaire) a été observée, ce qui laisse penser plutôt à une récidive [6]. Le délai entre l’apparition des nodules et la guérison spontanée est de quelques mois. Un cheval en Allemagne fait exception à cette règle avec une évolution des nodules sur cinq années consécutives [6].

En Amérique latine, les cas de leishmaniose équine sont dus à L. braziliensis (parfois associée à L. infantum). Un traitement spécifique à base de stibogluconate de sodium (1), un dérivé de l’antimoine, est parfois mis en place et permet une guérison complète et sans rechute.

Les mesures de prévention de la leishmaniose équine n’ont jamais été décrites. En zone d’enzootie, l’objectif principal sera de limiter le nombre de piqûres de phlébotomes pendant la belle saison. Comme les phlébotomes sont actifs pendant la soirée et la nuit et comme ils ne pénètrent pas dans les bâtiments, il pourra être utile de garder les chevaux dans une écurie du crépuscule jusqu’à l’aube. L’emploi de molécules à effet répulsif et insecticide peut également être préconisé. Cependant, aucune étude n’a été réalisée pour apporter la preuve de l’efficacité de ce type de mesure préventive.

Conclusion

Les chevaux vivant en zone d’enzootie de leishmaniose sont régulièrement exposés aux piqûres de phlébotomes et doivent être considérés comme des hôtes accidentels (mais toujours possibles) de leishmanies ; leur rôle de réservoir de leishmanies n’est pas démontré et est vraisemblablement limité. Dans toutes les régions où de nombreux cas de leishmaniose canine sont rapportés, il est donc recommandé d’inclure la leishmaniose dans le diagnostic différentiel lorsque des lésions cutanées nodulaires sont observées chez un cheval par ailleurs en bon état général. L’examen histologique apporte la confirmation. La sérologie ou la PCR peuvent être indicatives, mais ne devront intervenir qu’en complément de l’histologie. En Europe, la leishmaniose équine est rarissime. Son évolution est favorable sans qu’il soit nécessaire de mettre en place un traitement spécifique, avec une guérison spontanée des lésions cutanées et une absence de généralisation de la maladie.

  • (1) Médicament à usage humain.

  • 1. Bongiorno G, Habluetzel A, Khoury C et coll. Host preferences of phlebotomine sand flies at a hypoendemic focus of canine leishmaniasis in central Italy. Acta Trop. 2003;88:109-116.
  • 2. Colmenares M, Portus M, Botet J et coll. Identification of blood meals of Phlebotomus perniciosus (Diptera: Psychodidae) in Spain by a competitive enzyme linked immunosorbent assay biotin/avidin method. J. Med. Entomol. 1995;32:229-233.
  • 3. Gama A, Elias J, Ribeiro AJ et coll. Cutaneous leishmaniosis in a horse from northern Portugal. Vet. Parasitol. 2014;200(1-2):189-192.
  • 4. Koehler K, Stechele M, Hetzel U et coll. Cutaneous leishmaniosis in a horse in southern Germany caused by Leishmania infantum. Vet. Parasitol. 2002;109:9-17.
  • 5. Lopes AP, Sousa S, Dubey J et coll. Prevalence of antibodies to Leishmania infantum and Toxoplasma gondii in horses from the north of Portugal. Parasit. Vectors. 2013;6:178.
  • 6. Muller N, Welle M, Lobsiger L et coll. Occurrence of Leishmania sp. in cutaneous lesions of horses in Central Europe. Vet. Parasitol. 2009;166:346-351.
  • 7. Ramos-Vara JA, Ortiz-Santiago B, Segales J et coll. Cutaneous leishmaniasis in two horses. Vet. Pathol. 1996;33:731-734.
  • 8. Rolao N, Martins MJ, Joao A et coll. Equine infection with Leishmania in Portugal. Parasite 2005;12:183-186.
  • 9. Soares IR, Silva SO, Moreira FM et coll. First evidence of autochthonous cases of Leishmania (Leishmania) infantum in horse (Equus caballus) in the Americas and mixed infection of Leishmania infantum and Leishmania (Viannia) braziliensis. Vet. Parasitol. 2013;197:665-669.
  • 10. Solano-Gallego L, Fernandez-Bellon H, Serra R et coll. Cutaneous leishmaniosis in three horses in Spain. Equine Vet. J. 2003;35:320-323.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

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