MÉDECINE BOVINE
Article de synthèse
Auteur(s) : Carole Sala*, Paul Perié**
Fonctions :
*Vétérinaire conseil
GDS France
37 rue de Lyon
75012 Paris
**Président de la commission
épidémiologie de la SNGTV
Clinique de la Risle
27500 Pont-Audemer
L’éradication de la diarrhée virale bovine repose sur des plans de lutte et de surveillance particuliers en raison du caractère atypique de la maladie.
La diarrhée virale bovine (BVD) peut occasionner des pertes économiques importantes en élevage bovin. Ce poids économique est à l’origine de la mise en place des programmes de lutte dans de nombreux pays [5, 10]. La BVD étant classée en catégorie CDE (1) par la loi Santé animale européenne entrée en vigueur depuis 2021, la reconnaissance d’un programme d’éradication ou d’un statut indemne de la maladie permet à l’État membre qui en bénéficie d’imposer des contraintes aux mouvements des animaux issus de pays et/ou de cheptels qui ne disposent pas du même niveau de reconnaissance. La BVD est ainsi devenue une maladie à fort enjeu commercial ces dernières années. Elle est également singulière en raison de ses caractéristiques et des modalités de surveillance et de lutte appliquées.
Lors d’une première infection par le virus de la BVD, le bovin passe par une phase de virémie transitoire qui varie généralement entre six et vingt et un jours [11, 16]. Durant cette période, l’animal est viropositif et séronégatif, et représente une source d’infection pour ses congénères [11, 16]. À l’issue de cette phase de virémie, une séroconversion se produit. Ainsi, au-delà de la période de persistance des anticorps maternels, un bovin ne peut pas être en même temps viropositif et séropositif, pour une même souche de BVD. Un bovin séropositif est considéré comme protégé et ne pourra pas être réinfecté par la même souche virale. En matière de surveillance et de gestion, la séropositivité est censée persister durant toute la vie du bovin. La BVD est l’une des rares maladies pour lesquelles un animal, séropositif à la suite d’une infection naturelle, ne sera pas infecté et pourra donc être conservé, durant de longues années, dans le troupeau. Ainsi, les animaux les plus âgés du cheptel présentent une probabilité plus importante d’être séropositifs. Il existe toutefois une exception à cette règle : dans de rares cas, une excrétion spermatique intermittente peut être observée, parfois pendant plusieurs années, après une infection naturelle [12]. Il convient ainsi de rester particulièrement vigilant vis-à-vis des taureaux séropositifs.
Le virus de la BVD est capable de passer la barrière placentaire et d’infecter le fœtus avec des conséquences variables selon le stade de gestation (figure). Une primo-infection entre 40 et 120 jours de gestation entraîne la naissance d’un veau infecté permanent immunotolérant (IPI), en raison de l’immaturité du système immunitaire du fœtus à ce stade. Entre 120 et 150 jours de gestation, la naissance d’un veau IPI est moins systématique (environ un cas sur deux) [7]. Une vache IPI donnera toujours naissance à un veau IPI. Par réciprocité, un veau non IPI aura forcément une mère non IPI. Un IPI naît et reste à vie viropositif et séronégatif (indépendamment des anticorps maternels). Ces animaux représentent la principale source d’infection et d’entretien de la maladie. Ils sont ainsi les cibles privilégiées des plans de lutte contre la BVD. Au-delà de 120 et surtout de 150 jours de gestation, le veau naîtra séropositif ou viropositif selon le délai entre l’infection et la naissance. Il n’est pas rare que les infections tardives entraînent des virémies longues. Cependant, même s’ils ne sont pas IPI, ces veaux sont une source d’infection et doivent être éliminés [11]. La vaccination (très) tardive avec un vaccin vivant atténué peut aboutir à la naissance d’un veau viropositif non infectieux, mais il ne pourra être distingué d’un vrai virémique. Quelques cas sont décrits chaque année dans le cadre de la pharmacovigilance.
Les veaux de mères séropositives à la suite d’une vaccination ou d’une infection naturelle deviennent séropositifs après la consommation du colostrum. Une séropositivité et une viropositivité concomitantes peuvent ainsi parfois être observées chez de jeunes bovins. Il n’est pas rare, surtout dans les races allaitantes, que ces anticorps maternels persistent jusqu’à l’âge de 8 mois. Pour ces jeunes bovins, la seule séropositivité ne permet pas d’affirmer qu’ils ne sont pas IPI ou virémiques transitoires, ni qu’ils resteront séropositifs.
