CHIRURGIE
Chirurgie
Auteur(s) : Claire Demars*, Hélène Tiberghien**
Fonctions :
*(DipECVS)
**AniCura Nordvet
1 rue Delesalle
59110 La Madeleine
***(DE cinésiologie, physiothérapie et rééducation fonctionnelle)
Le traitement chirurgical palliatif classique des disjonctions épiphysaires de la tête fémorale chez le chat, qui consiste en une résection de la tête et du col du fémur, peut être remplacé par une ostéosynthèse dans certaines situations.
Les disjonctions épiphysaires de la tête fémorale chez le chat correspondent à une perte de continuité entre le col et la tête du fémur au niveau de la plaque de croissance, également appelée physe. Les disjonctions épiphysaires peuvent être d’origine traumatique ou d’apparition spontanée, secondaires à une dysplasie de la plaque de croissance. La disjonction d’origine traumatique est une fracture de Salter-Harris de type I, tandis que celle consécutive à une dysplasie de la plaque de croissance est appelée glissement épiphysaire de la tête fémorale. Les disjonctions épiphysaires peuvent être responsables d’une boiterie postérieure franche ou d’une simple réticence à se déplacer ou à sauter. Cet article décrit les principales caractéristiques de ces disjonctions épiphysaires, du diagnostic à la prise en charge chirurgicale.
Le fémur proximal contient deux plaques de croissance : la plaque épiphysaire proximale de la tête du fémur responsable de 25 % de la croissance longitudinale du fémur, et la plaque de croissance du grand trochanter [7]. La plaque de croissance épiphysaire se ferme vers l’âge de 30 à 40 semaines chez le chat. Chez le chien et le chat, la vascularisation de la tête du fémur s’eff ectue par un plexus vasculaire extracapsulaire provenant des artères circonflexes fémorales médiale et latérale. Ce plexus donne naissance à un réseau intracapsulaire et intraosseux. Le fait que la vascularisation du fémur proximal provient d’un seul plexus vasculaire rend la tête et le col fémoraux particulièrement sensibles aux dommages vasculaires. Chez le chat, un apport sanguin supplémentaire de l’épiphyse de la tête fémorale est assuré par l’artère du ligament rond de la tête du fémur [7, 8].
Chez le chat, les disjonctions épiphysaires peuvent être d’origine traumatique ou d’apparition spontanée (figure).
La disjonction épiphysaire d’origine traumatique correspond à une fracture de Salter-Harris de type I. La disjonction épiphysaire spontanée est secondaire à une dysplasie du cartilage de croissance qui provoque un glissement de la tête fémorale. En médecine humaine, les disjonctions de la tête fémorale spontanées sont notamment décrites chez les adolescents en surpoids. Les jeunes chats mâles castrés sont prédisposés au glissement épiphysaire de la tête fémorale, ainsi que le maine coon avec un risque jusqu’à douze fois plus important dans cette race [2, 8, 9]. L’atteinte est unilatérale ou bilatérale dans 15 à 41 % des cas [2, 6, 13]. Les glissements épiphysaires de la tête fémorale spontanés et les fractures traumatiques sont similaires sur le plan clinique et parfois radiographique, ce qui rend le diagnostic différentiel difficile. Des critères épidémiologiques, comme l’âge adulte ou la pure race, peuvent aider à orienter le diagnostic vers un glissement épiphysaire de la tête fémorale. Connaître l’origine de la disjonction épiphysaire n’est pas indispensable car les options thérapeutiques sont les mêmes, mais le pronostic associé à chaque technique est variable. Une évaluation attentive de l’ostéolyse du col est une étape importante pour le choix de la technique chirurgicale.
La pathogénie des glissements épiphysaires de la tête fémorale chez le chat demeure mal comprise. Des anomalies au niveau de la plaque de croissance, à l’origine d’une fragilité prédisposant au glissement de l’épiphyse, sont toutefois suspectées.
Lors de glissement épiphysaire, l’analyse histologique des têtes et des cols fémoraux après l’exérèse met en évidence des chondrocytes arrangés en amas au sein d’une matrice extracellulaire abondante, alors que les chondrocytes conservent leur organisation linéaire en cas de disjonction traumatique [2, 4]. Des études décrivent également l’ostéopathie métaphysaire du col fémoral, mais le glissement épiphysaire de la tête fémorale et l’ostéopathie métaphysaire correspondrait à la même entité [3]. Un amincissement du col fémoral est quasiment systématiquement rapporté, avec des remaniements osseux et/ou une perte osseuse évoquant plutôt une affection chronique. Ces changements sont aussi observés chez des chats présentant des traumatismes récents (moins de trois jours). Cela pourrait s’expliquer par une fragilisation chronique de la plaque de croissance qui augmente le risque de disjonction à cet endroit à la suite d’un traumatisme [6].
