ÉVOLUTION DE L’ANTIBIOTHÉRAPIE VÉTÉRINAIRE AU COURS DES 50 DERNIÈRES ANNÉES - Le Point Vétérinaire n° 447 du 01/11/2023
Le Point Vétérinaire n° 447 du 01/11/2023

ANTIBIOTHÉRAPIE

Dossier

Auteur(s) : Jean-Yves Madec

Fonctions : Anses Lyon
31 avenue Tony Garnier
69007 Lyon

L’antibiothérapie en médecine canine et féline a été fortement modifiée depuis la mise en place des plans Écoantibio. Toutefois, le bilan reste mitigé avec une réaugmentation de l’usage des antibiotiques entre 2016 et 2021.

La résistance aux antibiotiques, ou antibiorésistance, est un phénomène inquiétant en médecine humaine. Selon les estimations, 5 500 patients décèdent chaque année en France à cause de la résistance aux antibiotiques de l’agent pathogène impliqué. Dans une approche “une seule santé” (“One Health”), l’usage des antibiotiques doit être maîtrisé dans tous les secteurs de la médecine, donc également en médecine canine. Au cours des 50 dernières années, l’antibiothérapie vétérinaire a principalement évolué au début des années 2010, en lien avec la mise en place des politiques publiques. Cet article retrace les grandes lignes de cette évolution, les conséquences pratiques pour le vétérinaire, et les suites possibles pour les années à venir.

1. CAUSES DE L’ÉVOLUTION DE L’ANTIBIOTHÉRAPIE

Historique de l’usage des antibiotiques en médecine canine

La médecine humaine dispose des antibiotiques depuis plus de 80 ans, puisque la production industrielle de pénicilline aux États-Unis date du début des années 40. Avant cette période, des anti-infectieux étaient néanmoins utilisés, comme les sulfamides. Chez l’animal, les antibiotiques ont d’abord été employés comme additifs alimentaires autant que comme anti-infectieux [4]. Dans son ouvrage de référence, Jean-Pierre Marty déclarait, en 1948 : « Il ne fait pas de doute que dans un proche avenir notre profession pourra bénéficier de toute une gamme d’agents antibiotiques qui modifieront les conceptions classiques de la thérapeutique infectieuse. » [5]. Toutefois, dans les années 50, c’est seulement à l’hôpital que les antibiotiques sont utilisés, puis en ville et de façon importante en élevage, dans un contexte de pénurie alimentaire d’après-guerre. L’extension à la médecine canine a été plus tardive et reste difficile à dater. Elle peut être corrélée à l’essor de la médicalisation des animaux dits de compagnie, dans les années 70. Ce sont les mêmes familles d’antibiotiques que pour l’humain, avec des différences mineures selon les molécules. Par exemple, la céfovécine est une céphalosporine de troisième génération spécifique aux animaux de compagnie, mais son mécanisme d’action est très similaire à celui du ceftiofur chez les animaux d’élevage ou du céfotaxime prescrit chez l’humain.

Une évolution de l’antibiothérapie guidée par les enjeux en santé humaine

La problématique de l’antibiorésistance chez l’humain est majeure et les échecs thérapeutiques sont réels. Des alertes se succèdent au plan mondial sur le risque lié à l’augmentation de la mortalité humaine en raison de l’antibiorésistance. L’analyse du Britannique Jim O’Neill estime à 10 millions le nombre de décès par an en 2050 liés à l’antibiorésistance (encadré 1) [7]. Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi un classement qui identifie les antibiotiques d’importance critique pour l’homme, dont les carbapénèmes, les céphalosporines de troisième et quatrième générations et les fluoroquinolones. Cette pression médicale mondiale a conduit à revisiter les pratiques en antibiothérapie chez l’animal, au motif que l’antibiorésistance sélectionnée par les mêmes antibiotiques (80 % d’entre eux sont communs à l’humain et à l’animal) pouvait se transmettre à l’homme et ainsi aggraver la situation. L’objectif, chez l’animal, est donc de restreindre en priorité l’usage des antibiotiques dits critiques, mais également de raisonner (et restreindre) l’usage de tous les autres. Cette évolution s’est progressivement imposée à l’ensemble de la médecine vétérinaire, dont la médecine canine.

