Fiche – Diagnostic
Auteur(s) : Catherine D. Renaudin*, Jean-François Bruyas**
Fonctions :
*Theriogenology Service,
University of California
Davis, Davis, Ca 95618,
États-Unis
**Oniris-Nantes, Atlanpole,
La Chantrerie,
route de Gachet,
44307 Nantes Cedex 3
L’épaisseur combinée de l’utérus et du placenta (ECUP) est une mesure prise par examen échographique, soit par voie transrectale (TR), soit par voie transabdominale (TA) [5, 6]. De réalisation rapide et non invasive, elle est actuellement la méthode de choix utilisée en routine pour l’identification des placentites ascendantes localisées en avant du col utérin (voie TR) ou des placentites diffuses ou multifocales au niveau du corps de l’utérus et de la bifurcation des cornes (voie TA) [7, 8]. Cette fiche décrit en détail la méthode pour effectuer l’examen échographique de l’utérus et du placenta permettant de mesurer l’ECUP par les deux approches (TR et TA), obtenir les images et les valeurs physiologiques de l’ECUP à partir de 4 mois de gestation jusqu’au terme, donner l’interprétation des images et des valeurs non physiologiques ainsi que la conduite à tenir face à un diagnostic de placentite.
Le matériel nécessaire est celui utilisé pour l’examen échographique génital transrectal de routine : gant de palpation transrectale, gel lubrifiant, échographe équipé d’une sonde linéaire de 5 MHz.
Après avoir vidé le rectum, la sonde échographique est positionnée à la jonction placentocervicale. Il est alors possible d’observer sur l’image échographique les liquides fœtaux (allantoïdien et amniotique), la membrane amniotique, les parties ventrale et dorsale du corps de l’utérus immédiatement cranial au col utérin associées à l’allantochorion et, immédiatement en dessous de la paroi ventrale de l’utérus, un espace vasculaire correspondant à la branche médiane de l’artère utérine (photo 1) [6].
L’ECUP est mesurée à la partie ventrale du corps de l’utérus. Un premier curseur est placé à la limite placenta-liquide allantoïdien et un second à la limite utérus-espace vasculaire. L’axe défini par les deux curseurs doit être perpendiculaire à l’axe de la paroi utéro-placentaire. Trois mesures sont effectuées sur trois images différentes et la mesure moyenne est calculée pour obtenir la valeur de l’ECUP.
Pour obtenir une valeur interprétable, il est nécessaire que les limites placentaires soient bien distinctes, avec un espace vasculaire bien visible, et que le fœtus ne soit pas en contact avec le placenta. Toute compression du placenta par le fœtus engendrerait une diminution de l’ECUP, ce qui fausserait sa valeur. Si le fœtus est très reculé dans le corps utérin et qu’il est plaqué contre la paroi de l’utérus au moment de l’examen, il est recommandé d’attendre un déplacement de celui-ci en partie un peu plus craniale.
La même sonde de 5 MHz que pour la voie TR est utilisée, le placenta étant situé assez profondément dans l’abdomen, donc à proximité de la paroi abdominale.
L’obtention d’une bonne image échographique nécessite souvent la tonte de la partie ventrale de l’abdomen, des glandes mammaires à l’appendice xiphoïde, et ce latéralement jusqu’aux grassets. La partie tondue est ensuite lavée à l’eau, séchée avec une serviette, puis badigeonnée d’alcool. Si, pour des raisons esthétiques (ou de protection contre le froid), le propriétaire n’autorise pas la tonte, et si le poil n’est pas trop long, le badigeonnage d’alcool est souvent suffisant pour éliminer l’air entre l’abdomen et la sonde échographique.
La sonde linéaire, sur laquelle est appliqué du gel échographique, est posée contre l’abdomen de la jument en avant des mamelles. Elle est déplacée cranialement et latéralement jusqu’à obtenir une image montrant le placenta et les liquides fœtaux sans contact avec le placenta (photo 2) [5].
