La dermatologie en 10 étapes
Auteur(s) : Pauline Panzuti*, Didier Pin**, Adrien Idée***, Mélanie Legain****, Marion Mosca*****
Fonctions :
*(DipECVD)
CHV Languedocia
395 rue Maurice Béjart
34080 Montpellier
**(DipECVD, professeur
en dermatologie)
***(MSc)
****(MSc)
*****(DipECVD)
VetAgro Sup
1 avenue Bourgelat
69280 Marcy l’Étoile
La connaissance des grands mécanismes immunopathologiques de la dermatite atopique canine permet d’identifier trois axes de traitement : réparer la barrière cutanée, gérer la dysbiose cutanée et maîtriser l’inflammation et le prurit.
Durant la dernière décennie, la dermatite atopique du chien a bénéficié de nombreuses avancées, tant au niveau de la connaissance de la pathogénie que de la prise en charge thérapeutique.
Une bonne compréhension de la maladie, de son diagnostic et de son traitement est essentielle afin de contrôler au mieux cette dermatose et d’offrir aux chiens atteints une bonne qualité de vie.
Longtemps considérée comme une simple allergie cutanée dont les immunoglobulines E (IgE) et les mastocytes étaient les acteurs principaux, la dermatite atopique est désormais définie en médecine humaine comme une dermatose inflammatoire, chronique, prurigineuse, multifactorielle, qui résulte de l’interaction complexe de facteurs à la fois génétiques et environnementaux, caractérisée par un défaut de la barrière cutanée, une dysbiose cutanée et une réponse du système immunitaire, inné et spécifique, inadaptée. En médecine vétérinaire, il s’agit d’une dermatose inflammatoire, prurigineuse, héréditaire, induite principalement par les lymphocytes T et qui fait intervenir des anomalies de la barrière cutanée, une sensibilisation aux allergènes et une dysbiose cutanée [2]. Ces définitions appellent deux remarques : d’une part la définition de la dermatite atopique canine est quasiment identique à celle de la dermatite atopique humaine, d’autre part la définition de la dermatite atopique du chien ne fait plus référence à l’action d’anticorps IgE, mais souligne le rôle principal des lymphocytes T.
Reconnue depuis longtemps chez l’humain, l’importance de la barrière cutanée, représentée par la partie profonde de la couche cornée (ou couche cornée compacte), a émergé au cours de la dernière décennie chez le chien. La barrière cutanée des chiens atteints de dermatite atopique présente un défaut caractérisé d’une part par des anomalies morphologiques des cornéocytes et une insuffisance des structures d’adhésion dues à l’altération d’expression de certaines protéines structurales, et d’autre part par un déficit quantitatif et qualitatif des lipides intercornéocytaires [5, 6, 8]. Ces anomalies entraînent une augmentation de la perméabilité de la barrière cutanée qui ne joue plus son rôle de barrage. La perte en eau transépidermique augmente et conduit à une déshydratation de la peau, qui se traduit cliniquement par une xérose (sécheresse cutanée). En outre, la pénétration de micro-organismes, de substances irritantes ou d’allergènes est favorisée et provoque l’activation du système immunitaire.
L’altération de la barrière cutanée et la pénétration de ces micro-organismes et autres molécules activent le système immunitaire, inné et spécifique, via la production de nombreuses cytokines proinflammatoires et l’infiltration de la peau par différentes populations de lymphocytes T, responsables de l’induction de l’inflammation et des lésions cutanées. Alors que toute inflammation cutanée est l’objet d’un contrôle régulateur, ce dernier pourrait être défectueux lors de dermatite atopique, permettant l’entretien de l’inflammation [6, 9].
Le microbiote cutané est un acteur essentiel de la barrière cutanée. Une dysbiose cutanée a été mise en évidence chez les chiens atteints de dermatite atopique, caractérisée par une réduction de la diversité bactérienne et la colonisation par Staphylococcus pseudintermedius, très probablement favorisées par des facteurs propres à la dermatite atopique canine : production réduite de peptides antimicrobiens, pH cutané moins acide et adhésion facilitée des staphylocoques. Cette dysbiose pourrait participer à l’altération de la barrière épidermique et à l’inflammation cutanée via la production de facteurs de virulence [6, 8].
