Innovations en fermes d’élevage de bovins et d’ovins allaitants - Le Point Vétérinaire expert rural n° 335 du 01/05/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 335 du 01/05/2013

ÉVOLUTION DE L’ÉLEVAGE

Questions – réponses

Auteur(s) : Stéphane Ingrand*, Jean Devun**, Jean-Yves Pailleux***

Fonctions :
*Inra, UMR 1273 Métafort,
Site de Theix,
63122 Saint-Genès-Champanelle
**Institut de l’élevage,
9, allée Pierre-de-Fermat,
63170 Aubière
***Inra, UMR 1273 Métafort,
Site de Theix,
63122 Saint-Genès-Champanelle

Les innovations recensées sont principalement des nouveautés pour la ferme dans laquelle elles sont appliquées. Elles ont pour priorités de limiter les coûts et d’augmenter les performances techniques.

Un dispositif d’enquêtes menées à la fois dans des fermes et auprès d’experts de l’élevage a été mis en place afin d’analyser les innovations réalisées par les éleveurs eux-mêmes dans leur ferme. Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet Casdar “Salinov” (innovations en système allaitant) et coordonné par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra, unité mixte de recherche [UMR] Métafort) et l’Institut de l’élevage. L’ensemble des résultats de l’étude a été présenté aux Rencontres autour des recherches sur les ruminants [3].

QU’APPELEZ-VOUS “PRATIQUES INNOVANTES” ?

Chaque “pratique innovante” correspond à l’introduction d’une nouveauté dans la ferme concernée, même si celle-ci est connue par ailleurs. Il s’agit, par exemple, de l’adoption du premier vêlage à 2 ans, du passage à l’alimentation en libre-service ou de l’hébergement de bovins dans un bâtiment conçu pour des volailles, c’est-à-dire une nouveauté identifiée par d’autres éleveurs de la zone. Elle est souvent le résultat d’un effet en cascade, à partir d’une idée initiale ou d’un objectif à atteindre (encadré 1). Des enquêtes auprès d’éleveurs ont permis d’identifier 64 “pratiques innovantes” dans les élevages bovins, et 86 dans les élevages ovins, soit 150 en tout (encadré 2).

QUELS SONT LES DOMAINES OÙ CES INNOVATIONS SONT IDENTIFIÉES ?

Les éleveurs innovent, en priorité, dans les pratiques d’élevage de base, c’est-à-dire dans les domaines de l’alimentation (en premier lieu pour les bovins) et de la reproduction, dans les équipements (en premier lieu pour les ovins) et les bâtiments (tableau 1 et photo 1). Les différences entre espèces concernent la gestion du pâturage, qui représente 10 % des pratiques innovantes chez les ovins (2 % seulement chez les bovins), les pratiques de commercialisation et celles touchant à l’organisation du travail, qui sont plus fréquemment modifiées en production bovine. Les autres changements sont équivalents entre les deux espèces. La diversification des activités, y compris hors activité d’élevage, est importante et concerne respectivement 5 et 6 % des innovations recensées.

Les experts confirment ces résultats. L’analyse de leurs réponses aux questionnaires révèle que les objectifs des éleveurs sont de diminuer leur temps de travail et d’augmenter leur autonomie et la dimension de l’exploitation. Les changements innovants observés dans leur secteur peuvent être regroupés en sept domaines (tableau 2). Certaines innovations sont présentées par les experts comme d’intérêt, d’autres comme posant problème (encadré 3).

QUELLES SONT LES RAISONS DE LA MISE EN PLACE DE PRATIQUES INNOVANTES ?

Les raisons données par les éleveurs pour la mise en place de pratiques innovantes dans leur ferme sont en majorité (environ 70 % des innovations) d’ordre économique, soit pour augmenter les revenus, soit pour limiter les coûts (figure 1).

