INDICATIONS D’UN PRÉLÈVEMENT DE MOELLE OSSEUSE - Le Point Vétérinaire n° 441 du 01/05/2023
Le Point Vétérinaire n° 441 du 01/05/2023

MÉDECINE INTERNE

Dossier

Auteur(s) : Delphine Rivière*, Typhaine Lavabre**, Didier Lanore***

Fonctions :
*(CES hématologie et biochimie
clinique animales, DU cytologie hématologique)
**(dipECVCP, CES hématologie
et biochimie clinique animales)
Laboratoire Anydiag-InovieVet
90 rue Nicolas Chedeville
34070 Montpellier
***(CES hématologie et biochimie clinique animales)
Clinique HOPia
14 boulevard des Chênes
78280 Guyancourt

Le prélèvement de moelle osseuse est un acte de seconde intention, indiqué dans des situations cliniques variées.

Les indications pour la réalisation d’un prélèvement de moelle osseuse sont multiples (tableau). Elles peuvent être regroupées en plusieurs catégories : exploration d’une ou de plusieurs anomalies de l’hémogramme et/ou du frottis sanguin, prise en charge d’un cas d’oncologie, recherche d’une maladie infectieuse, investigation d’anomalies clinico-biologiques telles qu’une hypercalcémie, une hyperglobulinémie ou une fièvre d’origine indéterminée.

1. ANOMALIES HÉMATOLOGIQUES

Cytopénies

Un prélèvement de moelle osseuse est indiqué lors d’une ou de plusieurs cytopénies persistantes, non régénératives et/ou inexpliquées, ou lorsque l’examen du frottis sanguin oriente vers une atteinte centrale [10]. Les anomalies quantitatives de la numération et formule sanguine (NFS) doivent toujours être vérifiées par un examen du frottis sanguin, afin d’évaluer la nécessité d’un myélogramme. Des artefacts préanalytiques peuvent induire des sous-estimations de numération, comme la présence d’agrégats plaquettaires ou leucocytaires, respectivement responsables d’une fausse thrombopénie et d’une fausse neutropénie.

Outre la détection d’erreurs artefactuelles, l’examen de l’hémogramme et du frottis sanguin permet le plus souvent, pour les lignées érythrocytaires et granulocytaires, de déterminer si la cytopénie est soit d’origine périphérique, c’est-à-dire que les cellules sanguines sont perdues, détruites ou consommées après avoir rejoint la circulation sanguine, soit d’origine centrale, c’est-à-dire que la production médullaire est insuffisante.

Les anomalies d’origine périphérique ne sont pas une indication pour le myélogramme, le mécanisme à l’origine de la cytopénie étant extramédullaire. Les anémies régénératives isolées (franche polychromatophilie au frottis sanguin ou réticulocytose confirmée par le comptage réticulocytaire sur un automate ou avec une coloration spéciale), c’est-à-dire sans autre anomalie hématologique, ne sont donc pas une indication pour un myélogramme. Enfin, toute anémie non régénérative ou neutropénie sans déviation à gauche de la courbe d’Arneth ne sont pas non plus des indications pour un myélogramme, selon le mécanisme suspecté. Par exemple, une anémie ferriprive non régénérative en fin d’évolution ou une panleucopénie infectieuse féline peuvent être diagnostiquées en croisant les informations cliniques et hématologiques, sans recourir à une ponction de moelle. L’examen de l’hémogramme et celui de son frottis sont par conséquent primordiaux lors du diagnostic hématologique et à interpréter dans le contexte clinique, le myélogramme n’étant qu’un examen de seconde intention.

