Dermatophytoses des équidés : actualités - Ma revue n° 018 du 01/01/2018 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 018 du 01/01/2018

Fiche — Mycologie

Auteur(s) : Gilles Bourdoiseau*, Didier Pin**

Fonctions :
*VetAgro Sup, campus
vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
gilles.bourdoiseau@vetagro-sup.fr
didier.pin@vetagro-sup.fr

Les dermatophyties ou dermatophytoses équines sont des mycoses cutanées, superficielles, contagieuses, alopéciques, plutôt localisées, parfois prurigineuses et zoonotiques, dues à l’action kératinolytique de champignons dermatophytes des genres Microsporum et Trichophyton (encadré 1 et tableau 1) [1].

Quelques termes synonymes sont utilisés dans les publications :

- celui de teigne, terme générique, réservé aux dermatophyties du cuir chevelu en médecine humaine ;

- celui de ringworm, en raison de la lésion alopécique circulaire évocatrice ;

- ceux de microsporie et de trichophytie, selon le genre responsable.

Les dermatophytoses sont à distinguer de la dermatophilose, affection cutanée due à Dermatophilus congolensis, bactérie filamenteuse.

Les dermatophytes observés chez les équidés

T. equinum et M. equinum (variété ou souche de M. canis adaptée au cheval) sont les espèces les plus fréquemment identifiées chez les équidés [9, 11]. T. equinum est spécifique du cheval dans la mesure où il requiert la présence d’acide nicotinique pour son développement, excepté une variété autotrophique qui ne l’exige pas : T. equinum var. autotrophicum.

M. gypseum (aspect plâtreux de la culture, d’où son nom d’espèce) est un champignon géophile, persistant dans le sol.

Morphologie en lésion

En lésion, la morphologie des dermatophytes est réduite, rendant très difficile une diagnose générique (tableau 2). Sont observables :

- des arthrospores ;

- des filaments issus de la germination des spores et ayant la capacité à franchir la cuticule pilaire et à se développer dans la médullaire du poil. Celui-ci, ainsi fragilisé, se fracture. La contamination est assurée par les spores qui parasitent un, puis plusieurs follicules pileux et poils, provoquant l’apparition d’une lésion alopécique à peu près circulaire, extensive et centrifuge (encadré 2).

Morphologie en culture

En culture, l’aspect macroscopique et la couleur sont typiques : les colonies de dermatophytes sur gélose de Sabouraud sont lisses, plâtreuses, crémeuses, avec le recto et le verso souvent colorés, et ce dernier généralement plus foncé (rougeâtre, orange, etc.). La morphologie est plus riche du fait de la présence d’une reproduction sexuée : spores, filaments ornementaux, gymnothèces et macroconidies ou fuseaux, dont la forme, les dimensions, les cloisons, le nombre de logettes et la paroi lisse (Trichophyton) ou épineuse (Microsporum) autorisent une diagnose.

Épidémiologie

Les teignes équines sont observées régulièrement, en particulier au sein d’un effectif : en effet, les arthrospores peuvent résister dans le milieu extérieur sur tout support kératinisé (poil, squame), mais également sur tout matériel de pansage, de contention et d’hygiène (brosse, licol, sangle, harnais, tapis de selle, botte, etc. souillés de quelques poils parasités), et contaminer ainsi régulièrement tout cheval.

Le défaut d’entretien de l’animal et du maintien d’une hygiène stricte du matériel et des locaux, la présence d’animaux domestiques (chat ou chien fréquemment observés dans les centres équestres) et sauvages (rongeurs) constituent des facteurs favorables à l’entretien du dermatophyte et ainsi à l’apparition de cas récurrents de teigne au sein d’un effectif, sans que des prédispositions de race ou de sexe soient clairement identifiées et démontrées. L’observation fréquente des cas chez le jeune chien et le jeune chat est en faveur de l’instauration d’une immunité, surtout lors de teigne à caractère inflammatoire marqué [3] : cette observation est confirmée avec M. equinum alors que T. equinum concernerait le cheval adulte et jeune [8].

