Syndrome hémorragique intestinal chez une holstein guérie après taxis manuel - Le Point Vétérinaire expert rural n° 335 du 01/05/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 335 du 01/05/2013

CHIRURGIE CHEZ LA VACHE LAITIÈRE

Cas clinique

Auteur(s) : Michaël Lallemand

Fonctions : Clinique vétérinaire St-Léonard,
La Barre 49120 Chemillé-Melay
lallemand.michael@wanadoo.fr

Cette technique facile à mettre en œuvre ne nécessite aucun matériel particulier. L’intervention est à proposer rapidement. Le diagnostic doit donc être précoce.

Le syndrome hémorragique intestinal (SHI) est une affection digestive grave, qui affecte en priorité des vaches laitières hautes productrices (VLHP), au sein d’élevages à la recherche d’une forte productivité. Son pronostic a été décrit comme particulièrement sombre dans les premières études publiées sur le sujet. Le cas décrit dans cet article illustre que, en l’absence de contre-indication, la technique de rupture manuelle du caillot sanguin par taxis semble être une option de choix pour un pronostic nettement moins défavorable, voire favorable, si la mise en œuvre est rapide.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Un éleveur d’environ 75 VLHP de race holstein (produisant 10 000 kg par vache en moyenne) appelle mi-février 2013 pour soigner l’une d’entre elles. Vingt-quatre heures auparavant, sa production a drastiquement chuté (de 40 kg à 3 kg par jour). Elle présente aussi des difficultés pour se lever et se déplacer.

À 130 jours du début de sa 4e lactation, elle reçoit chaque jour une ration composée d’ensilage d’herbe et de maïs, de paille de colza et de luzerne de qualité moyenne, complétée par 4 kg de concentré “vaches laitières” et d’un correcteur azoté distribués au robot. Cette ration n’a pas varié depuis au minimum un mois.

Un traitement de première intention a été administré la veille par l’éleveur :

– le matin : du gluconate de calcium (140 g : Calphomag®, à raison de 500 ml, par voie intraveineuse [IV] dans la veine mammaire) et un antibiotique à base de benzylpénicilline et de streptomycine (5,7 g/10 g : Intramicine®, 50 ml, par voie intramusculaire [IM]) :

– le soir, en l’absence d’amélioration de l’état général : ajout d’une association de benzylpénicilline, de streptomycine, de chlorphénamine et de dexaméthasone (aux doses respectives de 2,9 g, de 6,25 g, de 0,175 g et de 0,0125 g : Histabiosone®, 25 ml, IM).

2. Examen clinique

À notre arrivée, la vache est couchée en décubitus sternal. Elle ne se lève qu’après stimulation. Une fois debout et bloquée au cornadis, elle présente des myoclonies, piétine sur ses membres postérieurs, qu’elle étend vers l’arrière en émettant des plaintes régulières.

L’examen clinique révèle :

– une température rectale de 37,3 °C ;

– des muqueuses oculaires pâles ;

– un enfoncement des globes oculaires et une déshydratation globalement estimée à 7 % (photo 1) :

– une tachycardie modérée (fréquence à 88 battements par minute [bpm]) :

– un rumen atone ;

– une douleur abdominale objectivée par les plaintes, un piétinement, une position antalgique et des réactions de défense à la palpation du flanc droit ;

– des matières fécales peu abondantes, collantes, contenant du sang non digéré facilement visible à l’œil nu (hématochézie) (photo 2).

3. Hypothèses diagnostiques

Cette vache présente plusieurs symptômes compatibles avec un syndrome abdominal aigu : une déshydratation marquée, une douleur abdominale intense, un ralentissement du transit. Le tableau n’est pas complet puisque la tachycardie est relativement modérée et que le profil abdominal droit apparaît normal. Les hypothèses diagnostiques sont donc :

– une forme non obstructive de SHI : l’épidémiologie, l’anamnèse et le tableau clinique semblent plaider largement en ce sens ;

– une salmonellose ;

– une diarrhée virale bovine (BVD) :

– une coccidiose ;

– une entérite hémorragique d’hiver ;

– des ulcères de caillette ;

– une intussusception, un volvulus, une incarcération intestinale.

4. Examens complémentaires

Du sang est prélevé (tubes EDTA, sec et héparine), afin de réaliser une numération et une formule sanguines, un frottis, des analyses biochimiques et un ionogramme.

