DÉMARCHE MÉDICO-LÉGALE EN CAS DE MALTRAITANCE BOVINE - Le Point Vétérinaire n° 463 du 01/03/2025
Le Point Vétérinaire n° 463 du 01/03/2025

MALTRAITANCE BOVINE

Conduite à tenir

Auteur(s) : Laëtitia Dorso

Fonctions : (PhD, DipEBVS)Praticienne hospitalière
Oniris VetAgroBio Nantes, Inrae, Bioepar
101 route de Gachet
44300 Nantes

Lors d’une suspicion de maltraitance bovine par négligence, l’examen nécropsique comprend différentes étapes qui vont du recueil d’informations jusqu’à la rédaction du rapport médico-légal.

La maltraitance animale, bien que non définie de manière stricte, peut être inférée à partir de l’article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime qui stipule que les conditions de vie des animaux doivent répondre à leurs besoins biologiques fondamentaux [4]. Une autopsie médico-légale est a priori une autopsie pratiquée à la demande d’une autorité judiciaire, sur réquisition. Cependant, une autopsie peut également être pratiquée dans le cadre d’une demande diagnostique (du vétérinaire ou de l’éleveur) et conduire, selon le contexte, à une autopsie médico-légale a posteriori. Dans le cadre d’une suspicion de maltraitance, une autopsie peut être demandée par le vétérinaire traitant, le Groupement de défense sanitaire, la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), la gendarmerie (réquisition dans le cadre d’un dépôt de plainte) [3].

ÉTAPE 1 : RECUEIL D’INFORMATIONS ET CONTEXTE

Bien avant de pratiquer une autopsie, certains signes peuvent d’ores et déjà alerter le vétérinaire, notamment lors de la réalisation du bilan sanitaire d’élevage (BSE) : absence ou incohérence d’identification des animaux, épaisseur du lisier dans les stabulations, amaigrissement, taux de mortalité anormalement élevé, abris vétustes, absence d’eau et de nourriture en quantité suffisante, etc. Il est nécessaire, en amont, d’obtenir le plus d’informations possible auprès de l’éleveur, notamment l’historique, les conditions de vie des animaux, les examens complémentaires le cas échéant, ainsi que toute constatation d’intérêt sur le terrain susceptible de guider le vétérinaire qui va pratiquer l’autopsie dans la rédaction d’un rapport circonstancié et précis. Il convient pour cela de poser des questions ouvertes, afin de laisser à l’éleveur la possibilité de s’exprimer librement. En pathologie médico-légale, l’importance de l’examen minutieux du lieu exact où l’animal a été retrouvé mort, dénommé la scène, est analogue à l’importance des antécédents médicaux en pathologie vétérinaire diagnostique. La connaissance de la scène (par exemple, la température ambiante, la disponibilité d’un abri, l’emplacement et la quantité de nourriture et d’eau, la présence d’autres animaux, la quantité d’urine et de souillures fécales, la présence de fils, de piles et d’autres débris dangereux) peut être cruciale pour interpréter les changements notés lors de l’autopsie et pour établir une cause de la mort valide et probable du point de vue physiopathologique. Il est impératif d’estimer précisément le délai post-mortem (entre la mort de l’animal et la réalisation de l’autopsie). Si théoriquement tout praticien diplômé peut être sollicité, il est préférable de référer le cas à un vétérinaire expérimenté en autopsie, ou à un vétérinaire pathologiste qui exerce dans les services d’autopsie des écoles vétérinaires françaises. Si l’animal doit être déplacé, il est cependant essentiel d’effectuer un relevé préalable des informations sur l’environnement, avec notamment des photos en situation.

ÉTAPE 2 : IDENTIFICATION ET RÉCEPTION DU CADAVRE

Pour des raisons de traçabilité, chaque animal reçu pour une autopsie doit être clairement identifié par son numéro de boucle auriculaire. Des photos de l’animal en entier doivent être prises avant l’autopsie (face latérale droite, face latérale gauche, région ventrale, région dorsale). Si le document d’accompagnement du bovin est disponible, il convient de vérifier la cohérence des informations qui y figurent par rapport à l’animal envoyé pour autopsie. Si le document d’accompagnement est absent, l’animal devra être décrit le plus précisément possible (race, sexe, signalement, âge estimé).

