Chirurgie
Auteur(s) : Guillaume Covillault
Fonctions : Clinique vétérinaire
du Val-de-Besbre
Route de Moulins
03290 Dompierre-sur-Besbre
Face à une dystocie et en l’absence d’une clinique à proximité, la réalisation d’une césarienne debout est à envisager. L’étanchéité de la suture utérine et la rapidité d’exécution sont les points clés de l’intervention.
Bien que les complications de mise bas chez la jument soient peu fréquentes, il existe cependant quelques situations (dystocie, torsion, pars languissant) où la césarienne est la solution de choix. Si une intervention par la ligne blanche proposée en clinique sous anesthésie générale est la technique de référence, la césarienne pratiquée par la voie d’abord latérale sur jument debout ne doit pas être considérée comme une procédure “exotique”, mais plutôt comme une seconde méthode [2].
Lors de poulinage compliqué, le facteur temps est primordial pour la survie du poulain. Son taux de survie chute considérablement si la dystocie évolue depuis plus de 40 minutes, prédisposant à une séparation placentaire précoce et à l’hypoxie fœtale. Les poulains devraient être libérés dans les 90 minutes qui suivent la rupture de la membrane allantoïdienne pour naître vivants [6]. Alors que faire lorsqu’une jument présente une dystocie et que la clinique la plus proche se trouve à plus de 2 heures de route ? Et qu’en est-il si la jument ne veut pas monter dans le van ou qu’elle n’est pas en condition d’être transportée, ou encore qu’aucun moyen de transport n’est disponible ? Enfin, tous les propriétaires sont-ils prêts à assumer le coût d’une chirurgie en clinique ? Face à toutes ces considérations, la césarienne debout (réalisée depuis de nombreuses années chez les vaches) devrait être considérée comme une technique à part entière et proposée au client le cas échéant.
La dystocie lors de mise bas chez la jument est une vraie urgence. Les puissantes contractions utérines et abdominales impliquées dans l’expulsion du fœtus réduisent la perfusion de l’utérus et provoquent rapidement la séparation du placenta, augmentant alors l’hypoxie fœtale et diminuant les chances de survie du poulain. La nature violente du deuxième stade de la mise bas, qui débute par la perte des eaux, peut aussi provoquer des dommages de l’appareil reproducteur parfois fatals à la jument [4].
L’examen clinique de la jument ainsi que l’évaluation de la viabilité, de la taille et de la position du poulain doivent donc être rapides, mais néanmoins complets et suivis d’une prise de décision précise sur la marche à suivre(1).
La contention pour une césarienne debout est essentiellement chimique. Des entraves peuvent éventuellement être posées. L’intervention peut être réalisée dans une barre, si à disposition. Celle-ci doit être réglable pour libérer le flanc de la jument.
Une voie veineuse est mise en place par la pose d’un cathéter. La sédation est réalisée avec une association d’α2-agoniste (détomidine à la dose de 1 à 2 mg/100 kg) et de butorphanol (à 2,5 mg/100 kg). La dose doit être adaptée selon la race de la jument (trait versus pur-sang, par exemple), l’état de fatigue de celle-ci et la durée de l’intervention chirurgicale. La tranquillisation peut être renouvelée à l’aide d’un bolus de demi-dose d’α2-agoniste à la demande ou en perfusion (à 0,1 mg/kg/min). Dans notre expérience, aucune des 3 juments opérées n’a requis de dose supplémentaire.
Le praticien doit être équipé du matériel nécessaire pour réaliser les procédures d’asepsie préalables et l’intervention chirurgicale (encadré et photo 1).
L’intervention chirurgicale se déroule préférentiellement du côté droit. En effet, la présence du cæcum et de l’utérus gravide permet de contenir l’intestin grêle (figure 1).
Une fois la jument sédatée, la queue est protégée par un gant de fouille et attachée du côté opposé au site chirurgical. Le flanc droit est tondu et une procédure d’antisepsie du site chirurgical est réalisée à l’aide d’un savon à base de chlorhexidine à 2 %. Si possible, des champs sont mis en place (photos 2a et 2b). Une anesthésie locale traçante est pratiquée à l’aide de 60 ml de lidocaïne 2 % (Lurocaïne®, Laocaïne®) et d’une aiguille 18 G. L’aiguille est enfoncée sur presque toute sa longueur dans la première partie, puis à moitié dans la partie inférieure, le muscle oblique interne n’étant représenté dans sa portion ventrale que par le fascia.
