Un cas d’hydronéphrose lié à un calcul urinaire d’oxalate - Le Point Vétérinaire expert canin n° 333 du 01/03/2013
Le Point Vétérinaire expert canin n° 333 du 01/03/2013

UROLOGIE CANINE

Cas clinique

Auteur(s) : Céline Picaut*, Frédéric Sanspoux**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire Mercure
6, rue de Numa 64600 Anglet
**16, rue des Rochettes 87300 Bellac

La présence d’un calcul d’oxalate dans la vessie révèle parfois un dysfonctionnement urinaire qu’il est primordial de mettre en évidence.

Un chien mâle castré âgé de 13 ans, croisé fox et jagd terrier, est présenté à la consultation pour une incontinence urinaire constatée par le propriétaire depuis une dizaine de jours (photo 1).

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

L’animal n’est pas vacciné, peu médicalisé et mange des croquettes de grande surface. Il perd quelques gouttes d’urine en marchant et la nuit dans son panier. Les mictions sont normales. Aucune polyurie-polydispsie n’est remarquée par le propriétaire.

2. Examen clinique

Le chien pèse 9,6 kg, son état d’embonpoint est normal. À l’examen clinique, un souffle systolo-diastolique gauche d’intensité 3/6 est remarqué. Une distension abdominale, non douloureuse à la palpation, révèle une masse liquidienne de taille importante compatible avec un globe vésical.

L’animal est sondé afin de vérifier la perméabilité de l’urètre et de vider la vessie. La sonde passe sans problème l’urètre jusqu’à la vessie. La collecte de l’urine est très faible (environ 5 ml). La densité urinaire (réfractomètre) égale à 1,020. Le pH est acide (entre 6 et 6,5). La présence de protéines et de leucocytes à la bandelette fait suspecter une infection urinaire et motive la réalisation d’un culot urinaire. Celui-ci, entre lame et lamelle, confirme la présence de nombreux leucocytes.

3. Conclusion de l’examen clinique

La masse abdominale liquidienne est rapidement assimilée à un globe vésical mais il peut aussi s’agir d’un kyste (périrénal, paraprostatique) ou d’une hydronéphrose.

4. Examens complémentaires

Échographie urinaire

Afin d’explorer cette masse liquidienne compatible avec un globe vésical difficile à vidanger, une échographie abdominale est réalisée. Une cystocentèse urinaire est pratiquée par la même occasion en vue d’un examen cytobactériologique des urines (ECBU). Deux contenants liquidiens sont très rapidement mis en évidence (photo 2). Le premier, de faible contenu, est la vessie. L’épaisseur de la paroi est très augmentée (à minorer par le fait qu’elle soit peu remplie) et la présence de « sable » dans les urines est notée. De plus, un calcul d’environ 2 cm est présent (photos 3a et 3b). Sa surface semble spiculée, ce qui est plutôt en faveur d’un calcul d’oxalate. La prostate ne présente pas d’anomalie.

Le second contenant liquidien mesure plus de 15 cm de diamètre et occupe une grande partie de l’abdomen. Il correspond au globe palpé à l’examen clinique. La paroi est fine (environ 2 mm) et le contenu liquidien anéchogène. Des vestiges de parenchyme rénal en partie craniale sont visibles, ainsi que l’uretère gauche très dilaté dans sa portion proximale (photo 4). Il s’agit donc du rein gauche en hydronéphrose terminale.

Le reste de l’examen échographique abdominal ne révèle aucune autre anomalie. L’échostructure du rein droit est normale.

Examen radiographique de l’abdomen

Un cliché radiographique de l’abdomen de profil est réalisé afin de rechercher d’éventuels calculs supplémentaires.

L’hydronéphrose et le calcul de 2 cm sont visualisés dans la vessie mais aucun autre calcul n’est mis en évidence (photo 5).

Examen biochimique

Un examen biochimique est réalisé afin de connaître les valeurs reflétant l’activé rénale du chien (tableau 1). L’urée se situe à la limite supérieure de l’intervalle de référence mais la créatinine est normale. L’augmentation de l’urémie seule est considérée comme étant probablement d’origine prérénale (déshydratation). La concentration plasmatique en potassium est normale. L’excrétion du potassium n’est donc pas diminuée (cas rencontré lors d’une obstruction urinaire). Dans l’hypothèse d’un calcul d’oxalate de calcium, une cause favorisante est cherchée. Les analyses biochimiques ne mettent pas en évidence d’hypercalcémie ou d’augmentation des phosphatases alcalines compatibles avec un hypercorticisme.