ÉTAPE 3 : RÉALISATION D’UN EXAMEN POST-MORTEM MACROSCOPIQUE

Examen externe

L’examen préliminaire consiste en une inspection externe de l’animal (encadré 1). C’est seulement après la réalisation de cet examen externe que celui des organes internes peut commencer. Les principales constatations compatibles avec une maltraitance par négligence sont décrites ci-après.

Examen interne

Le manque d’alimentation adéquate

Ce manque survient lorsque les besoins nutritionnels ne sont pas couverts, notamment lorsque l’alimentation est qualitativement ou quantitativement insuffisante (figure). Ce manque se traduit par une cachexie, c’est-à-dire la conjonction d’une amyotrophie sévère et d’une atrophie séreuse du tissu adipeux, objectivable au niveau du tissu adipeux de la filière pelvienne, du mésentère, du hile rénal et autour du cœur (photo 1). Dans ces localisations, le tissu adipeux est rare et présente un aspect gélatineux et luisant (photo 2). Une lipomobilisation excessive peut également être objectivée par des épanchements cavitaires séreux, de faible intensité (photo 3). Un animal en sous-nutrition peut aussi présenter un pica : de nombreux corps étrangers (cailloux, sable, etc.) sont alors retrouvés dans les contenus des préestomacs ou de la caillette. Les contenus digestifs peuvent être insuffisants et le pelage présenter un aspect sec, terne, cassant (poils “piqués”).

Le manque d’accès à une eau fraîche et propre

Ce manque se traduit par une déshydratation de l’animal. Le tissu sous-cutané est sec et collant, les globes oculaires sont profondément enfoncés dans les orbites et le contenu ruminal est anormalement sec (photo 4).

L’hypothermie ou l’hyperthermie

L’hypothermie résulte de l’exposition à des températures environnementales basses et survient lorsque la perte de chaleur du corps est supérieure à la production de chaleur. Dans ce cas, il n’y a pas de lésions spécifiques, seules peuvent être observées des zones d’œdème, d’hémorragie, d’ischémie et de nécrose (engelures), notamment au niveau des oreilles, de la queue, des trayons ou du scrotum. Ces engelures se traduisent dans un premier temps par des tissus gonflés et bleutés, puis les tissus deviennent secs, rétrécis, comme parcheminés. L’hyperthermie, qui mène au coup de chaleur, est provoquée par l’exposition à un environnement chaud où les mécanismes physiologiques de l’animal, utilisés pour refroidir le corps, sont dépassés. Avant d’établir un diagnostic de coup de chaleur, il convient d’exclure les autres causes de mort par un examen post-mortem complet et exhaustif. C’est souvent un diagnostic par exclusion. Les lésions sont non spécifiques et principalement caractérisées par une forte coloration rouge des organes (congestion) associée à une autolyse rapide des tissus, à un aspect “cuit” des muscles, à un œdème ou des hémorragies cérébrales et à des pétéchies multiples témoignant d’une coagulation intravasculaire disséminée. Le cœur peut présenter des lésions d’ischémie, d’hémorragie ou de nécrose [1].

La contention inappropriée

Plusieurs lésions cutanées peuvent être observées, notamment circulaires au niveau du cou et des membres, témoignant d’une entrave de longue durée.

