Anti-inflammatoires et immunomodulateurs en dermatologie équine - Ma revue n° 018 du 01/01/2018 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 018 du 01/01/2018

Fiche - Thérapeutique

Auteur(s) : Philippe Ciantar*, Laurent Mangold**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
de Launay
14130 Pont-l’Évêque
**Clinique équine
d’Argonay
15, route de Pringy
74370 Argonay

Les indications des anti-inflammatoires et des immunomodulateurs sont fréquentes en dermatologie. à la différence de la médecine canine, les principes actifs de ces deux familles à la disposition du vétérinaire équin sont peu nombreux. une bonne connaissance de leur pharmacologie et de leurs différentes utilisations thérapeutiques est d’autant plus importante pour adapter au mieux le traitement au cas clinique.

Les corticoïdes

Les corticoïdes sont à la fois de puissants anti-inflammatoires et de puissants immunomodulateurs. Leurs indications sont nombreuses, c’est une famille majeure en thérapeutique dermatologique.

Leur intérêt en dermatologie est lié à leurs actions anti-inflammatoire, antiallergique et immunosuppressive.

Modes d’action

Action anti-inflammatoire

Les corticoïdes agissent à différents niveaux :

- ils atténuent la phase vasculaire de l’inflammation par inhibition de la synthèse des médiateurs inflammatoires ;

- ils diminuent la phase cellulaire de l’inflammation par inhibition de la synthèse des cytokines ;

- ils agissent également sur la phase de réparation en réduisant la multiplication des fibroblastes, ce qui limite la prolifération de la trame du tissu conjonctif, donc ralentit la cicatrisation.

Action antiallergique

Lors de réaction allergique, qu’elle soit de type I et médiée par les immunoglobulines (IgE), fixées sur les mastocytes ou les basophiles et activées par l’allergène, déclenchant la libération des médiateurs de l’inflammation (histamine et sérotonine principalement), ou de type IV et médiée par des lymphocytes T spécifiques d’antigène, helper ou cytotoxiques, les corticoïdes bloquent les principales étapes de ces réactions. Leur action antiallergique est puissante et rapide.

Action immunosuppressive

Les corticoïdes agissent au niveau des trois étapes de la réponse immunitaire :

- ils inhibent la reconnaissance de l’antigène par les macrophages et les lymphocytes B ;

- ils inhibent l’amplification de la réponse immunitaire par les lymphocytes T ;

- ils bloquent la phase de destruction de l’antigène en inhibant l’action des macrophages et la phagocytose des polynucléaires.

Indications et contre-indications en dermatologie

Compte tenu de leur mode d’action, les corticoïdes permettent de traiter de manière non spécifique les inflammations cutanées, de réduire les démangeaisons responsables de lésions cutanées secondaires et de diminuer l’action du système immunitaire lorsque celle-ci est inadaptée ou pathologique.

Indications

Les corticoïdes sont indiqués lors de :

- dermatoses prurigineuses non infectées dont les principales entités sont la dermatite estivale récidivante (DER), l’urticaire aiguë et sévère, les allergies de contact (photo) ;

- dermatoses auto-immunes : purpura hémorragique, vascularites, sarcoïdose, pemphigus, lupus, etc. Ces affections sont rares chez les équidés.

Contre-indications

Les corticoïdes sont contre-indiqués :

- lors d’affections parasitaire, virale, bactérienne ou fongique ;

- lors de maladie de Cushing ;

- en fin de gestation.

Ils ne doivent pas être utilisés :

- en association avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) : l’action anti-inflammatoire n’est pas améliorée, alors que les effets ulcérogènes sur le tractus gastro-intestinal sont majorés ;

- dans les 2 semaines qui suivent une vaccination (même si l’absence d’interférence avec cette dernière a été mentionnée lors d’injection unique(1)).

Effets indésirables

Les corticoïdes sont très bien tolérés en général. Une dose unique, même massive, est considérée sans danger. Les effets secondaires seraient dus principalement à une corticothérapie de longue durée (tableau 1)(1).

L’effet indésirable majeur, classiquement décrit chez le cheval, est la fourbure [5]. Or, il n’existe pas d’évidence scientifique de lien causal entre corticothérapie et fourbure [1]. Même si la réalité et la physiopathologie des fourbures cortico-induites ne sont pas clairement établies, il convient toutefois d’être prudent si l’équidé a déjà présenté des épisodes de fourbure. II est préférable, en cas de fourbure chronique ou d’une forme aiguë au moment de la prescription, de chercher des traitements alternatifs aux corticoïdes.