Une particularité importante du virus de la BVD est sa répartition très large dans l’organisme infecté. Il est retrouvé dans la plupart des tissus et des sécrétions. Cette large diffusion permet de réaliser des dépistages virologiques sur une biopsie auriculaire (photo). Elle est aussi à l’origine de la transmission du virus par contact direct et indirect, celui-ci résistant quelques heures dans le mucus et les autres sécrétions (donc sur les bottes, les vêtements, etc.) [3, 8, 14, 16].
Au début, l’objectif est d’identifier et d’éliminer de manière la plus exhaustive possible les animaux IPI, afin de réduire drastiquement la pression d’infection. Après cette première phase, un renforcement progressif du plan de lutte permet de préserver les cheptels assainis et de poursuivre l’éradication.
Avec des animaux séropositifs vironégatifs, des viropositifs séronégatifs, et des “vaches de Troie” vironégatives et séropositives qui cachent un IPI viropositif et séronégatif (ou parfois séropositif), l’efficacité des plans d’éradication et de surveillance de la BVD repose sur l’usage combiné de la virologie et de la sérologie. La pertinence d’utiliser l’un ou l’autre de ces dépistages, voire de les associer, dépend de la situation épidémiologique vis-à-vis de la maladie, de l’historique, des facteurs de risque, des pratiques de vaccination, des caractéristiques zootechniques des élevages (allaitant versus laitier) et des animaux (âge, stade gestationnel) [6, 17].
À l’échelle des troupeaux, lorsque la séroprévalence est importante (circulation récente ou active et/ou usage de la vaccination), le dépistage virologique des animaux est le plus pertinent (encadré 1). Il s’accompagne de l’élimination rapide des animaux IPI et de la délivrance d’une appellation “non IPI” aux bovins ayant présenté un résultat négatif, ainsi qu’aux mères de ces bovins. Au début du plan de lutte et dans un contexte de forte prévalence, cette stratégie permet une avancée très rapide. En situation de faible séroprévalence, le dépistage sérologique permet, en début de plan, d’identifier les cheptels dans lesquels une circulation de la maladie peut être suspectée. Par la suite, le suivi sérologique permet d’identifier une séroconversion en lien avec une exposition récente des bovins au virus et un risque de naissances de veaux IPI. Dans certains cas, le suivi sérologique peut détecter plus rapidement la circulation du virus. Dans cet objectif, il est nécessaire de mettre en place un plan d’échantillonnage adapté, dans le cadre d’une surveillance sur sérum (encadré 2). Lors du dépistage sérologique sur le lait de tank, le lait est analysé au minimum deux fois par an afin de disposer d’au moins une analyse pour chaque femelle en production. La difficulté de mise en œuvre de la surveillance sérologique est souvent liée à la présence d’animaux séropositifs (ancienne infection ou vaccination) et au défaut de traçabilité de ceux-ci. La présence de tels bovins, non tracés, affecte la qualité des plans d’échantillonnage et rend très difficile l’interprétation des résultats séropositifs.
L’efficacité d’un plan de lutte contre la BVD requiert la disponibilité d’outils de diagnostic adaptés aux objectifs fixés. Afin de disposer de kits diagnostiques en adéquation avec les exigences de sensibilité (capacité à détecter un animal positif) et de spécificité (capacité à ne pas détecter un animal négatif) définies dans le plan de lutte, un contrôle et un suivi des kits commercialisés sont indispensables. En France, pour la BVD, ce travail de référence analytique, financé par GDS France, est réalisé en collaboration avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) qui héberge le Laboratoire national de référence BVD (LNR-BVD) de Ploufragan-Plouzané-Niort. Le suivi des outils de diagnostic virologique et sérologique permet de s’assurer que les résultats obtenus sont et restent fiables tout au long du plan de lutte. L’activité de référence analytique s’appuie sur le travail de terrain, notamment des vétérinaires, via la collecte de matériel biologique, indemnisée, et la déclaration des cas atypiques.
Quelle que soit la modalité de dépistage, les retours d’expérience des pays disposant de programmes nationaux de lutte contre la BVD montrent que, sans mesure contraignante vis-à-vis des mouvements d’animaux, l’éradication n’est pas possible [2, 4, 9, 10, 18]. Ces restrictions de mouvements sont en effet indispensables pour limiter la diffusion du virus et protéger les troupeaux assainis. Au-delà de l’élimination des animaux IPI, ces mesures vont du blocage total des mouvements des troupeaux infectés durant le temps de l’assainissement (recherche des IPI et élimination de ceux-ci) au dépistage préalable à la vente après l’assainissement ou lors de suspicion, en passant par une gestion spécifique des vaches gestantes. L’efficacité de ces mesures repose également sur une sécurisation sanitaire des transports et des rassemblements d’animaux, afin de garantir qu’un bovin conserve son statut sanitaire de départ. Néanmoins, l’acceptabilité de ces restrictions et contrôles des mouvements peut dépendre des pratiques en place pour d’autres maladies (dépistage avant la vente par exemple) et du nombre de troupeaux concernés. Il est usuel de renforcer ces mesures au fur à et à mesure de l’avancée de l’éradication.