En revanche, la promiscuité des animaux dans de tels locaux favorise la transmission par contact : aussi, les cas sont observés de façon plus fréquente en hiver, pour se raréfier au cours de l’été, puis réapparaître ensuite.

Importance

Les teignes équines ont peu d’importance médicale stricto sensu dans la mesure où elles n’altèrent jamais gravement la santé de l’animal, mais elles peuvent persister, revêtir un aspect chronique ou récidivant chez quelques individus : il convient alors de vérifier l’observance du traitement prescrit et de s’assurer qu’une autre affection (phtiriose, notamment) ou un autre traitement, immunosuppresseur tel qu’un corticoïde, par exemple, ne favorise pas la chronicité de la teigne. Il est également nécessaire, dans le cadre d’un effectif d’équidés, d’identifier d’autres chevaux parasités (asymptomatiques, porteurs de quelques lésions très discrètes, etc.).

Le caractère zoonotique repose sur les infections à M. equinum et T. mentagrophytes, mais, dans l’ensemble, il est moins fréquemment observé que dans les cas de teignes canines, félines et bovines.

Formes cliniques

L’aspect classique évocateur est une lésion alopécique, plutôt circulaire (de quelques millimètres à plusieurs centimètres de diamètre), d’évolution centrifuge, peu érythémateuse, squameuse, le centre de la lésion pouvant laisser réapparaître des poils sains (photo 1) [9] ; d’autres lésions plus petites sont observables à proximité de l’atteinte primaire [7]. Ces lésions siègent fréquemment dans les régions du corps exposées aux traumatismes : frottement des sangles et des bottes, extrémités des membres, tête, etc. [6]. Elles peuvent spontanément disparaître alors que d’autres apparaissent sans altérer l’état général de l’animal.

Ce tableau assez fréquent est évocateur d’une teigne “sèche” à Microsporum equinum.

D’autres formes sont décrites : pelage terne, poils “cassés” avec un squamosis modéré, des lésions plus érythémateuses, inflammatoires et suppurées, parfois modérément prurigineuses. C’est le cas de la teigne trichophytique, le kérion observé sur la tête dû à T. mentagrophytes, T. verrucosum avec avulsion du poil.

Si l’extension n’est pas systématique, la chronicité ou la persistance de lésions évocatrices est fréquente. Les formes cliniques connues et décrites chez l’âne ne sont pas fondamentalement différentes de celles rapportées chez le cheval [4].

Diagnostic

La forme classique assez évocatrice n’est pas la seule observable. Aussi, écarter l’hypothèse de dermatophytie parce que les lésions ne sont pas circulaires ou parce qu’elles sont associées à des démangeaisons constitue un risque d’erreur diagnostique [10]. En pratique, toute lésion alopécique, squameuse et multiple, apparemment contagieuse doit être intégrée dans le raisonnement diagnostique en tant qu’hypothèse de dermatophytie [5].

Diagnostic différentiel

Ces tableaux doivent être distingués de :

- la dermatophilose : infection bactérienne due à Dermatophilus congolensis ; caractérisée par la présence de poils hérissés et agglomérés à leur base par une croûte recouvrant une érosion remplie d’un pus verdâtre ; les dépilations siègent principalement au dos et aux membres, mais ne sont pas prurigineuses et rarement contagieuses. L’examen microscopique du pus suivi d’une coloration (type coloration rapide RAL® 555) montre des bactéries coccoïdes disposées en chaînettes, sur plusieurs rangs, formant des filaments (1-2 µm de diamètre), plus ou moins ramifiés ;

- une folliculite à Staphylococcus sp. : papules folliculaires, de 2 à 5 mm de diamètre, parfois plus palpables que vues directement, mais se traduisant souvent par de petites touffes de poils érigés. Les papules sont rapidement surmontées d’une pustule qui se rompt facilement. Les démangeaisons sont variables. Les lésions guéries deviennent plates et alopéciques ;