Développement de l’antibiorésistance propre à la médecine vétérinaire

En parallèle, la médecine canine n’échappe pas au développement de sa propre antibiorésistance. En effet, l’utilisation d’antibiotiques, même appropriée, entraîne malgré tout la sélection de bactéries résistantes (photo 1). Ce processus naturel est lié à l’adaptation des bactéries aux changements de leur environnement. En médecine canine, des échecs thérapeutiques liés à l’antibiorésistance existent. En dermatologie, il n’est pas rare d’identifier des infections à Staphylococcus pseudintermedius multirésistant vis-à-vis desquelles l’efficacité de l’antibiothérapie habituelle est compromise, conduisant le praticien à choisir un antibiotique qu’il n’utilise pas couramment. Certains vétérinaires admettent d’ailleurs, pour contourner l’antibiorésistance, avoir utilisé des antibiotiques réservés à la médecine humaine (vancomycine, par exemple). Plus globalement, le développement de l’antibiorésistance en médecine canine est la deuxième cause de l’évolution de l’antibiothérapie.

2. RESTRICTIONS ET INTERDICTIONS D’USAGE DES ANTIBIOTIQUES

Loi d’avenir pour l’alimentation, l’agriculture et la forêt en 2014

La loi d’avenir pour l’alimentation, l’agriculture et la forêt, encore appelée loi d’avenir agricole, a été adoptée le 11 septembre 2014. Elle entraîne la fin des conditions commerciales pour les antibiotiques (rabais, remises, ristournes et prix différenciés), tant à l’achat (commande auprès du distributeur) qu’à la vente (client). Elle concerne tous les secteurs de la médecine vétérinaire. Elle signe le tournant majeur de l’évolution de l’antibiothérapie en médecine canine. La loi d’avenir agricole préserve le couplage entre la prescription et la vente d’antibiotiques, un point pour autant très débattu, fortement souhaité par le ministère de la Santé, et ayant conduit à l’une des rares grèves de l’histoire de la profession vétérinaire le 6 novembre 2013. En contrepartie, les vétérinaires ont dû réduire l’utilisation des antibiotiques d’importance critique, avec un objectif chiffré de - 25 % pour la fin 2016 (année de référence en 2013). La profession a également dû mettre en place un réseau de vétérinaires référents pour l’antibiothérapie et établir des guides de bonnes pratiques sous la validation de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Cette loi inclut aussi la mise en place d’une déclaration obligatoire des délivrances d’antibiotiques par le vétérinaire, connue sous le nom de Calypso, et que les praticiens peuvent renseigner depuis avril 2023. Le texte prévoit enfin plusieurs décrets et arrêtés, tout particulièrement le décret n° 2016-317 du 16 mars 2016 relatif à la prescription et à la délivrance des médicaments utilisés en médecine vétérinaire contenant une ou plusieurs substances antibiotiques d’importance critique, ainsi que l’arrêté du 18 mars 2016 fixant la liste des substances antibiotiques d’importance critique prévue à l’article L.5144-1-1 du Code de la santé publique et fixant la liste des méthodes de réalisation du test de détermination de la sensibilité des souches bactériennes prévue à l’article R.5141-117-2 (encadré 2).

Conséquences du décret et de l’arrêté de 2016 sur l’évolution de l’antibiothérapie canine

Avant la loi d’avenir agricole, l’usage des antibiotiques en médecine canine n’était soumis à aucune contrainte. Le décret et l’arrêté de 2016 ont considérablement modifié les pratiques en antibiothérapie. Le décret du 16 mars 2016 interdit la prescription des antibiotiques d’importance critique à titre préventif et rend obligatoires l’examen clinique et la réalisation d’un antibiogramme avant leur prescription à des fins curatives (photo 2). La contrainte de devoir réaliser un antibiogramme a constitué un frein majeur à leur usage. L’arrêté du 18 mars 2016 fixe la liste des antibiotiques d’importance critique (céphalosporines de troisième et quatrième générations et fluoroquinolones) dont la prescription est autorisée en médecine vétérinaire, sous réserve de respecter les dispositions du décret du 16 mars 2016. Il liste également les antibiotiques interdits chez les animaux en France. La plupart sont prescrits en médecine humaine, comme les carbapénèmes, la vancomycine ou le linézolide. Peu d’entre eux sont utilisés en médecine canine, ou de façon ponctuelle lors d’échecs thérapeutiques. L’interdiction de ces substances n’a donc pas réellement pénalisé la profession vétérinaire.