Conclusion des examens complémentaires

L’hydronéphrose du rein gauche est au stade terminal mais le rein droit ne paraît pas morphologiquement atteint et la fonction rénale semble conservée. L’aspect spiculé du calcul vésical ainsi que le pH acide sont plutôt en faveur d’un calcul d’oxalate de calcium impossible à dissoudre (l’absence de cristaux dans les urines ne permet pas de le confirmer). Une infection urinaire concomitante est présente.

5. Traitement

Traitement chirugical

Le traitement est essentiellement chirurgical. À ce stade d’hydronéphrose et sachant que la fonction rénale est conservée, seule une néphrectomie est envisageable. Ainsi, dans les cas d’atteinte rénale unilatérale (le rein controlatéral est considéré intact), la masse néphrotique fonctionnelle résiduelle, soit 50 %, est suffisante.

Le calcul vésical doit être retiré par cystotomie.

Pendant l’intervention chirurgicale, avant de retirer le rein gauche, l’aspect du rein droit est vérifié. Il est macroscopiquement normal. Le rein gauche est vidangé pour faciliter sa manipulation (photo 6). L’artère, puis la veine rénale, sont ligaturées séparément. L’uretère gauche, dilaté dans sa partie proximale, est disséqué et ligaturé au plus près de son abouchement dans la vessie (afin d’éviter de former un cul-de-sac propice aux infections). La présence d’un caillot dans le bassinet du rein gauche, au niveau du départ de l’uretère est notée (photo 7).

Traitement médical

Pour traiter l’infection urinaire, un traitement antibiotique probabiliste (amoxicilline + acide clavulanique à la dose de 12,5 mg/kg toutes les 12 heures) est instauré en attendant les résultats de l’ECBU. Celui-ci révèle la présence d’E.Coli, sensible au traitement à l’amoxicilline, qui est donc maintenu pendant 20 jours.

Pour diminuer le risque de récidive, des mesures diététiques préventives doivent être instaurées. Dans ce cas, des croquettes Hill’s u/d ND® sont choisies. Il est également possible d’ajouter des légumes verts à l’alimentation.

Résultats d’analyses

À la clinique, l’analyse cytologique du liquide contenu dans le rein gauche, d’aspect trouble, ne contient que des débris cellulaires. L’analyse histopathologique du rein gauche révèle une hydronéphrose accompagnée de pyélonéphrite chronique. L’analyse infrarouge du calcul confirme qu’il s’agit bien d’un calcul d’oxalate de calcium (mono- et dihydraté) (photo 8).

Suivi

Au retrait des points, 12 jours après l’intervention chirurgicale, le chien se porte très bien et l’incontinence urinaire a disparu. L’urémie et la créatinémie sont dans les intervalles de référence (urée = 0,384 g/l et créatinine = 12,3 mg/l).

Un deuxième ECBU, 5 jours après l’arrêt de l’antibiotique, permet de vérifier la disparition de l’infection urinaire.

Un suivi mensuel durant les 3 premiers mois, puis trimestriel, est mis en place pour évaluer l’efficacité du traitement préventif (dans notre cas, uniquement diététique) : densité urinaire basse, pH neutre et absence de cristaux au culot.

Six mois plus tard, l’animal va très bien et aucune récidive n’est à déplorer.

DISCUSSION

1. Motif de consultation : incontinence ?

L’incontinence peut avoir de nombreuses causes. Ici, les mictions volontaires sont normales. L’animal perd quelques gouttes en marchant ou dans son panier. Ce chien étant castré, l’incompétence vésico-sphinctérienne est possible, même si elle reste rare chez les mâles. L’examen clinique pourrait, avec la palpation abdominale d’un globe liquidien, laisser croire, à tort, à une incontinence par trop-plein. Ainsi, il est important de retenir la présence de mictions normales (ce qui exclut une neuropathie périphérique ou une dyssynergie vésico-sphinctérienne). De plus, une obstruction urétrale, même intermittente, aurait amené la propriétaire, qui passe beaucoup de temps avec son chien, à constater des signes de dysurie (pollakiurie, strangurie, etc.). Ainsi, les incohérences de l’anamnèse et de l’examen clinique ont motivé la réalisation d’un examen échographique mettant facilement en évidence une hydronéphrose. L’incontinence constatée ici est sans nul doute liée à la présence d’un gros calcul spiculé et d’une infection urinaire, favorisant tous deux l’inflammation de la paroi vésicale. Cette inflammation peut être responsable d’une incontinence impérieuse (ou instabilité vésicale) ou d’une incontinence par trop-plein à défaut de vidange complète (trop grand volume résiduel) [10]. Dans notre cas, la vessie était très peu remplie (récupération de 5 ml au sondage), ce qui est en faveur d’une instabilité vésicale. Cette incontinence a rétrocédé au traitement.

