Affections de la gestation
Auteur(s) : Sophie Paul-Jeanjean
Fonctions : Laboratoire Boehringer
Ingelheim 29 TG
69007 Lyon
Les étiologies non infectieuses des avortements sont fréquentes, mais des moyens de prévention pourraient être encore développés. L’incidence des gestations gémellaires, par exemple, a été réduite grâce au diagnostic échographique.
Les avortements chez la jument se classent en deux catégories, infectieux ou non infectieux. Les causes non infectieuses sont dominantes dans la plupart des études mondiales et entraînent jusqu’à 70 % des avortements d’origine déterminée, tandis que, selon une étude de Laugier et coll. menée en Normandie, elles seraient secondaires (36 %) [8]. Elles sont classées en anomalies des annexes fœtales, en anomalies de la gestation, en anomalies fœtales et en causes maternelles. Les anomalies du cordon ombilical et les hypoplasies des villosités choriales représentent les cas les plus fréquents depuis que l’usage répandu de l’échographie a considérablement réduit l’incidence des gestations gémellaires [6, 8, 10]. Cet article se propose de faire le point sur les grandes causes non infectieuses des avortements.
Les avortements dus à une anomalie du cordon ombilical sont de plus en plus fréquents dans l’espèce équine. Ils représentent actuellement la première cause d’avortement non infectieux (environ 60 % de ces avortements), devant les gestations gémellaires dont la fréquence a diminué avec le suivi échographique de la gestation [1, 6, 8, 9, 16]. Le principal facteur de risque est la longueur anormale du cordon ombilical. Chez 95 % des fœtus normaux, elle est inférieure à 83 cm. Une longueur supérieure à 85 cm entraîne un risque six fois supérieur de lésions provoquant une augmentation de la résistance du sang dans les veines placentaires, une hypoxie fœtale et un danger accru de torsion (photo 1) [6, 16]. La plupart des avortements dus à une torsion du cordon ombilical surviennent à 6 à 8 mois de gestation : la mobilité fœtale, élevée entre 4 et 7 mois de gestation, est un facteur favorisant. Deux types de torsions existent lors d’avortement : les torsions aiguës et les torsions chroniques [8]. Les secondes semblent légèrement plus fréquentes que les premières : respectivement 56,2 % et 43,8 % d’après une étude nécropsique menée sur 1 726 avortons [10].
Les hypoplasies ou aplasies des villosités choriales provoquent des avortements tardifs, entre 7 et 8 mois de gestation. Les zones d’hypoplasie choriales correspondent aux régions utérines dépourvues de glandes endométriales ou présentant des glandes de taille réduite (photo 2). Ce sont des zones de lésions cicatricielles ou de fibrose endométriale, fréquentes chez les juments âgées. Cette diminution de contact entre le placenta et l’endomètre, en cas de lésions étendues, réduit les échanges fœto-maternels, pouvant donc être responsable d’une hypoxie et d’un avortement [6, 8]. Cette anomalie est à l’origine d’environ 6 % des avortements d’origine connue en France [8].
L’hydropisie des enveloppes fœtales regroupe deux types d’anomalies, l’hydro-allantoïde (la plus fréquente) et l’hydramnios, caractérisées par une accumulation excessive de liquide allantoïdien ou amniotique, voire des deux : jusqu’à 110 à 230 litres au lieu des 8 à 18 litres lors de gestation normale. Elle résulte d’une perturbation des mécanismes d’échanges hydriques entre les membranes fœtales et l’utérus, et est responsable d’une insuffisance placentaire qui aboutit parfois à la mort fœtale (photo 3). Elle peut également provoquer des coliques chez la mère [6, 16]. Ces lésions représentent 1,1 % des causes d’avortement identifiées en Normandie [8].
La séparation prématurée du placenta est une anomalie qui se rencontre le plus souvent au moment du poulinage. Elle survient parfois durant la seconde moitié de la gestation, notamment lors de gestation gémellaire, entraînant un avortement. L’intoxication à la fétuque contaminée par des champignons endophytes (Acremonium coenophialum) et le stress maternel en fin de gestation sont deux facteurs de risque de cette affection [6, 8]. Elle se caractérise par un placenta épaissi et œdémateux, mais pas de façon homogène, à la différence de l’hydropisie. La face choriale présente des plages sèches, décolorées et brunâtres, à la jonction entre le corps placentaire et les cornes. En France, cette maladie est diagnostiquée dans 1 % des avortements d’origine déterminée [8].
La mortalité des jumeaux dans l’espèce équine est beaucoup plus importante que dans les autres espèces car la conformation utérine de la jument n’est pas adaptée à la survie des fœtus jumeaux. Les avortements résultent du type de placentation chez les équidés : le placenta est épithélio-chorial diffus et doit adhérer étroitement à l’endomètre sur sa surface totale pour le bon développement d’un unique fœtus. Dans le cas de jumeaux, cette surface d’échanges entre le placenta et l’utérus est divisée par deux. Chaque fœtus souffre alors, à un degré variable, d’une insuffisance d’échanges nutritionnels et gazeux [8]. La gémellité est donc une cause majeure d’avortement dans l’espèce équine. Soixante-cinq pourcent de ces gestations diagnostiquées à 40 jours aboutissent à un avortement entre 8 et 10 mois de gestation, 14 % se concluent par la naissance de jumeaux et 21 % par l’obtention d’un poulain vivant. Cependant, depuis une dizaine d’années, le taux d’avortements pour cause de gestation gémellaire a nettement baissé (entre 3 et 7 % selon les études), grâce à leur détection échographique et à leur gestion plus précoce par le vétérinaire (photo 4) [1, 6, 8, 16].
