PHARMACOLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Antoine Rostang*, Yassine Mallem**, Aude Ferran***
Fonctions :
*Unité de pharmacologie
et toxicologie d’Oniris
101 route de Gachet
44300 Nantes
**Unité de pharmacologie et toxicologie
de l’ENVT
23 chemin des Capelles
31300 Toulouse
Les anti-inflammatoires et les antiparasitaires sont deux classes de médicaments incontournables pour les animaux de production. Leur utilisation a beaucoup évolué au cours des 50 dernières années.
Les 50 dernières années ont vu l’essor de nombreux médicaments vétérinaires pour les animaux de rente, couvrant des aires thérapeutiques très variées. Pour illustrer ces cinq décennies passées, cet article passe en revue deux familles de médicaments vétérinaires emblématiques : les antiparasitaires, qui sont les médicaments les plus prescrits chez les animaux de production (environ 30 % du marché), et les anti-inflammatoires ou analgésiques, dont l’usage de plus en plus généralisé répond à une demande sociétale nouvelle qui exige une meilleure prise en compte du bien-être animal, y compris pour les animaux de rente.
Le marché du médicament vétérinaire a fortement évolué en 50 ans. En 1973, seules certaines catégories de médicaments étaient réglementées, il n’y avait pas d’encadrement de la fabrication ni d’obligation de réaliser des études pharmacologiques ou toxicologiques. Ainsi, colporteurs et courtiers en médicaments étaient monnaie courante ! C’est en 1975 qu’apparaît le premier cadre législatif autour de deux volets principaux : la définition des ayants droit, et la nécessité d’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) préalable à la vente des médicaments vétérinaires. Depuis, notamment sous l’impulsion de l’Union européenne, les exigences se sont accrues, aussi bien en matière de qualité du médicament, d’innocuité pour l’animal, puis l’humain et plus tardivement pour l’environnement, que de protection du consommateur (temps d’attente), de preuves d’efficacité, voire de lutte contre les résistances. Cela a fortement limité l’arsenal thérapeutique - les médicaments autorisés ont été réduits de presque 65 % entre 1975 et 2014 -, certes en écartant les laboratoires peu sérieux et les médicaments de mauvaise qualité, mais en laissant d’importantes carences thérapeutiques (photo 1) [10, 11].
Les antiparasitaires illustrent parfaitement les changements de paradigme qui sont survenus pendant ces 50 ans. Par exemple, le métronidazole, un antibiotique protisticide utilisé pendant des décennies pour traiter l’histomonose chez la dinde, a été brutalement interdit en 1998 en productions animales à cause de sa potentialité mutagène et cancérogène, laissant la filière sans médicament pour cette indication, alors que cette molécule est restée autorisée en médecine humaine (photo 2) [13]. Ces nouvelles attentes ont par ailleurs considérablement accru les coûts de développement pour l’industrie pharmaceutique. Elle s’est donc progressivement réorientée vers un marché à plus forte valeur ajoutée et à plus forte croissance : celui des carnivores domestiques. L’essentiel des nouvelles molécules antiparasitaires arrivées sur le marché ces 30 dernières années se concentre sur ce marché (figure).
En 1981 apparaît ce qui sera la plus grande révolution sur le marché des antiparasitaires de ces 50 dernières années, l’ivermectine, premier représentant de la famille des lactones macrocycliques ou endectocides, qui vaudra même un prix Nobel de médecine à ses découvreurs en 2015. C’est en effet l’un des rares exemples d’un médicament développé pour la médecine vétérinaire qui a connu ensuite des applications en médecine humaine (pour la gestion de l’onchocercose notamment) [3]. Composée de molécules à la fois nématocides, acaricides et insecticides, utilisée dans presque toutes les espèces d’intérêt vétérinaire, avec une rémanence intrinsèque importante, cette famille a révolutionné la gestion des parasitoses chez l’animal. Elle a permis l’éradication du varron en France. Si l’objectif de quasi-éradication des nématodoses a été sérieusement envisagé au départ, avec des traitements préventifs très fréquents en élevage, cette stratégie s’est finalement révélée désastreuse, s’accompagnant d’un développement important de résistances qui menacent aujourd’hui la pérennité de cette famille.