Une incision cutanée d’environ 50 cm, verticale ou oblique en suivant l’arc costal, est pratiquée (figure 2 et photo 3). Les muscles obliques externe et interne sont sectionnés, dans une direction perpendiculaire aux fibres musculaires pour le muscle oblique externe. En ce qui concerne le muscle oblique interne, l’incision se situe en regard de la jonction des fibres musculaires et du fascia (figure 3). La section perpendiculaire du muscle oblique externe crée parfois des complications pour la solidité de la suture ultérieure. Elle peut être remplacée par une dilacération des muscles dans le sens des fibres, mais cela contraint à effectuer plusieurs plans de clivage qui créent des espaces morts et nécessitent la pose de drains.
Le muscle transverse est ensuite sectionné. Le péritoine est saisi à l’aide d’une pince à dents de souris et est ouvert avec des ciseaux.
Lors de l’ouverture de la paroi abdominale, le risque d’une section de l’artère circonflexe existe. Dans ce cas, le vaisseau est ligaturé.
Une fois l’ouverture réalisée, le cæcum est contourné caudalement et l’utérus palpé (photo 4). La grande courbure de cet organe est repérée, ainsi que la position du poulain grâce à la reconnaissance des reliefs osseux (la base de la queue, les jarrets, les onglons lors d’une présentation antérieure ou le crâne lors d’une présentation postérieure). Si le poulain est en présentation antérieure, l’utérus est ponctionné, à l’aide d’un ouvre-lettre, de la base de la queue aux jarrets du poulain. Si, en revanche, celui-ci se présente par les membres postérieurs, l’ouverture est réalisée à partir de la nuque au-devant de la tête.
Après avoir incisé l’utérus, et en prenant soin de ne pas le traumatiser, le poulain est extériorisé. En cas de présentation antérieure, il est recommandé de fléchir délicatement la partie distale des membres postérieurs, du tarse au sabot, pour ne pas déchirer la paroi utérine. Le poulain est saisi par les membres postérieurs lors d’une présentation antérieure ou par les membres antérieurs dans le cas contraire. Pour cette manœuvre, l’aide d’une seconde personne est nécessaire (photo 5).
Le placenta est laissé en place et l’utérus est suturé à l’aide de deux surjets : un surjet de Schmieden et un surjet de Lembert(1) (figure 4 et photo 6). Le premier est un surjet d’enfouissement hémostatique perforant : pour sa réalisation, l’aiguille traverse dans un premier temps la muqueuse, en piquant toujours de l’intérieur vers l’extérieur, et prend ainsi l’ensemble de la paroi. Le surjet de Lembert est une suture d’enfouissement classique : l’aiguille pique à 1 cm environ du bord de la plaie, traverse les couches séreuse, musculaire et sous-muqueuse, sans atteindre la muqueuse, et ressort au bord de la plaie pour repiquer ensuite du côté opposé en direction inverse [5]. L’exécution des sutures est facilitée par la souplesse de l’utérus de la jument, qui ressemble plus à celle de la brebis qu’à celle de la vache.
Une fois recousu, l’utérus est rincé avec une solution antiseptique à base de chlorhexidine à 0,1 % avant de le remettre en place dans l’abdomen.
Les liquides allantoïdiens résiduels sont ensuite extraits le plus possible de la cavité abdominale, à la main.
La paroi abdominale est suturée par un premier surjet comprenant le péritoine et le muscle transverse. Un deuxième surjet comprend ensuite les deux muscles obliques (photo 7). La section perpendiculaire aux fibres, ainsi que le peu d’élasticité musculaire due à l’espace réduit entre le tuber coxae de l’ilium et l’arc costal favorisent la dilacération des muscles obliques pouvant conduire à une déhiscence de la plaie. Pour prévenir cette complication, la suture est renforcée par de larges points d’appui en U.
La peau est suturée à l’aide d’un surjet à points passés (photo 8). Un pansement est réalisé autour de l’abdomen afin de protéger la plaie chirurgicale (photo 9).
Le pansement est laissé en place pendant 1 semaine environ. Il est remplacé si besoin (décollement et/ou souillure du pansement, suintement anormal).
Le traitement médical comprend l’administration d’un antibiotique à base de pénicilline (procaïne pénicilline à la dose de 22 000 UI/kg par voie intramusculaire), deux fois par jour pendant 5 jours, et d’un anti-inflammatoire (flunixine méglumine à 1,1 mg/kg), une fois par jour pendant 3 jours, puis selon l’évolution du cas.
Le traitement antibiotique est indispensable, mais à ajuster de façon raisonnée : l’emploi de la gentamicine, en plus de la pénicilline, est recommandé selon les conditions dans lesquelles la césarienne a été réalisée.