- la pelade ou alopecia areata : dermatose auto-immune relativement fréquente chez le cheval, caractérisée par des zones alopéciques, plus ou moins rondes et à croissance centrifuge, non inflammatoires ;

- des affections prurigineuses : dermatite estivale récidivante (plus fréquente sur la ligne du dessus et saisonnière), phtiriose (pouvant être associée à une teigne qui ne peut être éradiquée tant que persistent les poux), acarioses cutanées (1) ;

- une sarcoïde occulte : forme plane de sarcoïde, nummulaire, à la peau épaissie, finement squameuse devenant alopécique et hyperpigmentée.

Examens complémentaires

Le diagnostic doit être confirmé par :

- l’examen direct des poils prélevés par raclage profond des lésions, afin de mettre en évidence les poils, parasités et cassés, encore présents dans les follicules pileux contenant les filaments mycéliens et entourés des spores qui en sont issues (ectothrix ou endothrix) (photo 2). Cet examen est long et difficile, la non-observation d’éléments caractéristiques ne permettant pas d’exclure l’hypothèse de teigne ;

- l’examen en lumière ultraviolette de Wood, peu pratique sur le terrain et dont la fluorescence n’est observable que sur des lésions non traitées - l’alcool dissout la ptéridine fluorescente, le mercurochrome induit une fausse fluorescence - et seulement avec certaines souches de Microsporum ;

- la mise en culture de poils prélevés à partir de lésions suspectes, non traitées, adressés à un laboratoire compétent en mycologie vétérinaire. La croissance du dermatophyte est possible sur milieu de Sabouraud enrichi d’acide nicotinique pour Trichophyton, mais souvent très lente, pouvant nécessiter des repiquages sur milieux pauvres autorisant alors l’apparition des formes typiques (macroconidies) (photo 3).

Des milieux de culture sont commercialisés additionnés de rouge de phénol, le rouge apparaissant en relation avec l’alcalinisation du milieu et avec le développement du dermatophyte. Le diagnostic repose sur le changement de couleur, l’observation d’une colonie en surface de la gélose et, surtout, l’identification, par examen microscopique d’un fragment de la colonie, de la morphologie typique d’un dermatophyte (microconidies et macroconidies caractéristiques). De nombreux résultats faux positifs sont possibles avec l’observation des fuseaux à cloisons transversales et longitudinales du genre Alternaria (champignon non parasite).

Traitement

Il est recommandé, si possible, d’isoler le cheval teigneux. Le propriétaire doit veiller à ce que tout le matériel utilisé pour la contention, le travail et l’entretien soit réservé à cet animal et à l’exclusion de tous les autres.

Le traitement est hygiénique, local et systémique :

- l’élimination des poils suspects par la tonte est théoriquement bénéfique à deux conditions : ne pas infliger des microlésions cutanées qui sont alors favorables à la multiplication du champignon, et détruire les poils et squames récoltés ;

- prescrire l’Imaveral® (énilconazole) dilué à raison de 100 ml pour 5 litres d’eau, à appliquer largement sur tout le corps, au moins quatre fois à 3 à 4 jours d’intervalle ; ne pas rincer. Cet antifongique n’est pas toxique et est autorisé chez le cheval ;

- associer la griséofulvine sous forme de poudre orale : Dermogine®, à raison de 10 mg/kg/j, 7 jours de suite, si possible avec l’aliment ; ce médicament possède une autorisation de mise sur le marché (AMM) chez le cheval, mais ne doit pas être utilisé chez la jument gestante.