Principales conséquences de la réglementation en médecine canine

Avec les céphalosporines

En médecine canine, le recours aux céphalosporines de dernières générations concerne la céfovécine et ses indications en dermatologie et en uro-néphrologie (Staphylococcus pseudintermedius, Escherichia coli, Proteus mirabilis), le plus souvent lors d’abcès et de plaies. Davantage que le choix d’une céphalosporine de dernière génération, c’est l’effet longue durée de la céfovécine qui est recherché, notamment en médecine féline (chat d’extérieur, infections buccales nécessitant une administration parentérale, observance difficile, etc.). La forte réduction d’usage de la céfovécine a donc eu le double effet positif de limiter l’usage d’un antibiotique d’importance critique et la sélection de résistances liées à cette action prolongée. En médecine humaine également, les révisions de posologie s’orientent vers une réduction des durées de traitement, dans l’objectif de freiner l’antibiorésistance dans les flores commensales.

Avec les fluoroquinolones

L’usage des fluoroquinolones est variable selon les bactéries et les sites d’infection. En uro-néphrologie, elles sont très utilisées car elles diffusent bien (prostate, reins). De nombreux praticiens ont reconnu prescrire trop fréquemment des fluoroquinolones pour le traitement des cystites, réorientant ensuite leur prescription vers des céphalosporines de première génération. En dermatologie canine, la réglementation est le prolongement d’une évolution déjà portée par le conseil scientifique du Groupe d’étude en dermatologie des animaux de compagnie (Gedac) de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) qui a proposé, en avril 2011, un référentiel pour la prescription raisonnée et raisonnable des antibiotiques(1). Il distingue les infections cutanées de surface, les pyodermites superficielles et les pyodermites profondes, et recommande l’antibiothérapie appropriée pour chacune d’elles (molécules de choix, d’utilisation restreinte, déconseillées, voire à ne pas utiliser), avec notamment un usage raisonné des fluoroquinolones.

3. ABANDON DE CERTAINES PRATIQUES ET RENFORCEMENT DE L’HYGIÈNE

Pratiques d’antibiothérapie à abandonner

En parallèle des restrictions d’usage, la profession vétérinaire a porté une réflexion sur l’évolution générale des pratiques, incluant la suppression de celles jugées à risque de développer une antibiorésistance pour un bénéfice clinique faible ou nul. L’antibioprophylaxie en chirurgie est l’une d’entre elles. Les pratiques varient selon le chirurgien et l’intervention. Par exemple, l’antibiothérapie a longtemps été quasi systématique lors d’une ovariectomie chez la chatte, en lien avec le risque d’abcès de paroi, bien que des études en aient démontré l’inutilité dans la majorité des cas (photo 3) [6]. Désormais, l’antibioprévention (ou antibioprophylaxie) est limitée aux situations où il n’existe pas d’autres moyens de contrôle des maladies, et elle ne peut en aucun cas se substituer à une indispensable maîtrise sanitaire. Il s’agit donc de situations exceptionnelles, lorsque le risque d’infection est élevé. Pour les animaux de compagnie, l’antibiothérapie chirurgicale postopératoire (dite de couverture) n’est plus admise. Rappelons aussi que les antibiotiques d’importance critique ne peuvent pas être utilisés en antibioprophylaxie. L’antibioprophylaxie est superflue pour les interventions chirurgicales dites “propres”, de courte durée, chez un animal en bonne santé et présentant un risque anesthésique faible. Lorsqu’elle se révèle nécessaire, il convient d’utiliser les céphalosporines de première génération (céfalexine), en une administration unique et non pendant plusieurs jours.