Le statut de non IPI attribué à un bovin à un instant T ne garantit pas qu’il ne sera pas virémique à T + 1, ni qu’une femelle gestante n’est pas pleine d’un fœtus IPI. En début d’éradication, le statut “non IPI” permet de réduire de manière importante la circulation de la maladie. Cette stratégie est ainsi privilégiée dès lors que la prévalence est importante. Cependant, plus l’assainissement progresse, plus l’impact des bovins virémiques transitoires, qui peuvent bénéficier d’un statut “non IPI”, devient important, puisque la part des animaux et des troupeaux naïfs augmente. À partir d’un certain stade d’avancée, la prise en compte du statut de troupeau “indemne de BVD”, plus contraignant et protecteur, devient nécessaire [4, 13].
La loi Santé animale ne reconnaît ainsi que le statut de troupeau “indemne de BVD” dont elle définit les conditions d’acquisition et de maintien. Ce statut est ainsi attribué sur la base d’un historique de résultats négatifs, d’absence de lien épidémiologique avec un animal infecté et de la maîtrise des statuts sanitaires vis-à-vis de la maladie des animaux introduits. Au-delà de son intérêt pour éradiquer la diarrhée virale bovine, ce statut de troupeau “indemne de BVD” est l’unique chemin vers la reconnaissance d’un programme d’éradication par la Commission européenne, avant la reconnaissance de pays ou de zones indemnes.
(1) C : maladies soumises à un contrôle volontaire des États membres avec des garanties additionnelles, D : maladies auxquelles s’appliquent des restrictions de mouvements intracommunautaires et à l’import, E : maladies à surveillance et notification obligatoires.
Conflit d’intérêts : Aucun
Les retours d’expérience montrent qu’une dizaine d’années sont nécessaires pour éradiquer la diarrhée virale bovine à compter de la mise en place de programmes nationaux et de contraintes en matière de mouvements d’animaux. De plus, des adaptations très régulières des plans de lutte sont nécessaires afin de maintenir la vitesse d’assainissement et d’atteindre l’objectif fixé.
La vaccination seule ne permet pas d’éradiquer la BVD, mais elle peut être un outil de la stratégie d’éradication [9]. La place de la vaccination dans les plans de lutte contre la maladie dépend essentiellement des modalités de surveillance en place ou prévues à moyen terme, ainsi que de la situation sanitaire de la zone. En l’absence de vaccin délété, la distinction entre les animaux anciennement infectés et les vaccinés est impossible.
Actuellement, les tests de dépistage sérologique détectent la plupart des animaux vaccinés, quels que soient l’âge à la vaccination et le type de vaccin utilisé. La vaccination des animaux est donc incompatible avec le suivi sérologique des troupeaux. Dans certains pays, dans un contexte de faible recours à la vaccination et souvent de faible prévalence reposant sur le dépistage sérologique, la vaccination est interdite pour faciliter la gestion de la maladie. A contrario, dans les plans fondés sur le dépistage virologique des animaux, la vaccination reste généralement autorisée et peut aider à maîtriser le risque de réinfection des troupeaux assainis dans certaines situations et/ou faciliter l’assainissement de quelques foyers. Des pays l’interdisent néanmoins dès le début de la lutte, dans une perspective de transition à moyen terme vers une surveillance sérologique des troupeaux. En France, avec des modalités de dépistage mixtes et une prévalence de la maladie encore variable selon la zone géographique, les recommandations vont vers une vaccination raisonnée, au cas par cas, des femelles mises à la reproduction selon les facteurs de risque liés à chaque élevage. Une fiche de recommandations GDS France-SNGTV* a été rédigée afin d’aider à la prise de décision dans le réseau. Dans les troupeaux infectés et ceux liés épidémiologiquement, l’organisme à vocation sanitaire (OVS), en lien avec le vétérinaire sanitaire, peut décider de la mise en place de la vaccination, après une analyse de risque [1]. Cette vaccination a pour objectif d’accélérer l’assainissement et de renforcer la protection les troupeaux en lien épidémiologique, en plus des mesures de biosécurité. En revanche, dans les élevages en suivi sérologique ou en transition vers cette modalité de surveillance, dans une zone assainie et en l’absence de facteurs de risque, la vaccination ne doit pas ou plus être utilisée car elle pourrait rendre les résultats ininterprétables et/ou l’échantillonnage insuffisant.