Arrivent en seconde position, en élevage bovin, la diminution de la durée et de la pénibilité du travail (60 %), en élevage ovin, la volonté d’accroître les performances techniques (60 % également). Quand les experts donnent leur avis sur cette question, quatre groupes de raisons sont rapportés :

– aptitudes et goûts : les éleveurs les plus innovants sont ceux qui sont ouverts et insérés dans des réseaux. Ils ont le goût de la nouveauté, de solutions et d’adaptations. Ils n’appréhendent pas le lendemain. Ils ont envie d’entreprendre, de changer, notamment, pour se différencier des autres ;

– aspects financiers : obtenir des revenus supplémentaires ou une valeur ajoutée, limiter les dépenses ou les investissements ;

– confort de travail : simplifier ou organiser le travail, le rendre plus précis, dégager du temps libre, augmenter la productivité du travail, concilier main-d’œuvre et qualité de vie, pour travailler moins ou mieux ;

– adaptation aux évolutions : les experts expliquent de nombreux changements par la nécessité de faire évoluer les systèmes et de les mettre en cohérence avec les évolutions du contexte (accroître l’autonomie fourragère, adapter la taille du troupeau au niveau de l’intensification, cibler des niches commerciales porteuses).

QUELLES TENDANCES DANS L’AVENIR ?

Les experts estiment que les grandes tendances vont se poursuivre : poursuite de l’agrandissement de la taille du troupeau, via le regroupement d’exploitations et la mutualisation du matériel, avec la spécialisation de certains systèmes et, au contraire, la diversification des autres. Beaucoup de réponses évoquent aussi des évolutions probables (souhaitables) du matériel biologique : des plantes moins sensibles aux aléas et des animaux “idéaux”, c’est-à-dire faciles à conduire, résistants aux parasites, etc. Cela rejoint les domaines dans lesquels les éleveurs attendent des innovations, et qui sont les mêmes que ceux dans lesquels ils ont déjà effectué des changements précédemment (figure 2).

Les changements de pratique à venir concernant la conduite du troupeau sont considérés comme prioritaire et cités par 88 % des 49 éleveurs de l’échantillon et par la totalité des 25 éleveurs ovins. De plus, 20 % des éleveurs ovins et 50 % des éleveurs de bovins expriment une attente concernant la communication, aussi bien avec les autres éleveurs qu’avec les instituts de recherche et les consommateurs, ce qui montre leur volonté d’ouverture (photo 2).

QUEL EST L’IMPACT DE CES INNOVATIONS SUR LE RÔLE DU VETERINAIRE ?

Beaucoup des changements innovants opérés par les éleveurs concernent l’activité des vétérinaires (figure 3). La recherche par les exploitants de “l’animal idéal” pourrait constituer une base intéressante de dialogue et d’implication des praticiens dans la définition des critères et des propriétés de cet animal idéal (produisant beaucoup, jamais malade, résistant aux parasites, etc.). La santé concerne 2 à 3 % des pratiques innovantes recensées. Dans ce domaine, trois attentes sont évoquées : réduire les frais vétérinaires, apprendre à mieux utiliser les produits vétérinaires et, plus généralement, mettre en œuvre une approche plus raisonnéede ce qui est appelé la “conduite sanitaire”. Plus spécifiquement, les éleveurs d’ovins souhaitent des solutions alternatives aux traitements chimiques ou des produits antiparasitaires plus efficaces (photo 3). Toutefois, ils attendent également des conseils sur la conduite des animaux. Une meilleure communication étant souhaitée par la majorité des exploitants, le praticien peut aborder avec eux ces différents points. Ce dernier peut aussi et surtout jouer un important rôle de conseiller en ce qui concerne les modifications de rythmes de reproduction, le mode d’alimentation et les conditions de logement, domaines dans lesquels les innovations sont les plus importantes.

Un autre projet est en cours d’élaboration dans l’unité de recherches Métafort à Clermont-Ferrand, sur les relations entre les éleveurs et les vétérinaires et, plus largement, la place des vétérinaires dans les territoires ruraux.

Conclusion

Les éleveurs opèrent de nombreux changements dans leur système d’élevage, qui ne sont pas obligatoirement en phase avec ce qui se pratique dans leur zone. Ces évolutions constituent des “innovations”, car il s’agit de nouveautés pour chacun des éleveurs qui les adopte, mais aussi parce qu’elles représentent des innovations organisationnelles, induisant des modifications en cascade dans les élevages, qu’il conviendrait de mieux formaliser.

