Mise en place des traitements chez la jument gestante - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

Pharmacologie

Auteur(s) : Claire Scicluna

Fonctions : Clinique vétérinaire
du Plessis
Avenue Foch
60300 Chamant

Un traitement médical raisonné permet de gérer les affections ponctuelles et chroniques chez la jument gravide. Le suivi de protocoles préventifs aide à assurer le bon déroulement de la gestation.

Dans le contexte particulier de la gestation, la notion de décision thérapeutique prend tout son sens : le professionnel de la santé du cheval qu’est le vétérinaire doit garder à l’esprit les dangers encourus par le fœtus avant chaque administration médicamenteuse à la mère et évaluer la balance bénéfices/risques avant toute décision.

Décision thérapeutique pour la jument gestante

La décision thérapeutique pour la jument gestante se prend tout d’abord en fonction de la situation, du stade de gestation et des médicaments disponibles.

Le choix du ou des médicaments à utiliser dépend ensuite des propriétés de chaque molécule.

Décision selon la situation clinique

Malgré les risques, mieux connus en médecine humaine, les raisons de traiter une jument gestante peuvent être diverses et non dénuées de fondement.

Avant même le choix d’un ou de plusieurs médicaments, l’évaluation du contexte clinique doit faire ressortir le réel besoin de la mise en place du traitement.

Chez la jument gravide, comme chez la femme, plusieurs situations relèvent de cette nécessité (encadré 1 et photo 1).

À ces raisons s’ajoutent les soins aux juments non diagnostiquées comme gestantes au moment du traitement, ainsi que l’administration de médicaments par les propriétaires eux-mêmes, en automédication, sans prescription. En raison des risques de non-efficacité pour la jument et de toxicité pour le fœtus, l’automédication est à proscrire.

Décision selon le stade de gestation

Le stade de gestation conditionne l’importance et la nature du risque à la prise du médicament et doit être pris en compte avant toute intervention.

Ainsi, selon le médicament et le moment de son administration, et indépendamment de la dose, les risques peuvent être plus ou moins importants pour le fœtus et mettre en péril sa normalité et/ou sa viabilité.

Décision selon les médicaments disponibles

Selon l’état de la jument et les nécessités de traitement, le praticien doit chercher à adapter au mieux ses choix thérapeutiques au contexte clinique pour préserver les intérêts maternels et fœtaux de manière tout d’abord conjointe, puis séparée, notamment si des enjeux vitaux sont en cause.

Les informations concernant les effets des médicaments et les conséquences de leur administration sur la gestation sont rares. Lorsqu’elles existent, elles sont indiquées clairement dans les paragraphes des recommandations de chaque produit (résumés des caractéristiques du produit : notices et site de l’Agence nationale du médicament vétérinaire [ANMV] concernant :

- les indications et/ou les contre-indications [4.2 et 4.3] ;

- l’utilisation en cas de gestation, de lactation [4.7] ;

- les effets indésirables [4.6]) [2].

Pour la mise en place d’un traitement qui ne nuit pas, la démarche thérapeutique suit une cascade de questions logiques et médicales (figure). L’analyse du bilan des réponses permet de positionner un curseur sur une échelle des bénéfices/risques qui sert à informer le propriétaire et doit être discuté avant toute administration médicamenteuse pouvant interférer avec l’état de santé de la mère ou du poulain [6, 8, 10, 13, 16-18, 20].

En plus des aspects purement médicaux, l’arbre décisionnel prend en considération les médicaments en eux-mêmes, les connaissances concernant les indications, d’une part, et les contre-indications ou le défaut d’informations quant à leur utilisation en gestation, d’autre part, ainsi que leur disponibilité et la réglementation pour l’espèce ou dans le pays.

Ainsi, la logique et la sécurité médicales peuvent faire bouger l’obligation du respect de la cascade, et, par exemple, conduire à l’administration à la jument d’un médicament indiqué pour une autre espèce, mais dont les informations concernant sa toxicité fœtale sont connues [9].

Indépendamment des aspects généraux, et pour chaque situation clinique, certaines particularités concernant les médicaments à utiliser et les protocoles à mettre en place méritent d’être exposées pour le traitement de la jument gestante.

