Un marqueur de pathogénicité mammaire du staphylocoque doré a été identifié - La Semaine Vétérinaire n° 333 du 01/03/2013
La Semaine Vétérinaire n° 333 du 01/03/2013

GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE ET BACTÉRIOLOGIE OVINE

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Auteur(s) : Yves Le Loir*, Béatrice Bouquet**

Fonctions :
*UMR 1253 Inra,
Agrocampus
Ouest, STLO Science
et technologie du lait
et de l’œuf
65, rue de Saint-Brieuc
35042 Rennes Cedex
**Cabinet vétérinaire
8, rue des Déportés
80220 Gamaches

Des travaux récents franco-brésiliens soulignent l’intérêt d’une protéine sécrétée comme marqueur de l’infection mammaire par Staphylococcus aureus. Des applications diagnostiques et vaccinales sont possibles.

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Staphylococcus aureus est un agent pathogène qualifié d’opportuniste. Il engendre des infections chez l’homme et chez l’animal quand il change de relation avec son hôte, quittant son statut d’ordinaire commensal. Les mécanismes qui conduisent à l’installation et à la progression de l’infection sont encore mal compris. Une piste intéressante pour en savoir plus est l’étude des protéines synthétisées par la bactérie lorsqu’elle entretient une relation de type commensal avec l’hôte ou, au contraire, lorsqu’elle bascule sur un mode de vie pathogène. Il est difficile d’accéder directement à cette information en échantillonnant sur le site de portage ou le site infecté : la quantité de bactéries recueillies est trop faible pour les techniques d’analyse disponibles.

Protéines du staphylocoque et réponse immunitaire

Une solution alternative consiste à identifier indirectement les protéines du staphylocoque qui ont généré une réponse immunitaire chez l’hôte au cours de ces deux conditions (portage sain et infection). En effet, dans les deux cas de figure, le système immunitaire répond à la présence du staphylocoque en synthétisant des anticorps circulant dans le sérum de l’homme ou de l’animal. Celui-ci est prélevé et utilisé pour révéler les protéines de staphylocoques préalablement séparées par électrophorèse bidimensionnelle (Western-Blot) (figure). Il est possible ainsi d’amplifier les signaux et d’avoir accès aux protéines produites par la bactérie au contact de l’hôte. Si une protéine est reconnue par les anticorps (protéine immunoréactive), cela signifie qu’à un moment ou un autre, elle a été produite in situ par le staphylocoque. L’ensemble des protéines ainsi révélées constitue le séroprotéome. Celui-ci peut varier selon le type d’infection ou en fonction de la souche de S. aureus à l’origine de l’infection.

Cette voie est déjà bien engagée pour les staphylocoques isolés en médecine humaine (diverses publications depuis 2005 en soulignent tout l’intérêt). L’idée sous-jacente est d’identifier des marqueurs (une seule molécule ou une association) capables de prédire la virulence d’une souche ou d’une autre, ou de signer un pronostic sombre.

49 protéines identifiées chez les ovins

→ Chez les bovins comme chez les ovins, dans le cadre des mammites, les recherches dans cette voie commencent à porter aussi leurs fruits. Des publications de Le Maréchal et coll. et Rainard et coll. ont pointé du doigt des protéines associées à une expression clinique de la maladie ou une autre [3, 4]. De là est née l’idée d’établir et de comparer les séroprotéomes de deux souches de S. aureus à l’aide de sérums collectés chez des animaux infectés (brebis atteintes de mammites cliniques ou subcliniques) ou chez de simples porteurs de la bactérie (au sein des cavités nasales, en l’absence de toute infection passée ou en cours) (photo). Ces travaux ont été conduits en association par des équipes situées en France (Rennes et Sofia-Antipolis) et au Brésil.

→ Au total, 49 protéines ont ainsi été sélectionnées parmi celles reconnues par des sérums issus d’ovins infectés ou de porteurs. Elles ont ensuite été identifiées par spectrométrie de masse. Un tri a été effectué, pour détecter les protéines qui diffèrent entre infectés mammaires et porteurs nasaux. Dans l’ensemble, les profils séroprotéiques des souches sont très semblables quelle que soit la condition (portage ou mammite). Les chercheurs ont néanmoins mis en évidence une protéine staphylococcique, baptisée AM, qui n’est immunoréactive qu’avec les sérums de brebis infectées. Cette protéine AM correspond à une N-acétylmuramyl-L-alanine amidase, une enzyme (autolysine) impliquée dans le métabolisme de la paroi chez S. aureus. Elle avait déjà été révélée lors de précédents travaux sur les mammites [3]. Ces tout nouveaux résultats montrent que cette protéine est fortement immunoréactive chez les animaux infectés alors qu’elle ne génère aucun signal chez les animaux porteurs sains. De plus, un des domaines qu’elle contient participe à l’adhérence et l’internalisation de la bactérie. Le gène qui code cette autolysine AM a été retrouvé dans les séquences génomiques de tous les S. aureus disponibles (quel que soit l’hôte d’origine, homme ou animal).

→ Il reste à établir le rôle réel de cette autolysine dans l’infection de la glande mammaire. Certaines choses restent inexpliquées. Par exemple, certains résultats semblent en opposition avec ces travaux “ovins” franco-brésiliens. Récemment, Kolata et coll. ont collecté des sérums et des souches de S. aureus sur des porteurs sains et des malades humains. La même protéine AM est sécrétée par toutes ces souches isolées, mais en revanche elle n’est reconnue par aucun des sérums qu’ils soient issus de porteurs nasaux, de personnes infectées (malades) [2]. Ce paradoxe reste inexpliqué. Est-il dû à une différence de souche uniquement (l’équipe française a montré que les souches de S. aureus ovines, bovines et humaines étaient nettement différentes) [1] ? À une différence de “comportement” de la bactérie ayant trait à l’hôte (homme/ovin) et/ou à des différences de réactions immunes ?

→ À la faveur de ce travail, il a aussi été objectivé, pour la première fois chez des ruminants, que la réponse immune au simple portage est très semblable à celle identifiée lors de mammite chez les ovins (nombre de sites immuns réactifs et titres observés identiques et, par comparaison, les brebis ni malades ni porteuses ne donnent aucune réaction). Et là, il n’existe pas de contradiction avec les travaux de Kolata et coll. (ils avaient montré que le portage nasal induit une réaction immune humorale forte et qui plus est spécifique de souche).

Perspectives

Des applications vaccinales sont imaginées face à ces découvertes. La protéine AM est un antigène qui, combiné à d’autres, pourrait constituer un bon vaccin sous-unitaire contre les mammites.

Ce sont des “pistes” que les chercheurs ont tracé là, qui pourraient se révéler prometteuses dans des champs entiers d’applications diagnostique et prophylactique.

Références

  • 1. Ben Zakour NL et coll. Genome-scale analysis of ruminant Staphylococcus aureus reveals host-specific diversification of the core genome. J. Bacteriol. 2008;190(19):6302-6317.
  • 2. Kolata J et coll. Distinctive patterns in the human antibody response to Staphylococcus aureus bacteremia in carriers and non-carriers. Proteomics 2011;11(19):3914-3927.
  • 3. Le Marechal C et coll. Staphylococcus aureus seroproteomes discriminate ruminant isolates causing mild or severe mastitis. Vet. Res. 2011;42(1):35.
  • 4. Rainard P, Corrales JC, Barrio MB et coll. Leucotoxic activities of Staphylococcus aureus strains isolated from cows, ewes, and goats with mastitis: importance of LukM/LukF’-PV leukotoxin. Clin. Diagn. Lab. Immunol. 2003;10:272-277.
  • 5. Seyffert N, Le Maréchal C, Jardin J, et coll. Staphylococcus aureus proteins differentially recognized by the ovine immune response in mastitis or nasal carriage. Vet. Microbiol. 2011;157:439-447.

Mammite ovine délabrante à Staphylococcus aureus (J24 après traitement). L’espoir des chercheurs est, par exemple, d’identifier des marqueurs bactériens associés à un pronostic sombre.

FIGURE
Aspect des résultats obtenus en Western Blot à deux dimensions dans l’expérimentation franco-brésilienne de Seyffert et coll.

FIGUREAspect des résultats obtenus en Western Blot à deux dimensions dans l’expérimentation franco-brésilienne de Seyffert et coll.

Les souches de S. aureus isolées de mammites ovines sont cultivées en laboratoire et leurs protéines sécrétées sont récoltées et séparées par l’électrophorèse bidimensionnelle (A). Les protéines sont ensuite transférées sur membrane (Western Blot) et immunorévélées à l’aide des sérums issus d’animaux infectés (B) ou porteur sains (C). Les protéines intéressantes sont ainsi repérées et sont ensuite identifiées par spectrométrie de masse. La protéine AM, reconnue seulement par les sérums d’animaux malades, est entourée en rouge. D’après [5].

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