Références

  • 1. Chauvet A. (sous la direction d’Ingrand S.) Analyse des innovations mises en place par les éleveurs. Le cas des systèmes ovins allaitants. Stage Master 2 Nutrition et sciences des aliments. Spécialité nutrition animale et élevage. 2011:26p. + annexes.
  • 2. Dujour E. (sous la direction de Devun J.) Analyse des innovations mises en place par les éleveurs. Le cas des systèmes bovins allaitants. Stage Master 2 Nutrition et sciences des aliments. Spécialité nutrition animale et élevage. 2011:26 p. + annexes.
  • 3. Ingrand S, Devun J, Pailleux JY et coll. Les innovations dans les élevages bovins et ovins allaitants : analyse de résultats d’enquêtes en fermes et auprès d’experts de l’élevage. 19es journées Rencontres, recherches, ruminants. Paris, 5-6 décembre 2012:393-396. http://www.journees3r.fr/spip.php?article3437.
  • 4. Thiétart RA. Méthodes de recherche en management. 2e éd. Éd. Dunod. 2003:537p.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Exemple de changements en cascade induits chez un des éleveurs enquêtés par le passage à la production d’agneau d’herbe avec mises bas à l’extérieur

Troupeau

→ Changement de race.

→ Révision des périodes de mises bas.

Pâturage

→ Semis des prairies multi-espèces.

→ Pratique de l’estive.

→ Pratique d’intercultures = “vaine pâture”.

→ Recloisonnement des parcelles.

Matériel

→ Clôture électrique spéciale (High Tensile).

→ Quad.

ENCADRÉ 2
Matériel et méthodes de l’étude

→ En 2011, des enquêtes ont été réalisées en Auvergne auprès de respectivement 24 et 25 éleveurs de bovins et d’ovins allaitants [1, 2]. Les éleveurs enquêtés ont été choisis sur des critères tels que “pas comme les autres”, “différents”, “en décalage par rapport à ce qui se fait”. L’adresse des exploitants à enquêter était fournie par ceux des études précédentes, selon la méthode dite “boule de neige” [4].

→ Parallèlement, 226 questionnaires ont été envoyés à des experts (techniciens des chambres d’agriculture et des établissements départementaux de l’élevage, des organisations de producteurs, des conseillers de gestion, etc.). Les vétérinaires avaient été évoqués pour être destinataires des questionnaires “experts”, mais aucun d’entre eux n’a participé au projet. Cinquante réponses ont été reçues et analysées, dont un tiers provenant d’experts spécialisés en élevage bovin, un quart, spécialisés en élevage ovin et 40 % polyvalents.

ENCADRÉ 3
Innovations présentées par les experts comme d’intérêt ou posant problème

→ Innovations qui présentent un intérêt particulier (elles ajoutent quelque chose d’ajustable dans le système) :

– simplifier la reproduction ;

– vendre aux périodes creuses ;

– valoriser et rationnaliser les ressources (herbe, paille, effluents, etc.) ;

– mécaniser et adapter les bâtiments ;

– revenir aux races rustiques et prolifiques en élevage ovin ;

– nourrir davantage d’animaux sur stocks et en bâtiments.

→ Innovations problématiques :

– accroissement de la taille, qui engendre moins de maîtrise ;

– diminution de l’autonomie ;

– inadéquation entre l’animal et le système ;

– manque de synchronisation des évolutions des différents éléments du système ;

– diversification qui peut être source de concurrence entre les différents ateliers de production.

Points forts

→ 150 pratiques innovantes ont été recensées et correspondent à une nouveauté pour la ferme considérée, mises en place pour raison économique, pour diminuer la pénibilité du travail ou augmenter les performances techniques.

→ Les éleveurs innovent en priorité dans les domaines de l’alimentation, de la reproduction et de la gestion des troupeaux et des bâtiments, qui concernent l’activité des vétérinaires.

→ 50 % des éleveurs de bovins et 20 % de ceux d’ovins souhaitent une meilleure communication, ce qui peut être l’occasion pour les praticiens de proposer des conseils.

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