Outre l’arrivée de nouvelles molécules, des innovations en matière de galénique antiparasitaire ont également permis de faciliter les traitements.
Parmi ces innovations, les bolus intraruminaux sont des dispositifs qui restent piégés dans le rumen après leur dépôt en arrière du torus lingual et assurent des traitements antiparasitaires sur de très longues périodes. Ils facilitent ainsi la réalisation de traitements préventifs sur les bovins en limitant les manipulations des animaux. Les bolus à relargage continu sont les premiers à apparaître sur le marché, avec l’arrivée du Paratect® du laboratoire Pfizer en 1981. Le relargage du principe actif, le morantel, se fait alors pendant 60 jours, en continu, à partir d’une matrice polymère percée. D’autres technologies à libération continue, assurant des traitements de plus ou moins longue durée, seront ensuite développées, chaque laboratoire déposant ses propres brevets. Ces bolus contiennent différents principes actifs : du lévamisole (Chronomintic®, le seul encore commercialisé), des benzimidazoles ou de l’ivermectine (photo 3). Parallèlement, dès la fin des années 80, une autre technologie fait son apparition : le bolus à relargage séquentiel. Il permet de délivrer des doses curatives de benzimidazoles à intervalles réguliers (en général autour de la période prépatente), permettant ainsi le contact entre le parasite et l’hôte entre deux périodes de traitement, ce qui favoriserait la mise en place de l’immunité.
La forme galénique pour-on est une invention ancienne, décrite dès les années 40, où elle était alors appelée “arrosage”, “versage” ou même “épandage”. Elle prend toutefois réellement son essor avec l’arrivée des pyréthrinoïdes de synthèse dans les années 80 et des endectocides pendant la décennie suivante [10, 11]. Si les premiers pour-on s’administraient avec de simples gobelets doseurs, l’intérêt suscité par cette forme galénique a motivé le développement de moyens d’application plus sophistiqués pour une utilisation facilitée, avec des pistolets doseurs… ou des sacs à dos (photo 4). Comme beaucoup de paradigmes en 50 ans, la voie pour-on est remise en question ces dernières années. La grande variabilité interindividuelle en matière d’absorption pour cette forme galénique est parfois responsable d’inefficacité et semble favoriser la sélection de résistances. Par ailleurs, le léchage altruiste des bovins crée un risque de contamination croisée qui complexifie la gestion des résidus et interdit cette forme galénique en traitement ciblé ou sélectif. Enfin, les doses employées étant nettement plus importantes par voie pour-on par rapport aux autres voies disponibles, l’écotoxicité de ces médicaments est nettement accrue (photo 5) [2, 16].
Les antiparasitaires externes sous la forme de plaquettes auriculaires, l’équivalent du collier antiparasitaire canin, datent du début des années 70. Il n’en subsiste aujourd’hui plus qu’une seule spécialité, à base de cyperméthrine (Flectron®). L’injection à la base de l’oreille chez les ruminants, pour des antiparasitaires qualifiés de très longue action (plusieurs mois), est une innovation qui a également permis de maintenir des temps d’attente courts, eu égard à la rémanence du médicament, cette partie du corps étant écartée à l’abattoir. Enfin, l’arrivée en 2018 d’une solution buvable de fluralaner pour le traitement contre l’infestation par le pou rouge chez les volailles facilite grandement la gestion de cette parasitose, contrairement aux traitements historiques uniquement centrés sur l’environnement et qui ne garantissent pas toujours une concentration suffisante dans les zones de refuge du parasite (photo 6).
La prise en compte de l’influence des médicaments sur l’environnement, sur les organismes non cibles et sur la biodiversité représente un enjeu récent, mais fondamental pour la pérennité des élevages. En 1962, la publication de l’ouvrage Silent Spring par Rachel Carson marque le début de la prise de conscience mondiale de l’effet des pesticides sur l’environnement. Pourtant, ce n’est que 20 ans plus tard que cette problématique émerge en médecine vétérinaire, spécifiquement autour des antiparasitaires [14, 15]. Le risque majeur est la non-discrimination entre les organismes cibles (comme les diptères piqueurs ou les nématodes parasites) et non cibles (diptères coprophages, nématodes du sol) qui appartiennent aux mêmes groupes taxinomiques. Par ailleurs, certains organismes aquatiques se révèlent très sensibles à ces substances, notamment les filtreurs (crustacés d’eau douce, bivalves), les poissons, les batraciens, ainsi que tous les organismes qui s’en nourrissent.
