Affections de la gestation
Auteur(s) : Sophie Paul-Jeanjean
Fonctions : Laboratoire Boehringer
Ingelheim 29 TG
69007 Lyon
Face à un avortement, l’intervention du praticien vise à la protection immédiate de l’élevage et à l’établissement du diagnostic, certaines infections étant potentiellement très contagieuses. De nouveaux agents abortifs ont été identifiés chez la jument.
Les avortements représentent un enjeu zootechnique et médical majeur chez la jument [16]. En France, malgré de bons taux de gestation, la productivité de la jument reste faible en raison de la fréquence des avortements (7 à 8 %) et de la mortalité néonatale (2 à 13 %) [5, 7, 8]. Deux enquêtes conduites au Royaume-Uni ont donné des résultats comparables [1, 15].
Un avortement correspond à une interruption de la gestation entre le 40e et le 300e jour de gestation, c’est-à-dire entre la fin de l’organogenèse et l’expulsion d’un fœtus mort ou non viable. De plus, de nombreuses causes d’avortement peuvent être à l’origine de mortinatalités prématurées ou à terme ou de naissances prématurées ou à terme de poulains faibles qui meurent rapidement après la naissance [9].
Depuis des décennies, la priorité des travaux de recherche est donnée aux causes infectieuses, en raison de leur importance épidémiologique (Encadré 1). Les agents identifiés sont soit des bactéries (notamment Streptococcus zooepidemicus, mais aussi Klebsiella spp., Escherichia coli, etc.), soit des virus (herpèsvirus équin [HVE] de type 1, virus de l’artérite virale équine [AVE], etc.), voire des champignons [7]. La part des infections bactériennes fœto-placentaires est très importante (50 % des avortements d’étiologie connue selon une étude menée en Normandie) et les virus à l’origine d’épizooties sont les plus étudiés (rhinopneumonie, par exemple) [6-9]. La recherche porte également sur de nouveaux agents pathogènes, dont le potentiel abortif est avéré dans d’autres espèces [12, 13]. En France, les causes infectieuses représenteraient 30 à 50 % de tous les avortements. Cet article se propose de faire le point sur les grandes causes des avortements infectieux.
Les avortements infectieux sont principalement d’origine bactérienne (80 % de ces avortements en Normandie) [10]. L’infection bactérienne se traduit le plus souvent par une placentite, qui est la première cause d’avortement infectieux chez la jument (photo 1 et encadré 2) [3, 8]. Deux voies de contamination fœto-placentaire sont reconnues : les bactéries peuvent accéder à l’utérus et à son contenu à partir du vagin en traversant le col – voie ascendante – ou gagner l’utérus par la circulation sanguine ou lymphatique – voie hématogène – à l’occasion d’une maladie maternelle (photos 2 et 3). Un troisième mode de contamination est évoqué, mais il ne fait pas l’objet d’un consensus : les bactéries seraient déjà présentes dans l’utérus au moment de la conception, localisées dans de petits foyers d’endométrite profonds, à partir desquels l’infection pourrait ensuite s’étendre [9].
Les avortements d’origine bactérienne sont diagnostiqués à tous les stades de la gestation : la mort du fœtus est consécutive soit à une septicémie fœtale, soit à une extension des lésions de placentite entraînant une insuffisance placentaire chronique, soit aux deux [8]. La séparation placentaire prématurée au moment du poulinage (apparition d’un red bag à la vulve) est fréquente lors de placentite ascendante : le poulinage devra alors être particulièrement surveillé pour qu’il soit possible d’intervenir et d’ouvrir le placenta rapidement, afin de dégager le poulain au plus vite [14].
La leptospirose est une cause bactérienne contagieuse d’avortement due à des spirochètes. La source principale des leptospires est représentée par des espèces animales réservoirs (petits mammifères sauvages et, en particulier, rongeurs). La contamination fœtale se produit par voies sanguine et transplacentaire et l’avortement survient souvent entre le 8e et le 10e mois. En France, la prévalence des avortements et des pertes périnatales d’origine leptospirosique est estimée à 2 %. Les principaux leptospires rencontrés sont L. pomona, L. icterohemorrhagiae et L. grippotyphosa [9, 19].