Lorsque le placenta ne parvient pas à se développer normalement dans les cornes utérines, le fœtus va se placer essentiellement dans le corps utérin. Cette anomalie est rare dans l’espèce équine, mais entraîne un avortement par insuffisance placentaire qui se produit tardivement, après 8 mois de gestation [6, 8, 16].
Elles résultent d’un déplacement vers la droite ou vers la gauche des ligaments larges de l’utérus entre 5 mois de gestation et le terme. Non traitées, elles peuvent conduire à la rupture de l’utérus et à l’altération du flux sanguin vers le placenta à l’origine d’une hypoxie fœtale. Elles doivent être gérées en urgence pour prévenir la mort du fœtus, l’avortement et la mort de la mère [6, 16].
Comme pour la plupart des espèces de mammifères, plusieurs malformations congénitales du fœtus équin peuvent être responsables d’un avortement entre 3 mois de gestation et le terme. La fréquence de ces anomalies est assez variable selon les auteurs : entre 1,9 et 10 % des avortements. Certaines malformations congénitales ne sont pas létales pour le fœtus (fente palatine, par exemple). D’autres peuvent être incompatibles avec la vie fœtale, mais surtout avec la survie du poulain à la naissance. Il s’agit en particulier de l’hydrocéphalie, des cas de lésions multiples du squelette et du crâne, ou encore de l’agénésie de viscères abdominaux ou thoraciques (poumons) ou du diaphragme [6, 8, 15, 16]. L’arthrogrypose est, parmi les malformations, celle qui génère le plus de pertes car elle est à l’origine de dystocies parfois sévères, donc de mort au poulinage. En revanche, l’arthrogrypose n’est pas une cause d’avortement (photos 5a et 5b) [8].
Les avortements dus à la présence d’anomalies chromosomiques sont principalement explorés dans l’espèce humaine (36 % des avortements sont imputables à cette cause). Chez l’homme, ces anomalies peuvent avoir plusieurs causes : virus, médicaments, exposition aux radiations, maladies auto-immunes, etc. Chez la jument, leur origine est très peu documentée. Des études menées en 1982 et en 2008 sur plusieurs avortons ont montré que certains caryotypes fœtaux pouvaient prédisposer à un avortement, mais le nombre restreint de cas ne permet pas de généraliser ces résultats. Les anomalies chromosomiques peuvent être responsables d’un avortement, mais, dans la plupart des cas, elles entraînent plutôt une résorption embryonnaire (avant 40 jours de gestation) [5, 6, 16].
Dans l’espèce équine, il existe un fort polymorphisme des gènes codant pour les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), sauf dans quelques races qui ont été très sélectionnées (pur-sang, par exemple). Des dysfonctionnements des mécanismes de régulation du CMH sont très certainement responsables d’avortement, mais aucune preuve n’a été apportée pour confirmer cette hypothèse [6, 16].
Le taux d’avortements des juments yearlings est plus élevé que celui des juments adultes, respectivement 75 % et 5 à 15 %. Cette incidence élevée chez les jeunes juments peut s’expliquer par l’immaturité de leur utérus et les besoins nutritionnels importants pour terminer leur croissance. La fréquence des avortements augmente également avec l’âge des reproductrices. Au-delà de 18 ans, l’incidence des avortements est de 28,6 % (contre 11 % pour les juments âgées de 7 à 10 ans). La race est un autre facteur important dans la survenue des avortements : les juments pur-sang ont deux fois plus de risques d’avorter que les juments trotteurs français [7, 12, 16].
Récemment, l’association d’un certain polymorphisme dans le gène codant pour la protéine p53 et de la prédisposition aux avortements de la jument pur-sang a été mise en évidence. Cette protéine est une cytokine cruciale pour l’implantation du blastocyste. Le suivi de la reproduction d’un haras de pur-sang a montré une corrélation entre la survenue d’avortements et l’allèle du codon 72 de l’exon 4 du gène codant pour p53. L’allèle hétérozygote Arg/Pro augmente la probabilité de l’avortement, alors que l’homozygote Pro/Pro la diminue. Que l’allèle soit homo- ou hétérozygote, Arg est présent chez 96,2 % des juments qui avortent [12, 16].