En complément, il est indispensable d’assurer une traçabilité des bovins vaccinés afin de les exclure de la prophylaxie dans les troupeaux sous surveillance sérologique sur sérum. Cette traçabilité doit également permettre aux éleveurs d’acheter en connaissance de cause, notamment en élevage laitier sous suivi sérologique pour lequel l’introduction d’un animal vacciné peut rendre positif le lait de tank. Cette traçabilité doit être assurée par l’éleveur en lien avec l’OVS gestionnaire. Dans tous les cas, la vaccination en routine des jeunes animaux (moins de 9 mois) avec des vaccins ayant une valence BVD (y compris ceux contre les maladies respiratoires) doit être arrêtée. Elle n’a plus aucun intérêt dans le contexte actuel de forte baisse de la circulation du virus, d’autant qu’elle est suffisante pour marquer sérologiquement les animaux, handicapant ainsi à long terme le suivi sérologique des troupeaux. Enfin, comme pour toute maladie, la réglementation européenne impose que la vaccination ait été interdite au niveau national lors d’une demande de reconnaissance du statut indemne de la zone ou du pays.
* Fiche rédigée par les Groupements de défense sanitaire (GDS) et la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV).
• La diarrhée virale bovine est une maladie à forts enjeux économiques et dorénavant commerciaux.
• Les animaux infectés permanents immunotolérants représentent la principale source d’infection et sont la cible prioritaire des plans de lutte.
• L’infection naturelle entraîne une séropositivité et une protection à vie des bovins concernés.
• L’efficacité des dispositifs de lutte contre la maladie des muqueuses repose sur la combinaison des dépistages virologique et sérologique, associés à des mesures de contrôle des mouvements des bovins.
Au début du plan, dans la phase de recherche des animaux infectés permanents immunotolérants (IPI), la sérologie est utilisée pour évaluer leur nombre dans le cheptel. En présence d’un animal IPI, la séroprévalence attendue est souvent élevée (plus de 50 %) et la séroconversion concerne généralement différents groupes d’animaux (vaches, veaux, etc.) [15]. Dans cet objectif, il est classique de prélever cinq à dix bovins parmi les plus jeunes, car chez les plus vieux la probabilité d’une séropositivité est importante en raison d’une exposition potentiellement ancienne. Cette façon de procéder est souvent appelée “surveillance par sentinelles”. Lorsque les troupeaux sont assainis, la surveillance a pour objectif la détection précoce de la circulation de la BVD ou de l’exposition au virus des animaux reproducteurs naïfs, en vue d’anticiper la naissance de veaux IPI. Le plan d’échantillonnage doit permettre de détecter une séroprévalence relativement faible dans chaque lot de femelles reproductrices (unité épidémiologique). En pratique, dans un contexte de circulation ancienne de la maladie, voire de recours à la vaccination, toute la difficulté réside dans le fait de disposer de suffisamment de femelles de 24 mois, connues ou présumées séronégatives, pour pouvoir mettre en place une surveillance sérologique sensible. L’usage des “sentinelles” n’est plus adapté. Le remplacement de tout ou partie de cette tranche d’âge (plus de 24 mois) par des animaux plus jeunes (moins de 24 mois) est conditionné au fait que les “remplaçants” doivent être mis en contact avec le troupeau reproducteur afin d’être représentatifs de l’exposition potentielle de celui-ci, donc avoir le même risque d’exposition. Cet élément est indispensable à l’efficacité de la surveillance sérologique en vue d’identifier le risque de naissances d’IPI dans le troupeau. En pratique, dans les cheptels français, de tels animaux sont assez rares : dans les troupeaux laitiers les jeunes sont souvent élevés à part, et en élevage allaitant une bonne partie des veaux de l’année sont déjà partis au moment de la prophylaxie. En pratique, pour des raisons d’efficacité et de facilité de gestion, la surveillance sérologique n’est pas compatible avec la vaccination contre la BVD, ni avec une circulation récente du virus. Il est nécessaire d’attendre au moins deux à trois ans après l’arrêt de la vaccination ou le passage viral pour disposer d’assez de femelles séronégatives dans le troupeau reproducteur. Enfin, la surveillance sérologique doit s’inscrire dans un contexte où le risque d’infection est minimal, afin de limiter l’exposition du troupeau entre deux prophylaxies, notamment en élevage allaitant : la prévalence de la maladie doit être localement faible, sans cheptels infectés dans le voisinage, les bovins introduits et les mélanges d’animaux (uniquement dans des pâturages collectifs contrôlés) doivent être maîtrisés, etc.