MALTRAITANCE BOVINE
Article original
Auteur(s) : Laëtitia Dorso
Fonctions : (PhD, DipEBVS)Praticienne hospitalière
Oniris VetAgroBio Nantes, Inrae, Bioepar
101 route de Gachet
44300 Nantes
Tour d’horizon des articles de loi concernant la maltraitance animale, particulièrement bovine, et des moyens pour le vétérinaire de tenir son rôle de sentinelle des cas de maltraitance animale et humaine.
La maltraitance animale, bien que non définie de manière stricte, peut être inférée de l’article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime qui stipule que les conditions de vie des animaux doivent répondre à leurs besoins biologiques fondamentaux [b]. Ces besoins reposent sur les cinq libertés du bien-être animal définies par l’Organisation mondiale de la santé animale (Omsa) : nourriture et eau en quantité et qualité adéquates, absence de contraintes physiques, prévention de la douleur et des maladies, liberté d’expression des comportements naturels, protection contre les sources d’anxiété et de peur. La maltraitance des bovins, notamment, débute dès qu’une de ces libertés est bafouée.
Cet article a pour objectif de présenter brièvement les bases juridiques concernant la maltraitance animale et sa prévention.
Différentes lois et règlements en vigueur concernent la protection animale et les obligations des vétérinaires en matière de signalement des cas de maltraitance constatés.
Le Code rural et de la pêche maritime et le Code pénal interdisent d’exercer des mauvais traitements, sans en donner une définition précise. Ces mauvais traitements peuvent être le résultat d’une absence de soins appropriés ou d’actes de violence. Le Code pénal réprouve aussi le fait de donner non volontairement la mort à un animal.
Le Code pénal condamne l’exercice de sévices graves ou de nature sexuelle, les actes de cruauté ou le fait de donner volontairement la mort à un animal. Il n’existe pas non plus de définition précise de l’acte de cruauté. Toutefois, l’analyse de la jurisprudence permet de préciser qu’il s’agit d’un acte volontaire et intentionnel en vue de faire souffrir sans nécessité un animal ou de provoquer sa mort (tableau 1).
En ce qui concerne l’abattage des animaux de production, des garanties pour la protection des animaux dans les abattoirs sont prévues [2].
Il est délivré par le préfet sur la base d’un descriptif du fonctionnement prévu et après une visite de l’établissement par les services vétérinaires. Chaque autorisation est délivrée pour une catégorie d’animaux définie, une cadence maximale, ainsi qu’une capacité journalière maximale d’hébergement de l’abattoir.
Le responsable bien-être animal est chargé, sur le plan technique, de faire appliquer les règles de protection animale au sein de l’établissement et doit être titulaire d’un certificat de compétence “Protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort” (CCPA) qui est délivré par le préfet pour une durée de cinq ans.
Les services de l’État agissent via les Directions départementales de la protection des populations (DDPP). Tout abattage en dehors d’un établissement agréé est passible de six mois d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Le vétérinaire sanitaire(1) a l’obligation d’alerter l’autorité compétente, en l’occurrence la DDPP, de tout danger grave pour les animaux (dont les actes de maltraitance animale) qu’il aurait pu constater lors de son exercice professionnel [4]. La DDPP doit être informée par écrit par le vétérinaire détenteur d’une habilitation sanitaire. L’objectif est d’informer sans délai l’autorité administrative en cas de maltraitance animale. Ce signalement est à adresser au responsable du bureau de la protection animale de la DDPP, conformément à l’article L. 203-6 du Code rural et de la pêche maritime [a]. Il est désormais possible pour les vétérinaires de signaler les maltraitances animales en ligne depuis la plateforme Calypsovet(2) via le module “Maltraitance animale - Mes signalements sanitaires” (disponible dans les onglets à gauche du tableau de bord). À partir de cet onglet, le vétérinaire doit sélectionner « Déclarer un nouveau signalement » puis « Effectuer une déclaration d’un signalement sanitaire ». La DDPP recevra alors un courriel d’alerte pour aller consulter le nouveau signalement sur Calypsovet. Ce signalement concerne les manquements, atteintes et signes de maltraitance aux animaux constatés dans l’exercice de ses missions par le vétérinaire habilité, conformément aux textes décrivant ses droits et devoirs (tableau 2) [3]. Le vétérinaire peut également être amené à pratiquer une autopsie dans ce cadre. La réalisation de cet acte est soumise à certaines obligations(3).
L’origine de la maltraitance des animaux d’élevage est rarement intentionnelle et résulte, le plus souvent, d’une situation de détresse économique et humaine des éleveurs. Le signalement de maltraitance animale par les vétérinaires peut donc être le point de départ d’actions visant à aider et protéger les éleveurs. Au-delà de l’information, le vétérinaire peut également dialoguer avec le détenteur de l’animal, le conseiller et l’orienter vers des structures d’aide existantes : le service Agri’écoute de la Mutualité sociale agricole (MSA), les cellules Réagir déployées par les chambres d’agriculture, les réseaux Solidarité paysans ou Agri-sentinelles, la plateforme Agri’collectif, etc.