En raison de la forte suspicion de SHI, la laparotomie exploratrice est proposée d’emblée, sans attendre les résultats.

L’éleveur accepte et la vache est préparée sans délai.

5. Conduite thérapeutique, volet médical

En raison du mauvais état général de l’animal, de sa déshydratation marquée et de l’hypocalcémie fréquemment rapportée lors de SHI, un cathéter jugulaire et une fluidothérapie intraveineuse sont mis en place sans délai : du gluconate de calcium à la même dose qu’en première intention est injecté en une dizaine de minutes [7, 12].

Un relais est installé avec du NaCl hypertonique à 7,2 % (3 l : préparation extemporanée à partir de poches de NaCl à 0,9 % additionnées de NaCl solide, 200 g) pendant 1 heure, soit la durée prévue de l’intervention chirurgicale. La réhydratation est à compléter par un drenchage en fin d’intervention.

Pour prendre en charge la douleur, de la flunixine méglumine est administrée (Finadyne®, 25 ml IV) en phase préopératoire.

L’antibiothérapie entamée par l’éleveur semble insuffisante pour faire face au risque d’une possible infection par des entérobactéries à Gram négatif et pour gérer le risque septique associé à une éventuelle entérectomie. Elle est complétée par une injection préopératoire de cefquinome (à la dose de 1 ? mg/kgpar voie IM : Cobactan 2,5 %®, 25 ml).

6. Conduite thérapeutique, volet chirurgical

Préparation de l’intervention

La vache est contenue debout dans un box de vêlage équipé d’un cornadis. Une anesthésie paravertébrale proximale du flanc droit est réalisée à base de lidocaïne 2 % à raison de trois injections (sites T13-L1 ; L1-L2 ; L2-L3 : Laocaïne®(1) 20 ml). Le flanc droit est ensuite rasé et savonné à la chlorhexidine 2 % (Hydeaclean®).

Au cas où une entérectomie serait indiquée, outre le matériel classique, des pinces de Doyen sont placées à portée de main [19].

Manuel opératoire

Une incision paracostale de 15 cm environ est réalisée au milieu du flanc droit. Le duodénum et le grand omentum sont réclinés cranialement afin d’accéder aux anses intestinales, qui doivent être explorées méthodiquement à la recherche d’un caillot de sang intraluminal.

La confirmation de l’hypothèse diagnostique est presque immédiate : un volumineux caillot de sang obstrue une portion de jéjunum sur une longueur approximative de 75 cm (photo 3). En aval, l’iléon apparaît totalement vide de contenu digestif (photo 4). En regard du caillot, l’intestin est dilaté et congestionné, mais n’est apparemment pas nécrosé.

En l’absence macroscopique de lésions irréversibles, une réduction manuelle de l’obstruction est tentée : elle consiste très simplement à fractionner le caillot et à le faire progresser le long de la lumière intestinale, en exerçant une pression manuelle délicate (taxis). L’opération se révèle fructueuse, les multiples morceaux de caillot obtenus sont repoussés en aval sans résistance. L’anse jéjunale dilatée présente alors des signes de péristaltisme, facteur pronostique favorable (photo 5). Il est donc décidé de ne pas recourir à une enterectomie.

Aucun autre caillot n’est identifié après inspection du duodénum descendant, du jéjunum, de l’iléon, du cæcum et de l’anse spirale du côlon ascendant.

La plaie est suturée en trois plans à l’aide d’un fil tressé résorbable à base d’acide polyglycolique (Visorb® USP 4, décimale 6).

Une omentopexie est réalisée à la faveur de cette intervention : une portion d’omentum légèrement caudale et dorsale au pylore est incluse dans la suture simple continue du péritoine et du muscle transverse. Les muscles obliques internes et externes sont ensuite suturés grâce à un second surjet simple continu (même fil). La peau est refermée à l’aide d’un surjet à points passés (même fil, pour des raisons pratiques).

En phase postopératoire immédiate, la vache est drenchée à la pompe. Il s’agit de :

– compléter la réhydratation par l’apport d’eau tiède : 20 l (le soluté administré par voie IV était hypertonique) :

– corriger une probable hypokaliémie dans ce contexte obstructif : 280 g de KCl sont dilués dans l’eau (OD Drensch ISC® : 2 sachets de 500 g), sans attendre le résultat de l’ionogramme.