Importance de l’hygiène à la clinique

L’évolution de l’antibiothérapie a remis l’accent sur des notions de base : maîtriser le risque infectieux tout en diminuant l’usage des antibiotiques nécessite de renforcer les mesures de prévention et d’hygiène(2) (encadré 3). Une étude américaine menée auprès d’auxiliaires vétérinaires de dix-huit hôpitaux a montré que seulement 41,7 % se lavaient régulièrement les mains entre chaque animal [7]. Pour faciliter le respect des règles d’hygiène, des systèmes de lavage doivent être placés à des points stratégiques et le personnel de la clinique ne doit pas pouvoir contaminer les locaux (portes, équipements, etc.) avant le nettoyage des mains. Enfin, une attention spécifique doit être portée à l’organisation du poste chirurgical. Avant une opération à risque, il est possible de dépister une éventuelle colonisation par des analyses bactériologiques sur des écouvillonnages nasaux et périnéaux. De nombreux facteurs augmentent également le risque d’infection postopératoire (encadré 4).

Résistance bactérienne et maladies nosocomiales

Les infections nosocomiales, c’est-à-dire acquises au cours de l’hospitalisation, surviennent régulièrement en pratique canine, notamment lorsque l’activité chirurgicale est élevée (activité de référés), mais pas uniquement. Certaines espèces bactériennes sont davantage concernées, comme Klebsiella pneumoniae, Staphylococcus aureus et pseudintermedius, Acinetobacter baumannii ou Pseudomonas aeruginosa. Des infections urinaires chroniques postopératoires dues à la même bactérie K. pneumoniae font partie des exemples rapportés en France. La bactérie s’est révélée résistante aux céphalosporines de troisième ou quatrième génération et aux fluoroquinolones chez des chats référés ayant subi une opération (cytostomie, urétrostomie) dans l’hôpital où cette souche était présente [2]. Des cas répétés d’infections postopératoires sont aussi décrits dans une clinique vétérinaire sur une période de trois ans, en lien avec une souche résidente de Staphylococcus pseudintermedius résistante à la méticilline [1]. Ces situations ont été résolues par un renforcement de l’hygiène et une moindre utilisation des antibiotiques.

4. PERSPECTIVES POUR L’ANTIBIOTHÉRAPIE EN MÉDECINE CANINE

Bilan sur l’exposition aux antibiotiques et l’antibiorésistance chez les animaux de compagnie

Exposition aux antibiotiques

En dix ans (2011 à 2021), l’exposition globale des animaux aux antibiotiques a baissé de 47 % en France [3]. Cependant, chez les animaux de compagnie, après une baisse de 19,5 % du niveau d’exposition entre 2011 et 2016, le taux mesuré en 2021 est redevenu proche de celui évalué en 2011 (figure 1). Cela fait suite à une réaugmentation de l’exposition de 6,9 % entre 2019 et 2020, puis de 9,9 % entre 2020 et 2021. La hausse ne concerne pas toutes les familles de façon similaire (figure 2). Le recours à l’association amoxicilline-acide clavulanique a augmenté de 40,8 % depuis 2016. En 2021, cela représentait 43 % de l’exposition des chats et des chiens aux antibiotiques(3). Cet antibiotique est, par exemple, largement utilisé en prophylaxie chirurgicale.

Antibiorésistance

L’augmentation de l’exposition des animaux de compagnie est également corrélée à celle de l’antibiorésistance chez ces espèces. Les données du Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales (Résapath) montrent une hausse régulière de la proportion de souches d’Escherichia coli résistantes à l’amoxicilline et à son association à l’acide clavulanique chez le chien et le chat [8]. Ce point est préoccupant et incite à la vigilance. En 2013, l’association amoxicilline-acide clavulanique avait été classée dans la liste des « antibiotiques particulièrement générateurs de résistances bactériennes » par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). L’Agence européenne du médicament (EMA) propose aussi une restriction des usages hors autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’association amoxicilline-acide clavulanique. Toute évolution plus restrictive concernant cet antibiotique engendrerait des difficultés certaines en médecine canine.