La prise en compte de l’impact environnemental du médicament vétérinaire par les instances réglementaires nécessitera encore une dizaine d’années supplémentaires. Ce n’est qu’en 1992 que la directive européenne 92/18/CEE impose pour la première fois une évaluation de l’écotoxicité avant la mise sur le marché de certaines spécialités. En 2003, la suppression de l’AMM de l’ivermectine bolus, eu égard à son effet délétère majeur sur les coléoptères coprophages et les diptères, marque un tournant. Depuis, l’écotoxicité est considérée comme un paramètre de la balance bénéfices/risques et peut être, à ce titre, un motif de rejet de l’AMM, comme en 2018 pour Longrange®, une éprinomectine longue action pour les bovins [4, 5]. Par ailleurs, le règlement européen n° 1907/2006 dit Reach, pour registration, evaluation, authorisation and restriction of chemicals, est entré en vigueur en 2006 pour sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne, notamment dans le but de protéger l’environnement. Près de 20 molécules, toutes antiparasitaires, ont ainsi été identifiées dans les médicaments vétérinaires comme extrêmement préoccupantes. Si la suppression de ces molécules du marché du médicament pourrait être considérée comme un idéal pour la préservation de la biodiversité, l’absence de solutions alternatives moins écotoxiques, la nécessité de maintenir une productivité suffisante au sein des élevages et la prise en compte du bien-être animal restreignent les possibilités. À ce jour, il n’y a pas eu de retrait d’AMM, mais des restrictions d’usage ou des mises en garde spécifiques sont apparues sur certains médicaments (encadré). Par ailleurs, certaines formes galéniques (longue action, pour-on, solutions pour bains ou pulvérisations) pourraient être remises en cause dans les années à venir. Depuis 10 ans, une communication intense à destination aussi bien des prescripteurs que des utilisateurs (éleveurs) a permis une prise de conscience de l’ensemble des filières de production. Par exemple, la visite sanitaire obligatoire bovine de 2020, centrée sur les antiparasitaires, proposait un focus sur le risque environnemental (photos 7 et 8).
Le second défi apparu au cours des 50 dernières années est la lutte contre les résistances aux antiparasitaires, le manque de nouvelles découvertes imposant de protéger l’arsenal disponible. L’utilisation répétée des antiparasitaires favorise la sélection de résistances susceptibles de conduire à des impasses thérapeutiques majeures. Les principales inquiétudes à ce jour en Europe sont les suivantes [6, 7] :
- anthelminthiques chez les ruminants, principalement les petits ruminants ;
- anthelminthiques chez les équidés ;
- pyréthrinoïdes contre les parasites externes (toutes espèces confondues).
Le vétérinaire doit impérativement avoir une prescription plus raisonnée des antiparasitaires, notamment pour s’assurer de maintenir des populations refuge sensibles, via des stratégies ciblées ou sélectives. Contrairement aux antibiotiques, il n’y a pas spécifiquement de mesures contraignantes à ce jour. Pourtant, pour certaines productions (comme la production caprine), les niveaux de résistance des parasites internes sont si élevés que la question de laisser ou non pâturer les animaux se pose parfois (photos 9 et 10).
Le changement climatique est un nouveau défi. Il est déjà responsable d’hivers plus doux qui n’assurent plus une régulation suffisante des stades larvaires dans l’environnement, nécessitant parfois un recours accru aux antiparasitaires. Par ailleurs, l’émergence de parasitoses historiquement cantonnées plus au sud de l’Europe est déjà en cours et augmentera les besoins en antiparasitaires.
