BILIOTHORAX CONSÉCUTIF À UNE FISTULE BILIOTHORACIQUE TRAUMATIQUE - Le Point Vétérinaire n° 463 du 01/03/2025
Le Point Vétérinaire n° 463 du 01/03/2025

URGENCES

Urgences

Auteur(s) : Stanislas Charton*, Damien Barraud**, François-Xavier Carraud***

Fonctions :
*Clinique Vplus
25 chemin de Bellegrappe
33240 Saint-André-de-Cubzac
**

Rarement rapporté en médecine vétérinaire, le biliothorax est une complication possible lors d’un traumatisme thoraco-abdominal.

Une chienne berger malinois non stérilisée, âgée de 4 ans, est présentée en consultation d’urgence pour des difficultés respiratoires aiguës associées à de multiples plaies cutanées thoraciques et abdominales. L’animal est correctement vermifugé et vacciné, sans antécédent pathologique.

PRÉSENTATION DU CAS

Examen clinique

La chienne est présentée en consultation d’urgence en état de choc, avec une dyspnée inspiratoire associée à un tirage costal important ainsi qu’à une discordance. Lors de l’examen clinique, une tachycardie est mesurée à 160 battements par minute (bpm) avec un pouls fémoral filant qui concorde avec le choc précordial. La fréquence respiratoire est augmentée à 45 mouvements par minute (mpm) et l’animal présente une hyperthermie à 40 °C. À l’auscultation, le cœur est difficilement audible et les bruits respiratoires sont diminués. Les muqueuses sont rose pâle et sèches, et le temps de recoloration capillaire est supérieur à deux secondes. La palpation abdominale craniale est douloureuse et révèle la présence de multiples ulcères cutanés au niveau de la face ventro-craniale de l’abdomen et ventrocaudale du thorax.

Hypothèses diagnostiques

Le diagnostic diff érentiel des signes respiratoires reste large, néanmoins la présence de lésions cutanées conduit à privilégier une origine traumatique telle qu’une lésion du parenchyme pulmonaire (contusion, hémorragie, corps étranger), une insuffisance respiratoire restrictive (épanchement pleural, pneumothorax, etc.) ou une atteinte diaphragmatique (hernie).

Examens complémentaires

Radiographie thoracique

Une radiographie thoracique met en évidence plusieurs éléments millimétriques d’opacité métallique semblables à des plombs de chasse au niveau de la partie ventrale du thorax. Un épanchement pleural bilatéral plus marqué à droite et un pneumothorax gauche sont également visualisés (photos 1a et 1b).

Échographies abdominale et thoracique

Une échographie abdominale est réalisée pour détecter d’éventuelles atteintes viscérales. Elle montre deux lames d’un épanchement non ponctionnable autour du lobe hépatique moyen droit, associées à la présence d’une zone hyperéchogène au niveau du parenchyme hépatique et du pôle cranial de la vessie. Les autres organes abdominaux et la vésicule biliaire ne présentent pas d’anomalie visualisable. Une échographie thoracique est effectuée afin de caractériser l’épanchement et de déceler une potentielle atteinte cardiaque et/ ou pulmonaire. Un épanchement thoracique sévère, sans atteinte cardiaque et pulmonaire, est mis en évidence.

Thoracocentèse et analyse de l’épanchement

Une thoracocentèse à visée thérapeutique et diagnostique est pratiquée. L’échantillon est constitué d’un liquide séro-hémorragique légèrement verdâtre.

La thoracocentèse permet de retirer 380  ml de liquide du côté droit, 80 ml du côté gauche et 40 ml d’air au total. L’épanchement est un transsudat modifié séro-hémorragique de densité 1,022, comportant un taux de protéines de 22 g/l ainsi que quelques rares granulocytes neutrophiles. L’analyse cytologique révèle la présence de bilirubine sans bactéries. Le taux de bilirubine est de 51 mg/l dans l’épanchement et de 9 mg/l dans le plasma. Comme le rapport des concentrations en bilirubine dans l’épanchement et le plasma est supérieur à 1 (5,6), cela permet d’établir le diagnostic de biliothorax [2].

Bilan sanguin

La biochimie plasmatique révèle une hyperglycémie à 1,8 g/l et une augmentation de l’activité de l’alanine aminotransférase (Alat) à 212 U/l. L’hématocrite est augmenté (58,3 %). La bilirubinémie reste dans les normes physiologiques à 6,5 mg/l.

Traitement médical

Une réanimation médicale est réalisée à l’aide d’une oxygénothérapie “flow by(1), d’une perfusion (deux bolus de Ringer lactate à raison de 15 ml/kg durant 20 minutes), d’une analgésie (morphine à la dose de 0,1 mg/kg par voie intraveineuse puis par titrage toutes les quatre heures) et d’une antibiothérapie (amoxicilline-acide clavulanique à la dose de 20 mg/kg par voie intraveineuse deux fois par jour). Compte tenu de l’absence d’anomalie abdominale majeure, seul un drain thoracique droit est mis en place pour débuter la prise en charge médicale du biliothorax. L’état clinique de l’animal s’améliore nettement en cours d’hospitalisation : une normalisation des paramètres biochimiques plasmatiques et de la numération formule sanguine, ainsi qu’une résorption de l’épanchement abdominal sont observées. La vidange biquotidienne du drain thoracique, associée à des contrôles radiographiques, contribue à une réduction significative de l’épanchement thoracique. La production de l’épanchement diminue progressivement, avec une présence permanente de bilirubine (figure).