2. Les calculs d’oxalate de calcium

Étiologie

Depuis quelques années, la fréquence des calculs d’oxalate de calcium a énormément augmenté par rapport aux autres calculs, pour atteindre un plateau d’environ 40 %, comparable à celui des calculs phospho-ammoniaco-magnésien (PAM) [1, 6]. Certaines races sont prédisposées (races de petite taille, et notamment le schnauzer miniature) et les mâles sont deux fois plus atteints que les femelles. La castration et l’obésité favorisent la formation des calculs, en général. Bien que l’apparition de calcul d’oxalate résulte très probablement d’une combinaison de plusieurs facteurs de risque, différentes études s’intéressent en particulier aux facteurs alimentaires. Pour tous les types de calculs, l’augmentation de production d’urine (en volume et/ou en fréquence) diminuerait la saturation en composants minéraux [3]. Ainsi, les aliments pauvres en eau ou en protéines (celles-ci favorisent la prise de boisson) sont un facteur de risque [5]. De nombreuses autres causes alimentaires sont également incriminées (excès alimentaires de calcium, oxalate, vitamine D, vitamine C, consommation d’aliments acidifiant les urines, pour les PAM surtout).

Dans notre cas, les croquettes bas de gamme pourraient être incriminées. Cependant, les autres causes possibles d’hypercalciurie ou d’hyperoxalaturie ne doivent pas être négligées, comme les acidoses métaboliques, l’hypercorticisme et les maladies hypercalcémiantes. Pour ces dernières, les causes néoplasiques sont le plus souvent trouvées (lymphome, carcinome du sac anal, myélome multiple et autres tumeurs variées). L’hypoadrénocorticisme, l’hyperparathyroïdie primaire et l’insuffisance rénale font partie des causes plus rares [11].

Prévention des récidives

Les calculs d’oxalates de calcium ne peuvent être dissous et leur retrait chirurgical est nécessaire. Les récidives sont fréquentes (50 à 60 % dans les 3 ans) [7]. La mise en place de mesures préventives et d’un suivi régulier de l’animal est donc primordiale.

Les mesures diététiques constituent la base du traitement. L’objectif principal est de diminuer la saturation des urines en augmentant leur dilution ainsi que la fréquence des mictions (ce qui implique de sortir l’animal souvent). Ainsi lors des contrôles, il convient de vérifier que la densité urinaire est toujours inférieure à 1,025. Pour favoriser la prise de boisson, un aliment industriel de bonne qualité est choisi (l’idéal étant, bien entendu, un aliment diététique adapté). Il est possible d’ajouter de l’eau sur les croquettes ou des légumes verts. Le pH doit rester entre 6,5 et 7,5 (aliment à formule fixe) [1, 9].

L’administration de citrate de potassium (Foncitril ND®, à la dose de 50 à 60 mg/kg/j) peut parfois être nécessaire pour alcaniser les urines mais son utilisation est controversée [3]. Enfin si des cristaux persistent au culot urinaire, un diurétique thiazidique (Esidrex ND®, 0,25 à 2 mg/kg deux fois par jour) permet de réduire la calciurèse. La calcémie doit, dans ce cas, être surveillée [8].

3. L’hydronéphrose unilatérale

Physiopathologie

Les causes d’hydronéphrose unilatérale sont nombreuses et généralement classées en causes congénitales ou acquises (tableau 2).

Dans notre cas, la présence d’un calcul à 100 % oxalate de calcium, d’une infection concomitante ainsi que d’un caillot sanguin dans le bassinet gauche nous permet d’émettre plusieurs hypothèses sur ce qui s’est passé. Le calcul d’oxalate présent dans la vessie a probablement favorisé le développement secondaire d’une infection urinaire dans la vessie, puis la remontée d’agents pathogènes dans le rein gauche. Il est possible que l’hydronéphrose soit due à la pyélonéphrite qui aurait évolué à bas bruit ou à l’obstruction de l’uretère générée par le caillot sanguin (ce qui explique davantage le caractère unilatéral de l’affection).

Le rein droit ne semblait pas atteint (aucun signe de pyélonéphrite à l’échographie) mais, par mesure de précaution, l’antibiothérapie a été maintenue 20 jours.