Les disjonctions épiphysaires sont à l’origine d’une boiterie du membre postérieur atteint. Lors de fracture traumatique, cette boiterie est souvent aiguë et marquée, tandis qu’en cas de glissement épiphysaire de la tête fémorale, elle peut être chronique et plus subtile. Le glissement épiphysaire doit faire partie du diagnostic différentiel de toutes les boiteries et faiblesses postérieures. Parfois, le seul signe clinique observé est une réticence à sauter ou une démarche raide. Au cours de l’examen clinique, la manipulation de la hanche peut mettre en évidence des craquements, une douleur, une diminution de l’amplitude articulaire et une amyotrophie.
Le diagnostic différentiel des disjonctions épiphysaires comprend les traumatismes des tissus mous, les affections neurologiques des membres postérieurs, les fractures des os longs et les atteintes articulaires autres que les disjonctions (instabilité du tarse, luxation de la rotule, rupture du ligament croisé, luxation de la hanche, etc.).
Le diagnostic de disjonction épiphysaire est établi à l’aide de radiographies des hanches en extension (vues latérale et ventro-dorsale). En cas de glissement épiphysaire de la tête fémorale, la disjonction est parfois invisible sur la vue ventro-dorsale en extension, la capsule en tension réduisant la fracture et empêchant sa visualisation. Une vue “en grenouille” est alors nécessaire et souvent diagnostique (photos 1a et 1b). L’image radiographique d’une disjonction traumatique ou spontanée est caractérisée par une séparation entre la tête et le col du fémur. Lors de glissement épiphysaire de la tête fémorale, l’un des premiers signes peut être un simple élargissement de la plaque de croissance, sans déplacement de la tête [1]. Une ostéolyse et/ou une sclérose du col fémoral y est souvent associée [3]. Les glissements épiphysaires sont aussi fréquemment associés à une zone radiotransparente au niveau de la métaphyse fémorale proximale, qui correspond à une nécrose osseuse. Dans le cas d’une disjonction traumatique, un déplacement de la tête fémorale est observé, sans modification du col fémoral.
Il n’est pas toujours possible de faire la différence entre les deux sur des critères uniquement radiographiques, surtout en l’absence de lésion du col fémoral.
En dépit d’une boiterie parfois unilatérale, une radiographie controlatérale est nécessaire car les glissements épiphysaires de la tête fémorale sont le plus souvent bilatéraux. Butts et ses collaborateurs se sont intéressés à différents marqueurs radiographiques précoces utilisés en médecine humaine, et notamment le S-sign [3]. Mesurée sur une vue ventro-dorsale en extension ou “en grenouille”, cette ligne curvilinéaire part du petit trochanter, se poursuit le long du col fémoral, traverse la plaque de croissance et s’arrondit autour de la tête fémorale jusqu’à son centre (photo 2). Une discontinuité, une asymétrie ou un angle aigu sont en faveur d’un glissement épiphysaire. Grâce à une sensibilité et à une spécificité supérieures à 80 %, le S-sign peut être utilisé pour le diagnostic du glissement épiphysaire de la tête fémorale chez le chat. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est également un outil de diagnostic précoce [2]. Peu de données sont disponibles sur le recours au scanner pour la détection précoce des glissements épiphysaires de la tête fémorale, mais cet examen pourrait également se révéler intéressant.
Le traitement conservateur est parfois une option thérapeutique à considérer, notamment en cas de fracture traumatique sans remaniements osseux, mais il est peu décrit [9]. Des cicatrisations osseuses spontanées ont été observées sur des fractures du col fémoral chez des chats âgés de moins de 3 mois [10]. La complication principale d’un traitement conservateur est le développement d’une pseudarthrose.
La résection de la tête et du col du fémur est une intervention chirurgicale palliative qui permet de limiter la douleur en supprimant des contacts osseux (photo 3). Cependant, un raccourcissement du membre et une diminution de l’amplitude articulaire sont fréquemment observés. Sur un plateau de force, il est démontré qu’il existe une différence d’appui entre un membre sain et un membre opéré via une résection de la tête et du col du fémur. Cependant, cette différence est faible et pas toujours détectable lors de l’examen clinique chez le chat [12]. Cette intervention reste donc une option envisageable et souvent réalisée, notamment en cas de remaniements osseux importants qui limitent les chances de cicatrisation osseuse [2, 7, 9].
