Mise bas
Auteur(s) : Élodie Chollet
Fonctions : Centre de reproduction
du Petit Hautier
2, route de Paris
76220 Ménerval
Si lors d’un poulinage eutocique une intervention est rarement nécessaire, en cas de dystocie elle doit être précoce et rapide, en limitant au minimum les manœuvres obstétricales.
L’obstétrique a pour objet l’étude et la prise en charge de la gestation et de la mise bas. Dans cet article, les gestes d’obstétrique lors des poulinages eutocique et dystocique sont présentés.
La mise bas est eutocique lorsqu’elle se déroule physiologiquement selon trois phases et qu’elle donne naissance à un poulain viable sans aide extérieure (tableau 1). La délivrance des membranes fœtales se réalise sans complications dans les temps considérés comme physiologiques.
Une mise bas dystocique présente une ou plusieurs complications dans le bon déroulement de la deuxième phase du poulinage. Sa durée excède alors les 20 minutes sans progression de l’expulsion du fœtus. Ce processus peut être altéré du fait de la jument (torsion utérine, hernie abdominale) ou du poulain (taille, mauvaise position). Ce second aspect est ici abordé.
Le diagnostic et les gestes doivent être rapides et précis en cas de dystocie. Cet article propose les clés pour une bonne gestion de ces situations complexes et stressantes. En dernière analyse, c’est l’expérience du praticien qui va lui permettre de maîtriser les techniques, la vie de la mère et du produit étant toujours en jeu.
Il n’est généralement pas nécessaire d’intervenir lors d’une mise bas eutocique. Cependant, lorsque les propriétaires confient leurs poulinières à une structure vétérinaire pour surveillance, le plus souvent, un ou des moyens de détection du poulinage sont disponibles (vidéos, ceinture de positionnement ou de transpiration, aimants sur la vulve), ce qui permet d’être présent au début de la deuxième phase du poulinage. Certains gestes sont alors importants pour le bon déroulement de l’événement :
– dès l’apparition de l’amnios et du premier pied du poulain aux lèvres de la vulve, il convient de vérifier par palpation la présence du deuxième pied juste en arrière, ainsi que le positionnement de la tête entre les parties craniales des canons (photos 1a à 1c). Il est recommandé aussi de s’assurer que les deux membres sont bien des membres antérieurs ;
– lors de l’avancée de l’avant-main dans la filière pelvienne, il convient de veiller à ce que les épaules s’avancent en décalé alternativement afin de diminuer la largeur totale. La traction sur les membres antérieurs pour aider à la progression de la mise bas doit être asymétrique. Elle est dirigée d’abord tout droit jusqu’à ce que l’ensemble du thorax du poulain soit sorti puis vers les jarrets de la jument ;
– la sortie des membres postérieurs hors de la jument à la fin de l’expulsion est assistée. Grâce à cela, le poulain atteint plus rapidement la position sternale qui lui permet de réaliser correctement ses premiers mouvements respiratoires et qui assure une meilleure perfusion sanguine par rapport à la position allongée (photo 1d) ;
– une fois le poulinage terminé, le cordon ombilical se sépare naturellement lors du relevé de la mère. Il est aussi possible de tirer le poulain vers l’avant-main de la jument quelques minutes après le poulinage. Cette dernière technique évite que le poulain soit toujours relié à son placenta alors que la jument a délivré (cas des juments qui restent longtemps couchées). L’absence d’hémorragie ombilicale doit être vérifiée et la désinfection assurée. Une fois la mère relevée, le placenta qui pend entre les membres postérieurs doit être noué en paquet sous la vulve afin de favoriser la totalité de son expulsion et de prévenir sa déchirure (photo 2).
Dans 99 % des poulinages, la présentation est antérieure et dans 1 % seulement des cas, elle est postérieure (tableau 2). Les présentations transverses sont très rares. La posture des membres et/ou de la tête est la première responsable de dystocies, qui représentent de 4 à 10 % des mises bas selon les données publiées. L’incidence des dystocies est supérieure chez les juments de races lourdes, de même que chez les ponettes. De plus, les primipares y sont davantage sujettes, par rapport aux multipares [4]. La taille du poulain peut aussi favoriser une dystocie en raison des grosses articulations ou d’un diamètre thoracique ou pelvien important, notamment chez les primipares.