L’ECUP est mesurée en plaçant un premier curseur à la limite placenta-liquide allantoïdien et un second sur le bord externe de la paroi utérine, la mesure devant toujours être perpendiculaire à l’axe de la paroi utéro-placentaire. Plusieurs mesures dans différentes régions de l’utérus (corps et cornes utérines, bifurcation des cornes) sont réalisées, puis une valeur moyenne est retenue.
Lors de gestation physiologique, l’allantochorion et l’endomètre sont toujours confondus sur l’image échographique par voie TR ou TA, excepté après 300 jours de gestation par voie TR. Le placenta devient alors souvent œdémateux, ce qui permet de différencier les deux structures et un fin liseré hyperéchogène est visible entre les deux (photo 3).
Les valeurs physiologiques d’ECUP ont été établies chez des juments quarter horse (tableau 1) [5]. Par voie TR, cette mesure reste inchangée de 4 à 9 mois de gestation, puis augmente significativement de 1,5 à 2 mm par mois de 10 à 12 mois de gestation. L’ECUP mesurée par voie TA est souvent inférieure ou égale à celle mesurée à la jonction placento-cervicale.
Des mesures d’ECUP ont été réalisées lors de suivis physiologiques de juments d’autres races (pur-sang américain, chevaux de sport [croisement de races européennes], trotteur français) par différents auteurs. Des valeurs relativement comparables jusqu’à 9 mois de gestation ont été notées, puis des variations plus ou moins importantes après 9 mois de gestation [4]. Un effet race est envisageable. Cette hypothèse est en particulier renforcée par la répétabilité des résultats observés lors du suivi de deux groupes de juments pur-sang américain indépendantes dans le temps par Renaudin, par rapport aux valeurs d’ECUP légèrement plus élevées obtenues sur des juments de races européennes après 9 mois de gestation suivies par le même auteur [4].
Toute augmentation au-delà des limites établies par voie TR doit faire suspecter une placentite ascendante (mesure TR à la jonction placento-cervicale augmentée) ou une placentite d’origine hématogène, voire à Nocardia (mesure TA au niveau du corps de l’utérus ou de la bifurcation des cornes augmentée) [5, 7, 8]. Les placentites à Nocardia ne semblent pas exister en France. Dans une grande série d’autopsies d’avortons à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) de Dozulé (Calvados), aucune lésion caractéristique de placentite à Nocardia n’a été mise en évidence.
Les décollements de l’allantochorion de l’endomètre sont caractérisés par une discontinuité de l’unité utéro-placentaire visualisée par échographie sous la forme d’une zone plus ou moins large anéchogène ou hypoéchogène entre la paroi utérine et l’allantochorion (photos 4 et 5) [7].
Lorsqu’une jument présente des signes cliniques tels qu’un gonflement mammaire prématuré, associé ou non à une lactation prématurée, et/ou un écoulement vaginal purulent (souvent discret), voire des contractions utérines, et qu’une placentite est suspectée, les mesures d’ECUP permettent de confirmer ou d’infirmer le diagnostic. D’autres origines telles que la présence de jumeaux, la mort fœtale ou un avortement dû à d’autres causes en l’absence de placentite peuvent engendrer les mêmes signes cliniques, excepté les pertes purulentes vulvaires.
Certaines juments sont considérées à risque car prédisposées aux placentites ascendantes : ce sont celles ayant des antécédents de placentite ascendante ou simplement d’avortements inexpliqués, des conformations périnéales médiocres, ou étant atteintes de maladie respiratoire obstructive (RAO). Elles doivent être suivies de près par échographie transrectale à partir du septième mois de gestation, une fois par mois. Dès que l’ECUP augmente, avec ou sans apparition de signes cliniques, un traitement est institué afin d’éviter un avortement.