Un abord cranio-latéral de la hanche est pratiqué après une préparation aseptique. La capsule articulaire est incisée en forme de T et élevée du col fémoral. Une ténotomie partielle du tendon du muscle fessier profond peut être réalisée pour améliorer l’exposition. Le muscle vaste latéral est élevé du col fémoral et du fémur proximal. Une rotation externe de 90° du membre, avec la rotule au zénith, permet de visualiser le col fémoral fracturé. Une ostéotomie du col fémoral est effectuée à la scie oscillante de la partie médiale du grand trochanter jusqu’au petit trochanter, en préservant si possible ce dernier car le muscle ilio-psoas s’y insère. La tête fémorale est ensuite retirée après la section du ligament rond.
La prothèse totale de hanche est une autre option thérapeutique décrite chez le chat, bien que peu de données soient encore disponibles. Le glissement épiphysaire de la tête fémorale chez le chat en est d’ailleurs la première indication [11]. La technique chirurgicale est similaire à celle pratiquée chez le chien. L’acetabulum et le fémur sont alésés pour respectivement mettre en place la cupule et la tige fémorale. Les prothèses cimentées, de type CFX BioMedtrix®, sont les plus fréquemment utilisées chez le chat. Le taux de complications est proche de celui établi chez le chien (19 % de complications, dont 10 % de luxations en moyenne à 26 jours postopératoires) [11].
À l’instar des nécroses aseptiques de la tête fémorale chez le chien (maladie de Legg-Calvé-Perthes), une nécrose au niveau de la plaque de croissance est suspectée lors de glissement épiphysaire spontané et il est souvent admis qu’une reconstruction et une stabilisation par ostéosynthèse de la tête du fémur ne permettent pas une cicatrisation osseuse. Des études récentes ont démontré que cette dernière est possible, mais pas systématique, après une stabilisation par ostéosynthèse [6, 13]. La cicatrisation osseuse serait également possible même après un diagnostic tardif, ce qui n’est pas le cas chez le chien pour lequel une stabilisation rapide est indiquée. La vascularisation supplémentaire de l’épiphyse du fémur proximal par le ligament rond chez le chat pourrait expliquer cette meilleure cicatrisation osseuse en cas de fracture ancienne. La chronicité reste cependant un facteur pronostique négatif. En cas de fracture traumatique, l’ostéosynthèse reste la technique de choix. Lors de glissement épiphysaire de la tête fémorale, l’ostéosynthèse est associée à un pronostic plus réservé et doit être réservée à des cas sans remaniements osseux majeurs. L’objectif d’une reconstruction par broches ou vis est d’obtenir une cicatrisation osseuse de la fracture pour préserver l’articulation coxo-fémorale (encadré). Cette technique est décrite depuis longtemps pour les fractures traumatiques récentes de la tête fémorale chez le chien, mais les données sur les fractures spontanées du chat sont assez récentes [6, 13]. Étant donné la taille du col fémoral chez le chat, l’ostéosynthèse par broches reste la technique la plus souvent réalisée, par rapport à l’ostéosynthèse par vis.
Un abord cranio-latéral de la hanche est pratiqué après une préparation aseptique. Le col fémoral est visualisé. La tête fémorale fracturée est souvent en rotation dans la cavité acétabulaire, retenue par le ligament rond. Pour réduire la fracture, il est possible d’appliquer une pression sur le fémur en direction médiale au niveau du site de fracture en faisant des mouvements de flexion ou d’extension de la hanche. Cela permet à l’épiphyse de dépivoter et de se verrouiller en place. La forme en L de la plaque de croissance aide à maintenir une réduction correcte. Deux ou trois broches sont ensuite mises en place pour stabiliser la fracture (photo 4). Elles peuvent être placées de façon normograde ou rétrograde.
Pour un placement normograde, les broches sont insérées en partant de la base du grand trochanter puis orientées le long du col fémoral. Si la fracture a été réduite, la broche peut être avancée directement du fémur jusqu’à la tête fémorale. Il peut être judicieux de faire une mesure préopératoire de la longueur de la broche avec la trajectoire voulue. Si la fracture n’a pas été réduite manuellement, la broche est insérée de la base du grand trochanter jusqu’à sa protrusion au niveau de la disjonction, puis le fémur est manipulé pour obtenir une réduction de la disjonction et la broche est avancée dans la tête fémorale. En théorie, le cartilage de la tête fémorale ne doit pas être perforé par la broche. Souvent, la broche est avancée jusqu’à l’effraction du cartilage pour la visualiser, puis elle est reculée de 1 mm.
Pour un placement rétrograde, une rotation externe du fémur est effectuée pour visualiser le col fracturé. La broche y est insérée en visant la partie distale du grand trochanter, puis reculée jusqu’à la limite de la disjonction. La fracture est ensuite réduite et la broche insérée comme décrit précédemment. Deux ou trois broches parallèles de 1 mm sont généralement utilisées [6, 8].