• L’absence de vulvoplastie doit être vérifiée avant un poulinage et, si besoin, une épisiotomie est pratiquée. L’obstruction de la vulve pourrait en effet mener à une dystocie en favorisant le passage du poulain (les membres antérieurs, puis le reste du corps) par le rectum.
• Le risque de mort du fœtus augmente de 10 % toutes les 10 minutes au-delà de la première demi-heure de poulinage [2].
• La gestion d’une dystocie lorsque le poulain est vivant est plus facile. En effet, il nous aide activement lors des manipulations, contrairement à un poulain mort, raide et inerte.
• La présence d’une, ou, encore mieux, de deux personnes disponibles rapidement pour aider le praticien en cas de dystocie ou de poulinage difficile est indispensable.
• Il convient d’avoir à sa disposition le matériel adéquat à sa pratique et prêt à être utilisé dans l’écurie ou la voiture, tel que des lacs de poulinage, un lasso de mise bas GR ou Obione, Gyn-stick® Obione, un passe-fils, une sonde et une pompe, du gel lubrifiant et une tenue en plastique.
• L’usage de la vêleuse est parfois utile chez les juments de races lourdes ou dans le cas d’un gros poulain chez une primipare. Ce matériel doit être utilisé en accompagnant les contractions de la mère et en exerçant une force progressive dans la traction.
• Il est important d’être le plus propre possible (ce qui n’est pas toujours facile dans cette situation) et de faire le moins d’allers et retours possible dans la jument afin de limiter les lésions vaginales, cervicales et utérines qui compromettent la fertilité future de l’animal.
• L’emploi abondant de gels, de lubrifiants et d’eau lors des manipulations limite l’irritation des muqueuses.
• L’induction de la parturition peut s’envisager dans différentes situations lorsque le propriétaire n’est pas disponible pour assurer une surveillance efficace chez une jument qui a déjà présenté des dystocies ou pour laquelle une anomalie anatomique favorise un poulinage difficile. Cela permet de s’organiser pour gérer une complication en journée, par exemple, en prévoyant davantage d’aides à disposition. Cependant, l’induction doit toujours être étudiée et planifiée avec beaucoup de précaution et en évaluant le rapport risque/bénéfice afin de ne pas causer plus de complications (décollement placentaire, anoxie fœtale, prématurité, dystocies) (encadré 1).
• En cas de fœtotomie, la dystocie doit être résolue avec au maximum deux coupes. Au-delà, les dommages causés au tractus génital compromettent la fertilité de la jument [6]. Du bon matériel est essentiel. Le fœtotome Utrecht est recommandé, ainsi que des crochets, des cordes ou des chaînes. Il convient de bien lubrifier le vagin avant de commencer et de s’assurer que le fœtus est mort. En effet, tant que le poulain est vivant, des essais de délivrance manuelle doivent être réalisés ou bien la jument est référée pour une césarienne. La fœtotomie peut être pratiquée lors d’une flexion des carpes et/ou du cou et de la tête, ou lors de flexion des jarrets, alors que les positions transverses et en siège requièrent une césarienne. Une personne contrôle la position du fœtotome dans la mère (en veillant à ne pas mettre les doigts près de la zone de coupe), et une autre se positionne face au fœtotome et actionne les fils de coupe avec des mouvements amples et stables. Le morceau coupé est retiré avant de sortir le fœtus, toujours en couvrant avec une main la partie amputée afin de protéger le tractus génital.
• Enfin, mieux vaut avoir des bras longs et de la force pour gérer une dystocie sévère.
Lorsque le service d’assistance au poulinage est proposé dans une structure vétérinaire ou un centre de reproduction, plusieurs éléments sont nécessaires.
• Un contrat de prestations est signé par le client (consentement éclairé vis-à-vis des risques autour et pendant le poulinage) et ses volontés en cas de complications doivent être précisées (possibilité financière d’une césarienne, priorité donnée au poulain ou à la mère, etc.) [8].
• Il est important d’avoir à disposition un matériel de surveillance du poulinage (par exemple, Foalert®, Birth Alarm®, Breeder Alert®, des systèmes avec caméra) afin d’être présent dès le début de la mise bas.