Lors de cytopénie d’origine centrale, la biopsie de moelle osseuse peut être complémentaire d’une aspiration pour un myélogramme, notamment pour évaluer la cellularité médullaire, mais aussi pour rechercher des anomalies peu accessibles en cytologie telles qu’une myélofibrose, une myélonécrose ou une ostéosclérose. Une publication portant sur les myélogrammes réalisés lors de l’exploration d’une thrombopénie en nuance l’utilité, dans un cas particulier. D’après cette étude, dans le cas spécifique d’une thrombopénie isolée et sévère (numération plaquettaire inférieure à 20 000/µl), l’examen cytologique du myélogramme n’aurait pas de réel intérêt dans la démarche diagnostique [8]. En effet, les auteurs soulignent qu’une thrombopénie sévère et isolée relève très probablement d’une maladie ciblée sur la lignée mégacaryocytaire ou plaquettaire, et que l’examen du myélogramme ne permet pas de distinguer les différentes causes existantes (thrombopénie à médiation immune primaire, ou secondaire à un processus infectieux, néoplasique, toxique, etc.). L’examen reste en revanche justifié lorsque d’autres anomalies hématologiques sont associées, ou quand la thrombopénie est légère ou modérée et que les causes périphériques ont été exclues (maladies vectorielles en particulier).

Leucocytose, polyglobulie et thrombocytose

Une leucocytose inexpliquée et persistante peut justifier un prélèvement de moelle, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une lymphocytose, ou d’une leucocytose secondaire à la présence d’une population blastique ou anormale.

L’examen est moins, voire non contributif lors de neutrophilie persistante, avec ou sans neutrophiles immatures. Le myélogramme met alors en évidence une hyperplasie de la lignée myéloïde, mais sans qu’il soit possible d’en identifier la cause : un processus inflammatoire infectieux ou non (par exemple une pancréatite), dysimmunitaire (comme une polyarhrite), une neutrophilie paranéoplasique ou encore une leucémie myéloïde chronique, rare et qui reste un diagnostic d’exclusion.

Les causes de polyglobulie et de thrombocytose sont aussi principalement périphériques, et leur diagnostic ne requiert pas un prélèvement de moelle. Les rares causes centrales de polyglobulie ou de thrombocytose sont soit également à l’origine d’autres anomalies hématologiques (leucémie mégacaryocytaire), soit des diagnostics d’exclusion (Polycythemia vera, thrombocytose essentielle) pour lesquels l’examen d’un myélogramme ne présente pas ou peu d’intérêt [11].

Cellules anormales

La visualisation de cellules anormales lors de l’examen du frottis sanguin est un autre motif de réalisation d’un myélogramme. Il peut s’agir de cellules normalement présentes dans le sang, mais à la morphologie anormale (neutrophiles géants ou anormalement segmentés, plaquettes géantes, ovalocytes, schizocytes, macrocytose inexpliquée, etc.), ou de cellules non visualisées dans des conditions physiologiques (cellules blastiques, précurseurs médullaires, etc.) [5, 10].

Évaluation du stock de fer

Chez le chien, l’examen d’un myélogramme peut en outre faire partie de l’évaluation du métabolisme du fer. La moelle est en effet un lieu de stockage du fer, plus facilement mis en évidence par une coloration de Perls. Son absence peut constituer un argument supplémentaire pour appuyer une présomption de carence martiale chez le chien. L’examen n’est en revanche pas justifié dans ce cadre chez le chat, car la moelle ne présente physiologiquement pas de dépôts de fer visibles dans cette espèce (photos 1a à 1c) [10].

2. ONCOLOGIE

Pour les diagnostics et les bilans d’extension

En oncologie, le prélèvement de moelle osseuse présente un intérêt pour le diagnostic et le bilan d’extension des hémopathies malignes (lymphomes, mastocytome, leucémies, myélome multiple) [7]. D’autres tumeurs peuvent également métastaser dans la moelle osseuse, comme le sarcome histiocytaire (qui peut aussi y débuter), les carcinomes, et plus rarement les sarcomes, le mélanome, etc. [4, 6]. Le myélogramme peut alors être indiqué dans le cadre du bilan d’extension si des anomalies sont mises en évidence à l’hémogramme ou au frottis (photos 2a et 2b).