L’ensemble de ces éléments participe au cercle vicieux de la dermatite atopique. Des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux sont responsables de l’altération de la barrière cutanée et de la dysbiose à l’origine d’une réponse immunitaire innée excessive. Le défaut de barrière cutanée facilite la pénétration de substances de l’environnement qui activent la réponse immunitaire innée et spécifique mal régulée, produisant le prurit et aggravant l’inflammation et le défaut de barrière cutanée, et ainsi de suite (figure).
Il n’existe aucune donnée fiable sur la prévalence de la dermatite atopique canine mais, en 2001, elle était estimée entre 10 et 15 %. Une incidence plus élevée est rapportée chez les races prédisposées [4, 6].
Compte tenu des bases génétiques de la maladie, de nombreuses prédispositions raciales sont décrites, variables selon les pays et les races “à la mode”. En France, les principales races prédisposées sont le staffordshire bull terrier, l’american stafforshire terrier, le bouledogue français, le west highland white terrier, le shiba inu, le labrador retriever, le golden retriever, le jack russell terrier et le boxer. Certaines races, telles que le dobermann, semblent épargnées. Néanmoins, bien que cela soit rare, il est possible d’observer la maladie chez un chien appartenant à une race non prédisposée ou de race croisée [4, 6].
La dermatite atopique est une dermatose qui se développe chez le chiot ou le jeune adulte. Les premiers signes apparaissent en moyenne entre 6 mois et 3 ans d’âge. Chez certaines races canines telles que le bouledogue français ou le staffordshire bull terrier, les premières lésions peuvent apparaître dès l’âge de 3 ou 4 mois [4, 6].
Les principaux signes cliniques observés sont un prurit, un érythème, des dépilations, des excoriations, une lichénification et une xérose. Les démangeaisons varient au cours du temps, mais sont parfois tellement sévères, au moment des poussées inflammatoires, qu’elles empêchent le chien de dormir. Ces lésions affectent principalement les paupières, les babines, la face interne des pavillons auriculaires, les espaces interdigités, en particulier de la face dorsale des extrémités des membres, le périnée et la face ventrale de la queue et, comme chez l’enfant, tous les plis (plis des coudes, des jarrets, plis axillaires et inguinaux) (photos 1, 2 et 3a). Dans la majorité des cas, le dos est indemne de lésion. Les chiens atteints de dermatite atopique présentent donc un phénotype typique, même si des degrés d’intensité variables sont notés selon les différentes régions. Chez quelques races, en plus des signes classiques, des variations peuvent être observées, comme une atteinte marquée de l’apex des pavillons auriculaires chez le staffordshire bull terrier ou une atteinte du dos chez le shar-peï ou le westie (photo 3b). Bien qu’elle puisse être saisonnière en tout début d’évolution, la maladie tend rapidement à devenir perannuelle.
La dermatite atopique canine, comme de nombreuses maladies inflammatoires chroniques, évolue par vagues, avec des phases de poussée inflammatoire et des phases d’accalmie spontanée. En outre, chez les chiens atteints, il est fréquent d’observer des infections cutanées bactériennes récidivantes (à staphylocoques) ou fongiques (à Malassezia spp.) ainsi que des otites chroniques [4, 6].
Le diagnostic repose sur l’association compatible de l’épidémiologie, des signes cliniques et d’une topographie lésionnelle après l’exclusion de toute dermatose prurigineuse mimant une dermatite atopique. Par exemple, une dermatose prurigineuse qui débute à l’âge de 7 ans n’est probablement pas une dermatite atopique. Les principales dermatoses prurigineuses qui ressemblent à la dermatite atopique sont la gale sarcoptique, la dermatite à Malassezia ou la pyodermite de surface. Le diagnostic ne peut être établi qu’après l’exclusion ou la prise en charge de ces dermatoses.