Les cellules départementales opérationnelles (CDO) sont des structures mises en place depuis 2018 à la suite des travaux menés par un comité d’experts en bien-être animal au sein du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (Cnopsav). Ces CDO sont déployées par les chambres d’agriculture et s’inscrivent dans la “stratégie de la France pour le bien-être des animaux 2016-2020 : le bien-être animal au cœur d’une activité durable” (instruction technique du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation DGAL/SDSPA1/2017-734 du 12 septembre 2017). La CDO peut intervenir dans le cadre de la prévention, car la gestion de l’urgence est sous la responsabilité de la DDPP. La cellule départementale préventive a pour objectif de détecter et d’accompagner de manière précoce les éleveurs qui rencontrent des difficultés susceptibles d’avoir un impact sur le bien-être des animaux. Dans ce cadre, les vétérinaires sanitaires peuvent être sollicités en appui. La DDPP peut mandater un vétérinaire pour effectuer un audit de l’élevage et rédiger un rapport avec des recommandations d’amélioration des pratiques. La Mutualité sociale agricole, souvent représentée dans les CDO, peut également mettre en œuvre des mesures d’accompagnement social de l’éleveur. Les CDO regroupent différents acteurs de l’élevage et agissent en concertation pour gérer des situations remontées par différents canaux et considérées comme à risque [3].
Lors de situations d’urgence en matière de maltraitance animale, la DDPP est maître d’œuvre de la gestion de l’élevage. En cas de retrait des animaux, un vétérinaire peut être mandaté par la DDPP pour effectuer un constat de l’état des animaux et parfois des euthanasies. De nombreux intervenants sont présents dans ces circonstances, notamment les gendarmes, le maire et la Mutualité sociale agricole par exemple. Certaines associations de protection animale peuvent également être sollicitées, comme l’OEuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA)(4) ou la Protection mondiale des animaux de ferme (Welfarm)(5). Le responsable du bureau de la protection animale de la DDPP est un interlocuteur privilégié pour les vétérinaires qu’il ne faut pas hésiter à contacter. De nombreuses ressources sont en outre disponibles sur le site de l’Association contre la maltraitance animale et humaine (Amah)(6) [1]. Il peut aussi être utile d’établir un protocole pratique, disponible au sein même des cliniques vétérinaires, auquel chacun pourra se référer (encadré).
(1) La loi contre la maltraitance animale de 2021 autorise également tout vétérinaire à alerter le procureur par levée du secret professionnel en cas de constatation de sévices graves. Cette information ne lève pas l’obligation du vétérinaire sanitaire prévue à l’article L.203-6 du Code rural et de la pêche maritime.
(3) Voir l’article « Démarche médico-légale en cas de maltraitance bovine » du même auteur dans ce numéro.
(4) www.oaba.fr
Conflit d’intérêts : Aucun
• La gestion des cas de maltraitance de bovins exige, de la part du vétérinaire, une bonne connaissance des textes officiels concernant la maltraitance animale.
• Le vétérinaire peut jouer un rôle de prévention des actes de maltraitance en collaborant étroitement avec les autorités compétentes et les associations de protection animale.
• Les cas étant souvent liés à une détresse humaine, le vétérinaire peut jouer un rôle de prévention en association avec les structures d’aide aux éleveurs.
En pratique, plusieurs mesures peuvent être mises en place dans les cliniques vétérinaires :
- considérer la maltraitance animale comme un diagnostic potentiel ;
- favoriser le repérage des signes de maltraitance et lister les signes d’alerte ;
- organiser l’écoute de tous les membres de l’équipe et le partage des préoccupations ;
- désigner un référent en interne ;
- lister les autorités et instances locales à contacter avec leurs coordonnées ;
- définir des règles pour documenter une suspicion.
D’après [3].
Bien que le vétérinaire ne soit pas le seul acteur de la prise en charge de la maltraitance animale, il est nécessaire qu’il soit sensibilisé et formé au repérage et au diagnostic des cas de maltraitance, afin d’être en mesure d’assurer le rôle de sentinelle du bien-être animal auquel il s’engage via le Code de déontologie et son habilitation sanitaire. Les actes de maltraitance bovine, souvent non intentionnels, peuvent faire partie d’un contexte plus large (violences intrafamiliales, détresse sociale et professionnelle des éleveurs, etc.). À ce titre, en conformité avec le concept “One Health”, les vétérinaires doivent prendre toute leur place et leurs responsabilités.
a. Article L. 203-6 du Code rural et de la pêche maritime (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000024390538).
b. Article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000022200245).
c. Article L. 214-3 du Code rural et de la pêche maritime (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000022200239).
d. Article R. 214-17 du Code rural et de la pêche maritime (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045129069).
e. Article L. 215-11 du Code rural et de la pêche maritime (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000020631604/2010-05-08).
f. Article R. 215-4 du Code pénal (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045129083).
g. Article 521-1 du Code pénal (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000044394119/2024-09-17/).
h. Article 521-1-1 du Code pénal (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044389848/2024-09-17).
i. Article 522-1 du Code pénal (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000044389456/).
j. Article R. 654-1 du Code pénal (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037229026).
k. Article R. 653-1 du Code pénal (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006419576).
l. Article R. 242-33 alinéa VIII du Code rural et de la pêche maritime (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006168195/).
m. Article 226-14 alinéa 5 du Code pénal (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000049532171).