Lors de fièvre d’origine indéterminée

L’observation d’un myélogramme est également indiquée lors de fièvre d’origine indéterminée, car l’hyperthermie est liée à une hémopathie maligne à point de départ médullaire (syndrome myélodysplasique, leucémie lymphoïde) dans un cas sur cinq, selon une publication ancienne [3]. Dans ce cadre, le myélogramme reste un examen de deuxième ou troisième ligne, après avoir recherché d’autres causes d’hyperthermie telles qu’une infection urinaire, une polyarthrite, une maladie vectorielle, un foyer infectieux profond, etc.

En cas d’hypercalcémie

Enfin, la cause la plus fréquente d’hypercalcémie chez le chien est l’hypercalcémie paranéoplasique, également appelée hypercalcémie maligne. Chez le chat, il s’agit de la troisième cause la plus fréquente [1]. Parmi les tumeurs possiblement à l’origine d’une hypercalcémie, il y a le myélome multiple et les maladies myéloprolifératives (myélodysplasies, leucémies) qui nécessitent un myélogramme pour leur diagnostic. Étant donné que ces entités provoquent moins souvent une hypercalcémie que les adénocarcinomes des glandes apocrines du sac anal et les lymphomes, le myélogramme demeure, dans ce contexte, un examen de deuxième ou de troisième intention.

3. MÉDECINE INTERNE

Outre son indication pour l’exploration des fièvres et des hypercalcémies d’origine indéterminée, le prélèvement de moelle osseuse peut présenter un intérêt pour la recherche des maladies à transmission vectorielle (photo 3). D’après certains auteurs, en zone endémique de leishmaniose, il est recommandé de dépister les chiens donneurs de sang via une réaction de polymérisation en chaîne (PCR), si possible sur plusieurs tissus, en plus de la recherche sur le sang, en privilégiant la moelle, les nœuds lymphatiques, la rate, la peau et les conjonctives [13]. Un résultat négatif sur tissu se révèle en effet plus fiable qu’un résultat négatif sur sang uniquement, pour la recherche de porteurs asymptomatiques. Le suivi d’un animal traité pour leishmaniose peut également inclure une évaluation quantitative de la charge parasitaire après le traitement initial, à réaliser de préférence dans les organes lymphoïdes et la moelle osseuse, deux sites où les parasites résident lors d’une infection latente [9].

En ce qui concerne l’ehrlichiose canine, il est montré que la PCR peut être négative sur le sang et positive sur les organes comme la moelle osseuse et la rate (avec des sensibilités comparées variables selon les études), particulièrement lors des phases subclinique et chronique [12].

4. AUTRES INDICATIONS

De façon plus anecdotique et encore expérimentale, l’aspiration de moelle osseuse à visée d’autogreffe semble présenter un intérêt thérapeutique, en association avec un traitement chirurgical, dans le cadre de la gestion des hernies discales intervertébrales [15, 16].

5. CONTRE-INDICATIONS ÉVENTUELLES

Une thrombopénie sans coagulopathie, même sévère, ne constitue pas une contre-indication à la réalisation d’un prélèvement de moelle, puisque les éventuels saignements, qui restent rares, sont confinés dans l’espace médullaire, donc limités [8, 10, 14, 17]. Dans une publication très récente portant uniquement sur l’étude des complications liées au prélèvement de moelle et incluant 131 chiens et 29 chats, dont respectivement 48 % et 41 % présentaient une neutropénie, aucun animal n’a développé de complications infectieuses [17]. Selon la technique de prélèvement utilisée et l’aisance du praticien, et bien que non systématique, une anesthésie générale est parfois nécessaire, les contre-indications étant alors celles habituellement liées à l’anesthésie.

Références

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Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

Le prélèvement de moelle osseuse est toujours un examen de seconde intention, à ne réaliser qu’après en avoir confirmé l’indication via le tableau clinique et les autres examens complémentaires. En particulier, face à des anomalies hématologiques, la réalisation d’un myélogramme et/ou d’une biopsie de moelle osseuse ne doit pas précéder une interprétation rigoureuse de l’hémogramme.