Guide de bonnes pratiques en antibiothérapie : recommandations de l’Afvac

Désormais, la médecine canine dispose d’un guide de référence pour le bon usage des antibiotiques. Ce travail, confié à l’Afvac dans le cadre des plans Écoantibio, a conduit à la première édition de fiches de recommandations en 2016, réactualisées en 2022(4). Pour chaque infection bactérienne, ce guide pose notamment la question de la justification (ou non) de l’antibiothérapie, et si oui laquelle. Ces fiches ne sont pas opposables, elles visent à accompagner le praticien dans ses décisions. De grands principes y sont aussi rappelés, comme le fait de privilégier un antibiotique à spectre étroit, ou de traiter « vite, fort mais pas longtemps » (contrairement à l’ancien précepte « vite, fort, longtemps »), afin de prévenir la sélection de résistances dans les flores commensales. Il est également rappelé que la guérison bactériologique survient généralement avant le retour à la normalité clinique, donc qu’un prolongement de l’antibiothérapie est souvent inutile. Ce guide tient compte des recommandations de l’Antimicrobial Advice ad hoc Expert Group (Ameg) de l’EMA, qui a publié en 2019 une catégorisation des antibiotiques selon les conséquences, pour la santé publique, de l’antibiorésistance liée à leur usage chez l’animal(5). Les vétérinaires sont encouragés à consulter cette catégorisation avant de prescrire un antibiotique. Elle définit notamment les catégories A (à éviter), B (à restreindre), C (attention) et D (prudence). Ces différentes classifications aux niveaux national (arrêté du 18 mars 2016), européen (avis de l’Ameg) et international (liste de l’OMS) sont complémentaires, mais parfois source de confusion pour le praticien.

Réglementation européenne en antibiothérapie canine

Le pacte vert pour l’Europe fixe l’objectif de - 50 % d’antimicrobiens d’ici à 2030 pour les animaux d’élevage et en aquaculture (année de référence en 2018), mais aucun objectif n’est fixé pour les animaux de compagnie. En revanche, le règlement européen 2019/6 du 11 décembre 2018 (dit du médicament vétérinaire), applicable depuis le 22 janvier 2022, prévoit certains points clés pratiques (encadré 5). Le suivi des usages d’antibiotiques à l’échelle de chaque clinique à partir des prescriptions vétérinaires d’antibiotiques (dispositif Calypso en France) deviendra obligatoire à partir de 2029.

Quid des alternatives à l’antibiothérapie ?

Il est illusoire de penser que de nouveaux antibiotiques seront disponibles en médecine canine. Toutes les tendances s’orientent vers un accès toujours plus réduit à la liste existante. La question des solutions alternatives se pose, évidemment, mais la réponse n’est pas simple. Il convient néanmoins de souligner que l’alternative à l’antibiothérapie n’est pas nécessairement médicamenteuse. La réduction des infections via l’hygiène, le renforcement immunitaire et le maintien de l’état de santé de l’animal (alimentation, etc.) sont sans doute les options les plus crédibles. Un meilleur diagnostic des infections permet aussi de préserver l’efficacité des antibiotiques. Concernant les alternatives médicamenteuses, les pistes sont minces et l’engagement de l’industrie peu visible. Depuis peu, la phagothérapie semble être un traitement prometteur, à la suite de l’adoption en 2023 par l’EMA d’un projet de lignes directrices qui détaille les exigences en matière d’AMM d’éventuels médicaments vétérinaires à base de bactériophages. Pour autant, l’utilisation des bactériophages n’est assurément pas pour un proche avenir et cette option ne s’inscrira probablement jamais dans une perspective d’usage à large échelle (photo 4). Cela restera une thérapeutique marginale, y compris chez l’humain, avec des technologies relevant de la médecine de précision (fabrication extemporanée d’un cocktail de phages adapté à chaque patient).

  • (1) Guaguère E. Référentiel d’utilisation des antibiotiques pour une prescription raisonnée en dermatologie canine. Séance thématique : le bon usage des antibiotiques. Bull. Acad. Vét. France, 2012;165(2):113-118.

  • (2) Voir aussi le dossier « Infections nosocomiales félines et canines » dans Le Point vétérinaire n° 439 de mars 2023.

  • (3) Les données 2021 ont été collectées, analysées et publiées en novembre 2022 à l’occasion de la semaine mondiale des antibiotiques. Celles de 2022 seront publiées en novembre 2023.