L’existence de carences thérapeutiques est un autre défi, par retraits d’AMM et sous-investissements de l’industrie pharmaceutique, lorsque la rentabilité n’est pas assurée. En Europe, l’Agence européenne du médicament (EMA) travaille notamment à encourager les industriels à maintenir des investissements spécifiques, via des procédures réglementaires allégées ou des subventions pour certaines espèces ou certains usages mineurs (minor use or minor species puis veterinary limited markets). En France, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), dans le cadre de sa participation au Réseau français pour la santé animale (RFSA), répertorie les carences thérapeutiques rencontrées par les vétérinaires et met en place différentes actions pour favoriser leur résolution(2).
La disponibilité du médicament représente un troisième défi, mis en lumière par la crise sanitaire due à la Covid-19, en lien avec une production mondialisée et concurrentielle du médicament et une politique de “flux tendus”. Par ailleurs, les exigences de qualité sont régulièrement revues à la hausse pour le médicament vétérinaire, ce qui se traduit par des lots refusés et des ruptures régulières, voire par des abandons d’AMM pour les médicaments moins rentables. De plus, l’absence d’harmonisation mondiale (coexistence par exemple de trois grandes pharmacopées distinctes en Europe, aux États-Unis et au Japon) complexifie le travail des usines de médicaments qui doivent respecter des cahiers des charges distincts selon les lieux de livraison du médicament. De fait, la gestion des ruptures fait déjà partie du quotidien des vétérinaires aujourd’hui.
Enfin, il existe maintenant une demande sociétale forte en thérapeutiques alternatives, à laquelle il faudra apporter une réponse. Malgré de nombreuses études in vitro encourageantes, aucune n’a permis d’apporter de réponse concluante in vivo. Autant de challenges qui modifieront profondément le marché des antiparasitaires pour les 50 prochaines années.
L’utilisation des glucocorticoïdes en médecine vétérinaire a débuté dans les années 50 avec la découverte de la cortisone, suivie de l’arrivée de la prednisolone et de la dexaméthasone quelques années plus tard. Chez les bovins, les glucocorticoïdes ont d’abord été proposés pour le traitement de la cétose, puis ont été utilisés plus largement pour des affections très diverses associées à des inflammations tissulaires, dont les maladies respiratoires et les mammites. Cependant, les potentiels risques de rechute liés à l’usage des glucocorticoïdes lors de maladies infectieuses ont progressivement réduit leur usage au profit des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Aucune innovation à usage systémique n’a vu le jour depuis les années 70-80. Les seules nouveautés en 50 ans ont été destinées à un usage local chez les animaux de compagnie et les chevaux, avec la mise sur le marché de glucocorticoïdes ou d’esters dépourvus d’effets systémiques (la mométasone et l’acéponate d’hydrocortisone par voie auriculaire et/ou cutanée chez le chien en 2008 et le ciclésonide en inhalation chez le cheval en 2020).
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), dont le terme “non stéroïdien” a été introduit dans les années 60 pour les distinguer des glucocorticoïdes, ont connu un développement considérable ces 50 dernières années. Leurs valences analgésique et antipyrétique ont permis une grande avancée dans la gestion de la douleur et de l’état fébrile chez les animaux de rente. Dans les années 70, seule l’aspirine était disponible. Son usage a perduré chez les volailles et les porcs, mais l’acide acétylsalicylique n’est quasiment plus utilisé chez les bovins en raison d’une durée d’action très courte par rapport aux autres espèces et probablement de doses trop faibles [8, 12]. Au cours des années 80 et 90, de nouveaux AINS, spécifiquement conçus pour une utilisation vétérinaire, ont commencé à apparaître. Des médicaments tels que la phénylbutazone (qui sera ensuite interdite chez les bovins, en raison d’inquiétudes pour la santé des consommateurs), la flunixine méglumine, l’acide tolfénamique ou le carprofène ont gagné en popularité pour leur efficacité dans la prise en charge de l’inflammation, de l’hyperthermie et de la douleur.