7. Résultats des examens complémentaires

De retour à la clinique, les résultats des examens complémentaires sont obtenus (tableaux 1 et 2).

Hématologie

La valeur relativement élevée de l’hématocrite, alors que l’animal a subi une perte sanguine et présente des muqueuses pâles, associée à un taux de protéines également élevé, évoque une hémoconcentration. La protéinémie élevée résulte sans doute également d’une augmentation du taux de fibrinogène plasmatique, qui n’a pas pu être mesuré.

L’examen de la lignée blanche révèle une neutrophilie avec un virage à gauche léger, ainsi qu’une lymphopénie. Aucune modification toxique de la lignée granulocytaire n’est identifiée sur le frottis.

Biochimie

L’hypocalcémie et l’hypokaliémie, corrigées à l’aveugle, sont confirmées.

Une élévation des concentrations plasmatiques en urée et en créatinine est également notée, interprétée dans le sens d’une insuffisance rénale aiguë prérénale en raison de la déshydratation et de l’hémoconcentration précédemment évoquées.

L’urémie élevée peut aussi, considérée isolément, être consécutive aux saignements digestifs.

L’analyse révèle aussi une hyperglycémie marquée.

8. Évolution postopératoire

L’éleveur est informé dans la journée des résultats d’analyses.

Afin de continuer à compenser les déficits électrolytiques confirmés, un apport de potassium et de calcium est préconisé par voie orale matin et soir, jusqu’à reprise de l’appétit :

– chlorure de potassium 100 g (OD K® 500 ml) :

– formiate de calcium 100 g (OD Vitul® 500 ml).

L’antibiothérapie est prescrite en relais (cefquinome, même modalités que précédemment, poursuivie pendant 3 jours, et à renouveler selon l’évolution clinique).

Le lendemain matin, la vache est réexaminée. Son état général s’est amélioré et les anomalies cliniques identifiées la veille ont régressé :

– l’animal se lève sans difficulté. Ni tremblement, ni ataxie ne sont plus remarqués. Elle a produit 7,5 kg de lait depuis l’intervention chirurgicale ;

– la température rectale est redevenue normale, à 38,2 °C ;

– les muqueuses oculaires apparaissent toujours pâles ;

– les globes oculaires ne sont plus enfoncés. L’état d’hydratation semble convenable ;

– la fréquence cardiaque est normale (76 bpm) :

– la rumination est observée par intermittence ;

– la vache se déplace sans difficulté, sans signes de colique ;

– les matières fécales sont abondantes et diarrhéiques. Aucune trace de sang n’est visible à l’œil nu après que des caillots de sang ont été expulsés la veille, selon les observations de l’éleveur (photo 6).

Dans ce cortège d’éléments pronostiques favorables, seul l’appétit est encore capricieux, reporté exclusivement vers le foin. Du sang est prélevé afin de contrôler les paramètres biochimiques et hématologiques les plus pertinents. Une normalisation de tous les déséquilibres est observée. Les valeurs de l’hématocrite et de la protéinémie sont plus basses à la suite de la correction de la déshydratation (effet de dilution), mais elles semblent encore relativement élevées. La valeur de l’hématocrite, en particulier, serait discordante par rapport aux observations cliniques (pâleur des muqueuses). Cela suggère une hémoconcentration persistante.

L’évolution clinique étant globalement favorable, il est convenu avec l’éleveur de ne pas compléter le traitement par une nouvelle perfusion.

9. Évolution à moyen et long terme

Une semaine après l’intervention chirurgicale, la vache a retrouvé une attitude, un appétit et un transit normaux. Averti du risque de récidive à moyen (à moins de 6 mois) ou long terme (de 6 à 12 mois), l’éleveur a décidé de tarir et de réformer cette vache.

Un mois après la chirurgie, la vache est toujours en excellent état général (photo 7).

DISCUSSION

1. Anamnèse et signes cliniques évocateurs

En 2006, dans notre première publication d’un cas de SHI, l’hypothèse de ce syndrome avait été placée en dernier par ordre de probabilité dans le diagnostic différentiel [19]. Avec l’accumulation des cas et une meilleure connaissance de cette affection, elle figure désormais en premier dans pareil tableau épidémiologique et clinique.