• Une dystocie doit être identifiée le plus rapidement possible. En effet, la possibilité d’accueillir les juments pour pouliner dans une structure professionnelle permet d’agir précocement, avant que le poulain ne soit trop engagé dans la filière pelvienne, et de gagner ainsi un temps précieux.
• La disponibilité d’un palan et d’une anesthésie générale de courte durée facilement mise en œuvre pour coucher la jument et surélever ses membres postérieurs permet de faciliter les corrections en augmentant l’espace disponible au niveau abdominal et en accentuant l’effet de gravité.
• Le ou les centres de référence où référer une jument pour césarienne, si un bloc chirurgical n’existe pas sur place, doivent être connus préalablement.
Faire face à une dystocie chez le client est souvent plus difficile. Cela peut dépendre du type de client ou de la distance entre le praticien et celui-ci.
• En fonction du type de client. Les professionnels peuvent avoir de bonnes bases de connaissances et résoudre eux-mêmes une partie des dystocies, ou identifier les cas pour lesquels un vétérinaire doit être appelé sans perdre de temps. En revanche, les clients amateurs n’ont souvent jamais vu de poulinage, ne seront probablement pas sur place lors de la mise bas et découvrirons la catastrophe le lendemain matin. Il est important que les professionnels ou les amateurs impliqués connaissent les points de repère d’un poulinage normal. Si la délivrance n’apparaît pas ou ne progresse plus, ou s’il manque une partie du corps du poulain, ils doivent appeler immédiatement le vétérinaire (encadré 2).
• En fonction de la distance entre le praticien et son client. La vie du poulain est souvent compromise par la durée du trajet qui s’ajoute au temps déjà écoulé depuis la rupture de l’allantoïde. Il est parfois préférable de faire transporter la jument directement dans une structure vétérinaire afin d’avoir de bonnes conditions de travail et de pouvoir gérer son suivi après l’expulsion du poulain.
• Une anesthésie générale peut être aussi réalisée sur le terrain lorsque les manœuvres obstétricales sont difficiles et qu’il n’est pas possible de référer la jument en clinique, mais la surélévation de l’arrière-main est souvent plus compliquée à mettre en œuvre.
• L’anamnèse est importante et offre une vue globale de la situation : âge de la jument, nombre de poulinages, difficultés lors des poulinages précédents, date du terme, temps écoulé depuis la rupture de la poche des eaux, éventuels essais d’expulsion du poulain [5, 8].
• Il est important de pratiquer un examen général rapide de la jument pour éliminer l’hypothèse d’un choc évocateur d’une hémorragie ou d’une rupture d’organe, ce qui impliquerait une césarienne d’urgence pour sauver le poulain.
• Avant de commencer l’examen gynécologique, la queue de la jument est emballée pour ne pas être gêné par les crins, et le périnée est nettoyé avec de l’eau et une formule de povidone savon (le matériel de désinfection doit être présent en permanence et renouvelé regulièrement). Un grand box, si possible, très bien paillé et dont le sol n’est pas glissant, est recommandé. Le travail doit être évité car les poulinières ont tendance à s’écrouler facilement pendant les manipulations et la marche peut être utile pour diminuer les contractions utérines.
• Il est nécessaire de pratiquer ensuite un examen gynécologique rapide : vérifier l’absence de décollement placentaire précoce (red bag), ce qui obligerait à extraire le poulain très rapidement, contrôler l’absence d’anomalie évidente du pelvis, s’assurer que le poulain est vivant et caractériser la dystocie afin de mettre en place la correction(1) (photo 3).
• Une sédation est souvent requise et utile malgré les effets cardio-vasculaires négatifs pour la jument et le poulain. Elle permet de travailler avec plus de sécurité et d’efficacité, et diminue un peu les contractions utérines. L’association de xylazine (0,2 à 0,5 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) et de butorphanol (0,01 à 0,02 mg/kg IV) est la plus répandue, mais de la romifidine (30 à 50 µg/kg IV) ou de la détomidine (5 à 10 µg/kg IV) peuvent aussi être utilisées. L’administration de myorelaxants utérins pour diminuer les contractions (clenbutérol 800 ng/kg IV lente) est possible, mais leurs effets restent peu convaincants [3]. Une anesthésie péridurale est un exercice délicat à mettre en place en pratique courante, et son emploi est plutôt réservé aux situations hors dystocie(2).