Enfin, les juments pour lesquelles un diagnostic de placentite a été établi et qui sont traitées doivent être suivies très régulièrement par échographie afin d’évaluer l’effet du traitement : une ECUP stable ou diminuant est un signe d’efficacité, une ECUP augmentée est un signe d’échec.
Le traitement classique consiste à combattre l’infection, à réduire l’inflammation (pour limiter les décharges de cytokines, notamment de prostaglandines) et à maintenir la quiescence de l’utérus, voire à arrêter les contractions utérines afin de prolonger la gestation le plus longtemps possible et d’accroître les chances de viabilité du poulain à la naissance (tableau 2) [3].
Une antibiothérapie par voie générale est instaurée rapidement pour une durée minimum de 10 à 15 jours. Dans une telle situation d’urgence où tout prélèvement est difficilement réalisable (un écouvillonnage cervical pourrait être néfaste pour le maintien de la gestation), une antibiothérapie à large spectre est justifiée. L’antibiotique de choix administré en première intention est le triméthoprime sulfadiazine (15 à 30 mg/kg, toutes les 12 heures, par voie orale [PO]), en raison de sa bonne diffusion utérine et placentaire.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme la flunixine méglumine (1 mg/kg, PO ou par voie intraveineuse [IV], une fois par jour) sont préconisés pour leurs effets antiprostaglandines. La pentoxifylline (8,5 mg/kg, PO, toutes les 12 heures) leur est souvent associée en raison de son activité anticytokine et de ses effets rhéologues, cependant aucune preuve formelle de l’efficacité supérieure de cette association par rapport à un AINS seul n’existe.
La supplémentation hormonale en progestagène avec de l’altrénogest pour inhiber les contractions utérines se fait à double dose (0,088 mg/kg, PO, une fois par jour). Certains auteurs préconisent la supplémentation en progestagène jusqu’au terme, d’autres jusqu’à 325 jours de gestation (en raison de quelques complications apparues à la suite d’une supplémentation jusqu’au terme). Les juments traitées doivent être évaluées régulièrement (une fois par semaine) afin de s’assurer que le fœtus n’est pas mort in utero.
Récemment, certains auteurs ont suggéré l’utilisation d’acide acétylsalicylique PO à la forte dose de 50 mg/kg toutes les 12 heures pendant 6 jours pour améliorer la perfusion sanguine de l’utérus [1]. Il est possible de faire inhaler de l’oxygène (5 l/minute) à la jument pour accroître l’oxygénation du fœtus si celui-ci montre des signes d’hypoxie (bradycardie) consécutifs à l’insuffisance placentaire présente. Une étude en cours d’impression vient de montrer l’usage bénéfique de la supplémentation en œstrogènes (cypionate d’estradiol) sur le maintien d’une gestation à terme, le développement et la maturation appropriée du fœtus [2].
En cas d’issue favorable (stabilisation puis réduction de l’ECUP), le traitement anti-inflammatoire est administré pendant 5 à 7 jours, le traitement antibiotique est prolongé de 10 à 14 jours.
Si la jument n’avorte pas, mais que l’ECUP continue à augmenter en taille au cours des 5 premiers jours de l’antibiothérapie, un changement de molécule et de famille d’antibiotiques (toujours à large spectre) est justifié (par exemple, association pénicilline G [22 000 UI/kg toutes les 6 heures, IV]-gentamicine [6,6 mg/kg, une fois par jour, IV]). Si un écoulement vulvaire était présent et qu’un prélèvement par écouvillonnage avait été effectué, l’antibiothérapie tiendrait alors compte des résultats de culture et de l’antibiogramme).
Lors de prodromes d’avortement, la mesure de l’ECUP est aisément réalisable et permet de confirmer une suspicion de placentite ascendante ou hématogène. Le suivi de l’ECUP chez les poulinières alors traitées permet également de suivre l’efficacité du traitement et au besoin de l’ajuster.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN