Uretères ectopiques chez un labrador mâle adulte - Le Point Vétérinaire expert canin n° 334 du 01/04/2013
Le Point Vétérinaire expert canin n° 334 du 01/04/2013

UROLOGIE CANINE

Cas clinique

Auteur(s) : Mathieu Raillard*, Mathieu Manassero**, Eymeric Gomes***, Hélène Combrisson****, Christelle Maurey*****

Fonctions :
*ENV d’Alfort
7, av. du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex

L’uretère ectopique chez un chien est une anomalie congénitale qui peut se manifester tardivement et doit faire partie du diagnostic différentiel de l’incontinence, même pour un adulte.

Un chien labrador mâle entier âgé de 5 ans est présenté en consultation pour une incontinence urinaire caractérisée par des pertes en gouttes de manière continue majorées sur le lieu de couchage et par l’excitation. Celles-ci sont apparues 2 ans auparavant et se sont aggravées depuis.

CAS CLINIQUE

1. Examen clinique

Le chien présente un excellent état général. L’examen clinique ne met pas en évidence d’autres anomalies que l’incontinence rapportée par les propriétaires (pertes en gouttes), observée tout au long de la consultation, ainsi qu’une souillure urineuse des poils en regard du prépuce, associée à une balanoposthite modérée. De plus, les mictions observées sont normales et non entrecoupées.

L’analyse urinaire révèle une densité à 1,036 et l’examen du culot met en évidence quelques rares cristaux de struvite.

2. Hypothèses étiologiques

Compte tenu de l’absence de globe vésical et des mictions normales observées, une incontinence par défaut de stockage est considérée. Différentes hypothèses sont formulées :

– une incompétence sphinctérienne ;

– un défaut de compliance ou de capacité vésicale d’origine anatomique (vessie pelvienne) ou acquise (hyperréactivité vésicale dans un contexte inflammatoire ou neurogène, tumeur, lithiase) ;

– un shunt de l’appareil vésico-sphinctérien (avec, en premier lieu, une ectopie urétérale).

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

1. Échographie abdominale

Une échographie de l’appareil urinaire révèle des reins de taille et d’aspect normaux. La vessie est modérément distendue et ne présente pas d’anomalie. Deux fines structures tubulaires anéchogènes de 3 mm de diamètre, contractiles, dorsales au col vésical, se prolongeant en direction de l’urètre prostatique, sont visualisées (photo 1). Après l’injection de 1 mg/kg de furosémide par voie intraveineuse, les deux structures tubulaires se dilatent et correspondent au trajet des uretères. L’utilisation du mode Doppler énergie permet en effet de visualiser de jets urétéraux rétrogrades (direction caudo-craniale depuis la jonction col-urètre vers la lumière vésicale) (photo 2). Les uretères se rejoignent dorsalement et caudalement au col vésical, suivant un trajet intraprostatique, puis s’abouchent dans l’urètre prostatique en région moyenne de la prostate.

2. Profil urodynamique

Des anomalies fonctionnelles ne pouvant être exclues, un profil urodynamique est réalisé dans un second temps. Cet examen est constitué :

– du cystométrogramme, qui évalue l’intégrité et l’intensité du réflexe mictionnel, la compliance et la capacité vésicale ;

– du profil urétral qui consiste à enregistrer la pression sur toute la longueur de l’urètre. Les paramètres observés sont la pression urétrale maximale, la pression maximale de clôture et la longueur fonctionnelle (longueur pour laquelle la pression urétrale est supérieure à la pression vésicale).

Cet examen a lieu sous sédation (xylazine à la dose de 1 mg/kg par voie intramusculaire). Chez ce labrador, la longueur fonctionnelle est faible, les autres paramètres (réflexes mictionnels, pressions vésicale et urétrale maximales, compliance vésicale) sont dans les valeurs usuelles. Le pic de pression maximale étant normal mais la longueur fonctionnelle étant courte, le profil urodynamique conclut à une incompétence sphinctérienne (figure 1).

3. Uroculture

L’uroculture ne met pas en évidence d’infection du tractus urinaire.

DIAGNOSTIC

L’incontinence est consécutive à une ectopie urétérale bilatérale avec abouchement des uretères dans l’urètre prostatique et à une incompétence sphinctérienne.

TRAITEMENT CHIRURGICAL

L’anesthésie est induite au propofol (à la dose de 4 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) immédiatement après le profil urodynamique et maintenue à l’isoflurane sous 100 % d’O2. Une antibioprophylaxie peropératoire est instaurée (30 mg/kg de céfalexine IV toutes les 2 heures). L’analgésie peropératoire est assurée par une perfusion continue de fentanyl (2 µg/kg/h), de lidocaïne (3 mg/kg/h) et de kétamine (0,5 mg/kg/h).

Une laparotomie ombilico-pubienne est réalisée. Une rétroflexion vésicale et un examen de la face dorsale de la vessie sont entrepris. Ils mettent en évidence un uretère droit pénétrant dans la vessie en région trigonale et un uretère gauche en région distale du col vésical. Une cystotomie ventrale est ensuite pratiquée. Les abouchements urétéraux sont recherchés mais non visualisés. L’uretère droit est entièrement intramural alors que l’uretère gauche présente une composante mixte intra- et extramurale. Dans les deux cas, pour la portion intramurale, l’uretère semble sous-séreux et loin de la muqueuse.

L’uretère droit subit une néo-urétérostomie, avec un stripping, une exérèse et une ligature transfixante de 2 cm de la partie distale de l’uretère (néostomie réalisée avec cinq points simples au glycomère 631 5.0-Biosyn 5.0) (figure 2). Une néo-cysto-urétérostomie de l’uretère gauche est pratiquée (néostomie réalisée avec cinq points simples au glycomère 631 5.0-Biosyn 5.0 et une transfixation séro-séreuse de la vessie et de l’uretère) (figures 3 et 4). Enfin, une cystorraphie est effectuée par un surjet simple au glycomère 631 4.0-Biosyn 4.0, puis épiploïsée. Une sonde urinaire est mise en place afin de réaliser un test d’étanchéité rétrograde. La fermeture de la paroi abdominale est effectuée plan par plan de manière conventionnelle. La sonde urinaire précédemment positionnée est laissée à demeure, connectée à une poche de collection afin de contrôler la diurèse dans les 12 premières heures postopératoires.

ÉVOLUTION

Durant les premières heures d’hospitalisation, une fluido-thérapie à base de NaCl 0,9 % normocomplémentée en potassium est maintenue. La sonde urinaire est retirée 12 heures après l’intervention chirurgicale. L’analgésie est assurée par des injections de morphine IV à la dose de 0,2 mg/kg toutes les 4 heures jusqu’au lendemain de l’acte chirurgical. Le relais est assuré par du tramadol, administré par voie orale, à 3 mg/kg trois fois par jour jusqu’à disparition des signes de douleur. De plus, des traitements anti-inflammatoire (méloxicam, à la dose de 0,2 mg/kg/j) et spasmolytique (alfuzosine, 0,05 mg/kg, par voie orale matin et soir, et phloroglucinol, 2 mg/kg/j IV) sont instaurés pendant 5 jours. L’antibiothérapie (céfalexine, 15 mg/kg IV matin et soir) est poursuivie 7 jours après l’intervention chirurgicale pour prévenir une infection du tractus urinaire.

Le chien présente immédiatement après le retrait de la sonde une incontinence urinaire similaire à celle observée lors de la consultation. Les analyses biochimiques de la fonction rénale postopératoire (urémie et créatininémie) se situent dans les valeurs usuelles. Trois jours après l’intervention, le contrôle échographique révèle des dilatations pyéliques et urétérales bilatérales (photos 3a et 3b). Celles-ci sont compatibles avec des images postopératoires immédiates fréquentes ou un processus infectieux.

Au sixième jour après l’acte chirurgical, l’animal présente un excellent état général et il est continent. Le contrôle échographique montre une régression partielle des lésions observées 3 jours auparavant et l’examen bactériologique urinaire se révèle négatif.

Un suivi est réalisé 2 mois après l’intervention. L’animal est toujours continent et présente un excellent état général.

DISCUSSION

1. Épidémiologie

Les signes cliniques prédominants de l’ectopie urétérale chez le mâle sont des pertes d’urines en gouttes, de manière continue ou intermittente. Cette incontinence semble aggravée par l’excitation et sur les lieux de couchage. Les mictions sont par ailleurs normales. Tous ces signes sont trouvés chez ce cas [3].

Races prédisposées

La prévalence de l’ectopie urétérale dans l’espèce canine est relativement faible : 0,013 à 0,045 %. Il existe des prédispositions raciales : retrievers en général, siberian husky, terre-neuve, bulldog anglais, west highland white terrier, fox-terrier, caniche [7]. Sont également à considérer les prédispositions sexuelles : les femelles représentent 80 à 95 % des ectopies urétérales diagnostiquées [11]. Il est cependant plus que probable que la proportion de mâles soit sous-estimée. Ces derniers possèdent un sphincter urétral plus long, contribuant au maintien de la continence urinaire en cas d’abouchement d’un ou des deux uretères en portion proximale de l’urètre, ce qui est généralement le cas (la majeure partie des abouchements décrits chez le mâle sont dans l’urètre prostatique) [10]. Dans 60 % des cas, les ectopies urétérales sont bilatérales et le trajet intramural représente 95 % des ectopies. Cette tendance est également retrouvée chez le mâle [3].

L’animal de ce cas appartient à une race fréquemment rapportée dans les études sur le sujet. Le fait que ce soit un mâle qui présente une ectopie (bilatérale, mais avec l’uretère gauche en partie extramurale) est rare.

Affections concomitantes

Lors d’ectopie urétérale, des affections concomitantes sont rapportées dans 90 % des cas. Sont à signaler en particulier l’incompétence sphinctérienne (89 % des femelles), les infections du tractus urinaire (64 % des cas), les hydro-uretères (accompagnés d’hydronéphrose) et les autres anomalies congénitales de l’appareil urinaire (hypoplasie/agénésie rénale, vessie pelvienne) chez les femelles [9, 14, 15]. Chez les mâles, des infections du tractus urinaire, des hydro-uretères et une incompétence sphinctérienne sont fréquemment rapportés [3]. Ici, une incompétence sphinctérienne a été mise en évidence. Son association avec l’ectopie urétérale permet d’expliquer l’apparition tardive des signes cliniques d’incontinence.

Âge d’apparition

Les ectopies urétérales sont généralement diagnostiquées de 3 à 108 mois d’âge chez les mâles, avec une moyenne de 22,7 mois [3, 6].

L’originalité de ce cas réside dans son diagnostic tardif, lié à une présentation des signes cliniques à l’âge de 3 ans chez ce chien. Un équilibre précaire était instauré pour maintenir la continence urinaire. Il est probable qu’un phénomène inflammatoire (infection du tractus urinaire par exemple, hypothèse étayée par la présence de cristaux de struvite lors de la première analyse urinaire), passé inaperçu, ait déstabilisé cet équilibre et provoqué l’incontinence urinaire observée.

2. Méthodes diagnostiques

Échographie

L’échographie est couramment décrite et utilisée. Grâce à cette technique, les jets urétéraux sont visualisables. Elle est rapide et accessible, mais nécessite des opérateurs qualifiés [8]. De plus, il a été rapporté que l’utilisation de furosémide peut être efficace pour mettre en évidence les jets urétéraux [3]. Dans notre cas, c’est le premier examen complémentaire qui a été envisagé. Il a permis, à moindre coût, un diagnostic exact et rapide (sans préparation, durant la première consultation). Contrairement aux données fournies par les études précédentes, les abouchements urétéraux ont été déterminés avec plus de précision que durant la laparotomie, où ils n’ont pas été visualisés directement. En revanche, les caractéristiques intra- et extramurales des uretères n’ont pas été précisées.

Urographie excrétrice

La méthode traditionnelle de diagnostic des ectopies urétérales en médecine vétérinaire est l’urographie excrétrice. Elle est relativement accessible en pratique courante et permet la visualisation de tout l’appareil urinaire. Elle peut cependant donner des informations imprécises sur le site d’abouchement des uretères. En outre, il n’est pas toujours possible de le déterminer à cause de différentes contraintes :

– la vitesse de flux du produit de contraste dans les uretères ;

– la nécessité de réaliser plusieurs séries de clichés ;

– le diamètre des uretères qui ne permet pas toujours une mise en évidence optimale du produit de contraste ;

– la superposition avec le rachis et les os pelviens ;

– la présence de contenu digestif en cas de préparation inadaptée [2, 4].

C’est pourquoi l’endoscopie et l’examen tomodensitométrique avec contraste sont devenus des techniques de choix chez la femelle [12].

3. Une méthode moins invasive

La cystoscopie est une solution alternative diagnostique valable, à coupler avec l’une des autres techniques citées ci-dessus. Elle est moins facilement accessible et permet l’exploration du seul bas appareil urinaire. Or il est important de l’évaluer dans son intégralité. La visualisation directe des abouchements urétéraux est généralement possible. Elle reste cependant compliquée chez les animaux de très petit format. Cette technique présente l’avantage d’offrir une possibilité thérapeutique moins invasive intéressante en cas d’ectopies urétérales intramurales. L’ablation au laser, guidée par cystoscopie, des uretères ectopiques est possible [1, 13]. Cette méthode n’aurait cependant pas pu être utilisée chez ce chien puisqu’il présentait une portion extramurale de l’uretère gauche.

4. Traitement par urétéronéocystostomie

Une urétéronéocystostomie a dû être réalisée [5]. Bien que plus invasive que la technique au laser, elle a permis une correction satisfaisante du défaut. Les complications les plus fréquemment rencontrées après cette intervention chirurgicale sont :

– l’hématurie et la pollakiurie ;

– l’obstruction urétrale (caillots) ;

– l’infection du tractus urinaire ;

– les hydronéphroses et les hydro-uretères modérés, régressant généralement spontanément en 4 à 6 semaines, qui peuvent aller jusqu’à une insuffisance rénale postrénale.

Dans notre cas, une hématurie, une pollakiurie, une hydro-néphrose et un hydro-uretère modérés ont été observés, et leur évolution a été suivie. Ils ont spontanément régressé dans les quelques jours qui ont suivi l’intervention.

Conclusion

L’intérêt de ce cas réside dans la présence d’une ectopie urétérale qui s’est manifestée tardivement chez un chien mâle. Cette anomalie congénitale doit donc faire partie du diagnostic différentiel de l’incontinence, même chez un adulte. De plus, ce cas permet de montrer l’importance de l’évaluation complète de l’appareil urinaire des chiens présentant des ectopies urétérales.

Références

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Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’ectopie urétérale est une affection rarement détectée chez le chien mâle.

→ Cette anomalie congénitale doit faire partie du diagnostic différentiel de l’incontinence urinaire, même chez un chien adulte.

→ Chez les chiens présentant cette maladie, il est important d’évaluer l’appareil urinaire dans son intégralité.

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