Le défaut de soins vétérinaires

Des lésions indiquant un défaut de soins ou de traitement sont recherchées car, souvent pour des raisons économiques, les éleveurs peuvent renoncer à recourir à des soins vétérinaires pour leurs animaux. Cela peut se traduire par de multiples affections chroniques, des plaies non soignées, des myiases, un parasitisme digestif excessif et multiple (paramphistomose, ostertagiose, œsophagostomose, trichurose, etc.). S’il n’est pas rare que les animaux se blessent accidentellement, l’absence de soins médicaux à l’origine de douleurs, de détresse, voire entraînant la mort, peut être considérée comme une négligence. Les informations relatives au moment et à la manière dont la blessure s’est produite, les mesures immédiates et ultérieures prises le cas échéant peuvent être cruciales pour identifier cette forme de négligence. Des fractures anciennes ou récentes peuvent être notées. L’attention sera portée sur l’exclusion de toutes les causes de fractures explicables (notamment celles attribuables à un déséquilibre phosphocalcique, à une chute, etc.). Des fractures multiples, à différents stades évolutifs (fractures récentes et cals de fracture), notamment au niveau des côtes, doivent attirer l’attention. Des hématomes sous-cutanés multiples sont également à rechercher (photo 5). Les fractures récentes présentent des lésions hémorragiques et œdémateuses au niveau des muscles localisés à proximité du site de fracture et aucun signe de réparation osseuse n’est identifiable (photo 6). La formation de cals de fracture évoque une fracture plus ancienne, notamment au niveau des côtes (photo 7). L’attention devra également porter sur des lésions témoignant d’un décubitus prolongé : synovie en quantité abondante dans les articulations, abcès sous-cutanés et/ou phlegmons musculaires multiples en regard des saillies osseuses, œdème sous-cutané, nécrose musculaire, souillures abondantes de l’arrière-train par des fèces et de l’urine, etc. (photo 8). Si les onglons présentent une pousse anormalement longue, les phalanges devront être sectionnées longitudinalement pour objectiver ou non la présence d’une fourbure (photo 9) [1]. Lors de l’autopsie, si aucune lésion n’est en mesure d’expliquer l’état de cachexie de l’animal (absence de maladie chronique, de processus tumoral, etc.), l’hypothèse de négligence doit être prise en considération.

Démarche à suivre

Il convient de localiser et de mesurer le cas échéant chaque lésion précisément. La prise de photos est impérative pour documenter le rapport d’autopsie. En général, au moins deux photos de chaque lésion sont nécessaires : une vue éloignée, pour placer la lésion dans le contexte des repères anatomiques qui l’entourent, et un gros plan pour les détails. Chaque photographie doit comporter une échelle et un numéro de dossier.

Des prélèvements des principaux organes peuvent être réalisés (foie, pancréas, rein, encéphale) en plus de ceux des zones lésionnelles. Ces prélèvements doivent être effectués en double : la moitié est placée dans le formol pour d’éventuelles analyses histologiques, l’autre moitié est congelée pour d’éventuelles analyses toxicologiques.

En résumé, le vétérinaire doit s’attacher à établir un bilan nécropsique factuel lui permettant de confirmer ou non la compatibilité des lésions observées avec l’hypothèse de défaut de soins appropriés (inconfort, détresse ou douleur) (encadré 2) [1]. Il revient ensuite aux enquêteurs et au magistrat de qualifier le défaut de soins en négligence ou en maltraitance.

ÉTAPE 4 : RÉDACTION DU RAPPORT MÉDICO-LÉGAL

Le vétérinaire est, en raison de sa formation, la personne la plus qualifiée pour décrire les lésions post-mortem chez un animal. Dans le contexte de la maltraitance animale, il doit se contenter de décrire, le plus précisément possible, les lésions observées (nature, extension, sévérité, datation). Ces éléments sont cruciaux pour la qualification des faits (accident, négligence ou maltraitance). Dans le domaine de la médecine légale vétérinaire, la simple réalisation d’une autopsie, la compilation des diagnostics morphologiques et l’élaboration d’un rapport standard sont au mieux insuffisantes, voire non pertinentes si elles ne répondent pas aux besoins du système judiciaire. Les bonnes pratiques en matière d’autopsie médico-légale impliquent d’anticiper ces besoins et de rédiger le rapport en conséquence. Si certaines des questions posées au vétérinaire dans les affaires médico-légales sont identiques à celles posées en pathologie diagnostique (par exemple, la détermination de la cause de la mort), d’autres peuvent sortir du cadre et de la formation des vétérinaires (par exemple, les questions relatives à la qualité des soins prodigués aux animaux). Il convient de noter qu’il n’est pas demandé au vétérinaire si un crime a été commis. La cruauté envers les animaux est une question juridique et non médicale. Il incombe aux membres du tribunal de déterminer si des actes sont criminels [2]. Compte tenu de la complexité de l’autopsie lors d’une suspicion de maltraitance, il est vivement conseillé de confier cette mission, dans la mesure du possible, à des vétérinaires expérimentés ou spécialisés en anatomie pathologique. Le vétérinaire doit consigner par écrit dans un rapport toutes les lésions constatées sur l’animal, de façon exhaustive. Ce rapport, composé de quatre parties, doit être illustré par des photos légendées (encadré 3). Le rapport est daté et signé, et les pages sont numérotées. Il est envoyé, sous format pdf, à la personne qui a demandé l’autopsie.