Des raclages cutanés, des examens cytologiques, voire un traitement d’épreuve de la gale sarcoptique, permettent la confirmation ou l’infirmation de chaque hypothèse diagnostique. Les tests allergologiques, tels que les dosages des immunoglobulines E ou les intradermoréactions, ne peuvent en aucun cas être utilisés pour établir le diagnostic de dermatite atopique. Ces tests doivent être strictement réservés, après le diagnostic clinique, à la recherche d’un allergène pouvant servir à une immunothérapie spécifique. La pertinence des résultats est évaluée à la lumière de l’historique et du tableau clinique [4, 6].
La prise en charge de la dermatite atopique doit être individualisée selon d’une part la sévérité des signes cliniques, les doses nécessaires de tel ou tel traitement, leurs éventuels effets indésirables, la facilité d’administration de ces traitements, et d’autre part les attentes du propriétaire concernant l’efficacité du traitement, son coût, ou le temps dont il dispose pour effectuer les soins. La prise en charge repose sur un traitement de fond qui permet à la peau de retrouver un état proche de la normale, ainsi que sur la gestion des poussées inflammatoires [1, 7].
Chez l’humain, les soins visant à réparer la barrière cutanée représentent la pierre angulaire du traitement. De nombreuses études montrent qu’ils permettent à la fois de prévenir les poussées inflammatoires de la maladie et de diminuer la consommation médicamenteuse. Bien que les données d’efficacité de ces traitements soient parcellaires chez le chien et issues d’études à faible niveau de preuves, ils peuvent être utilisés dans le but de lutter contre la xérose et de limiter la pénétration de micro-organismes, de substances irritantes ou d’allergènes, en restaurant la barrière cutanée.
Des topiques hydratants, contenant des molécules hygroscopiques (glycérol, propylène glycol, panthénol ou urée) qui attirent ou retiennent l’eau de l’épiderme, sont utiles contre la xérose. Des topiques émollients, en particulier ceux contenant des analogues de lipides épidermiques, ou éventuellement des nutraceutiques (sous la forme de compléments ou directement intégrés dans les croquettes) riches en acides gras essentiels et en céramides, contribuent à compenser, au moins en partie, le manque de lipides intercornéocytaires. Certains topiques disponibles sur le marché possèdent des propriétés mixtes, à la fois hydratantes et émollientes.
La dysbiose cutanée s’exprime cliniquement par une plus forte inflammation cutanée, ainsi que par une sensibilité accrue aux infections de la peau telles que les pyodermites, de surface ou superficielles le plus souvent, ou les dermatites à Malassezia. La prévention et la prise en charge de la dysbiose reposent sur des soins topiques antiseptiques tels que des shampoings, des mousses, des lotions ou des lingettes dont la fréquence d’utilisation varie d’une à plusieurs fois par semaine. Leur utilisation systématique est néanmoins à modérer en raison de leur action à la fois sur les staphylocoques pathogènes et sur la flore protectrice.
D’autres pistes sont explorées actuellement, comme l’utilisation de peptides antimicrobiens ou de probiotiques, notamment du groupe des lactobacilles, par voie orale ou topique. Même si aucune étude ne confirme l’efficacité des probiotiques chez le chien, il s’agit d’une option intéressante pour la gestion de la dysbiose, largement explorée en dermatologie humaine [3]. L’emploi d’anti-infectieux, d’antibiotiques ou d’antifongiques doit être réservé aux cas qui ne répondent pas aux soins antiseptiques topiques bien conduits, afin de limiter l’émergence de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques et, dans une moindre mesure, de souches de champignons résistantes aux antifongiques.