Prophylaxie

La prophylaxie repose sur l’isolement de l’animal teigneux ou suspect et de l’ensemble du matériel utilisé correspondant. Force est de constater la fréquence et la récurrence des cas en centres équestres dus vraisemblablement :

- à l’entretien du dermatophyte dans le milieu extérieur : défaut d’hygiène, présence d’autres espèces animales, matériel contaminé, etc. ;

- à la présence de chevaux porteurs asymptomatiques ou porteurs de lésions discrètes et pour lesquels aucun diagnostic n’a été établi ;

- à des traitements incomplets, limités dans le temps.

Aspects de santé publique

La contamination humaine est possible avec Microsporum equinum, Trichophyton mentagrophytes et T. verrucosum.

  • (1) Voir l’article “Rappel sur les dermatoses parasitaires classiques chez le cheval” de M.-C. Cadiergues et coll., dans ce numéro.

  • 1. Cafarchia C, Figueredo LA, Otranto D. Fungal diseases of horses. Vet. Microbiol. 2013;167(1-2):215-234.
  • 2. Chermette R, Bussiéras J. Abrégé de parasitologie vétérinaire. Fascicule V mycologie vétérinaire. ENVA. 1993:179p.
  • 3. Chermette R, Ferreiro L, Guillot J. Dermatophytoses in animals. Mycopathologia. 2008;166(5-6):385-405.
  • 4. Mendoza FJ, Toribio RE, Prez-Ecija A. Donkey internal medicine - part II: cardiovascular, respiratory, neurologic, urinary, ophtalmic, dermatology and musculoskeletal disorders. J. Equine Vet. Sci. 2018;65:86-87.
  • 5. Moriello KA, Coyner K, Paterson S, Mignon B. Diagnosis and treatment of dermatophytosis in dogs and cats. Vet. Dermatol. 2017;28(3):266-e68.
  • 6. Paterson S. Dermatophytosis in 25 horses - a protocol of treatment using topical therapy. Equine Vet. Educ. 1997:9(4);171-173.
  • 7. Pilsworth RC, Knottenbelt D. Dermatophytosis (ringworm). Equine Vet. Educ. 2007;19(3):151-154.
  • 8. Scott DW. Large animal dermatology. WB Saunders Company. 1988:171-202.
  • 9. Weese JS, Yu AA. Infectious folliculitis and dermatophytosis. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2013;29(3):559-575.
  • 10. White SD. A diagnostic approach to the pruritic horse. Equine Vet. Educ. 2015;27(3):156-166.
  • 11. Wobeser BK. Skin diseases in horses. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2015;31(2):359-376.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ 1 : LES DERMATOPHYTES

Les dermatophytes sont des champignons gymnoascacées kératinophiles et kératinolytiques, propriétés qui conditionnent leur localisation et leur développement : la couche kératinisée de l’épiderme et les poils.

Plusieurs espèces concernent le cheval et l’âne. Les dermatophytes font l’objet d’une classification complexe due à une morphologie différente en lésion et en culture : très réduite en lésion, les mycologistes utilisent alors le terme d’anamorphe pour les genres Microsporum et Trichophyton versus une morphologie plus riche en culture, téléomorphe, du genre Arthroderma.

ENCADRÉ 2 : GLOSSAIRE

• Anamorphe : ensemble des formes asexuées d’un champignon - en l’occurrence en lésion.

• Arthrospore (de “arthron”, qui signifie “articulation”) : spore issue de la fragmentation ou de la désarticulation des filaments et assurant la dissémination du champignon d’un follicule pileux à un autre follicule, celle d’un animal à un autre animal, soit directement par contact, soit par l’intermédiaire de supports variés.

• Fuseau ou macroconidie : spore fusiforme de quelques dizaines de microns de longueur, divisée en logettes par des cloisons uniquement transversales pour les dermatophytes.

• Gymnoascacées = Arthrodermatacées : famille de champignons dermatophytes.

• Gymnothèces : élément morphologique du champignon abritant la reproduction sexuée à l’origine de spores.

• Téléomorphe : ensemble des formes sexuées d’un champignon - en l’occurrence en culture.

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