Les complications qui suivent la césarienne sont multiples, dont la plus fréquente est la rétention placentaire. L’hémorragie utérine, le choc, la fourbure et d’autres complications inhérentes à toutes les interventions chirurgicales sont aussi possibles [5].
Lors de non-délivrance, le traitement est le même que pour toute rétention placentaire(2). En cas de déhiscence de plaie, les points de suture qui ont lâché sont retirés, un nettoyage rigoureux est réalisé et des pansements imbibés d’une solution cicatrisante permettent une cicatrisation par seconde intention (photo 10). Dans les premières phases, nous utilisons du Dermaflon® pour favoriser une détersion de la plaie, puis du Vulketan® afin de stimuler la cicatrisation et de prévenir la formation d’un tissu d’hypergranulation.
L’avenir reproducteur de la jument dépend de la justesse et de la rapidité de la prise de décision devant la dystocie, selon les modalités de réduction de celle-ci, de la réalisation éventuelle d’une embryotomie simple (moins de trois coupes) ou d’une césarienne (photos 11a et 11b). Le pronostic reproducteur favorable est variable, de 35 à 89 % [5]. Plus les manœuvres obstétricales ont duré longtemps, plus le pronostic pour la fécondité de la jument baisse [4]. Pour l’avenir reproducteur de la jument, une césarienne est à préférer à une embryotomie longue et délabrante [3].
Le faible nombre de juments dans certaines régions ainsi que la fréquence peu élevée des dystocies dans l’espèce rendent la césarienne rare ou peu fréquente chez la jument. Lorsqu’un praticien est aguerri à la réalisation de cette pratique sur bovin debout, le passage à la césarienne sur la jument n’est pas compliqué. Mais, pour autant, il ne s’agit pas d’une procédure anodine. Le succès de cet acte chirurgical dépend de deux éléments clés :
– le temps d’intervention : plus le temps opératoire est court, plus le risque de péritonite par contamination d’ambiance est faible ;
– la nécessité d’une suture utérine étanche.
Concernant, notamment, les règles d’asepsie, toutes les mesures de stérilité prises au bloc chirurgical ne peuvent être rigoureusement appliquées. Il est toutefois possible de travailler proprement et d’obtenir de bons résultats si la jument est en bonne santé et que le poulain est vivant ou mort depuis peu.
Plusieurs auteurs favorisent l’extériorisation de l’utérus en le rapprochant le plus possible de la plaie afin de prévenir, une fois la paroi utérine ouverte, une contamination de l’abdomen par des liquides fœtaux éventuellement infectés [5]. Nous préférons laisser l’utérus en place et réaliser l’incision dans l’abdomen : le repérage de la grande courbure et de la position du poulain est alors plus facile, et permet d’identifier plus aisément le site de ponction. De plus, selon notre expérience chez la vache, toute manipulation de l’utérus entraîne des contractions plus ou moins importantes, alors qu’il convient d’intervenir sur un organe plutôt souple.
Lors de sa fermeture, le facteur “temps” est encore une fois privilégié. Les bords du placenta ne sont pas séparés des marges de la plaie et le premier surjet est pris assez finement pour éviter le plus possible de les inclure dans la suture. Sur les cinq césariennes que nous avons pratiquées chez des juments (2 couchées et 3 debout), une seule rétention placentaire a été observée : celle-ci étant totale, c’est-à-dire sans désengrènement complet, elle ne devait pas être en lien avec la suture.
La suture de la paroi utérine doit remplir deux conditions : en premier lieu, prévenir une hémorragie par un surjet hémostatique et, en second lieu, assurer l’étanchéité de l’utérus avec un surjet enfouissant qui réduit ainsi les risques d’adhérences postopératoires et de péritonite. L’étanchéité est primordiale, surtout en cas de non-délivrance où des lavages utérins sont nécessaires. Notre choix, fondé sur une bonne maîtrise de la technique chez les bovins, et dont l’efficacité semble confirmée chez la jument, se porte sur les surjets de Schmieden et de Lembert [5].
Nous ne pratiquons pas de rinçage abdominal car, a priori, les liquides utérins sont peu contaminés si les manipulations obstétricales réalisées lors de la gestion de la dystocie ont suivi les règles courantes d’asepsie. Le cas échéant, comme lors de mort fœtale avec une contamination septique suspectée, le risque de péritonite serait trop important, même avec un rinçage. La réalisation d’une césarienne couchée est alors recommandée pour pouvoir extérioriser l’utérus et prévenir ainsi une contamination de la cavité abdominale par les liquides fœtaux.
