Gestion d’une rétention placentaire chez la jument - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

Fiche – Affections du post-partum

Auteur(s) : Laurent Mangold

Fonctions : Clinique équine d’Argonay,
15, route de Pringy,
74370 Argonay

La rétention placentaire chez la jument est une pathologie fréquente et dont les conséquences peuvent être dramatiques si la gestion n’est pas rapide. C’est une urgence relative. Outre le fait que le pronostic vital de la poulinière peut être engagé, l’avenir reproducteur est aussi dépendant de la subtilité de la gestion médicale de cette affection. Une certaine méthode est nécessaire : en essayant d’être le moins invasif possible, le traitement doit être rapidement efficace et éviter les complications majeures : le complexe métrite-fourbure-endotoxémie [1].

Définition et éléments de physiopathologie

La rétention placentaire est la non-expulsion de toutes les enveloppes placentaires (allantochorion et membrane amniotique), ou d’une partie, après la mise bas, dans un délai de 6 à 10 heures (encadré 1 et photo 1). Certains auteurs considèrent qu’il est déjà anormal que le placenta ne soit pas expulsé dans les 3 heures. C’est une complication dont la fréquence peut atteindre 10 % dans les poulinages eutociques, 20 % dans les poulinages dystociques, 28 % dans les poulinages avec fœtotomie et 50 % lors de césarienne. Les juments ayant déjà présenté une rétention placentaire sont trois fois plus sujettes à une nouvelle rétention que celles n’ayant jamais eu d’anomalie d’expulsion placentaire. Il existe une prédisposition raciale (races de trait, jusqu’à 54 % chez la race frisonne) [7, 9].

Les causes favorisantes sont :

– un traumatisme utérin (part tumultueux, dystocie ou manipulations obstétricales) ;

– une placentite ;

– un avortement (photo 2) ;

– une césarienne ;

– un part induit ;

– un retard d’involution utérine ;

– un défaut de contraction du myomètre ;

– une hypocalcémie [8].

La corne non gravide est plus sujette à la rétention des annexes car l’imbrication placentaire est plus étroite.

Symptomatologie

La rétention placentaire est souvent partielle, assez rarement complète.

La protrusion du placenta aux marges de la vulve est observée. Parfois le placenta reste dans la cavité utérine sans apparaître aux marges vulvaires, que la rétention soit complète ou partielle.

Le placenta n’est pas retrouvé dans la litière ou, s’il a été expulsé, il est constaté incomplet. Il est indispensable de systématiser l’analyse macroscopique du placenta expulsé pour vérifier qu’aucune partie des annexes n’est restée dans l’utérus (photo 3)(1). L’extrémité de la corne non gravide est une zone à risque.

Gestion de la rétention placentaire

Favoriser voire aider à l’expulsion des membranes fœto-placentaires

Dans le traitement d’une rétention placentaire, le praticien doit être le moins invasif possible pour minimiser les risques de subfertilité (figure). En effet, ces risques sont d’autant plus augmentés par l’utilisation d’une ou de plusieurs méthodes invasives lors d’échec à la gestion médicamenteuse.

Utilisation de l’ocytocine (thérapeutique qui, seule, peut suffire jusqu’à 6 heures post-partum)

La mise en place d’un traitement à l’ocytocine est la pierre angulaire de la gestion de la rétention placentaire. Dans la majeure partie des cas, il suffit à déclencher l’expulsion des annexes “rebelles”.

Plusieurs protocoles pour l’administration d’ocytocine sont disponibles (encadré 2).

L’effet de la gravité

La réalisation de nœuds multiples (pour faciliter leur tenue) avec les annexes faisant protrusion et/ou la mise en place d’un poids sur ces annexes améliorent l’effet de la gravité et aident à la délivrance (photo 4). Remonter le niveau du placenta qui pend au-dessus de la pointe des jarrets de la jument permet de ménager l’effet de traction naturelle douce imprimé par le balan, tout en évitant que la jument déchire le placenta ou invagine une corne utérine en marchant dessus. Certaines juments peuvent également avoir peur de leur placenta qui « traîne » derrière elles.

Gestion du statut en calcium

Il est nécessaire de s’interroger sur le statut en calcium si la délivrance n’intervient pas rapidement, malgré le traitement ocytocique. En cas d’anormalité de celui-ci, du calcium gluconate à 23 % est utilisé : 100 à 150 ml dans 3 à 5 litres de Ringer lactate en perfusion lente. La dose doit être adaptée en fonction de la calcémie [4].

Extractions manuelles

Les extractions manuelles peuvent être mises en place en cas d’échec des autres thérapeutiques. Elles sont le recours ultime et doivent être évitées autant que possible.

De manière concomitante, un nouveau traitement ocytocique (en ménageant un décalage de 5 à 10 minutes entre l’administration d’ocytocine et l’intervention manuelle) est mis en place pour aider à l’expulsion et au désengrènement.