Traitement des affections en relation avec la gestation

Maintien de la gestation

La gestation de la jument dure de 320 à 360 jours, soit 345 jours en moyenne.

Le maintien de la gestation est assuré par la production de progestérone, d’abord par le corps jaune, puis par le placenta à partir du 120e jour. Idéalement, le taux de progestérone de la jument gestante à J12 doit être supérieur à 4 ng/ml. L’insuffisance lutéale, définie par un taux de progestérone sérique inférieur à 2,5 ng/ml, ne permet pas d’amener la gestation à terme et pourrait être à l’origine d’une mort embryonnaire précoce.

Dans ces situations identifiées, les progestagènes sont indiqués et peuvent être administrés chez la jument par voie orale [7, 10-12, 15, 21, 22].

L’altrénogest est utilisé à la dose de 0,44 mg/kg/j, sans risque d’effets indésirables sur le fœtus, ni sur la gestation, mais, au contraire, pour le maintien de celle-ci :

- dès le diagnostic ou l’ovulation chez les juments sujettes à l’avortement ;

- jusqu’à J60 si le taux de progestérone est inférieur à 4 ng/ml ;

- jusqu’à J120 si le taux de progestérone reste inférieur à 4 ng/ml ;

- jusqu’à la fin du terme pour certaines juments jugées à haut risque d’avortement pour le seul effet sur les contractions utérines.

La contre-indication de ces traitements est l’infection utérine et les progestagènes interférant avec les mécanismes de défense de l’utérus.

Le clenbutérol ne prolonge pas la gestation chez la jument.

Mortalité embryonnaire toxinique

Dans les premiers temps de la gestation, la lutéolyse peut résulter d’un relargage de prostaglandines induit par une stimulation d’endotoxines et, à ce stade (surtout jusqu’à J45), provoquer la mort embryonnaire [7, 10-12, 15, 21].

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont utilisés dans ce cas pour prévenir la lutéolyse, notamment la flunixine (à la dose de 1 mg/kg par voie intraveineuse [IV] avant ou dans les 2 heures de l’exposition aux endotoxines). L’altrénogest a également montré une certaine efficacité (à la dose de 0,44 mg/kg/j per os dans les 12 heures suivant l’endotoxémie).

Avortement médical

L’avortement thérapeutique concerne les situations de gestation non désirée ou gémellaire. Pour cette dernière, le risque d’avortement spontané rapporté est de 52,8 % [7, 10-12, 15, 21, 22].

Plusieurs protocoles impliquant les prostaglandines (PG), l’hormone chorionique ou l’ocytocine peuvent induire un avortement chez la jument pleine en fonction du moment de l’administration :

- entre J12 et J35 : une injection unique de PGF2a pour un avortement en 4 jours ;

- entre J24 et J38 (pas d’efficacité de l’hormone gonadotrophine chorionique [hCG] après J39) : doses répétées de hCG (compétition avec gonadotrophine chorionique équine sur récepteurs spécifiques) ;

- entre J35 et J120 (pas d’efficacité de PGF2α après J120 car la progestérone est produite par le placenta) : plusieurs injections de PGF2α à 6 à 12 heures d’intervalle ;

- après J150 : ocytocine à la dose de 50 à 100 UI dans 1 l en perfusion sur 20 à 60 minutes (renouvellement possible).

À la différence de ce qui se passe chez les bovins, les corticoïdes rapides ne provoquent pas d’avortement chez la jument. Cependant, les corticoïdes retard peuvent avoir une action abortive à tous les stades de la gestation de la jument, et ce dans les 2 semaines qui suivent l’injection.

Placentite

La placentite, qui résulte d’une infection cervicale ascendante ou d’une infection hématogène, conduit généralement à l’avortement par la production des prostaglandines en relation avec l’inflammation [7, 10-12, 15, 21, 22].

Le principe du traitement de la placentite est de lutter contre l’inflammation avec un AINS et contre l’infection avec un antibiotique adapté, tout en apportant un soutien progestatif à la lutéolyse et en maintenant le flux sanguin placentaire. Le traitement doit être poursuivi tant que les signes de l’infection n’ont pas disparu (encadré 2 et photo 2).