Salmonella abortus equi est une bactérie responsable d’avortements contagieux. Elle cause également des bursites fistuleuses, des orchites, des septicémies et des arthrites chez le cheval. La maladie a presque disparu d’Europe de l’Ouest et des États-Unis. Les derniers foyers européens ont été décrits en 1993 en Croatie. En revanche, la bactérie est régulièrement isolée chez des chevaux au Japon, notamment dans une région où la maladie sévit de façon enzootique, avec une centaine de cas déclarés par an [9].
Selon les études, la fréquence des avortements bactériens non contagieux en France est évaluée à 30 à 38 % des avortements de cause connue [9].
Les espèces dominantes sont les streptocoques β-hémolytiques, qui sont isolés dans environ 40 % des avortements bactériens (Streptococcus equi subsp. zooepidemicus, Streptococcus dysgalactiae subsp. equisimilis, Streptococcus equi subsp. equi), les colibacilles (Escherichia coli dans 11,7 % des avortements bactériens), les staphylocoques, Klebsiella pneumoniae, Pseudomonas sp., Pantoea sp. [9, 16].
Les champignons sont des agents opportunistes qui contaminent l’utérus par voie ascendante avec pour conséquences :
– des lésions de placentite identiques macroscopiquement à celles dues aux bactéries. En général, l’amnios n’est pas atteint ;
– la survenue d’une insuffisance placentaire et l’expulsion d’un fœtus de petite taille et émacié, mort ou qui meurt peu après la naissance. L’invasion du fœtus est rarissime. Le genre le plus souvent en cause est Aspergillus sp., mais des infections par Mucor sp. ou Absidia sp. sont occasionnellement observées. En Normandie, seuls Mucor sp. et Aspergillus sp. ont été identifiés comme responsables d’avortements chez la jument (1,8 % des avortements infectieux) [9, 10].
En France, les causes virales sont responsables d’environ 15 % des avortements infectieux et de 10 % des avortements d’origine déterminée [8].
Il s’agit essentiellement de l’HVE de type 1 (virus de la rhinopneumonie). La rhinopneumonie est la première cause d’avortement épizootique en France (photos 4 à 6). En Normandie, elle a été à l’origine d’environ 14 % des avortements d’origine infectieuse au cours des 20 dernières années [9, 10]. Les avortements sont le plus souvent tardifs (entre 8 et 10 mois de gestation), sans prodrome et très contagieux. L’HVE de type 4 est plus rarement impliqué. Le virus est transporté vers le tractus génital lors de la phase de virémie. Une fois l’utérus atteint, il infecte les cellules endothéliales des vaisseaux utérins, provoquant alors une sévère vascularite endométriale. Celle-ci est à l’origine de thromboses multifocales et de zones d’infarcissement des cotylédons placentaires. Ces lésions entraînent la séparation prématurée du placenta, provoquant la mort du fœtus par anoxie [8, 18]. L’existence d’une affection respiratoire et la survenue de morts dans l’écurie constituent des facteurs de risque de cet avortement. La vaccination de la jument et de l’ensemble du cheptel contre les herpèsviroses est le meilleur moyen de prévention [18].
Le virus de l’AVE a été isolé pour la première fois en 1953 aux États-Unis. Depuis, il a été détecté chez des chevaux dans le monde entier et circule notamment en France, avec une prévalence sérologique de 10 %, très variable selon les races et les régions. Dans la plupart des cas, le virus n’occasionne chez les chevaux adultes qu’une infection subclinique, plus rarement des signes généraux et/ou respiratoires. L’infection peut cependant être à l’origine d’avortements épizootiques (photos 7 et 8). Jusqu’en 2007, en France, le virus n’avait jamais été isolé lors d’avortements tardifs ; seules des observations de terrain fondées sur des résultats sérologiques suggéraient que la maladie était responsable d’interruptions de gestation entre 60 et 90 jours. L’épizootie d’AVE de l’été 2007 s’est traduite par 80 cas cliniques répertoriés, dont une majorité concernait des chevaux adultes. Cependant, des mortinatalités, des mortalités néonatales et un avortement ont également été enregistrés [17]. Lors d’un taux anormalement élevé d’avortements précoces ou tardifs et de mortinatalité, ce virus doit être suspecté [9]. Aucun cas n’a été isolé en 2016 en France.
