MÉDECINE FÉLINE
Dossier
Auteur(s) : Una Kelly*, Jean-Louis Philippe**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire V24,
108, rue Rivay,
92300 Levallois-Perret
**Clinique vétérinaire V24,
108, rue Rivay,
92300 Levallois-Perret
La prise en charge thérapeutique des cholangites félines repose sur trois piliers : réanimation médicale, soutien hépatique et traitement étiologique
Les différentes formes de cholangites félines présentent des caractéristiques histologiques et étiopathogéniques propres. Leur traitement se révèle complexe car il nécessite de prendre en compte le soutien de la fonction hépatique et la prévention des complications d’une part, et le traitement de la cause (infection ou médiation immune) d’autre part. Il n’est pas possible d’utiliser l’evidence-based médecine pour la prise en charge thérapeutique des cholangites chez le chat. Il n’existe pas suffisamment de données scientifiques pour savoir si les propositions de traitement présentées ici sont réellement efficaces. Néanmoins, une gestion raisonnée des cas s’impose en trois étapes : une réanimation médicale, un soutien de la fonction hépatique et, dans la mesure du possible, un traitement étiologique.
L’état débilité des chats atteints de cholangite, que l’affection soit aiguë ou chronique, justifie souvent une fluidothérapie. Le maintien de l’équilibre électrolytique doit être surveillé. Une hypokaliémie et/ou une hypophosphatémie sont fréquentes lors d’anorexie et peuvent altérer notablement l’état de l’animal [1].
Lors d’affection hépatique chez le chat, les recommandations nutritionnelles apparaissent totalement empiriques et mal documentées. Les aliments adaptés aux affections hépatiques et préparés industriellement sont généralement hyperdigestibles et supplémentés en arginine et L-carnitine. L’apport protéique est traditionnellement diminué lors d’affections hépatiques, alors que cela ne se justifie vraiment que lors d’encéphalose hépatique. Des sources protéiques très digestibles et de haute valeur biologique sont à privilégier (produits lactés et œufs cuits, par exemple). La lutte contre l’anorexie et l’apparition d’une lipidose (ou stéatose) constituent l’élément primordial. Renforcer l’appétence des aliments en réchauffant la nourriture et en utilisant des ingrédients qui réhaussent leur goût (jus de thon, par exemple) peut être utile. La pose d’une sonde naso-œsophagienne ou d’œsophagostomie, pouvant être laissée en place plus longtemps, est parfois nécessaire [1].
Les affections hépato-biliaires sont souvent douloureuses, notamment lors de pancréatite concomitante et peuvent nécessiter l’emploi de morphiniques (buprénorphine ou méthadone si la douleur est vraiment très forte) (tableau 1) [1, 14].
Des troubles digestifs, des vomissements et des nausées notamment, sont régulièrement constatés. Lors de cholangites neutrophiliques (CN), une entérite, une pancréatite et un iléus gastro-intestinal sont fréquents. L’emploi d’antiémétiques apparaît alors utile. Le métoclopramide présente un intérêt par son action prokinétique [13]. Son efficacité antiémétique centrale est controversée, lors de pancréatite notamment.Son activité est de courte durée et son administration peut s’envisager via une perfusion continue [13] Le maropitant est un antiémétique puissant bien toléré chez le chat, qui offre une bonne analgésie gastro-intestinale [12, 13, 14]. L’utilisation d’anti-acides se justifie également. La ranitidine, antisécrétoire gastrique, présente l’avantage d’avoir aussi un effet prokinétique [13].
L’acide urso-désoxycholique possède plusieurs propriétés thérapeutiques (tableau 2). Il facilite l’écoulement de la bile en la fluidifiant. Il modifie la composition des acides biliaires en diminuant la proportion d’acides biliaires hydrophobes, qui présentent des effets toxiques sur les membranes des hépatocytes. De plus, il inhibe l’apoptose [16]. Outre cette action cytoprotectrice, il posséde une action anti-inflammatoire, immunomodulatrice et antifibrotique [12]. Cette molécule est bien supportée chez le chat [11]. Elle semble donc devoir faire partie intégrante du traitement de toutes les formes de cholangites [14, 16]. La S-adénosyl-L-méthionine (SAMe) participe à la fonction antioxydante et cytoprotectrice du foie. Elle agit notamment en augmentant les réserves en glutathion (GSH), métabolite essentiel pour neutraliser les peroxydes, les radicaux libres et nombre d’autres oxydes. Le GSH a donc, de fait, une action cytoprotectrice pour les hépatocytes et les hématies (qui semblent très sensibles à l’oxydation chez le chat). Les études manquent pour étayer l’efficacité clinique du SAMe chez le chat mais son administration semble bien supportée et associée à une amélioration clinique [14, 16].