Gestation prolongée

L’intoxication à la fétuque (en relation avec l’ingestion fongique à Acremonium coenophialum au pré ou dans le foin) est à l’origine d’une prolongation de la gestation, et parfois même d’une dystocie ou de mort au poulinage [7, 10-12, 15, 21, 22].

L’agent mycosique agit comme un agoniste des récepteurs D2 à la dopamine et induit une diminution du taux de prolactine.

La dompéridone(1) est utilisée pour le traitement de cette affection. Par son action antagoniste de la dopamine, cette molécule agit également sur les hormones sous influence dopaminergique, la gonadolibérine (GnRH) et l’hormone corticotrope (ACTH) (encadré 3).

Accélération de la maturation fœtale en fin de gestation

Comparativement aux autres espèces de mammifères, le temps de maturation du fœtus équin est court en regard de la durée de la gestation, en raison de l’augmentation très tardive de cortisol chez celui-ci.

La prématurité est à haut risque de mort chez le poulain, étant donné l’insuffisance de surfactant pulmonaire qui facilite la respiration et l’oxygénation. Dès lors qu’elle est suspectée, la contrecarrer est une sécurité pour assurer sa survie.

Contrairement à ce qui se passe chez la femme, l’administration de corticostéroïdes en fin de gestation n’agit pas sur le développement fœtal, ni ne favorise les chances de survie du poulain. Chez la jument, le cortisol ne passe pas la barrière placentaire, sans doute en raison de son activation enzymatique produisant la cortisone [7, 10-12, 15, 21, 22].

L’administration intrafœtale d’ACTH de synthèse (dépôt) augmente la concentration plasmatique de progestérone, agit sur la maturation fœtale (régulation adrénergique) et réduit la durée de la gestation de 327 à 314 jours.

L’injection de cette molécule à la mère à J300, J301 et J302 accélère la maturation du poulain et avance le poulinage de façon dose-dépendante (18 jours pour 4 à 5 mg contre 4 jours pour 1 mg).

Déclenchement du poulinage

En cas de mise bas précédente connue pour avoir été difficile ou qui a nécessité une intervention chirurgicale chez la mère, ou encore lors de période post-partum connue pour être à risques (colique ou endotoxémie antérieures) ou de gestation prolongée avec un poulain mature, le déclenchement du poulinage peut être décidé [3, 7, 10-12, 15, 21, 22].

Cependant, en raison des risques de dystocie et/ou de mortalité du poulain concomitants de la prématurité (immaturité fœtale notamment pulmonaire et digestive), la détermination du moment adéquat pour le déclenchement est primordiale(2).

• L’ocytocine stimule les contractions utérines immédiatement après l’injection. Elle induit le relargage des prostaglandines endogènes PGF2α.

Plusieurs protocoles sont décrits :

- dose faible de 0,5 à 10 UI une fois IV ou par voie intramusculaire (IM) ;

- dose forte de 40 à 120 UI une fois IV ou IM : contractions importantes ;

- de 60 à 100 UI/1 l en perfusion 1 UI/min : parturition dans les 90 minutes ;

- de 10 à 20 UI par voie sous-cutanée (SC) toutes les 15 à 20 minutes ;

- si le col est fermé, 3 mg d’œstradiol ou 30 mg de silbœstrol 12 heures avant l’ocytocine.

• Prostaglandines

- naturelles : les résultats sont limités et des effets secondaires apparaissent (sudation, inquiétude, coliques) ;

- luprostiol à la dose de 1 ml, soit 7,5 mg IM, pour une parturition dans les 30 à 60 minutes. Ce traitement est très efficace et n’induit pas d’effets secondaires. Lors d’association à de l’ocytocine à la dose de 10 à 20 UI, la parturition est plus rapide ;

- fluprosténol à la dose de 250 à 500 mg IM. Le moment et la durée du part sont variables et imprévisibles. Un risque de dystocie existe et le poulain est faible si le déclenchement de la parturition est réalisé trop tôt.

• Les corticoïdes ne sont pas efficaces pour le déclenchement du poulinage.