Les corticoïdes ont une action pro-infectieuse. En inhibant la réponse immunitaire non spécifique, ils favorisent la multiplication des agents infectieux présents dans ou sur l’organisme. Cette action est particulièrement risquée lors de phase d’incubation des maladies bactériennes, virales, parasitaires, ou mycosiques.

Utilisation clinique

Les corticoïdes peuvent être utilisés :

- par voie générale : si la maladie cutanée est étendue ou affecte l’organisme dans son ensemble ;

- par voie locale : lorsque l’affection est circonscrite. Cette voie présente l’avantage de diminuer fortement les effets secondaires des corticoïdes.

Utilisation par voie générale

Les deux molécules les plus fréquemment utilisées en pratique équine sont la prednisolone et la dexaméthasone (tableau 2).

→ À la différence de la prednisone, la prednisolone est bien absorbée par voie orale chez le cheval. Elle est disponible avec autorisation de mise sur le marché (AMM) équine en forme orale (Equisolon®). C’est la présentation la plus adaptée à un usage au long cours.

La dexaméthasone est le corticoïde le plus puissant en dermatologie équine. Il est disponible en forme injectable. Son pouvoir anti-inflammatoire est plus puissant et sa durée d’action est plus longue que ceux de la prednisolone.

Corrélativement, les effets secondaires sont eux aussi plus importants. L’action de freination sur l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien est notoirement plus grande.

Les présentations avec AMM équine sont nombreuses.

→ Les doses d’administration sont variables selon l’objectif recherché. Plus la dose est élevée, plus l’action immunosuppressive sera accrue (tableau 3).

Pour les traitements prescrits pendant une période assez longue, il est préférable de débuter par une période d’induction à dose plus forte jusqu’à stabilisation des lésions. Les doses sont ensuite diminuées progressivement avec une réduction de 20 % environ toutes les semaines jusqu’à l’obtention d’une dose minimale efficace et le passage dès que possible en jours alternés. Cependant, il convient d’éviter une réduction trop rapide de la dose de corticoïdes sous peine d’observer une récidive de la maladie. Il n’existe aucun critère objectif pour déterminer cliniquement à quel moment les doses peuvent être diminuées. Le praticien doit se fier à son impression clinique et à son expérience pour décider de la conduite du traitement et l’adapter en cas d’évolution défavorable.

Une fois la dose minimale déterminée, le traitement est poursuivi à cette dose « d’entretien » en jours alternés(1) [2-4].

→ La pharmacocinétique de la méthylprednisolone dépend fortement de la forme chimique employée. Les sels de méthylprednisolone sont hydrolysés plus ou moins rapidement et c’est la méthylprednisolone qui produit l’effet biologique.

L’hydrogénosuccinate (Solu-Medrol®) est hydrolysé très vite et l’action biologique est ainsi très rapide.

En revanche, l’acétate (Depo-Medrol®) est hydrolysé très lentement par voie intramusculaire (IM), ce qui conduit à un effet retard.

Seul l’acétate à une AMM en équine (mais pour une utilisation en intra-articulaire).

Il est tentant de l’utiliser en pratique sur des affections cutanées chroniques telles que la DER, en raison de cet effet retard. Une dose de 250 mg par cheval permet d’obtenir une action anti-inflammatoire de 3 semaines environ [3].

Cependant, il est recommandé d’être très prudent, car une fois l’injection réalisée, aucun moyen n’existe pour arrêter les effets biologiques, en particulier les effets secondaires indésirables.

L’acétate de méthylprednisolone peut également être administré par voie locale.

Utilisation par voie locale

L’utilisation de la voie locale vise à obtenir une concentration élevée en principes actifs sur le ou les sites lésionnels, tout en limitant les effets secondaires systémiques des corticoïdes.

Deux modes d’utilisation des corticoïdes par voie locale sont possibles :

- en injection périlésionnelle ou intralésionnelle : cette indication concerne les maladies nodulaires inflammatoires stériles (granulome éosinophilique, nécrose nodulaire axillaire) lorsque les nodules sont peu nombreux ;

- en application directe sur la peau lorsque les lésions sont localisées.

→ En injection périlésionnelle ou intralésionnelle, deux molécules sont employées : la triamcinolone et l’acétate de méthylprednisolone.