La silymarine, extrait du chardon-marie, possède une action antioxydante puissante, anti-inflammatoire et antifibrotique [12, 14, 16]. Son administration peut être envisagée lors d’affections hépato-biliaires chez le chat [16].
La vitamine E est également un antioxydant et neutralise les radicaux libres. Elle présente donc une action cytoprotectrice. Il s’agit d’une vitamine liposoluble. En cas de choléstase, une carence peut être soupçonnée. De plus, un excès de vitamine E n’induit pas d’effet secondaire. C’est pourquoi une supplémentation peut facilement s’envisager lors d’affection hépatique et de choléstase [12].
Enfin, une supplémentation en vitamines B, notamment B12, devient rapidement nécessaire chez un chat anorexique.
Les temps de coagulation apparaissent souvent augmentés lors d’une insuffisance hépatique secondaire à la cholangite chez le chat. La synthèse hépatique des facteurs de coagulation (II, VII, IX, X) diminue. L’absorption intestinale des facteurs de coagulation liposolubles (apportés par l’alimentation, synthétisés par la microflore et absorbés grâce aux sels biliaires) peut être altérée par une anorexie, la choléstase et une maladie intestinale concomitante.
Une supplémentation en vitamine K1 est indiquée si un défaut de coagulation est mis en évidence. Elle permet généralement de rétablir la fonction hémostatique en quelques jours, et peut être envisagée préalablement à une biopsie échoguidée ou à une intervention chirurgicale [1, 5]. Si l’affection hépatique se révèle chronique, une supplémentation peut être mise en place pendant 7 à 21 jours [12]. Si le trouble de la coagulation est aigu, le recours à la transfusion est possible.
La présence d’ascite lors de maladie hépatique chronique est rare chez le chat. Lors d’épanchement péritonéal abondant, pouvant entraîner une dyspnée par pression sur le diaphragme, une abdominocentèse devient nécessaire. L’accumulation de liquide peut, de plus, provoquer une hypotension, à l’origine d’une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. Cela peut justifier l’emploi de diurétiques thiazidiques et d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine [2, 12]. L’utilisation de la spironolactone chez le chat doit être néanmoins limitée car elle est associée à un risque de toxicité pouvant se traduire par une dermatite ulcérative de la face [9]. Le furosémide semble demeurer la molécule recommandée prioritairement lors d’ascite, mais son emploi impose une surveillance de la kaliémie.
L’antibiothérapie apparaît la priorité dans le traitement des CN. Une mise en culture aérobie et anaérobie de la bile permet de l’adapter aux agents pathogènes identifiés et à leur sensibilité. Les micro-organismes les plus fréquemment retrouvés sont Enterococcus spp., Bacteroides spp., Clostridia spp., Staphylococcus et Streptococcus α-hémolytiques, Salmonella spp. [1, 4, 15].
La mise en place d’une antibiothérapie de première intention repose sur la probabilité qu’il s’agisse des bactéries citées ci-dessus. Il convient donc de recourir à un antibiotique à large spectre, bactéricide, qui se concentre dans la bile et ne nécessite pas un métabolisme hépatique pour être actif ou excrété (tableau 3). L’utilisation d’une pénicilline potentialisée (amoxicilline – acide clavulanique), d’une céphalosporine ou d’une fluoroquinolone, combinée à du métronidazole contre les agents pathogènes anaérobies peut être envisagée [14]. Bien que sa principale voie de métabolisation soit hépatique, la clindamycine constitue aussi une option intéressante contre les micro-organismes anaérobies, notamment si une toxoplasmose est suspectée. Le chloramphénicol, parfois recommandé, présente une toxicité potentiellement problématique lors de choléstase chez le chat. Il n’existe pas de spécialité disponible en France pour une administration systémique.
Les CN nécessitent un traitement long (de 4 à 6 semaines de traitement au minimum) [12, 14]. De telles durées justifient de tenter d’identifier, dans la mesure du possible, l’agent pathogène incriminé.
Lors de cholangite lymphocytaire (CL), des surinfections secondaires apparaissent possibles, notamment lors de dysfonctionnement des cellules de Kupffer. Elles justifient la mise en place d’une couverture antibiotique avec les mêmes molécules de première intention [12].
Les corticoïdes constituent la base du traitement des CL afin de lutter contre les mécanismes à médiation immune. Une étude évalue l’action de la prednisolone seule ou de l’acide urso-désoxycholique seul lors de CL. L’administration de la prednisolone est associée à une espérance de vie significativement plus longue [11]. Elle peut être considérée comme la molécule de première intention lors de CL, à doses immuno-suppressives, puis dégressives pendant de 6 à 12 semaines [10]. L’objectif du traitement n’est pas systématiquement de guérir l’animal mais de minimiser les signes cliniques et de ralentir l’évolution de la maladie [11, 12]. D’autres agents immuno-suppresseurs peuvent être utilisés : la cyclosporine A, le méthotrexate, le chlorambucil. L’azathioprine présente une toxicité chez le chat proscrivant son emploi.