Dystocie

La dystocie est une urgence pour la jument et le poulain à naître.

La délivrance de la mère et le maintien de l’oxygénation du poulain sont les priorités. Quelle que soit la procédure, elle débute debout (délivrance vaginale assistée) et peut se terminer sous anesthésie générale (délivrance vaginale contrôlée), voire par une césarienne [8, 15, 17, 22].

Le temps qui passe est l’ennemi numéro un de la survie du poulain et de la jument, d’autant plus que tous les produits utilisés ont un effet dépresseur sur celui-ci, sans avoir le temps de s’éliminer avant le poulinage. Aussi pour être le plus efficace possible, le protocole doit suivre des étapes interventionnelles selon un timing rigoureux depuis la tranquillisation de la mère avec de l’acépromazine et la sédation aux α2-agonistes jusqu’à l’induction de l’anesthésie générale à la guaïfénésine (GGE) et à la kétamine, éventuellement maintenue avec des halogénés. Il convient d’éviter l’utilisation des opioïdes autant que possible.

Bien souvent, les anesthésies épidurales et locorégionales n’apportent pas l’effet escompté et hypothèquent le capital temps lors de leur mise en place, pas toujours aisée.

Traitement ponctuel de la jument gestante

Que la situation relève d’une urgence ou d’une maladie intercurrente survenue au cours de la gestation, l’administration de médicaments non indispensables doit être évitée chez la jument gravide. Toutefois, cette précaution n’implique pas qu’elle ne soit pas traitée lorsqu’elle est malade.

La gestion de l’inflammation, de la douleur, de l’infection, de la boiterie, de la toux et des coliques chez la jument gestante répond tout d’abord aux règles classiques de la mise en place de tout traitement : examen clinique, évaluation des symptômes et diagnostic. Dans un second temps, le choix des médicaments tient compte des particularités éventuellement identifiées concernant l’état de gestation [1-4, 8, 10, 13, 14, 16-21].

Les informations validées d’innocuité des molécules chez la jument gestante sont peu nombreuses, mais certaines spécificités sont néanmoins connues.

Sédatifs, analgésiques et anesthésiques

• Les tranquillisants, les sédatifs et tout médicament induisant une dépression cardio-vasculaire et/ou respiratoire sont à utiliser avec précaution vis-à-vis des conséquences hémodynamiques et ventilatoires pouvant perturber le flux sanguin et l’oxygénation de la jument et du poulain.

• La détomidine n’a pas induit d’effets indésirables à la dose répétée de 0,015 mg/kg à intervalle de 3 semaines pendant le dernier trimestre de gestation.

• Les benzodiazépines et les opioïdes sont à éviter, autant que possible, pendant tout le temps de la gestation.

• L’anesthésie locale est préférée à l’anesthésie générale.

• Autant que possible, l’anesthésie générale est reportée après le poulinage.

• Le GGE est indiqué pour le couchage.

• La kétamine est indiquée pour l’induction et le maintien de l’anesthésie.

• L’isoflurane est indiquée pour l’anesthésie volatile.

• L’héparine peut être employée en toute sécurité puisqu’elle ne passe pas le placenta.

Antibiotiques et antifongiques

• Les sulfonamides et pyriméthamines utilisés pour le traitement de la myélo-encéphalite équine à protozoaire peuvent provoquer des avortements ou des malformations chez le poulain nouveau-né.

• L’association de triméthoprime et de sulfamides n’induit pas de mortalité embryonnaire et n’est pas associée à des malformations néonatales du poulain, qu’elle ait été utilisée en début ou en fin de gestation. Le risque d’un ictère néonatal existe néanmoins.

• Les tétracyclines peuvent affecter le cartilage des poulains.

• L’enrofloxacine crée des lésions de cartilage chez le poulain nouveau-né.

• Les pénicillines et la gentamicine peuvent être utilisées sans effet indésirable avéré tout au long de la gestation.

• Les antifongiques tels que la griséofulvine sont tératogènes.