Le SHI affecte ici, comme cela est fréquemment décrit, une VLHP multipare en début de lactation : une étude épidémiologique de grande ampleur menée aux États-Unis sur 1 013 fermes laitières a permis d’évaluer le rang médian de lactation à 3 et le stade à 104 jours post-partum pour l’apparition des symptômes [4].

La présentation clinique est aussi typique [1, 7, 8, 12]. Cette vache présente les cinq symptômes les plus couramment rapportés, dont une chute drastique de production (tableau 3). Selon notre expérience, l’ampleur et la brutalité de ce phénomène frappent souvent les éleveurs. La chute de production constitue le motif d’appel habituel lors de SHI.

Les signes cliniques qui évoquent le plus spécifiquement l’aspect hémorragique de la maladie (méléna et pâleur des muqueuses) sont présents dans moins de la moitié des cas selon deux études [8, 12]. Leur absence ne doit donc pas exclure un SHI du diagnostic différentiel des syndromes abdominaux aigus.

Dans ce cas, le transit est conservé ; la vache n’est pas ballonnée. Il s’agit d’une forme non obstructive, au cours de laquelle les signes généraux (dont la tachycardie) et la faiblesse de l’animal sont relativement modérés. Il existe une forme obstructive de SHI, caractérisée par des coliques, un ballonnement abdominal plus accentué à droite, une tachycardie marquée et une constipation sévère, évoluant rapidement vers un état de choc [1, 7, 8, 12, 21].

Les résultats des examens complémentaires, en particulier la biochimie, plaident également en faveur d’une forme non obstructive. En effet, l’alcalose métabolique avec hypokaliémie, hypochlorémie et hyponatrémie sont la règle [1, 7, 8, 12, 21]. Ces modifications, d’autant plus importantes que l’obstruction est haute, sont directement liées à la stase digestive et à la séquestration d’ions chlore dans la caillette [6]. Dans ce cas, seule la kaliémie et la concentration en HCO3- sont légèrement modifiées.

Parmi les modifications biochimiques classiques lors de SHI, sont également relevées :

– une hypocalcémie [7, 12] :

– une insuffisance rénale aiguë prérénale, en lien avec la déshydratation (l’urémie qui reste élevée à J1 peut également être liée au saignement digestif) [7, 12, 21] :

– une hyperglycémie.

Selon notre expérience, l’hyperglycémie est une modification presque systématique lors de SHI. Certains auteurs l’attribuent à une réaction de stress de l’animal et à la production de catécholamines et de corticostéroïdes qui l’accompagne [7, 8]. Cependant, il n’existe, à notre connaissance, aucune étude en médecine bovine qui s’intéresse aux mécanismes, aux répercussions cliniques et à la corrélation avec le pronostic vital de cette hyperglycémie. En médecine équine, l’hyperglycémie est bien décrite chez le cheval en coliques et il semble clairement établi qu’une hyperglycémie persistante dans les 48 premières heures d’hospitalisation est un facteur pronostique défavorable [15, 16]. En médecine humaine également, l’hyperglycémie est fréquente chez les patients non diabétiques admis en soins intensifs, où elle est associée à un risque accru de mortalité hospitalière. Toutefois, on ne sait pas si l’hyperglycémie est néfaste en tant que telle ou si elle constitue un “marqueur” corrélé à la sévérité d’une dérégulation hormonale, d’une réaction inflammatoire ou à la gravité d’une maladie. En revanche, il n’existe pas de consensus sur la pertinence d’une régulation fine de la glycémie (tight glycemic control) par insulinothérapie [11]. L’absence de données spécifiques à la médecine bovine, ainsi que les nombreuses inconnues sur la genèse, les répercussions et le bénéfice éventuel d’un traitement spécifique de l’hyperglycémie dans d’autres espèces, doivent inciter à interpréter les variations de ce paramètre avec prudence.

Du point de vue hématologique, la neutrophilie avec virage à gauche est très classique [1, 8, 12]. La lymphopénie est plus rarement décrite [7]. La neutrophilie identifiée dans ce cas peut résulter, d’une part, de l’action de cytokines inflammatoires, d’autre part, de la démargination de neutrophiles après l’injection de dexaméthasone réalisée par l’éleveur la veille de la numération.