Plusieurs situations engendrent un stress maternel et peuvent être suivies d’un avortement : un transport prolongé, des épisodes de coliques aiguës, l’anesthésie générale et certaines maladies systémiques, comme la piroplasmose, la grippe, l’endotoxémie ou l’obstruction récurrente des voies respiratoires. L’avortement peut être consécutif à la lutéolyse induite par le relargage de prostaglandine F2 lors de ces affections [14, 16]. L’hyperthermie peut être également incriminée. Pour tenter de prévenir l’avortement, il convient de diagnostiquer et de traiter le plus rapidement possible la maladie en question.
Lors de coliques médicales ou chirurgicales, la gestation peut être affectée par une endotoxémie et une hypoxie (taux d’avortements rapporté entre 16,4 et 18 %). Lors d’anesthésie générale, en décubitus dorsal, l’utérus gravide comprime les vaisseaux abdominaux, ce qui peut conduire à une diminution de la perfusion placentaire, à une hypoxie fœtale et à un avortement [3].
Les avortements par intoxication alimentaire ont lieu principalement à la suite de l’ingestion de plantes toxiques durant le dernier trimestre de la gestation. Plusieurs espèces de plantes sont connues pour être tératogènes et/ou abortives chez la jument : astragale, ciguë tachetée, lupin, tabac cultivé, faux hellébore, fétuque (tableau) [2, 11].
L’intoxication à la fétuque est associée à la présence de champignons endophytes (mycotoxines), tel l’Acremonium coenophialum. L’avortement n’est pas le seul signe clinique rencontré lors de cette intoxication. Celle-ci peut aussi entraîner une augmentation de la durée de gestation, une agalactie, des lésions au niveau du placenta (épaisseur plus importante, séparation prématurée) et une immaturité du poulain [6, 8, 10, 16].
Chez les vaches adultes, lors de carence en iode induisant un état d’hypothyroïdie, des avortements, une mortalité embryonnaire ou des veaux mort-nés peuvent être observés. La carence en sélénium se manifeste notamment par des kystes ovariens, des rétentions placentaires, des métrites et, dans certains cas, par des avortements ou des mises bas prématurées [4]. Peu d’études existent à ce sujet chez la jument.
L’influence du climat n’a jamais été réellement prouvée, mais elle a été souvent constatée. En effet, par temps froid et humide, l’incidence des avortements augmente. L’hypothèse avancée est la suivante : les juments boiraient de l’eau froide, ce qui entraînerait un abaissement de la température abdominale, donc une diminution de la température au niveau de l’utérus. Le nerf hypogastrique irrité pourrait alors déclencher par voie réflexe une vasoconstriction de celui-ci, provoquant une hypoxie du fœtus. Cela entraînerait une souffrance fœtale et, dans certains cas, la mort du fœtus [6, 16].
Certains médicaments, lors d’utilisation inappropriée (dose trop importante, erreur de molécules, etc.), peuvent entraîner des avortements chez la jument, comme les anthelminthiques organophosphorés ou tétrachlorures, les prostaglandines, les corticoïdes à haute dose en fin de gestation [6, 13]. Les effets secondaires des médicaments chez la jument gravide doivent être bien connus avant administration, même si peu de molécules induisent l’avortement chez la jument(1) [6].
Assez récemment, l’ingestion de chenilles processionnaires (Ochrogaster lunifer) a été identifiée comme une cause d’avortement chez la jument. De nombreux cas ont été rapportés aux États-Unis. Une administration expérimentale de broyats de chenilles par sondage nasogastrique à des juments gestantes a montré la présence de fragments de soies de chenilles fichés dans la paroi du tube digestif, mais également dans l’utérus et les enveloppes fœtales. L’avortement serait consécutif à l’inflammation des enveloppes et de l’endomètre, résultant, d’une part, de l’action mécanique des soies et, d’autre part, des bactéries apportées à la suite de leur migration à partir du tube digestif [8, 17, 18].
Le diagnostic étiologique d’un avortement est primordial chez la jument, notamment en raison des risques de maladie infectieuse contagieuse. De ce fait, depuis des décennies, la priorité des travaux de recherche est donnée aux causes infectieuses, surtout contagieuses, et les techniques de diagnostic de celles-ci sont bien définies et relativement fiables. En revanche, les connaissances sur les facteurs de risque des différentes causes non infectieuses d’avortement et sur leurs moyens de prévention (voire curatifs) sont moins nombreuses. L’examen macroscopique du fœtus et des annexes fœtales associé à des analyses histologiques est fortement recommandé pour augmenter les chances d’établir également un diagnostic lors d’avortement non infectieux et améliorer nos connaissances dans ce domaine.
(1) Voir l’article “Gestion des affections concomitantes à la gestation chez la jument : les molécules qui peuvent ou ne peuvent pas être administrées” de C. Scicluna et coll., dans ce numéro.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : VÉTÉRINAIRE TECHNIQUE ÉQUIN, LABORATOIRE BOEHRINGER INGELHEIM
• Les causes non infectieuses sont dominantes dans la plupart des études et engendrent jusqu’à 70 % des avortements d’origine déterminée.
• Les anomalies du cordon ombilical et les hypoplasies des villosités choriales représentent les cas les plus fréquents.
• Le taux d’avortements pour cause de gestation gémellaire a nettement baissé grâce à la détection échographique.