Références

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré 1 : INFORMATIONS ISSUES DE L’EXAMEN POST-MORTEM EXTERNE

- État de conservation (correct, passable, médiocre) : c’est un point crucial qui conditionne la qualité de l’examen macroscopique, donc l’indice de confiance de la pertinence des lésions observées.

- État d’embonpoint et de développement pour objectiver une amyotrophie, un déficit staturo-pondéral.

- État du revêtement cutané : présence de plaies (prévoir de les disséquer dans un second temps), d’escarres, de zones dépilées, de parasites (poux, tiques, gale). Ces lésions doivent être décrites précisément (taille, nombre, localisation).

- État d’hydratation de l’animal.

- État des muqueuses, et notamment leur couleur.

- État de la cavité buccale et plus précisément des dents, recherche d’un degré d’usure anomal.

- État des pieds : longueur des onglons, présence de lésions podales (panaris, dermatite digitale, fourchet, etc.).

Points clés

• Le vétérinaire doit recueillir le plus d’informations possible sur le contexte de la mort et le lieu où l’animal a été retrouvé.

• Il doit s’assurer de la traçabilité du cadavre.

• Un examen externe puis un examen interne sont réalisés en listant les lésions de façon exhaustive.

• Un rapport médico-légal détaillé doit être rédigé, en quatre parties, pour répondre aux besoins du système judiciaire.

Encadré 2 : LÉSIONS SIGNIFICATIVES OU NON

Lorsque l’autopsie identifie clairement la cause de la mort (affection bactérienne, virale, parasitaire, etc.), les constatations concernant l’état d’embonpoint et d’hydratation doivent toujours figurer dans le compte rendu, mais peuvent ne pas être reprises comme des lésions significatives.

Lorsque l’autopsie ne peut pas clairement établir la cause de la mort de l’animal et que celui-ci présente un état d’embonpoint et d’hydratation insuffisant ou des lésions cutanées, musculosquelettiques ou podales évoquant un défaut de soins, ces constatations doivent figurer dans la liste des lésions significatives.

Encadré 3 : LES QUATRE PARTIES DU RAPPORT MÉDICO-LÉGAL

La première partie, administrative, détaille l’identité et les titres du vétérinaire ayant pratiqué l’autopsie, l’identité et les qualités des personnes ayant assisté à l’autopsie, l’identification précise de l’animal (boucle, race, âge, signalement), le nom du détenteur, le destinataire du rapport, la date de l’autopsie et de rédaction du rapport (qui peut être différente).

La deuxième partie comprend une description macroscopique objective précisant l’état d’embonpoint, le poids, l’état de conservation et, si possible, une estimation de l’intervalle post-mortem. Les lésions doivent être décrites de manière objective (taille en unité internationale, forme, couleur, consistance), sans interprétation. Par exemple, « présence d’une collection sanguine sous-cutanée bien délimitée, de 10 cm de diamètre, entourée par une capsule conjonctive de 1 cm d’épaisseur, au niveau de la pointe de la hanche droite ». Tous les organes doivent être listés dans le compte rendu d’autopsie, même ceux qui ne présentent pas de lésions. En effet, il est important de détailler toutes les structures qui ont été examinées. Il convient de préciser, pour ces organes, l’absence de lésion significative.

Dans la troisième partie de description subjective, les lésions sont interprétées et classées en deux catégories : significatives et non significatives au regard du contexte. Par exemple, « hématome sous-cutané d’évolution subaiguë avec un début d’encapsulation conjonctive au niveau de la hanche droite ».

La quatrième partie est celle de la conclusion dont l’objectif est de reprendre les lésions significatives et de les mettre en lien afin de rédiger un tableau lésionnel répondant à la question posée par la personne qui a demandé l’autopsie.

CONCLUSION

La réalisation d’une autopsie pour documenter des cas de maltraitance suspectée chez des bovins nécessite de respecter certaines étapes clés, avec rigueur et précision, notamment la rédaction d’un rapport médico-légal exhaustif et qui correspond aux attentes du système judiciaire. Si cela est possible, ces cas peuvent être référés à des pathologistes vétérinaires qui sont en mesure de réaliser de telles autopsies (dans les écoles vétérinaires notamment).