Un sérome peut se développer lorsque les muscles obliques sont dilacérés dans le sens de leurs fibres. La pose d’un drain est alors nécessaire pour éviter la formation de cette collection.
En revanche, la section perpendiculaire des muscles obliques, associée à l’étroitesse du site chirurgical et à un manque de “matière” du muscle transverse comparativement à la vache, favorise une déhiscence de la plaie, comme dans les deux cas où la suture du muscle oblique externe en a été responsable. En effet, les fibres de ce muscle étant perpendiculaires à l’incision et le faible espace entraînant un manque d’élasticité, un surjet simple ne tient pas. Le rajout de larges points d’appui en U a prévenu cette complication lors de notre dernière césarienne.
Une déhiscence de la plaie pourrait aussi être due au développement d’une infection, en raison des conditions aseptiques modérées.
L’avenir reproducteur de la jument dépend surtout des dégâts occasionnés dans la sphère génitale : délabrement du vestibule, de la vulve et du col pouvant laisser des séquelles responsables d’une infertilité. Nous n’avons pas remarqué d’influence particulière de la voie d’abord chirurgicale, mais un nombre de cas plus important serait nécessaire pour une évaluation objective.
Les 3 juments qui ont subi une césarienne debout ont eu un suivi gynécologique à long terme différent : la première n’a pas été remise à la reproduction ; la deuxième n’a pas mis bas l’année suivant l’intervention chirurgicale, mais a produit deux poulains les 2 années suivantes ; la troisième a été diagnostiquée pleine à 20 jours l’année de la césarienne, mais a avorté et elle a donné naissance à un poulain l’année d’après (photo 12).
Cette intervention n’est techniquement pas difficile à réaliser si la jument est manipulable, si deux ou trois aides sont à disposition et que les conditions environnementales sont favorables.
Néanmoins, des complications sont possibles : la rétention placentaire est la plus fréquente, mais elle est gérable dans la majorité des cas, et la péritonite est la plus à craindre, même si elle est relativement rare.
Dans les régions à forte concentration d’équidés, il est généralement facile de référer la jument dans une structure proche pour la réalisation d’une césarienne. Mais, lorsqu’une longue distance est à parcourir, l’animal n’est parfois pas en capacité de la supporter et le temps de transport risque de mettre la vie du poulain en jeu. La décision d’une césarienne debout sur place devrait alors s’imposer, d’autant plus si elle peut être réalisée par des praticiens qui maîtrisent cette procédure chez les bovins. Une étude comparative des deux techniques, couchée et debout, serait intéressante en visant la viabilité du poulain, les complications postchirurgicales, l’avenir reproducteur de la jument, etc.
Le consentement éclairé du propriétaire doit toujours être recueilli. Ainsi, c’est lui qui, en connaissance de cause, choisit la solution qui lui convient le mieux, pour lui, la jument et le poulain.
(1) Voir l’article “La césarienne sous anesthésie générale chez la jument” de C. Mespoulhès-Rivière, dans ce numéro.
(2) Voir l’article “Gestion d’une rétention placentaire chez la jument” de L. Mangold, dans ce numéro.
(1) Génia, https://genia.fr/produit/protect/
AUCUN
• Même si face à une dystocie la technique de référence reste la césarienne couchée en bloc chirurgical, l’opération debout peut trouver sa place dans de nombreuses situations.
• L’étanchéité de la suture utérine est primordiale, surtout lorsque des lavages utérins sont nécessaires pour traiter une non-délivrance.
• La complication la plus fréquente est la rétention placentaire.
• L’avenir reproducteur de la jument après une césarienne dépend principalement de la durée des manœuvres obstétricales et des éventuels traumatismes de la sphère génitale (vulve, vagin, col). Aucune influence n’est remarquée relativement à la voie d’abord.
• Un savon à base de chlorhexidine à 2 % et une solution antiseptique (eau claire + chlorhexidine à 0,1 %).
• Une boîte de chirurgie comprenant :
– un bistouri monté d’une lame n° 22 ;
– une paire de ciseaux ;
– un ouvre-lettre ;
– une pince à césarienne ;
– deux aiguilles courbes (une aiguille de section ronde pour la suture utérine, une aiguille de section triangulaire pour la suture des muscles) ;
– une aiguille en “s” pour la suture cutanée.
• Des fils de suture : un fil monofilament résorbable décimale 5 pour l’utérus et un fil monofilament résorbable décimale 8 pour la paroi musculaire et la peau.
• Des champs, une blouse à usage unique(1) et deux paires de gants stériles (gants de fouille et par dessus gants de chirurgie).