Suivi et réalisation d’un scanner

Afin de vérifier l’éventuelle origine inflammatoire de l’épanchement résiduel, le drain thoracique est retiré le septième jour. Deux jours sans drainage provoquent une augmentation marquée de la quantité d’épanchement et de sa concentration en bilirubine.

Un examen tomodensitométrique est alors réalisé pour mieux comprendre ce mécanisme physiopathologique et permettre de planifier une intervention chirurgicale. Il révèle une adhérence entre la partie convexe du lobe médial droit et la partie concave du pilier droit du diaphragme (photo 2). Une laparotomie exploratrice de la zone hépaticodiaphragmatique est décidée.

Laparotomie exploratrice et gestion chirurgicale

La laparotomie permet la visualisation d’adhérences entre le lobe hépatique moyen droit, la vésicule biliaire et le diaphragme. Au contact de ces adhérences, une collection biliaire, qui communique avec la cavité pleurale droite via un trajet fistuleux, est observée. Le traitement chirurgical consiste à séparer les adhérences entre le diaphragme, le lobe hépatique moyen droit et la vésicule biliaire puis à eff ectuer un drainage externe de la collection biliaire. Des points de suture sont placés sur la surface poreuse du diaphragme et sur les lésions ulcératives du lobe hépatique moyen droit. Après une vérification de l’intégrité de la vésicule biliaire, le diaphragme et le foie sont omentalisés : de l’omentum est placé sur les zones diaphragmatiques et hépatiques lésées afin de favoriser la cicatrisation, de limiter la propagation d’une infection ou d’une inflammation et d’occlure d’éventuelles fuites grâce à sa capacité d’adhérence (photo 3).

Évolution et suivi

La production de l’épanchement postopératoire est de 30 ml à J1, de 15 ml à J2, de 16 ml à J3 et de 14 ml à J4. L’absence de bilirubine dans l’épanchement suggère une origine inflammatoire. Le retrait du drain ainsi que la sortie d’hospitalisation sont décidés quatre jours après l’opération. Les contrôles postopératoires à neuf et quatorze jours montrent un état clinique satisfaisant et les radiographies confirment l’absence d’épanchement thoracique (photos 4a et 4b).

DISCUSSION

Fistule biliothoracique, une cause rare de biliothorax

Prévalence du biliothorax

Le biliothorax est une cause rare d’épanchement exsudatif chez le chien et le chat ainsi que chez l’humain. À notre connaissance, seuls neuf cas sont décrits en médecine vétérinaire (cinq chiens et quatre chats) [5].

Étiologie

L’origine du biliothorax identifiée dans le cas présenté est un traumatisme externe (décharge de plomb), qui correspond à la cause la plus fréquente d’épanchement biliothoracique. En eff et, d’après la littérature vétérinaire, les lacérations diaphragmatiques et biliaires sont secondaires à des blessures d’origine traumatique ou iatrogène, majoritairement des blessures par balles ou la pose de drains [6, 7]. D’autres causes minoritaires sont également décrites, telles que des morsures, une complication de cholécystectomie ou un traumatisme impliquant un véhicule [5].

Physiopathologie

La physiopathologie du biliothorax demeure inconnue. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer la migration de la bile dans l’espace pleural. Parmi ceux-ci figurent le mouvement passif de la bile à travers le diaphragme et/ou les canaux lymphatiques, les lésions traumatiques, les anomalies congénitales ou les lésions érosives du diaphragme provoquant des fistules biliopleurales [1]. Dans notre cas, la fistule biliothoracique peut s’expliquer par un traumatisme pénétrant thoraco-abdominal responsable d’une plaie hépatique et d’une fuite biliaire. Une collection biliaire sous-phrénique a pu alors se constituer, favorisant la fistulisation sous l’eff et corrosif de la bile, de l’inflammation et de la pression négative dans la cavité pleurale.

Moyens diagnostiques

Analyse de l’épanchement

En médecine humaine et vétérinaire, le diagnostic de certitude du biliothorax repose sur l’obtention d’un rapport supérieur à 1 des concentrations en bilirubine de l’épanchement pleural et du plasma [2]. Dans le cas présenté, cette confirmation a été obtenue par la comparaison de ces taux, complétée par un examen cytologique visant à vérifier la présence de bilirubine.

Imagerie médicale

L’échographie abdominale est la méthode la plus simple pour explorer les voies biliaires intrahépatiques et extrahépatiques. Cependant, selon le type et la localisation des lésions ainsi que les compétences du manipulateur, certaines anomalies spécifiques peuvent ne pas être détectées [1].