2. Recourir autant que possible au taxis manuel

Les deux premières études rétrospectives sur le SHI publiées il y a une dizaine d’années décrivent un pronostic mauvais à désespéré : respectivement 77 et 100 % de mortalité, quel que soit le traitement entrepris [1, 8]. Plus récemment, il semble que le pronostic soit nettement plus favorable lorsque le recours à la chirurgie est fréquent (si celle-ci est envisageable). Les résultats de six études rétrospectives sur le SHI publiées de 2002 à 2010 peuvent être comparés (tableau 4).

→ Dans aucune étude, la survie après traitement médical seul ne dépasse 50 %. Au mieux (2 survivantes sur 5 cas), le nombre de cas est trop faible pour en tirer des conclusions [12]. Pour le traitement médical, une fluidothérapie intraveineuse et des antibiotiques sont généralement administrés, complétés de façon variable par des prokinétiques, des laxatifs et/ou des analgésiques.

→ Dans les trois études les plus récentes où un traitement chirurgical a été entrepris sur plus de 30 animaux, les taux de survie à court terme sont meilleurs : respectivement 35 %, 56 % et 58 % [5, 12, 23].

→ Le taux de survie lors de chirurgie est systématiquement meilleur qu’en cas de traitement médical : il approche 60 % dans deux études [12, 23].

→ Le taxis manuel est à la fois la technique la plus utilisée sur l’ensemble des études (50 taxis contre 32 entérectomies) et celle qui enregistre le meilleur pourcentage de réussite à court terme : jusqu’à 76 % de cette façon (il y a certes 100 % de réussite pour l’entérectomie dans l’étude de Braun, mais seulement sur 3 cas) [23]. Peak et coll. nuancent toutefois leurs résultats en faveur du taxis. Leur étude, rétrospective, n’a pas été réalisée en aveugle. L’entérectomie a pu être envisagée d’emblée par le chirurgien dans les cas où l’intestin présente des lésions sévères, incompatibles avec un traitement par taxis et de pronostic plus réservé.

Dans l’étude de Francoz et coll., l’entérectomie est la méthode la plus utilisée (2/3 des cas), avec un pourcentage de réussite (70 %) légèrement supérieur à celui du taxis (67 %) [12].

Ces résultats encouragent à recourir à la laparotomie aussi rapidement et aussi souvent que possible. Le taxis manuel est une technique simple, peu invasive et assortie d’un pronostic plutôt favorable lorsqu’elle peut être mise en œuvre.

Sachant que le SHI touche en priorité des vaches fortes productrices, la valeur des animaux justifie souvent l’investissement. Dans la discussion avec l’éleveur, le risque de récidive à moyen (à moins de 6 mois) et long terme (à plus de 6 mois) doit toutefois être évoqué. Il est parfois important : 7 cas sur 18 survivantes à court terme dans l’étude de Peak et coll. [23].

3. L’implication d’une clostridie remise en cause

Les premières publications consacrées au SHI suspectaient l’implication de Clostridium perfringens type A dans le déclenchement de la maladie [8, 18, 22]. Trois auteurs ont systématiquement isolé cet agent pathogène à partir des biopsies intestinales peropératoires qu’ils ont réalisées [1, 8, 12]. Il a été démontré que la probabilité d’isoler C. perfringens type A était 6,56 fois plus élevé lors de SHI qu’en cas de déplacement de caillette à gauche [9]. La toxine b2, identifiée depuis 1997, a été plus particulièrement mise en cause. En effet, le gène codant cette toxine (cpb2) a été isolé de cas de SHI par plusieurs auteurs [8, 14, 18]. Son pouvoir pathogène a été rapidement suspecté [8].

Toutefois, la fréquence d’isolation du gène cpb2 s’est révélée extrêmement variable d’une étude à l’autre. Deux d’entre elles, qui ne l’ont retrouvé respectivement que dans 1 cas sur 10 et 2 cas sur 7, ont ainsi mis en doute le lien causal entre la toxine Β2 et le SHI [12, 21].

D’autres objections nuancent la probabilité que C. perfringens type A soit seul responsable du syndrome :

– C. perfringens type A fait partie de la flore digestive normale des ruminants ; elle prolifère rapidement dans les cadavres [1, 13] :

– l’inoculation de cette bactérie, isolée de cas de SHI, ne reproduit pas la maladie [10, 17] :

– la prolifération de C. perfringens pourrait être secondaire à l’hémorragie digestive, l’agent pathogène se comportant comme un opportuniste placé en milieu favorable [1].