Au début des années 2000, le développement s’est concentré sur la recherche d’AINS plus sélectifs de la cyclooxygénase-2 (COX-2). Le méloxicam, un inhibiteur préférentiel de COX-2, est le seul nouvel AINS arrivé sur le marché pour les animaux de rente depuis une vingtaine d’années, alors que plusieurs COX-2 sélectifs ont été autorisés chez les animaux de compagnie, dont un également chez le cheval sur la même période. La seule innovation notable pour la classe des AINS chez les animaux de rente ces 10 dernières années est la solution transdermale de flunixine méglumine, qui est aussi la seule spécialité non injectable pour les bovins. L’aspirine est restée l’unique AINS autorisé chez les volailles productrices de chair et, à l’heure actuelle, il n’y a toujours aucun AINS ni aucun autre antalgique disponible pour les volailles pondeuses (photo 11). Le paracétamol, un analgésique autorisé chez le porc, peut être utilisé dans le cadre de la cascade thérapeutique chez les volailles de chair, mais pas chez les pondeuses.
L’utilisation d’anesthésiques locaux a débuté à la fin du XIXe siècle avec la cocaïne. Elle a été utilisée pour l’anesthésie péridurale chez les chiens en 1885, pour l’anesthésie rachidienne en 1898 et a été largement employée chez les chevaux pendant la Première Guerre mondiale. L’introduction de la procaïne en 1905 a permis d’étendre les usages de l’anesthésie régionale et locale. La lidocaïne, toujours très utilisée sur le terrain, a été commercialisée dès 1948 en médecine humaine et à partir de 1980 en médecine vétérinaire. Elle a d’abord été appelée “lignocaïne” car elle rendait les membres insensibles comme du bois. Le nom commercial Xylocaïne® a la même origine. Malgré ces découvertes très anciennes, les molécules actuellement disponibles pour obtenir une analgésie locale sont peu nombreuses. À ce jour, seule la procaïne combinée ou non à l’adrénaline dispose d’une AMM chez les animaux de rente. Cet anesthésique n’est quasiment plus employé en médecine humaine en raison de sa faible liposolubilité et d’un pKa élevé qui lui confèrent un long délai et une courte durée d’action [17, 18]. De plus, les réactions allergiques à cet anesthésique local sont plus fréquentes qu’avec les autres molécules de la même famille en raison de sa métabolisation en acide para-aminobenzoïque (pABA). La lidocaïne, toujours autorisée pour le chien, le chat et le cheval, reste utilisable dans le cadre de la cascade, dans les cas où le vétérinaire considère que la procaïne n’est pas adaptée. Les temps d’attente recommandés dans l’avis du Committee for Veterinary Medicinal Products (CVMP) de 2015 sont assez longs : 15 jours pour le lait et 28 jours pour la viande en production bovine [1, 9]. Une demande d’AMM a été déposée pour une nouvelle spécialité (Tri-Solfen®) contenant entre autres de la lidocaïne et de la bupivacaïne, et destinée à l’analgésie lors de la castration des porcelets. Cette demande est, à ce jour, toujours refusée en raison de l’absence de stérilité de la formulation.
Alors que plusieurs opioïdes (buprénorphine, fentanyl et méthadone) sont arrivés sur le marché depuis les années 2000 pour les animaux de compagnie, aucun n’a été autorisé pour les animaux de rente. Seul le butorphanol, qui a une AMM pour les équidés depuis 2007, est utilisable dans le cadre de la cascade thérapeutique (photo 12). Cependant, alors que la buprénorphine, la méthadone et le fentanyl sont des agonistes des récepteurs mu aux opioïdes, le butorphanol est un agoniste des récepteurs kappa. Il en résulte une activité analgésique bien plus faible du butorphanol par rapport aux autres opioïdes disponibles en médecine vétérinaire, ce qui est très regrettable pour la prise en charge de la douleur chez les animaux de rente.
(1) Voir l’avis et le rapport de l’Anses relatifs à l’évaluation des risques pour la santé humaine et l’environnement et recommandations pour leur maîtrise, dans le cadre de l’administration des médicaments vétérinaires antiparasitaires externes sous forme de bains, douches et pulvérisations en élevages de ruminants. Rapport d’expertise collective, mai 2023, auto-saisine n° 2018-SA-0269.
(2) Une cartographie des gaps thérapeutiques est disponible en ligne : reseau-francais-sante-animale.net/le-rfsa/cartographie-des-gaps-therapeutiques/
Conflit d’intérêts : Aucun
• Depuis 50 ans, l’évolution du médicament antiparasitaire suit l’évolution sociétale, avec une prise en considération progressive des notions de qualité, de sécurité pour l’animal et pour l’humain, d’efficacité, de lutte contre les résistances ou de préservation de la biodiversité.