Une autre méthode d’imagerie médicale, la tomodensitométrie thoraco-abdominale injectée, permet une meilleure visualisation des fistules biliothoraciques, mais également une meilleure analyse des parenchymes pulmonaire et hépatique. Cette solution alternative peut aussi mettre en évidence la présence de collections pleurales et abdominales, notamment sous-phréniques, ainsi qu’une éventuelle discontinuité diaphragmatique.

Les examens de radiographie thoracique et d’échographie abdominale n’ont pas permis de détecter des lésions spécifiques, hormis un épanchement pleural. L’examen tomodensitométrique s’est révélé indispensable pour l’observation et la caractérisation de la fistule biliothoracique ainsi que pour planifier l’intervention chirurgicale.

La gestion d’un biliothorax

Traitement médical de première intention

Le traitement mis en place dans notre cas est conforme aux recommandations en médecine humaine qui préconisent la pose initiale d’un drain thoracique. Même si la prise en charge chirurgicale de première intention donne d’excellents résultats, cette approche est remise en question en raison des avancées dans les domaines de la radiologie, de l’endoscopie interventionnelle sphinctérienne, de l’antibiothérapie ciblée et du drainage percutané des épanchements abdominaux et pleuraux [4]. Comme dans le cas présenté, la pose d’un seul drain thoracique est conseillée en cas d’atteinte d’un hémithorax. L’hémithorax droit semble être le plus touché par les épanchements biliaires, qui sont le plus souvent unilatéraux [8, 9]. En cas de bilio-abdomen, la pose d’un drain abdominal est également recommandée. En médecine vétérinaire, deux cas de prise en charge médicale sont décrits, avec des thoracocentèses et abdominocentèses répétées et un traitement symptomatique (analgésie, soutien de la fonction digestive, anti-inflammatoire) ayant abouti à une bonne récupération sans récidive [3].

Prise en charge chirurgicale de seconde intention

En cas d’absence d’amélioration, de récidive du biliothorax potentiellement due aux adhérences ou de l’apparition de complications (sepsis, syndrome de réponse inflammatoire systémique, choc septique), une prise en charge chirurgicale est indiquée [3]. La voie d’abord est souvent une laparotomie haute si les lésions pleuro-pulmonaires sont importantes. Elle permet la résection des foyers pulmonaires détruits, la décortication pleuro-pulmonaire, la déconnexion hépato-diaphragmatique, ainsi qu’un drainage des collections hépatiques, sous-phréniques et une phrénoplastie.

  • (1) L’oxygénothérapie “flow by” désigne une méthode qui permet d’administrer un flux continu d’oxygène près du nez de l’animal sans utiliser de masque ou de canule nasale.

Références

  • 1. Angelou VN, Patsikas MN, Kazakos GM et coll. Bilothorax associated with bile peritonitis in a dog with no diaphragmatic disruption: a case report. Top. Companion Anim. Med. 2020;40:100453.
  • 2. Bartolini F, Didier M, Ludica B et coll. What is your diagnosis? Pleural effusion in a dog with a gunshot wound. Vet. Clin. Pathol. 2015;44 (2):333-334.
  • 3. Guillaumin J, Chanoit G, Decosne-Junot C et coll. Bilothorax following cholecystectomy in a dog. J. Small Anim. Pract. 2006;47 (12):733-736.
  • 4. Navsaria PH, Adams S, Nicol AJ. Traumatic thoracobiliary fistulae: a case report with a review of the current management options. Injury. 2002;33 (7):639-643.
  • 5. VanDeventer GM, Cuq BY. Spontaneous cholecystopleural fistula leading to biliothorax and sepsis in a cat. JFMS Open Rep. 2019;5 (1):2055116919830206.
  • 6. Murgia D. A case of combined bilothorax and bile peritonitis secondary to gunshot wounds in a cat. J. Feline Med. Surg. 2013;15 (6):513-516.
  • 7. Mullins RA, Barandun MA, Gallagher B et coll. Non-iatrogenic traumatic isolated bilothorax in a cat. JFMS Open Rep. 20017;3 (1):2055116917714871.
  • 8. Shah K, Ravikumar N, Uddin QK et coll. Bilateral bilothorax: an unusual cause of bilateral exudative pleural effusion. Cureus. 2019;11 (7):e5185.
  • 9. Rowe PH. Bilothorax: an unusual problem. J. R. Soc. Med. 1989;82 (11):687-688.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Le biliothorax est une affection rarement rapportée en médecine vétérinaire.

• Cette affection est principalement d’origine traumatique ou iatrogène.

• Aucun consensus de prise en charge n’existe à ce jour en médecine vétérinaire.

• La prise en charge chirurgicale n’est à envisager qu’en cas d’échec du traitement médical qui inclut la pose d’un drain thoracique.

• Le pronostic est généralement bon lorsque la prise en charge est précoce.

CONCLUSION

Le biliothorax, notamment consécutif à une fistule biliothoracique post-traumatique, est une affection rare pour laquelle il n’existe pas encore de consensus quant à sa prise en charge. Les recommandations privilégient le traitement médical en première intention, à condition que l’état de l’animal reste stable. Dans le cas contraire, une intervention chirurgicale est à envisager.