4. Traitement

En cas d’hydronéphrose unilatérale, en levant l’obstruction urétérale de manière précoce, il a été montré qu’une récupération du taux de filtration glomérulaire du rein atteint est possible. Celle-ci est de 100 % lors d’une obstruction d’une semaine, de 70 % après 2 semaines, de 30 % au bout de 4 semaines. La récupération au-delà de 6 semaines d’obstruction est nulle [4]. Dans la majorité des cas, l’évolution à bas bruit ne permet pas un diagnostic précoce et la chirurgie conservatrice n’est plus envisageable. Cependant, après le retrait du rein atteint, il reste, dans le cas où l’autre rein est intact, 50 % de la masse néphrétique fonctionnelle (voire plus, par augmentation compensatrice du volume rénal), ce qui est suffisant puisqu’une atteinte de 75 % ou plus doit être atteinte pour voir la fonction rénale diminuer. Le pronostic reste donc favorable, bien qu’un suivi régulier des paramètres rénaux soit fortement conseillé.

Conclusion

Ce cas clinique montre à quel point les troubles urinaires peuvent se révéler complexes et imbriqués entre eux. Les hydronéphroses unilatérales sont dues à un phénomène obstructif ou à une infection urinaire ascendante provoquant une pyélonéphrite. Les infections urinaires sont souvent le reflet d’un dysfonctionnement des mécanismes naturels de défense de l’animal (dys-fonctionnement provoqué ici par un calcul d’oxalate). L’étiologie des calculs d’oxalate est probablement multifactorielle et certaines races y sont prédisposées. Leur présence doit, dans tous les cas, conduire à chercher les maladies à l’origine d’hypercalciurie. De plus, de nombreuses études se penchent actuellement sur les facteurs de risques alimentaires et le rôle que pourraient jouer les aliments industriels.

Références

  • 1. Adams LG, Syme HM. Canine ureteral and lower urinary tract diseases. In: Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of veterinary internal medicine. 7th ed. Ed. WB Saunders, St Louis, Missouri. 2010:2086-2115.
  • 2. Beraud R, Carozzo C. Hydronéphrose unilatérale suite à une sténose urétérale. Point Vét. 2005;255:60-63.
  • 3. Elliott DA. Nutritional management of the lower urinary tract conditions. In: Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of veterinary internal medicine. 7th ed. Ed. WB Saunders, St Louis, Missouri. 2010:696-701.
  • 4. Finco DR. Obstructive uropathy and hydronephrosis. In: Osborne C, Finco D. Canine and feline nephrology and urology. Ed. Lippincott Williams and Wilkins. 1995:889-894.
  • 5. Lekcharoensuk C, Osborne CA, Lulich JP et coll. Associations between dry dietary factors and canine calcium oxalate uroliths. Am. J. Vet. Res. 2002;63(3):330-337.
  • 6. Ling GV, Thurmond MC, Young KC et coll. Changes in proportion of canine urinary composed of calcium oxalate or struvite in specimens analyzed from 1981 through 2001. J. Vet. Int. Med. 2003;17(6):817-823.
  • 7. Lulich JP, Perrine L, Osborne CA et coll. Postsurgical recurrence of calcium oxalate uroliths in dogs. J. Vet. Int. Med. 1992;6:119.
  • 8. Lulich JP et coll. Effects of hydrochlorothiazide and diet in dogs with calcium oxalate urolithiasis. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2001;218:1583-1586.
  • 9. Osborne et coll. Paradigm changes in the role of nutrition… Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2008;41:15-30.
  • 10. Pressler B, Bartges JW. Urinary tract infections. In: Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of veterinary internal medicine. 7th ed. Ed. WB Saunders, St Louis, Missouri. 2010:2036-2047.
  • 11. Schenck PA. Electrolytes disorders: Ca-P and Mg. In: Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of veterinary internal medicine. 7th ed. Ed. WB Saunders, St Louis, Missouri. 2010:308-314.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La dissolution des calculs d’oxalate étant impossible, l’intervention chirurgicale est nécessaire.

→ Lors de calculs d’oxalate, les affections à l’origine d’hypercalciurie doivent être dépistées.

→ Les récidives de calculs d’oxalate sont fréquentes. La principale mesure préventive est l’augmentation de la consommation d’eau (la densité urinaire doit être inférieure ou égale à 1,025).

→ Le diagnostic des hydronéphroses unilatérales est souvent tardif.

→ Lors d’hydronéphrose, la néphrectomie est souvent nécessaire après vérification de la fonction rénale et de l’aspect échographique du rein controlatéral.

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