Pour la première, la forme la plus fréquemment utilisée en dermatologie est l’acétonide de triamcinolone, disponible en médecine humaine (Kenacort®). Son administration se fait à la dose de 3 à 5 mg par nodule en ne dépassant pas 20 mg par cheval. Les injections peuvent être renouvelées trois fois à 2 semaines d’intervalle [8].

L’acétate de méthylprednisolone (Depo-Medrol®) est employé à la dose de 5 à 10 mg/nodule.

→ Les dermocorticoïdes sont appliqués directement sur la peau au niveau des lésions pour obtenir une action plus forte et moins nocive. Cependant, l’absorption cutanée n’est pas toujours prévisible, surtout si la peau est lésée ou enflammée. Seule une fraction du dermocorticoïde passe la barrière épidermique. Cette fraction va se concentrer dans les couches profondes de l’épiderme et entraîner une libération progressive du principe actif. Cette dernière permet de limiter les applications à deux ou trois fois par jour (les dermocorticoïdes ne s’appliquent qu’une fois par jour chez l’homme) [3].

Leur utilisation est contre-indiquée lors d’affections bactérienne, fongique, virale ou parasitaire.

Les effets secondaires possibles sont : une prolifération bactérienne cutanée, une folliculite, une prolifération de Malassezia et, à long terme, une atrophie ou une dépigmentation cutanée.

Le seul dermocorticoïde local ayant une AMM équine est la prednisolone. La présentation commerciale à disposition des praticiens est le Predniderm®. Elle associe à la prednisolone un antibiotique (néomycine). Ce dernier présente un intérêt thérapeutique très limité en dermatologie. En pratique, il ne fait que sélectionner une flore locale résistante. L’effet thérapeutique recherché est l’action locale de la prednisolone qui limite la réaction inflammatoire et les démangeaisons. Cependant, son action anti-inflammatoire est faible.

D’autres dermocorticoïdes sont alors utilisables hors AMM.

L’hydrocortisone acéponate (Cortavance®) a été testée chez le cheval. Cette présentation a l’avantage de ne pas contenir d’antibiotique associé au corticoïde. De plus, sa présentation sous forme de spray facilite son utilisation : deux pressions pour 100 cm2 de surface cutanée une fois par jour.

Son emploi quotidien pendant 1 mois a diminué significativement les démangeaisons et les lésions cutanées et n’a pas induit d’effets secondaires [9].

Les immunomodulateurs

Comme leur nom l’indique, les immunomodulateurs agissent sur le système immunitaire. L’action recherchée est soit une forte inhibition de l’action délétère du système immunitaire telle qu’elle est observée dans les maladies auto-immunes (immunosuppresseurs), soit une stimulation du système immunitaire afin d’éliminer par son action l’agent causal d’une affection (immunostimulants).

Les immunosuppresseurs

Indications

Les principales indications pour l’emploi des immunosuppresseurs en dermatologie équine sont :

- le purpura hémorragique ;

- la vascularite leucocytoclasique des paturons et des canons ;

- les pemphigus équins ;

- les lupus érythémateux cutané et systémique ;

- la sarcoïdose (ou maladie granulomateuse idiopathique) ;

- la dermatite éosinophilique généralisée [2, 10].

Molécules utilisées

Les principaux immunosuppresseurs employés en dermatologie sont les corticoïdes. Aux doses immunosuppressives, ces médicaments présentent davantage d’effets indésirables.

Les autres molécules préconisées en médecine équine sont peu nombreuses et la rareté des dermatoses auto-immunes chez le cheval limite leur prescription. La principale alternative aux corticoïdes est l’azathioprine(2), qui agit en inhibant la synthèse des nucléotides entrant dans la composition des acides nucléiques. Peu utilisée chez le cheval en raison de son coût et des effets secondaires éventuels (diarrhée, anémie, leucopénie, thrombopénie), elle peut être envisagée en complément des traitements corticoïdes afin d’en diminuer les doses.

Elle est administrée à la dose de 2,5 mg/kg par jour jusqu’à rémission des symptômes, puis en jours alternés avec les corticoïdes [2].

Les immunostimulants

En dermatologie équine, l’indication principale des produits immunostimulants est la sarcoïde.

Les principaux immunostimulants qui ont été préconisés dans ce domaine sont l’imiquimod, le bacille de Calmette et Guérin (BCG) et la cimétidine.

L’imiquimod

L’imiquimod (Aldara® crème 5 %) est un immunostimulant local qui induit la production d’interféron-a et de cytokines, ce qui lui confère une action antivirale et antitumorale.