  • (4) https://afvac.com/ l-association/dossiers/antibiotherapie-fiches-de-recommandations-2022

  • (5) Antimicrobial Advice ad hoc Expert Group. Categorisation of antibiotics in the European Union - Answer to the request from the European Commission for updating the scientific advice on the impact on public health and animal health of the use of antibiotics in animals. European Medicines Agency. Report EMA/CVMP/CHMP/ 682198/2017. 2019:73p.

Références

  • 1. Haenni M, Châtre P, Keck N et coll. Hospital-associated meticillin-resistant Staphylococcus pseudintermedius in a French veterinary hospital. J. Glob. Antimicrob. Resist. 2013;1(4):225-227.
  • 2. Haenni M, Ponsin C, Métayer V et coll. Veterinary hospital-acquired infections in pets with a ciprofloxacin-resistant CTX-M-15-producing Klebsiella pneumoniae ST15 clone. J. Antimicr. Chemother. 2012;67(3):770-771.
  • 3. Jarrige N, Jouy E, Haenni M et coll. Rapport annuel du Résapath 2021 - Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales. Anses. 2022:48p.
  • 4. Lees P, Pelligand L, Giraud E et coll. A history of antimicrobial drugs in animals: evolution and revolution. J. Vet. Pharmacol. Therap. 2021;44(2):137-171.
  • 5. Marty JP. La pénicilline, ses possibilités d’application en thérapeutique vétérinaire. Vigot Frères. 1948:85p.
  • 6. Nakamura RK, Tompkins E, Braasch EL et coll. Hand hygiene practices of veterinary support staff in small animal private practice. J. Small Anim. Pract. 2012;53(3):155-160.
  • 7. O’Neill J. Tackling drug-resistant infections globally: final report ans recommendations.The review on antimicrobial resistance. 2016:84p.
  • 8. Urban D, Chevance A, Moulin G. Suivi des ventes des médicaments vétérinaires contenant des substances antibiotiques en France en 2021. Anses. 2022:98p.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré 1
MORTALITÉ ANNUELLE DUE À L’ANTIBIORÉSISTANCE

En 2016, un rapport rendu au gouvernement britannique par Jim O’Neill estime le nombre de décès à 10 millions par an en 2050 (soit une personne toutes les trois secondes) directement en lien avec l’antibiorésistance, devant la mortalité due au cancer (8,5 millions), au diabète (1,5 million), aux diarrhées infectieuses (1,4 million), aux accidents de la route (1,2 million) et au total des autres grandes maladies infectieuses (tuberculose, virus de l’immunodéficience humaine, paludisme, etc.). Aujourd’hui, 700 000 personnes meurent chaque année d’infections résistantes aux antibiotiques.

D’après [7].

Encadré 2
ANTIBIOTIQUES CRITIQUES EN MÉDECINE VÉTÉRINAIRE

L’arrêté du 18 mars 2016* fixe la liste des antibiotiques d’importance critique dont la prescription est autorisée en médecine vétérinaire et celle des méthodes de réalisation du test de détermination de la sensibilité des souches bactériennes. La liste des antibiotiques critiques comprend la céfopérazone, le ceftiofur, la céfovécine (céphalosporines de troisième génération), la cefquinome (céphalosporine de quatrième génération), la danofloxacine, l’enrofloxacine, la marbofloxacine, l’orbifloxacine et la pradofloxacine (quinolones de deuxième génération). Trois fluoroquinolones humaines (ciprofloxacine, ofloxacine, norfloxacine) sont également autorisées, pour un usage limité, en traitement ophtalmologique par voie locale chez les animaux de compagnie et les équidés.

* JORF n° 0072 du 25 mars 2016.

Points clés

• L’augmentation de l’antibiorésistance chez l’humain est la raison principale de l’évolution de l’antibiothérapie vétérinaire.

• L’antibiothérapie en médecine canine a évolué au début des années 2010, en lien avec la réglementation et les plans Écoantibio.

• Le bilan est mitigé en médecine canine, avec une baisse de l’exposition des chiens et des chats aux antibiotiques entre 2011 et 2016, puis une réaugmentation proche du niveau initial entre 2016 et 2021.

• Les bonnes pratiques de prévention et d’hygiène demeurent essentielles dans la lutte contre l’antibiorésistance.