Le prurit et l’inflammation cutanée nécessitent de recourir à des médicaments antiprurigineux et immunomodulateurs, topiques ou systémiques. Les traitements topiques sont essentiellement représentés par les dermocorticoïdes de classe forte, dont seul l’acéponate d’hydrocortisone est disponible en médecine vétérinaire. Les dermocorticoïdes ne présentent pas les effets indésirables délétères des corticoïdes par voie orale, sous réserve d’être correctement utilisés. Ils sont intéressants en usage proactif (week-end thérapie ou deux fois par semaine) en traitement de fond. Les principaux traitements systémiques sont à base de ciclosporine, d’oclacitinib et de lokivetmab. Le choix repose sur la sévérité de la maladie, la réponse obtenue et la motivation du propriétaire. L’avantage du lokivetmab et de l’oclacitinib est leur délai d’action très court qui permet la maîtrise rapide d’une poussée inflammatoire. Néanmoins, leurs cibles et leurs modes d’action, très différents de ceux de la ciclosporine, expliquent qu’ils se révèlent parfois insuffisants en traitement de fond, lors de forme grave de la maladie ou en présence de lésions chroniques(1). La ciclosporine, bien que délaissée depuis l’arrivée sur le marché de l’oclacitinib et du lokivetmab, reste une molécule de choix qui agit sur l’effecteur de la dermatite atopique canine : les lymphocytes T. Comme son délai d’action est long (entre trois et six semaines), elle peut être associée sans risque, pendant l’induction, à l’oclacitinib ou à un corticoïde. Le recours aux corticoïdes par voie orale doit être limité à de courtes périodes, par exemple lors d’une forte poussée inflammatoire sans complication infectieuse, et non en traitement de fond, sauf en cas de budget limité du propriétaire.
La présence d’ectoparasites, en particulier de puces, est l’un des premiers facteurs aggravants. Un traitement antiparasitaire rigoureux contre les parasites externes est indispensable dans le cadre de la prise en charge d’une dermatite atopique. La pertinence épidémiologique et clinique d’un aéroallergène ou d’un trophallergène en tant que facteur aggravant doit être clairement établie (concomitance du contact ou de l’ingestion avec l’aggravation du tableau clinique) avant de proposer une immunothérapie spécifique d’allergène ou un régime d’éviction.
La dermatite atopique canine est une dermatose chronique dont le traitement prend du temps et se révèle coûteux. Il est important d’informer le propriétaire sur la maladie et de lui montrer comment utiliser les moyens dont il dispose pour la traiter, car cela contribue à améliorer l’observance des traitements. Des supports pédagogiques peuvent être utilisés, en consultation ou joints au compte rendu de l’examen, afin de faciliter cette étape.
(1) Voir l’article « Les mécanismes immunopathologiques associés à la dermatite atopique » du dossier “Prise en charge des dermatites canines et félines” dans le n° 425/426 du Point vétérinaire, paru en janvier 2022.
Conflit d’intérêts : Aucun
• La dermatite atopique est une dermatose inflammatoire chronique prurigineuse multifactorielle qui résulte de l’interaction complexe de facteurs génétiques et environnementaux.
• La maladie est caractérisée par un défaut de la barrière cutanée, une dysbiose cutanée et une réponse immunitaire, innée et spécifique, inadaptée.
• Des prédispositions raciales sont rapportées.
• La dermatite atopique est une dermatose qui se développe dès le jeune âge, entre 6 mois et 3 ans.
• Son diagnostic prend en compte l’épidémiologie et l’aspect clinique, après avoir rigoureusement écarté les autres dermatoses prurigineuses. La prise en charge est multimodale et repose sur trois piliers fondamentaux : la réparation de la barrière cutanée, la gestion de la dysbiose cutanée, la maîtrise de l’inflammation et du prurit.
La dermatite atopique est une dermatose inflammatoire, chronique, prurigineuse et multifactorielle fréquente. Son diagnostic repose sur l’épidémiologie et le tableau clinique après l’exclusion rigoureuse des autres dermatoses prurigineuses, afin d’éviter le surdiagnostic et les raccourcis de type « un chien qui se gratte est un chien atopique ». La prise en charge est multimodale et repose sur trois piliers fondamentaux : la réparation de la barrière cutanée, la gestion de la dysbiose cutanée et la maîtrise de l’inflammation et du prurit. Un suivi régulier est nécessaire pour adapter les traitements et assurer un meilleur contrôle au long cours, mais aussi afin de limiter la fréquence et l’intensité des poussées inflammatoires.