Ce produit possède une AMM chez l’homme. Il a une efficacité prouvée en médecine humaine contre les verrues génitales et périanales et les petits carcinomes basocellulaires superficiels.

Chez le cheval, il est indiqué sur les sarcoïdes verruqueuses ou occultes et a été préconisé dans le traitement des plaques auriculaires.

Le traitement consiste en l’application d’une fine couche de crème sur la lésion trois fois par semaine pendant plusieurs mois. L’affection doit être réévaluée toutes les 4 semaines pour décider de la poursuite du traitement [6].

Le produit étant irritant, certains chevaux peuvent présenter une réaction inflammatoire locale majeure : exsudation, érythème, excoriation, dépigmentation, alopécie. Il est recommandé d’être très vigilant lors de son utilisation sur les sarcoïdes périoculaires.

Le BCG

Utilisé sur les sarcoïdes par voie intralésionnelle (1 mg par lésion) avec un taux de succès non négligeable (décrit à 60 à 70 %, voire plus, en particulier pour les sarcoïdes péri-oculaires), le BCG n’est plus disponible à l’heure actuelle [6, 8].

La cimétidine

La cimétidine(3) est un antihistaminique H2. Elle a été préconisée dans le traitement des mélanomes équins.

La présence de récepteurs H2 a été démontrée chez l’homme sur les cellules des mélanomes humains et sur les lymphocytes T.

Dans cette indication, son action serait due à trois mécanismes : une inhibition de la croissance tumorale et une action immunologique locale en stimulant la production d’interféron-γ par les macrophages et en bloquant l’action de l’histamine sur les lymphocytes T.

La dose recommandée est de 7,5 mg/kg par jour en une, deux ou trois prises pendant 2 à 3 mois. Son efficacité est toutefois controversée [6, 7].

  • (1) Toutain PL. Cours de physiologie et thérapeutique “Corticoïdes et corticothérapie chez les animaux domestiques : propriétés pharmacodynamiques & usages thérapeutiques”. ENV de Toulouse, 2013. https://slideplayer.fr/slide/1640671.

  • (2) Médicament à usage humain pour la forme de suspension injectable.

  • (3) Utilisation hors résumé des caractéristiques du produit.

  • (1) Toutain PL. Cours de physiologie et thérapeutique « Corticoïdes et corticothérapie chez les animaux domestiques : propriétés pharmacodynamiques & usages thérapeutiques ». ENV de Toulouse, 2013. https://slideplayer.fr/slide/1640671.

  • 1. Bailey SR, Elliott J. The corticosteroid laminitis story: 2. Science of if, when and how. Equine Vet. J. 2007;39:7-11.
  • 2. Besson B. Les dermatoses à médiation immune rares des équidés. Thèse de doctorat vétérinaire, ENV de Lyon. 2006:216p.
  • 3. Cumenge I. Vade-mecum de thérapeutique en dermatologie chez les équidés. Thèse de doctorat vétérinaire, ENV de Lyon. 2010:168p.
  • 4. Curfs M. Illustration de la démarche diagnostique et thérapeutique en dermatologie du cheval à l’aide de cas cliniques. Thèse de doctorat vétérinaire, VetAgro Sup. 2013:188p.
  • 5. Hennel CK. Pharmacovigilance vétérinaire : application aux médicaments antibactériens, anti-inflammatoires et antiparasitaires disponibles en médecine équine. Revue d’actualité. Thèse de doctorat vétérinaire, ENV d’Alfort. 2005:192p.
  • 6. Hewes CA, Sullins KE. Review of the treatment of equine cutaneous neoplasia. Proc. Am. Ass. Equine Pract. 2009;55:386-393.
  • 7. Laus F, Cerquetella M. Evaluation of cimetidine as a therapy for dermal melanomatosis in grey horse. Israel J. Vet. Med. 2010;65 (2):48-52.
  • 8. Picandet V. Approche diagnostique et thérapeutique des nodules cutanés chez le cheval. Prat. Vét. Équine. 2008:40 (159):37-43.
  • 9. Pin D, Gay Y, Rème C. Treatment of horses suffering from insect bite hypersensitivity with hydrocortisone aceponate spray : a preliminary open-label trial. Vet. Dermatol. 2010;21:541.
  • 10. Thibert S. L’expression cutanée des affections systémiques chez le cheval. Thèse de doctorat vétérinaire, VetAgro Sup. 2007:107p.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

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