• La vigilance ne doit pas porter uniquement sur l’utilisation des antibiotiques d’importance critique. En 2021, l’association amoxicilline-acide clavulanique a représenté 43 % de l’exposition des chats et des chiens aux antibiotiques.

Encadré 3
PRÉVENTION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES VÉTÉRINAIRES

La planification du nettoyage et de la désinfection de l’environnement et des équipements est à adapter au risque. La désinfection (journalière, hebdomadaire, etc.) doit être effectuée avec des produits à l’efficacité démontrée et réservés à chaque pièce. Les lieux et le matériel où s’accumulent les germes doivent être protégés (claviers d’ordinateurs, etc.). L’efficacité du nettoyage peut être évaluée par des contrôles microbiologiques réguliers. De surcroît, le personnel qui manipule les animaux doit porter des gants et maîtriser le risque de contamination des cheveux et des vêtements (manches et poches à éviter). Le principe de la marche en avant doit être respecté autant que possible. Les animaux connus ou suspectés pour avoir reçu plusieurs antibiotiques au préalable doivent être pris en charge de manière à limiter leurs contacts avec les autres animaux ou des équipements susceptibles de véhiculer des bactéries. Après leur passage, les locaux nécessitent d’être nettoyés et désinfectés. En cas d’hospitalisation, les animaux infectés ou colonisés doivent être isolés des autres. Dans certains cas, un suivi de la colonisation bactérienne, qui consiste à faire revenir l’animal une ou plusieurs fois à la clinique pour effectuer un prélèvement et évaluer s’il est encore porteur de la même bactérie, peut être réalisé postérieurement au retour de l’animal chez son propriétaire.

Encadré 4
CHIRURGIE ET RISQUE INFECTIEUX

Compte tenu de la suppression de l’antibiothérapie postopératoire dite de couverture, une attention particulière doit être portée au risque infectieux lors de l’acte chirurgical :

- il double à chaque heure de chirurgie supplémentaire ;

- il est supérieur lors d’interventions dites “propres-contaminées” par rapport à la chirurgie “propre” ;

- il augmente suivant le délai entre la tonte préopératoire et l’incision cutanée, mais aussi selon l’état général de l’animal (hypotension, hypothermie, endocrinopathie, immunosuppression, etc.).

Encadré 5
POINTS CLÉS DU RÈGLEMENT EUROPÉEN

Le règlement européen 2019/6 du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires fixe à cinq jours la validité de l’ordonnance pour les antibiotiques, interdit leur usage préventif (sauf cas exceptionnels), liste ceux interdits aux animaux (article 37) et ceux interdits ou restreints dans le cadre de la cascade thérapeutique (article 107). Il rend désormais obligatoire plusieurs recommandations de l’arrêté national du 22 juillet 2015 relatif aux bonnes pratiques d’emploi des médicaments contenant une ou plusieurs substances antibiotiques en médecine vétérinaire. Il réaffirme également la vocation strictement curative des antibiotiques, leur usage immédiat (donc l’absence de stock), la nécessité d’un examen clinique et d’une démarche diagnostique préalable à la prescription, la réalisation d’un antibiogramme aussi souvent que nécessaire, ou le fait d’éviter les associations de molécules sauf en cas d’absolue nécessité.

CONCLUSION

En 50 ans, l’antibiothérapie en médecine vétérinaire a connu deux phases : la première fondée sur des considérations cliniques, pharmacocinétiques et pharmacodynamiques jusqu’aux années 2010, la seconde liée à la réalité de l’antibiorésistance, la prise de conscience par la profession vétérinaire et la mise en place des politiques publiques. La médecine canine affiche un bilan mitigé, avec une réaugmentation très sensible de l’usage des antibiotiques depuis sept ans. Il en ressort un message de vigilance et un rappel de l’importance des règles de prévention et d’hygiène. Il est également rappelé que c’est principalement la médecine humaine qui influe sur la liste des antibiotiques d’importance critique, notamment à la lumière des avancées dans le secteur animal. La médecine vétérinaire a donc tout intérêt à continuer de maîtriser l’usage des antibiotiques afin d’éviter que cette liste ne s’allonge au cours des 50 prochaines années…