Le chlorambucil peut être notamment utilisé en seconde intention si la réponse aux corticoïdes ne se révèle pas satisfaisante [12].
Le coût et/ou les effets secondaires (leucopénie, vomissements) du méthotrexate et de la cyclosporine A limitent leur utilisation [12].
Lors de cholangite neutrophilique aiguë, un usage ponctuel des corticoïdes, à dose anti-inflammatoire (prednisolone à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j) sur de courtes périodes peut parfois se justifier, notamment lorsqu’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin est concomitante. Les corticoïdes facilitent l’écoulement de la bile en réduisant l’inflammation du tractus biliaire, en revanche, leur utilisation prolongée paraît plus discutable.
En raison de ses propriétés anti-inflammatoires et antifibrosantes reconnues chez l’homme, la colchicine pourrait constituer une solution alternative intéressante lors de CL, notamment en association avec la prednisolone. Aucune étude clinique n’étaye néanmoins son efficacité. Son utilisation peut s’accompagner d’effets secondaires gastro-intestinaux.
Envisager une intervention chirurgicale de la vésicule biliaire peut se justifier en cas de boue biliaire trop épaisse ou d’obstruction complète des trajets biliaires (photo). Cette dernière peut être en relation avec une inflammation et/ou avec une fibrose des conduits biliaires et/ou la présence de cholélithiases. La reconnaissance par échographie de la cause d’une choléstase extra-hépatique peut être rendue délicate, notamment par la concomitance d’affections biliaires, pancréatiques et duodénales. Seule l’exploration chirurgicale permet parfois de préciser le diagnostic [3, 6, 10]. Une cholécystectomie ou une cholécysto-entérostomie peuvent être envisagées. Ces interventions permettent de traiter l’urgence relative que représente l’obstruction des voies biliaires, mais pas tous les signes cliniques liés à l’affection hépato-biliaire. La mortalité péri- et postopératoire de ces interventions chirurgicales demeure élevée [3, 10].
Peu de données chiffrées existent sur le pronostic des CN ou des CL. Dans une étude rapportant 15 cas de CN, 8 des chats ont survécu plus d’une année après le diagnostic, avec une médiane de survie de 29 mois [7]. Dans une autre publication décrivant 6 cas, 5 ont survécu. Le sixième présentait une affection intercurrente, qui a nécessité une euthanasie [4]. Le pronostic des CN serait donc relativement bon bien que la présentation clinique soit grave. Certains cas semblent récidiver peu de temps après le traitement initial. Une antibiothérapie longue, idéalement choisie à partir d’un antibiogramme, peut diminuer le risque de rechutes. Si une intervention chirurgicale est nécessaire pour traiter une obstruction biliaire, le pronostic apparaît beaucoup plus réservé. La présence concomitante d’une pancréatite et/ou d’une maladie inflammatoire de l’intestin complique également le traitement et le pronostic des CN.
Beaucoup de chats atteints de CL répondent plutôt favorablement au traitement. Une étude ancienne rapporte que, sur 21 cas de CL, seulement 6 chats sont morts ou ont été euthanasiés [8]. Dans une autre étude portant sur 25 cas d’hépatite portale lymphocytaire, la médiane de survie a été de 37 mois [7]. Seize des 25 chats ont vécu plus d’un an. Enfin, la publication la plus récente, qui compare deux monothérapies chez 26 chats atteints de CL, annonce une médiane de survie globale de 795 jours (avec un âge médian au moment du diagnostic de 12,3 ans). À un an, 75 % des chats étaient en vie, 56 % à 2 ans, 35 % à 3 ans [11]. L’ampleur du tableau clinique semble avoir une importance pronostique [11]. La présence d’un épanchement péritonéal serait de moins bon pronostic que celle d’un ictère. Certains chats souffrant de CL nécessitent une corticothérapie répétée ou doivent recevoir de faibles doses de prednisolone sur le long terme.
La gestion des cholangites nécessite une prise en charge exigeant parfois une hospitalisation et, dans tous les cas, un soutien et un suivi de la fonction hépatique sur le long terme. Pour différencier les CN et les CL, une biopsie est idéalement nécessaire. Un diagnostic précis (histologique, bactériologique) permet de mettre en place un traitement optimisé. Il est souvent long et n’exclut pas le risque de récidive. Peu de données chiffrées existent encore sur l’espérance de vie des chats atteints de cholangite mais elles semblent indiquer qu’une prise en charge thérapeutique se révèle fréquemment efficace malgré un pronostic initial estimé très incertain.
Aucun.