Afin de réduire le taux d’avortements infectieux non expliqués chez la jument, la recherche de nouveaux agents pathogènes, par des approches moléculaires, porte maintenant sur des microorganismes dont le potentiel abortif est avéré dans d’autres espèces animales (bovin, ovin, etc.) ou chez l’homme. C’est le cas des pathogènes intracellulaires (tels que Coxiella burnetii, Chlamydophila sp., Anaplasma phagocytophilum, et Neospora sp.), des hémopathogènes (comme Theileria equi et Babesia caballi), des bactéries spiralées (comme Borrelia burgdorferi), des bactéries nocardioformes ou des mycobactéries. Depuis 2003, Labéo travaille à la recherche d’outils de détection de ces agents pathogènes, en partenariat avec le Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) de Dozulé (Calvados) (Encadré 3). La recherche par les techniques de polymerase chain reaction (PCR) de ces microorganismes a permis la mise en évidence de nouveaux agents abortifs peu ou pas décrits dans l’espèce équine et la confirmation du rôle d’agents abortifs majeurs ou d’agents décrits dans d’autres régions du monde, mais uniquement suspectés en France. L’histologie sur les organes formolés, réalisée de façon systématique et adaptée à l’agent pathogène recherché, permettra de mettre en évidence la présence de ces microorganismes ou des lésions caractéristiques qu’ils auraient pu induire dans les organes, donc d’expliquer le processus abortif (tableau) [12, 13].
De plus, les résultats préliminaires confirment l’importance de l’analyse systématique de l’allantochorion. Les hémopathogènes, connus pour avoir un tropisme sanguin, devraient être recherchés dans le sang du fœtus ou dans un organe fœtal très irrigué, comme la rate. Dans un proche avenir, la comparaison de l’approche par PCR individuelle avec l’analyse globale des échantillons en métagénomique devrait apporter de nouvelles informations [12, 13].
La plupart des avortements surviennent de façon sporadique, mais certains agents pathogènes peuvent être à l’origine d’épizooties d’avortements, donc de véritables catastrophes économiques à l’échelle d’un élevage. Les infections fœtales secondaires aux placentites bactériennes représentent environ la moitié des cas. Leur prévention sur le terrain est fondée sur le diagnostic et le traitement des endométrites, la réalisation, si nécessaire, d’une vulvoplastie pour éviter la contamination du tractus génital et la surveillance continue des gestations à risque. Les avortements d’origine virale sont la deuxième cause d’avortement infectieux dans l’espèce équine. Les infections virales identifiées (HVE-1 essentiellement et, plus rarement, le virus de l’AVE) sont potentiellement très contagieuses. Face à un avortement, le vétérinaire praticien a un rôle clé à jouer dès la découverte du premier cas, d’une part, pour la protection immédiate du reste du cheptel et des élevages voisins, d’autre part, pour la mise en œuvre de la démarche diagnostique.
(1) Voir l’article “Conduite à tenir face à un avortement chez la jument” de X. d’Ablon et coll., Prat. Vét. Équine. 2009;164:7-12.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : VÉTÉRINAIRE TECHNIQUE ÉQUIN, LABORATOIRE BOEHRINGER INGELHEIM
Au-delà du devenir de la jument avortée, l’éleveur et le vétérinaire doivent protéger immédiatement le reste de l’élevage et éventuellement les cheptels environnants. Lors d’avortement, le postulat étiologique de départ est toujours une infection contagieuse, jusqu’à preuve du contraire. Le haras doit être considéré comme contaminé et les entrées et sorties sont interdites. Des mesures générales de biosécurité (isolement de la jument avortée et des juments faisant éventuellement partie du même lot, mise en quarantaine de l’élevage, désinfection du matériel, équipement adapté pour le personnel, etc.) doivent être appliquées, ainsi que des mesures spécifiques, une fois que le diagnostic de maladie contagieuse est établi(1) [6, 16].
• Les avortements infectieux, qui se traduisent le plus souvent par une placentite, sont principalement d’origine bactérienne (80 % de ces avortements).
• La rhinopneumonie est la première cause d’avortement épizootique en France.
