OPHTALMOLOGIE FÉLINE
Dossier
Auteur(s) : Alexandre Guyonnet
Fonctions : (DipECVO, DESV ophtalmologie)AniCura TRIOVet
1D allée Ermengarde d’Anjou
35000 Rennes
Chez le chat, le séquestre cornéen se présente sous la forme d’une zone ambrée qui devient ensuite une plaque cornéenne brunâtre ou noire. Cette lésion, souvent inflammatoire et douloureuse pour l’animal, justifie le recours à un traitement chirurgical.
Le séquestre cornéen est une affection dégénérative de la cornée fréquemment décrite chez le chat, et de façon exceptionnelle dans d’autres espèces comme le cheval et le chien [5]. D’autres appellations synonymes, telles que nécrose cornéenne ou momification cornéenne, peuvent également être utilisées pour désigner cette affection.
L’âge moyen des chats atteints de séquestre cornéen est de 5 à 7 ans, avec un intervalle allant de 0,75 à 18 ans [6, 8]. Une prédisposition des races brachycéphales est largement rapportée, en particulier le persan et les races apparentées comme l’himalayen et l’exotic, ainsi que le burmese. Ces races représentent 60 à 85 % des chats atteints [6, 8]. Aucune prédisposition de sexe n’est par ailleurs signalée [5]. Un antécédent d’ulcère cornéen chronique et/ou récurrent est identifié dans 17 à 35 % des cas [4, 9].
Le séquestre cornéen est responsable d’un inconfort oculaire variable, le plus souvent discret à modéré mais qui peut aller d’une absence complète de signes de douleur oculaire à un blépharospasme marqué, en particulier lorsqu’il est associé à un ulcère cornéen ou à une uvéite secondaire. Cette affection se manifeste par une plage de coloration cornéenne ovale à circulaire, à bords plus ou moins nets. Cette coloration peut varier d’une teinte discrètement ambrée à une couleur noire (photos 1a, 1b et 2a). Certaines des caractéristiques cliniques de cette affection sont variables. Ainsi, la taille de la lésion peut aller de 1 à 10 mm de diamètre [5]. Sa profondeur peut s’étendre du stroma superficiel à l’ensemble de son épaisseur. L’évaluation de la profondeur de l’atteinte à l’aide d’une lampe à fente est difficile et peu précise en raison de l’opacité de la lésion [5]. Une ulcération cornéenne est observée en regard de la lésion dans 50 à 65 % des cas (photo 2b) [4, 9]. Une néovascularisation cornéenne est notée dans environ 60 % des cas. Son intensité ne semble pas directement liée au temps d’évolution [4]. Certains séquestres cornéens apparaissent en relief par rapport à la cornée périphérique du fait d’une réaction vasculaire ou du passage de l’épithélium cornéen sous la lésion (photos 3a et 3b).
Les lésions sont plus fréquemment localisées dans la région axiale ou para-axiale chez les chats brachycéphales, tandis qu’une localisation dorso-temporale est plus commune chez les chats non brachycéphales [9]. Lors de la consultation initiale, l’atteinte est très majoritairement unilatérale (90 à 95 % des cas) mais près de 30 % des chats (18 sur 65) présenteront une lésion de même type sur l’œil controlatéral après un temps médian de vingt mois [6, 9]. Les atteintes bilatérales, simultanées ou non, sont principalement décrites chez les races brachycéphales ou chez les animaux qui présentent une atteinte bilatérale des annexes oculaires [4, 9].
L’évolution d’un séquestre cornéen n’est pas prévisible. En effet, certaines lésions peuvent rester stables pendant des périodes assez longues qui vont de quelques mois à plusieurs années, tandis que d’autres progressent rapidement en quelques jours à quelques semaines [5].
L’étiopathogénie du séquestre cornéen reste imparfaitement comprise. Toutefois, une source d’irritation chronique de la surface cornéenne est considérée comme un préalable au développement de cette affection.
L’analyse histologique des lésions de séquestre cornéen est en faveur d’une nécrose du stroma cornéen, laquelle peut être associée à une réaction inflammatoire granulomateuse qui expulse parfois la lésion cornéenne [3]. La partie atteinte de la cornée est dépourvue de kératocytes, de vaisseaux sanguins et/ ou de cellules inflammatoires et son collagène semble résistant à toute dégradation enzymatique [3].
La nature exacte de la coloration du stroma cornéen n’a pas été élucidée. Différents travaux d’analyse de cornées atteintes ont ainsi tour à tour mis en évidence puis réfuté la présence de fer ou de mélanine dans ces lésions cornéennes [5].
La ressemblance entre la couleur des atteintes débutantes de séquestre cornéen et celles des sécrétions oculaires de certains chats a conduit à suspecter une origine lacrymale de la coloration anormale du stroma observée lors de cette affection. Cette suspicion est renforcée par la coloration prise par certaines lentilles cornéennes à la suite de leur mise en place chez des chats atteints de séquestre cornéen, mais également chez des chats sains [4].