En préambule à toute manipulation, il est nécessaire d’assurer une contention de la jument afin de permettre l’intervention du praticien dans des conditions de sécurité optimale (travail ou barre de contention, sédation, tord-nez, prise d’un pied, etc.). Il est important de bander la queue (attention, certaines juments ont peur du bandage ou du gant que le praticien peut placer sur le couard), de nettoyer l’aire ano-génitale avec un savon antiseptique et d’utiliser des gants stériles.

Dans un premier temps, la procédure est réalisée sans introduire les mains ou les bras dans la filière pelvienne en plusieurs étapes.

1. Traction externe simple : elle doit toujours se faire délicatement. Toute déchirure du placenta doit être évitée et il est recommandé de ne pas tirer de manière agressive pour éviter toute invagination d’une corne utérine.

2. Torsion du placenta : il convient de réaliser une tresse ou une torsade avec les éléments de placenta faisant protrusion à la vulve. La torsade, en progressant, aura pour effet de provoquer un décollement progressif de l’allantochorion. Si les tissus sont trop glissants, il est possible d’introduire un manche perpendiculairement à la torsade pour aider le mouvement de “twist”.

3. Distension liquidienne des enveloppes fœtales [10]. Si l’allantochorion est intact, un lavage utérin peut être réalisé en remplissant l’espace entre l’allantochorion et la membrane amniotique. Une solution saline stérile tiédie (38 à 42 °C au maximum), qui peut être additionnée de povidone iodée pour obtenir une solution à 0,1 voire 1 %, selon les auteurs, est utilisée.

Si le décollement du placenta n’est toujours pas obtenu, l’introduction des mains et des bras dans la filière est possible en dernier recours :

– création d’un anneau avec pouce et index de la main droite (progression rétrograde) et traction/tension simultanée exercée par la main gauche, ou inversement, selon la dextérité de l’opérateur. Un anneau de rideau en plastique peut remplacer le pouce et l’index ;

– décollement de l’allantochorion par un massage/détachement précautionneux à la main, qui s’immisce entre l’endomètre et l’allantochorion (photo 5).

Gérer le risque infectieux

Lavage utérin

L’effet du lavage utérin est double. Il permet l’expulsion des lochies restantes si les différents traitements non invasifs ont été un échec, mais également l’élimination de débris nécrotiques, qui sont des “bombes bactériologiques”, et des éléments promoteurs de toxines [6]. L’adjonction d’un antiseptique du type povidone iodée diluée (à 0,1 à 1 %, selon les auteurs) permet un effet anti-infectieux et de sursoir à l’utilisation des antibiotiques par voie locale.

Les lavages peuvent être répétés de manière quotidienne ou biquotidienne, en fonction du risque de retard d’involution utérine ou de métrites puerpérales. L’examen régulier des écoulements vulvaires et le suivi échographique par voie transrectale de l’involution et de la vidange utérine permettent de décider de la fréquence des lavages et de la durée du traitement. Blanchard et coll. s’appuient sur un suivi de la numération leucocytaire et du fibrinogène pour compléter l’examen de la jument et adapter leur stratégie thérapeutique [1].

Anti-infectieux : par voie locale ou générale ?

Certains auteurs préconisent l’utilisation d’antibiotiques par voie locale. Cette pratique ne semble pas indispensable et nous pensons qu’elle doit être uniquement réservée à des cas particuliers et exceptionnels [1, 2]. D’après notre expérience, le lavage utérin est le gold standard.

L’administration éventuelle d’antibiotiques par voie générale doit être analysée. Une expulsion des annexes intervenant plus de 8 heures post-partum, surtout lors de poulinage dystocique ou de césarienne, la présence d’une forte suspicion de métrite puerpérale débutante, de lésions majeures de la muqueuse utérine ou de facteurs de risque d’endotoxémie motivent la réflexion sur l’opportunité et l’intérêt de la mise en place d’une thérapeutique par voie générale, pour contrôler le risque infectieux [6]. En effet, le post-partum immédiat se caractérise par une inflammation et une perméabilité de l’endomètre utérin augmentées. Le risque de diffusion septicémique et de choc toxique est grand [3]. Le choix des antibiotiques se porte de préférence sur les associations pénicilline-gentamicine et triméthoprime-sulfonamide [7]. Certains auteurs préconisent du métronidazole si une suspicion d’atteinte infectieuse par des bactéries anaérobies est émise [4]. Son utilisation doit rester exceptionnelle et ne peut se faire que sur des animaux exclus de la filière bouchère et avec une analyse fine de l’intérêt de son utilisation.

Prévenir le risque de fourbure et le risque endotoxinique

Une surveillance clinique régulière est indispensable pour détecter rapidement tout signe de fourbure (évaluation du pouls digité, de la démarche et du confort général, de la température des sabots, de la température rectale).