• Des lacs de poulinage doivent être à disposition. Ils peuvent être appliqués sur les extrémités des membres (souvent au boulet, en les plaçant au-dessus et en dessous de l’articulation pour mieux répartir les forces de traction) et servir d’extension (photos 4a à 4d). Une seconde personne peut aussi les utiliser pour exercer une tension ou une traction alors qu’une répulsion et une mutation de l’extrémité affectée sont pratiquées concomitamment par la première personne.
La connaissance du déroulement normal d’un poulinage permet de réagir rapidement en présence d’une dystocie. L’analyse de la situation et la mise en place d’une correction ou d’une intervention chirurgicale sont primordiales. Les gestes en obstétrique équine doivent ensuite être rapides et précis afin de donner une chance de survie au poulain. Les conduites à tenir de cet article ont pour objectif de fournir un canevas d’intervention au praticien, mais ne remplacent pas l’expérience de terrain.
(1) Voir l’article “Dystocies : présentations et postures possibles” du même auteur, dans ce numéro.
(2) Voir l’article “Anesthésie de la jument gestante” : mise en œuvre de C. Scicluna, dans ce numéro.
(1) Voir l’article “Prédire le moment du poulinage” du même auteur, dans ce numéro.
AUCUN
• Les dystocies représentent 4 à 10 % des mises bas chez la jument et leur incidence est supérieure dans les races lourdes, et chez les ponettes et les primipares.
• Lors de dystocie, la précocité d’intervention et la rapidité de correction ont une influence majeure sur le taux de survie du poulain.
• Il convient de caractériser la dystocie afin de mettre en place les manœuvres de correction adaptées.
• L’usage de la sédation est souvent nécessaire pour travailler avec plus de sécurité et d’efficacité en diminuant les contractions utérines.
Conditions physiologiques nécessaires
• Gestation de plus de 330 jours.
• Col utérin effacé.
• Mamelle bien développée.
• Ca mammaire > à 200 ppm (bandelettes) ou > 12 mmol/l (analyseur)(1).
• Gravité du colostrum au spectromètre > 20 à 24 %.
• Électrolytes du lait (analyseur) : Ca ≥ 10 mmol/l ; Na ≤ 54 mmol/l ; K ≥ 25 mmol/l (dans les 48 heures du poulinage, les valeurs s’inversent : Na < 30 mmol/l ; K > 35 mmol/l ; Ca > 12 mmol/l).
• Il convient de prendre garde aux variations interindividuelles, et aux juments primipares et aux gestations pathologiques qui ne répondent pas à ces critères.
Conditions matérielles nécessaires
• Box spacieux ou stabulation.
• Queue bandée, périnée nettoyé.
• Matériel obstétrical, gants de fouille, échographe.
• Personnel à disposition pour apporter une aide en cas de complications.
• Surveillance et contrôle constant jusqu’au poulinage.
Protocoles les plus courants
• Ocytocine : le produit de choix.
Utilisée le plus souvent à petite dose : 2,5 à 5 UI (en fonction du format de la jument), par voie intraveineuse, une fois toutes les 24 heures jusqu’au poulinage. L’effet dépend de la maturité du fœtus et de la proximité avec le poulinage naturel : 65 % des juments poulinent dans les 2 heures après la première injection, 25 % des juments à la deuxième injection 24 heures plus tard.
• Prostaglandines : résultats très variables selon les juments et le stade de gestation. Complications possibles : asphyxie, dystocie, fractures des côtes.
• Corticoïdes : protocole valable uniquement pour accélérer la maturité du poulain chez une jument pathologique qui doit être euthanasiée. Entre 315 et 325 jours de gestation, 100 mg de dexaméthasone pendant 3 jours consécutifs, puis poulinage.
• Absence de progression dans les 10 minutes après la rupture de la poche des eaux (pas d’amnios ni de poulain qui apparaissent aux lèvres de la vulve).
• Pas de contractions puissantes et efficaces après la rupture de l’allanto-chorion.
• Décollement placentaire précoce (red bag).
• Arrêt brutal de l’avancée du poulinage.
• Signes de douleur anormale ou de choc chez la jument.
D’après [7].