Étant donné l’absence d’anomalie histologique expliquant la formation du séquestre cornéen et son association fréquente avec d’autres anomalies oculaires, cette affection correspondrait à une nécrose cornéenne secondaire à une irritation chronique de la surface cornéenne [5]. Les principales anomalies oculaires décrites comme prédisposant au développement d’un séquestre cornéen sont l’ulcère cornéen chronique (plus ou moins associé à l’herpèsvirus de type 1), une conformation palpébrale suboptimale d’origine raciale et un entropion (photos 4a à 4c) [9]. Dans certains cas, plusieurs facteurs prédisposants sont probablement présents simultanément. Le développement d’un séquestre cornéen est également décrit comme l’une des complications du traitement des ulcères cornéens chroniques par des désépithélialisations répétées (2 sur 21 yeux, soit 10 %), une kératotomie grillagée (4 sur 13 yeux, soit 31 %) ou un fraisage cornéen (1 sur 21 yeux, soit 5 %) [1, 7].
La prédisposition des chats de morphotype brachycéphale au développement d’un séquestre cornéen est considérée comme le résultat de l’irritation chronique secondaire à plusieurs facteurs prédisposants liés à la race (entropion et/ou trichiasis médial, lagophtalmie, kératite d’exposition et insuffisance lacrymale qualitative) [9]. La localisation préférentiellement axiale des lésions dans ces races semble indiquer que la lagophtalmie et l’insuffisance lacrymale qualitative jouent probablement un rôle important dans le développement de cette affection [9]. L’analyse du pedigree d’un élevage de chats de race brachycéphale a mis en évidence une héritabilité élevée de cette affection dans cette population et une incidence extrêmement variable dans la descendance des chattes étudiées (entre 0,05 % et 50 % des descendants atteints) [10]. L’absence d’association entre cette affection et un locus génomique en particulier, suggérant un mode d’hérédité complexe, rend la mise en place d’une politique de sélection des reproducteurs difficile. L’exclusion des reproducteurs atteints ainsi que des descendants présentant fréquemment un séquestre cornéen peut être envisagée, mais l’apparition tardive de ces lésions reste un obstacle majeur à la mise en place d’un tel programme de sélection [10].
Une infection par l’herpèsvirus de type 1 doit être suspectée chez les chats atteints de séquestre cornéen qui ont des antécédents de conjonctivite et/ou d’ulcère cornéen récidivant, voire qui présentent un ulcère cornéen chronique. L’infection par ce virus est probablement l’un des principaux facteurs associés au développement d’un séquestre cornéen chez les chats européens.
Le diagnostic d’un séquestre cornéen repose sur l’examen oculaire puisque l’observation d’une plage de coloration cornéenne ambrée à noire de forme ovale à circulaire est caractéristique de cette affection. Les autres lésions cornéennes qui entrent dans le diagnostic différentiel d’un séquestre cornéen sont un corps étranger cornéen, une perforation cornéenne avec prolapsus de l’iris, un kyste uvéal (rompu et sédimenté contre l’endothélium cornéen) et une pigmentation cornéenne superficielle [5]. L’examen oculaire permet également de rechercher la présence des principaux facteurs prédisposants à cette affection et certaines caractéristiques cliniques évocatrices. Ainsi, une localisation périphérique de la lésion doit amener à rechercher la présence d’un entropion. Une localisation axiale est associée à une lagophtalmie observée chez les chats brachycéphales et/ou à une insuffisance lacrymale qualitative. Quant à la prise de la fluorescéine à la périphérie d’une lésion de séquestre cornéen, elle oriente vers une ulcération chronique concomitante.
L’exérèse est considérée comme le traitement de choix pour cette affection. Cependant, lors de lésions débutantes et non douloureuses, une surveillance clinique peut être proposée.
Il est important de noter que le séquestre cornéen n’est pas une lésion ulcérative classique associée à une cicatrisation rapide. La guérison spontanée de cette affection ne peut être obtenue que par l’expulsion de la lésion, via la formation d’un granulome cornéen ou spontanément (photos 5a à 5c). Ce processus reste peu prévisible. Ainsi, l’inconfort oculaire de l’animal peut persister jusqu’à l’expulsion de la lésion. Son expulsion complète n’est pas systématique (11 sur 13 yeux, soit 85 %) et prend un temps médian d’un à deux mois [2, 9]. En outre, lors de lésion profonde, son expulsion s’accompagne d’un risque de perforation cornéenne (1 sur 13 yeux, soit 8 %) [9]. La surveillance clinique est principalement envisagée lors de lésions cornéennes peu denses et sans signe de douleur oculaire. Elle peut également être utile en cas de risque anesthésique marqué ou de refus d’une intervention chirurgicale pour motif financier, après avoir exposé au préalable aux propriétaires les risques liés à cette décision.