• De nouveaux agents abortifs ont été détectés par polymerase chain reaction (PCR). Ces résultats doivent être associés à une analyse histologique des tissus, afin de mettre en évidence des lésions caractéristiques.
Des biomarqueurs seraient très utiles pour évaluer la fonction placentaire en fin de gestation [2]. Les stéroïdes, notamment les progestagènes et l’œstradiol, semblent être de bons biomarqueurs lors de placentite. Néanmoins, les valeurs de référence doivent être établies précisément car ces stéroïdes ont des valeurs sériques variables selon le stage gestationnel. L’α-fœtoprotéine (protéine fœtale majeure présente dans la circulation fœtale et dans les liquides amniotique et allantoïdien) est également un biomarqueur potentiel des placentites, car une augmentation est observée chez des juments avec une placentite expérimentalement induite [2]. Enfin, la recherche travaille chez la jument sur les mARN placentaires (ARN de petite taille non codants, ayant un rôle dans la régulation des gènes intervenant dans l’implantation, la placentation, l’angiogenèse, etc.). Chez la femme, les niveaux de mARN changent significativement lors de grossesse anormale (grossesse extra-utérine, prééclampsie, petit poids fœtal, etc.).
• En 2008, le Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe) a créé un sous-réseau Avortement afin de pouvoir disposer d’un suivi épidémiologique des avortements en France pour la filière équine. Celui-ci collecte les résultats des analyses réalisées sur les organes des avortons et sur les annexes embryonnaires pour garantir une surveillance des avortements infectieux contagieux, d’importance sanitaire ou zoonotique (herpèsvirus équin [HVE] de types 1 et 4, artérite virale équine [AVE] et leptospirose). Le Respe contribue également à la mise en évidence de nouveaux agents pathogènes [4, 11, 16]. Cette dernière repose sur des prélèvements sanguins (sur tubes sec et EDTA), qui ne sont pas exploités immédiatement, mais conservés en vue d’alimenter les travaux de recherche [16].
• Depuis 2009, 1 442 avortements ont été déclarés au Respe, dont la très grande majorité dans les départements du Calvados, de l’Orne et de la Manche [4]. Les chevaux concernés sont en majorité des pur-sang, suivis par les trotteurs et les chevaux de selle. En général, les échantillons envoyés comportent des prélèvements d’organes des fœtus (foie, poumons, reins), ainsi qu’un prélèvement de placenta. Une étude menée par le Respe a permis d’identifier que l’écouvillon utérin n’était pas un prélèvement de choix pour détecter un agent pathogène. La proportion de cas positifs est variable, mais relativement faible, car un agent pathogène est identifié dans 4 à 10 % des cas. L’HVE-1 est le plus fréquemment identifié, même si le Respe n’a pas recensé d’épizooties d’avortements à HVE-1 depuis plusieurs années.
En 2016, la fréquence des avortements dus à HVE-1 a été très faible et bien moindre que celle des années précédentes, avec seulement trois cas positifs, soit trois foyers sans lien épidémiologique apparent (figure). Dans deux de ces foyers, d’autres chevaux présentaient des symptômes.
Les autres agents pathogènes identifiés de façon ponctuelle sont le HVE-4 (en 2016, contrairement à 2015, aucun cas d’infection à HVE-4 n’a pu être confirmé) et, de façon exceptionnelle, le virus de l’artérite virale (aucun cas en 2016) ou la leptospirose.
Le sous-réseau Avortement permet donc la détection de foyers de maladies très contagieuses et notamment de foyers d’infection à HVE-1 : ce suivi, bien que non exhaustif, montre que ce virus reste bien présent sur le territoire français.
• De nombreux cas ne sont pas élucidés par la recherche des agents pathogènes ciblés dans le sous-réseau. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer :
– les avortements peuvent être provoqués par de multiples facteurs, dont des facteurs infectieux encore non recherchés par le Respe et des facteurs non infectieux ;
– certaines déclarations ne sont pas accompagnées de prélèvements ou les prélèvements sont incomplets (pas d’organes du fœtus ou pas d’allantochorion).
Plus les déclarations seront nombreuses et accompagnées des prélèvements demandés (organes du fœtus, placenta, sang sur tubes sec et EDTA), plus il sera possible d’améliorer les connaissances sur d’autres causes d’avortements, a minima infectieuses.