• De nouveaux défis s’annoncent pour les 50 prochaines années, comme la préservation de l’arsenal thérapeutique, la prise en compte de la demande sociétale autour de l’utilisation du médicament en élevage, du bien-être animal, du changement climatique ou des thérapeutiques alternatives.
• Les molécules analgésiques disponibles pour les animaux de production sont encore peu nombreuses par rapport aux animaux de compagnie.
• Les premiers corticoïdes, anti-inflammatoires non stéroïdiens et anesthésiques locaux étaient déjà disponibles dans les années 80 et, depuis, aucune innovation majeure n’a été mise sur le marché.
Treize molécules principales, encore disponibles sur le marché vétérinaire et destinées aux animaux de production, sont identifiées comme présentant un fort risque pour les organismes non cibles ou les plantes : les lactones macrocycliques (ivermectine, éprinomectine, doramectine, moxidectine), le toltrazuril, le closantel, les pyréthrinoïdes (deltaméthrine, fluméthrine, cyperméthrine), les organophosphorés (phoxime), l’amitraz, les inhibiteurs de croissance larvaire (dicyclanil) et les isoxazolines (fluralaner). Pour tous ces médicaments, il peut y avoir des restrictions d’usage.
Pour le toltrazuril par exemple, dont le métabolite (ponazuril) est très persistant dans l’environnement, toxique pour les plantes et capable de migrer dans le sol, certaines limitations s’appliquent : dilution obligatoire du lisier des veaux traités avec celui de vaches non traitées en élevage laitier, interdiction en veaux de boucherie (car pas de dilution possible), limitation du poids des animaux pouvant être traités, restrictions quant à l’épandage des fumiers pour les agneaux élevés en bâtiment. Autre exemple, l’ivermectine injectable : en raison de sa grande toxicité pour les organismes aquatiques, les animaux traités ne doivent pas avoir accès directement aux eaux de surface (cours d’eau, fossés). Par ailleurs, des messages de prévention sont également apparus dans les résumés des caractéristiques des produits (RCP). Ainsi, dans le RCP des médicaments contenant de la moxidectine, y compris pour les formes injectables, « il est conseillé de ne pas traiter à chaque fois les animaux dans la même prairie afin de permettre aux populations de la faune du fumier de se rétablir ». Enfin, de plus en plus de zones classées Natura 2000 ajoutent des restrictions spécifiques dans leurs chartes concernant l’utilisation de ces molécules très écotoxiques.
Récemment, une auto-saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a mis en exergue les risques, notamment environnementaux, liés à l’utilisation des antiparasitaires externes sous la forme de bains, de douches et de pulvérisations en élevage de ruminants. En conclusion, le rapport recommande la mise en place de différentes mesures pour mieux encadrer ces usages (modifications réglementaires aussi bien pour l’enregistrement que pour le suivi des autorisations de mise sur le marché, détermination et respect des bonnes pratiques, communication, formation, etc.), allant même jusqu’à évoquer la pertinence d’un plan “Écoantiparasito”(1). Le prescripteur doit aujourd’hui prendre en compte l’écotoxicité de ces molécules pour établir la balance bénéfices/risques.
Tant pour les antiparasitaires que pour les analgésiques, d’importants défis subsistent pour les années à venir, afin de garantir la disponibilité de médicaments abordables, efficaces dans le traitement des maladies, et qui préservent à la fois la sécurité du consommateur et l’intégrité de l’environnement. Malgré l’évolution des préoccupations morales et éthiques qui incite à améliorer le bien-être et la gestion de la douleur chez les animaux de rente, l’arsenal thérapeutique reste extrêmement limité, tout particulièrement dans la filière volailles. Pour les bovins, certaines douleurs chirurgicales peuvent néanmoins être fortement limitées par une approche multimodale combinant une anesthésie locale à l’administration d’un AINS et de xylazine. À ce jour, l’AINS reste cependant la seule possibilité analgésique pour la période postopératoire.
Les auteurs souhaitent remercier Louise Kerbrat et Claire Kegler, pour leur aide et leur disponibilité, notamment lors de la recherche des illustrations de cet article.