AINS

Chez la femme, l’ensemble des AINS doit être évité au cours du dernier trimestre de la grossesse. En effet, leur administration prolongée peut entraîner un allongement du temps de gestation et de la durée du travail, et induire chez le fœtus des troubles pulmonaires en relation avec la fermeture in utero du canal artériel. Une diminution du poids moyen des nouveau-nés a été observée. La prise épisodique de ces médicaments, même à faibles doses, peut entraîner des troubles de l’hémostase.

Chez la jument en gestation, peu de données sont disponibles concernant l’utilisation des AINS dans le traitement de la douleur comme dans celui de la fièvre.

• La flunixine est indiquée pour le traitement de l’inflammation, de la lutéolyse, de la placentite et de l’hyperthermie. Chez la vache, la mortinatalité est augmentée lors d’utilisation dans les 48 heures avant la parturition.

• Le méloxicam est indiqué chez les vaches en gestation, mais son emploi est déconseillé chez la jument gestante.

• Le kétoprofène présente une toxicité rénale et cardiaque chez l’enfant. Aucune information n’est disponible chez la jument, bien qu’aucun effet indésirable n’ait été observé, chez la vache notamment.

• La phénylbutazone inhibe la synthèse des prostaglandines fœtales. Utilisée en fin de gestation chez la femme, elle peut prolonger la parturition et affecter le cœur du nouveau-né. Aucune donnée n’existe chez la jument.

• Le védaprofène n’a aucun effet secondaire et peut être utilisé en toute sécurité chez la jument gestante (avec une autorisation de mise sur le marché).

• Le firocoxib est déconseillé pour le traitement des juments gestantes.

• L’aspirine peut allonger le temps de gestation chez la jument, comme chez la femme, voire favoriser la fermeture du trou de Botal par une action sur les prostaglandines du poulain.

• Aucune information n’est disponible pour le métamizole (dipyrone) chez la jument. Cependant, des perturbations de l’hématopoïèse et une fermeture prématurée du canal artériel sont connues chez la femme et appellent à la prudence quant à son emploi dans le dernier trimestre de gestation.

Corticoïdes

• La dexaméthasone passe bien le placenta. En plus de son action anti-inflammatoire, elle induit une diminution de la production de cortisol par rétrocontrôle.

La dexaméthasone ne permet pas d’induire le poulinage.

Certains effets ont été observés selon le moment de l’injection :

- à partir de J320, l’administration de dexaméthasone à la dose de 100 mg/j pendant 5 jours entraîne une réduction du temps de gestation qui peut aller jusqu’à 2 semaines ;

- entre J315 et J320, un allongement de la durée du poulinage, une augmentation du risque de poulain faible et une diminution de la production de lait en raison du moindre développement de tissu mammaire sont observés ;

- après J330, une augmentation des risques de dystocie et de mort fœtale est notée.

• La prednisolone passe peu la barrière placentaire, et lorsqu’elle traverse le placenta, la molécule est métabolisée en prednisone, inactive chez le fœtus.

Certains effets tératogènes ont été décrits chez les animaux de laboratoire, mais aucune information n’est disponible chez la jument.

Clenbutérol

Le clenbutérol peut être utilisé pour le traitement de la bronchoconstriction chez une mère en crise d’asthme ou en état de bronchite chronique afin de favoriser les échanges pulmonaires et l’oxygénation (photo 3). La molécule peut avoir un faible effet d’augmentation de la fréquence cardiaque du fœtus lorsqu’elle est administrée dans le dernier trimestre avant terme.

Bien que le clenbutérol ait montré des effets tocolytiques pouvant retarder le moment de la parturition chez la vache (de 5 à 10 heures), la preuve n’est pas faite d’un tel effet chez la jument.

Cependant, son utilisation à la dose de 0,4 à 0,5 µg/kg IM ou IV est régulièrement citée comme potentiellement intéressante dans les procédures de manœuvres obstétricales, la molécule ayant des propriétés d’inhibition des contractions utérines.

Utilisé en début de gestation (avant le 19e jour), le clenbutérol peut empêcher la nidification de la vésicule embryonnaire (qui nécessite les contractions du myomètre) et favorise alors sa résorption et l’interruption de la gestation.