Au cours du suivi clinique, le traitement médical repose sur l’utilisation :
- d’un substitut de larmes deux à trois fois par jour. Les collyres à base de hyaluronate de sodium semblent présenter une excellente rémanence sur la cornée, permettant d’atténuer la douleur cornéenne (Remend® ou Lacri+®) ;
- d’une antibioprophylaxie locale à large spectre en cas d’ulcération cornéenne, afin de limiter le risque de surinfection cornéenne (néomycine et polymyxine B, Tevemyxine® ; acide fusidique, Isathal® ; chloramphénicol, Ophtalon®, trois à quatre fois par jour). Une antibiothérapie locale est prescrite uniquement pour son effet prophylactique, à raison d’une instillation toutes les six à huit heures ;
- d’un traitement antiviral, dans le cas d’une suspicion d’infection par l’herpèsvirus de type 1(1).
L’exérèse est considérée comme le traitement de choix, en particulier lors de douleur oculaire. Elle permet de diminuer la durée totale du traitement et le nombre de rendez-vous de contrôle par comparaison avec une surveillance clinique [9]. Les techniques chirurgicales décrites sont toutes fondées sur la réalisation d’une kératectomie lamellaire qui permet l’exérèse complète du séquestre cornéen, plus ou moins associée à une technique de greffe. L’exérèse partielle est déconseillée puisqu’elle est associée à un taux de récidives de la lésion plus élevé (6 sur 16 yeux, soit 38 %) qu’après une exérèse complète (5 sur 26 yeux, soit 17 %) [4]. En cas de perte de substance peropératoire inférieure à 50 %, une kératectomie seule est considérée comme suffisante (photos 6a à 6c).
En cas de perte de substance peropératoire supérieure à 50 %, une technique de greffe est indiquée avant de restaurer l’intégrité cornéenne. Les techniques de greffe les plus couramment décrites reposent sur la transposition de tissu conjonctival ou cornéen autologue (greffe conjonctivale, transposition cornéo-conjonctivale ou greffe cornéenne autologue lamellaire) (photos 7a à 7c). De façon alternative, des biomatériaux peuvent être utilisés. Dans certains cas d’ulcérations cornéennes récidivantes compliquées d’un séquestre cornéen, il peut être indiqué de réaliser une greffe conjonctivale pour limiter le risque de récidive, même si la perte de substance peropératoire est superficielle (photos 8a à 8c) [4]. Le traitement médical postopératoire est calqué sur celui d’un ulcère superficiel aigu, donc il est similaire au traitement utilisé lors de la surveillance clinique. En cas de greffe de cornée ou de biomatériau, le regain de transparence maximal est généralement objectivé deux à trois mois après l’intervention. La fibrose stromale postopératoire reste le plus souvent discrète chez le chat.
La principale complication de ce type d’intervention chirurgicale est la récidive du séquestre cornéen, observée pour 8 à 20 % des yeux dans un délai médian de 250 à 700 jours, avec un intervalle allant de 10 à 1 654 jours (photos 9a et 9b) [4, 6, 8, 9].
Compte tenu du caractère rétrospectif de la majorité des études publiées sur ce sujet et du caractère souvent tardif des récidives, l’impact du choix de la technique chirurgicale sur l’évolution postopératoire à long terme n’a pas été démontré.
À noter que certaines publications rapportent un taux de récidives plus élevé lors d’une prise en charge par kératectomie lamellaire seule par rapport à l’utilisation de techniques qui y associent une greffe [4, 9].
La prise en charge complète du séquestre cornéen inclut également celle de ses facteurs prédisposants, avec en particulier la mise en place d’un traitement chirurgical lors d’entropion ou d’ulcérations cornéennes chroniques. La prédisposition raciale des races brachycéphales au séquestre cornéen est prioritairement considérée comme secondaire à une lagophtalmie conformationnelle et à une insuffisance lacrymale qualitative [9]. La prescription de substitut de larmes à base de hyaluronate de sodium est par conséquent conseillée au long cours, afin de limiter le risque de récidive sur l’œil ayant subi l’exérèse d’un séquestre cornéen, mais également compte tenu du risque d’apparition d’une lésion de même type sur l’œil controlatéral. Le bénéfice de ce traitement n’a cependant pas été étudié.
Conflit d’intérêts : Aucun
Le séquestre cornéen félin correspond à une plage de nécrose de la cornée d’une coloration caractéristique brune à noire. Les ulcères cornéens chroniques associés à l’herpèsvirus félin de type 1, les entropions et la conformation oculaire suboptimale des chats brachycéphales sont les principaux facteurs à l’origine du développement de cette lésion. Compte tenu de la douleur oculaire fréquemment associée à cette affection, son retrait chirurgical est recommandé. Chez les chats brachycéphales, la prescription d’un substitut de larmes est conseillée afin de limiter le risque de récidive postopératoire, mais aussi pour contrecarrer l’apparition d’une lésion sur l’œil controlatéral.