Ce risque est important pour toute jument présentant une rétention placentaire, même temporaire. L’administration de flunixine-méglumine (1 mg/kg une à deux fois par jour par voie intraveineuse ou orale) est conseillée pendant les quelques jours suivant la rétention placentaire chez la jument à risque.

Une évaluation régulière de l’involution et de la vidange utérine par palpation et échographie de l’utérus par voie transrectale est fortement conseillée pour toute jument ayant présenté une rétention placentaire. Le suivi d’une éventuelle leucopénie peut permettre celui encore plus précis du statut infectieux de l’utérus lors de suspicion de métrite post-partum [1].

  • (1) Voir article “Évaluation du placenta après poulinage” de C. Degien, dans ce numéro.

  • 1. Blanchard TL, Macpherson ML. Post parturient abnormalities. In: Samper JS, Pycock JP, McKinnon AO, editors. Current therapy in equine reproduction. St Louis, MO, Elsevier. 2007:465-475.
  • 2. Blanchard TL, Martin MT, Varner DD et coll. Management of dystocia in mares: retained placenta, metritis, and laminitis. Comp. Cont. Educ. Pract. Vet. 1990;12,563-568.
  • 3. Bruyas JF, Puyt JD, Hermange T et coll. Thérapeutique anti-infectieuse raisonnée des métrites et endométrites de la jument. Prat. Vét. Équine 2013;177 (45):7-16.
  • 4. Leblanc M. Reproductive emergencies, session III - Proceedings of the AAEP annual resort symposium, Cabo San Lucas, Mexico 2007. http://www.ivis.org/proceedings/aaepresort/2007/leblanc3.pdf
  • 5. Leclair G. Le poulinage dystocique et ses conséquences chez la jument. Thèse de doctorat vétérinaire, ENV d’Alfort. 2001:123p.
  • 6. McGladdery A. Retained fetal membranes - Proceedings of the annual meeting of the Italian association of equine veterinarians, Montesilvano, Italy. 2011:110-112.
  • 7. Samper JC, Plough TA. How to deal with dystocia and retained placenta in the field. Proceedings of the AAEP annual convention 2012;58:359-361.
  • 8. Sevinga M, Barkema HW, Hesselink JW. Serum calcium and magnesium concentrations and the use of a calcium-magnesium borogluconate solution in the treatment of friesian mares with retained placenta. Theriogenology. 2002;57 (2):941-947.
  • 9. Sevinga M, Hesselink JW, Barkema HW. Reproductive performance of friesian mares after retained placenta and manual removal of the placenta. Theriogenology. 2002;57 (2):923-930.
  • 10. Stout T. Post-partum problem in the mare - Proceedings of the annual meeting of the Italian association of equine veterinarians, Montesilvano, Italy. 2011:227-220.
  • 11. Threlfall WR. Retained placenta. In: McKinnon AO, Voss JL. Equine reproduction. Lea and Fibiger, Malvern, PA. 1993;72:614-621.

CONFLIT D’INTÉRÊTS

AUCUN

ENCADRÉ 1 : L’EXPULSION PLACENTAIRE

L’expulsion placentaire résulte de la conjonction :

– d’une diminution de taille des villosités chorioniques à la suite de la perte de sang placentaire via le cordon avant sa rupture, puis de l’absence d’irrigation sanguine placentaire après rupture du cordon ombilical et collapsus vasculaire placentaire consécutif ;

– d’une contraction myométrale sous contrôle ocytocique provoquant une diminution du volume utérin ;

– d’une action mécanique du placenta, qui fait en partie protrusion à la vulve, à la suite de l’expulsion du fœtus, et qui, en se décollant progressivement, facilite par gravité le désengrènement des villosités chorioniques et des cryptes endométriales.

ENCADRÉ 2 : L’ADMINISTRATION D’OCYTOCINE

• Boli intraveineux (IV) ou intramusculaires (IM) d’ocytocine.

Ce schéma est controversé car il semblerait que des doses trop importantes d’ocytocine administrées en bolus ne provoquent qu’une contraction massive utérine, sans faire progresser de manière efficace l’expulsion du placenta. L’effet secondaire majeur est le risque de colique.

– Boli de 10 à 20 UI (120 UI selon certains auteurs) IV ou IM, répétés toutes les 1 heure 30 à 2 heures jusqu’à expulsion du placenta [5, 6]. Ce schéma peut être appliqué en prévention sur les juments à risque en débutant le protocole dans l’heure suivant le poulinage.

Une injection unique de 10 à 20 UI, 7 heures post-partum [1, 2, 11].

• Perfusion lente d’ocytocine diluée :

– 30 à 60 UI dans 1 ou 2 litres de NaCl 0,9 %, en 1 heure [5] ;

– 80 à 100 UI dans 0,5 litre de NaCl 0,9 %, en 30 minutes [5].

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