Traitements externes

Alors que la griséofulvine est tératogène et ne doit pas être administrée à des juments gestantes lors de dermatose fungique (notamment la teigne), l’énilconazole peut être utilisé à visée locale au cours de la gestation sans risque de toxicité fœtale.

Les rétinoïdes, dérivés de la vitamine A comme l’étrétinate et l’isotrétinoïde, utilisés dans le traitement de certaines maladies de la peau sont tératogènes et ne doivent pas être administrés à la jument pendant la gestation.

Bien qu’aucune donnée n’existe concernant leur toxicité et que celle-ci soit sans doute faible à inexistante, les produits iodés doivent être utilisés avec précaution lors de la gestation. Pour le nettoyage de la peau et l’asepsie cutanée, la chlorhexidine est l’antiseptique à privilégier.

L’innocuité des antiparasitaires externes contre les puces, les poux et les tiques n’a pas encore été établie en cas de gravidité ou de lactation.

Biphosphonates

Souvent utilisés pour des troubles de la déminéralisation, les biphosphonates sont contre-indiqués pendant la gestation, en raison de leur action sur le métabolisme osseux.

Traitements préventifs de la jument gestante

Dans l’estimation du rapport bénéfices/risques, le maintien en bonne santé de la mère présente un réel intérêt pour le futur poulain. Les traitements préventifs font partie des protocoles à mettre en place et à continuer pour assurer le bon entretien de la jument et du poulain jusqu’au terme de la gestation et dans les semaines qui suivent (photo 4) [1-4, 10, 13, 14, 16-20].

Vaccination

Susceptibles d’induire une virémie transitoire parfois toxique pour le fœtus, les vaccins vivants devraient être évités au cours de la gestation.

Les vaccins contre la gourme et l’artérite virale sont déconseillés pendant la gestation.

Les vaccins contre la grippe, la rhinopneumonie, le tétanos, la rage et la maladie de West Nile peuvent être utilisés chez la jument en gestation, selon les protocoles indiqués par les fabricants et en limitant le stress à l’injection.

Vermifugation

L’ivermectine, le fenbendazole et la moxidectine peuvent être employés chez la jument gestante. Aucune donnée spécifique à la jument n’est disponible, mais le praziquantel seul n’est pas toxique chez la brebis gestante.

L’association ivermectine et praziquantel ne peut être administrée qu’après le troisième mois de gestation et durant la lactation, alors que l’innocuité de l’association moxidectine et praziquantel a été démontrée.

Complémentation

La complémentation alimentaire de la jument gestante est importante pour contrecarrer d’éventuelles carences. Les excès peuvent être néfastes et avoir des conséquences sur le fœtus.

Ainsi, l’administration de vitamine A à forte dose chez la femme enceinte entraîne des malformations du fœtus.

Traitements au long court des maladies chroniques de la jument gestante

Maladies respiratoires chroniques

Les traitements usuels des maladies respiratoires chroniques (notamment corticoïdes, clenbutérol, flunixine) peuvent être poursuivis chez la jument tout au long de la gestation sans risque objectivé [2, 21].

Ulcères gastriques

Bien qu’à très fortes doses l’oméprazole puisse être à l’origine d’une mortalité embryonnaire, mais sans effet tératogène chez les animaux de laboratoire, son utilisation à doses recommandées ne présente pas de risque chez la jument gestante [2, 3, 13, 16].

Fourbure

Aucune donnée n’existe sur les risques potentiels des anti-inflammatoires, et notamment ceux de la phénylbutazone administrée au long cours lors de fourbure chronique chez une jument gestante [2, 21].

Cependant, la douleur et les désordres métaboliques associés non traités peuvent sans aucun doute être à l’origine d’une mort embryonnaire ou d’un avortement.

Maladie de Cushing

La sécurité du pergolide dans le traitement de la maladie de Cushing n’a pas été établie chez les juments gravides.

Son utilisation chez des juments gravides peut induire un allongement du temps de la gestation, un décollement placentaire ou une agalactie. Aussi, l’arrêt du traitement 30 jours avant la date prévue de la mise bas et son remplacement par l’administration de dompéridone(1) ou de sulpiride(1) sont recommandés [5].