Face à ces réserves, d’autres pistes ont été explorées depuis lors.

4. Une nouvelle piste étiologique

En Amérique du Nord, l’implication d’Aspergillus fumigatus a été suspectée [24]. En France, le laboratoire Merial a mis en évidence des souches entéro-toxinogènes (ETEC) et entéro-hémorragiques (EHEC) d’Escherichia coli à partir de 3 cas de terrain de SHI [communication personnelle]. Le rôle de ces agents pathogènes en était resté au stade de la suspicion.

Cette piste a été relancée par deux études publiées en 2011 par un même auteur, l’une en élevage laitier, l’autre en élevage allaitant [2, 3]. Est incriminée une association entre diverses mycotoxines d’origine alimentaire et des souches d’Escherichia coli productrices de shigatoxines (STEC), dont E. coli O157 H7. Le “cocktail” de mycotoxines identifiées, produit par les champignons des genres Fusarium, Penicillium et Aspergillus, eux-mêmes retrouvés dans les fourrages, provoquerait des lésions hémorragiques de la muqueuse intestinale, que les colibacilles coloniseraient avant de produire les toxines Stx1 et Stx2 identifiées par les auteurs au sein des caillots sanguins intraluminaux. Ce schéma pathogénique paraît séduisant. Plusieurs éléments sont toutefois soumis à caution :

– l’épidémiologie du syndrome hémorragique digestif décrit dans l’étude menée en élevage allaitant diffère beaucoup de celle rapportée jusqu’alors. Il s’agit d’une épizootie avec la mort de 50 animaux en une journée, dans un seul atelier d’engraissement de 500 taurillons de l’Alberta (Canada), le lendemain de la distribution d’un foin acheté par l’éleveur (les publications antérieures concernent essentiellement des vaches laitières, affectées sous forme sporadique) [2] :

– le diagnostic de syndrome hémorragique jéjunal et l’isolement de souches STEC reposent sur l’examen anatomo-pathologique et microbiologique de portions jéjunales récoltées sur un échantillon relativement limité d’animaux morts (12 en élevage laitier) [3].

Avant que ce schéma pathogénique ne soit validé, il paraît donc nécessaire qu’il soit confirmé par d’autres essais cliniques.

Les interrogations qui subsistent depuis une dizaine d’années sur le rôle du microbisme, associées au fait que la recherche d’un haut niveau de production est le principal facteur de risque d’apparition du SHI, suggèrent que ce microbisme n’est qu’une composante d’un schéma pathogénique multifactoriel [4, 20].

Conclusion

Les connaissances et l’expérience accumulées par les cliniciens ont sans aucun doute contribué à l’amélioration du pronostic du SHI au cours du temps. Un diagnostic précoce permet d’intervenir plus rapidement chez des animaux moins débilités, qui ont des chances raisonnables de survie lors de traitement chirurgical, d’autant plus qu’un taxis manuel est indiqué. L’intervention mérite d’être proposée aux éleveurs aussi souvent que possible, afin de sauver des vaches qui figurent fréquemment parmi les meilleures productrices du troupeau.

  • (1) Médicament sans autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les bovins.

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  • 23. Peek S, Santschi E, Livesey M et coll. Surgical findings and outcome for dairy cattle with jejuna hemorrhage syndrome: 31 cases (2000-2007). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2009;234:1308-1312.
  • 24. Peek S. Jejunal hemorrhagic syndrome – Short & long term outcome in dairy cattle. Proceedings. Congrès de l’ACVIM. 2009.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Le traitement médical du syndrome hémorragique intestinal est décevant, assorti d’un pronostic sombre (moins de 40 % de survie) dans toutes les études rétrospectives.

→ Le traitement chirurgical donne de meilleures chances de guérison quelle que soit l’étude examinée. Le taxis manuel est réalisable à la ferme avec un matériel standard, sur animal debout.

→ Une hypocalcémie est souvent rapportée lors de SHI.

→ L’action de mycotoxines et une colonisation des lésions intestinales par des souches de colibacilles productrices de shigatoxines (STEC), dont E. coli O157 H7, représentent la dernière hypothèse étiopathogénique en date.

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