Un abord ventro-médial est également décrit pour stabiliser des fractures de la tête fémorale chez le chien. Cette technique permet une meilleure visualisation de la surface articulaire, mais peut être techniquement ardue pour un chirurgien non familier de cet abord [14]. Bien que rapportées chez le chien, la réduction et la stabilisation de la tête du fémur via la mise en place de broches en percutané, sous contrôle fluoroscopique, n’ont jamais été tentées chez le chat et pourraient être envisagées [5].
Selon une étude de 2023 incluant dixneuf chats, une cicatrisation osseuse est observée dans 57 % des cas [6]. Le taux de complications est de 33 %, dont 23,8 % de complications catastrophiques (migration d’implants, perte de réduction). L’ostéolyse préopératoire doit être évaluée car elle augmente le risque de complications. Un grading d’ostéolyse, allant de 0 à 3 (0 pour l’absence d’ostéolyse), est par ailleurs établi [9]. Jusqu’à 71 % de complications majeures sont rapportées en cas d’ostéolyse marquée en phase préopératoire.
Des vis peuvent être utilisées à la place des broches pour maintenir la réduction. Un forage normograde est effectué, puis la longueur de vis est mesurée grâce à une jauge en veillant à ce que la pointe ne dépasse pas de l’espace articulaire. Le montage le plus fréquemment réalisé est constitué de deux vis de 2 mm (photo 5).
Dans l’étude de Vink et ses collaborateurs, l’ostéolyse préopératoire est gradée de 0 à 3 et seuls les cas peu sévères sont inclus (grades 0 et 1) [13]. Celle-ci diminue dans 6 cas sur 46 en période postopératoire et augmente dans 30 cas sur 46 (soit 65 %). En cas de stabilisation par des broches, une aggravation est notée dans seulement 37 % des cas [6]. Cette différence pourrait être liée au volume d’implant supérieur avec des vis. Une étude comparant les deux méthodes serait intéressante. L’évolution de l’ostéolyse n’empêche cependant pas la cicatrisation osseuse, observée dans 45 cas sur 46 dans l’étude de Vink et son équipe (97 %). Contrairement à l’étude sur l’ostéosynthèse par broches, celle de Vink n’a pas mis en évidence de corrélation entre le résultat clinique et l’ostéolyse préopératoire, mais les chats qui présentaient une ostéolyse marquée n’ont pas été inclus [6, 13]. Une étude comparative des deux méthodes reste à mener. En complément de la prise en charge chirurgicale, qu’elle soit palliative ou par reconstruction avec ostéosynthèse, des techniques de rééducation fonctionnelle peuvent être proposées afin d’optimiser la récupération postopératoire de l’animal(1).
(1) Voir la fiche « Rééducation fonctionnelle lors de disjonction épiphysaire de la tête fémorale chez le chat » dans ce numéro.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Les disjonctions épiphysaires peuvent être d’origine traumatique ou d’apparition spontanée.
• Dans le cas d’une origine traumatique, la disjonction correspond à une fracture de Salter-Harris et affecte les chats en croissance.
• Les disjonctions épiphysaires non traumatiques sont appelées glissements épiphysaires de la tête fémorale spontanés. Les jeunes chats mâles de race maine coon y sont prédisposés.
• Le diagnostic des disjonctions épiphysaires est radiographique.
• Les options chirurgicales sont une reconstruction par ostéosynthèse, une résection de la tête et du col du fémur ou une prothèse totale de la hanche.
L’ostéosynthèse par vis ou par broches comprend plusieurs étapes clés :
- un abord cranio-latéral de la hanche ;
- la réduction de la fracture ;
- le forage à la base du grand trochanter, parallèle au col jusqu’à la tête fémorale ;
- un placement de la vis ou de la broche souvent normograde, parfois rétrograde ;
- la mise en place de deux ou trois broches de 1 à 1,2 mm parallèles ou de deux vis de 2 mm parallèles.
Un glissement épiphysaire de la tête fémorale est à suspecter chez tous les chats présentant une boiterie ou une réticence à se déplacer, même en l’absence de traumatisme. Une prise en charge chirurgicale est recommandée. Un examen radiographique permet d’orienter le choix de la technique chirurgicale. Bien que relativement bien tolérée chez le chat, la résection de la tête et du col du fémur n’est pas le seul traitement indiqué en cas de glissement épiphysaire de la tête fémorale. Lors d’ostéolyse peu marquée du col fémoral, une reconstruction par ostéosynthèse peut être proposée, même si le risque de complications est plus important. Dans tous les cas, des séances de rééducation fonctionnelle permettent une meilleure récupération après l’intervention.