Maladie métabolique et diabète

Les effets des traitements médicamenteux de la maladie métabolique et du diabète chez les juments gestantes n’ont pas été investigués. La surveillance de l’alimentation et surtout de l’exercice des juments pendant cette période est primordiale [5].

Médicaments du diagnostic chez la jument gestante

Aucune information spécifique au cheval n’étant disponible, l’utilisation d’iode, de radio-isotopes et des rayons X et γ pendant la gestation est à réserver aux cas pour lesquels le traitement est indispensable [13, 16].

Conclusion

L’innocuité et les effets des médicaments ne sont pas tous documentés concernant les traitements et leurs conséquences sur le poulain. Cependant, le niveau actuel des connaissances permet au praticien d’assurer les soins nécessaires à la jument gestante avec un choix et une marge de sécurité tels que le risque encouru à l’administration médicamenteuse ne peut être l’excuse pour ne pas traiter.

Les remontées d’expérience et de pharmacovigilance participent quotidiennement à l’évolution de ces connaissances médicales pratiques qui assurent professionnalisme et sécurité au vétérinaire dans sa pratique des soins aux chevaux.

  • (1) Médicament humain, hors autorisation de mise sur le marché (AMM).

  • (2) Voir l’article “Prédire le moment du poulinage” de É. Chollet, dans ce numéro.

  • (1) Médicament humain, hors AMM.

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CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ 1 : ÉVALUATION DU CONTEXTE CLINIQUE : LA NÉCESSITÉ DE TRAITER UNE JUMENT GESTANTE

Motif obstétrical ou affection directement en relation avec la gestation

• Maintien de la gestation, déclenchement du poulinage et dystocie.

• Placentite.

• Avortement.

Urgence ou maladie intercurrente plus ou moins aiguë et de manière ponctuelle

• Colique ou maladie digestive.

• Fracture ou affection ostéo-articulaire.

• Plaie.

• Affection respiratoire aiguë.

• Maladie infectieuse.

• Hyperthermie d’origine

indéterminée.

• Anesthésie générale.

Poursuite de traitement malgré la gestation

• Affection respiratoire tel un asthme.

• Arthropathie avec boiterie.

• Fourbure.

• Cushing.

• Ulcères gastriques.

Prévention

• Vaccination.

• Vermifugation.

• Alimentation et

complémentation.

Diagnostic

• Scintigraphie et examen d’imagerie

par résonance magnétique.

• Radiographie.

• Injections de produits spécifiques.

Éléments à retenir

• L’état de gestation ne doit pas interdire le traitement de la jument gravide.

• Tous les médicaments ne sont pas toxiques ni tératogènes pour le fœtus.

• Les maladies chroniques peuvent être soignées chez la jument gestante.

• L’efficacité de certains médicaments peut être modifiée chez la jument gestante.

• Le traitement de la jument gestante s’établit après évaluation de la balance bénéfices/risques.

ENCADRÉ 2 : TRAITEMENT D’UNE PLACENTITE

AINS : flunixine.

Antibiotique :

• selon l’agent en cause ;

• privilégier :

- triméthoprime + sulfamides : bon passage placentaire, risque d’hyperbilirubinémie chez le fœtus et le poulain à la naissance,

- pénicillines à doses répétées,

- gentamicine : ototoxicité non demontrée chez le fœtus équin ;

• limiter l’usage :

- ceftiofur : faible diffusion placentaire, meilleure en cas d’inflammation.

Progestatif : altrénogest.

Inhibiteur xanthine phosphodiestérase : pentoxifylline :

• augmentation de la microcirculation placentaire ;

• diminution de la production de cytokines.

ENCADRÉ 3 : TRAITEMENT D’UNE GESTATION PROLONGÉE

• Dompéridone(1) à la dose de 1,1 mg/kg/j per os.

• À partir de 15 jours avant la date du terme.

• Augmentation du taux de prolactine en quelques jours.

• Prévoir de recueillir le colostrum si besoin à la dose de 0,5 mg/kg 2 fois par jour, diminution lactation prématurée.

• Pas d’effets centraux (pas de passage de la barrière hémato-méningée).

• Pas d’effets sur le poulain (pas de passage placentaire).

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