ÉTAPE 1 : PRENDRE EN CHARGE LES ANOMALIES DU CYCLE CHEZ LA CHIENNE - Le Point Vétérinaire n° 440 du 01/04/2023
Le Point Vétérinaire n° 440 du 01/04/2023

La reproduction en 10 étapes

Auteur(s) : Camille Langlade

Fonctions : (dipEcar)
Centre d’étude et de recherche en reproduction
et élevage des carnivores (Cerrec)
VetAgro Sup
1 avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

Chez la femelle pubère, un trouble de la cyclicité peut être révélateur de dysfonctionnements ovariens. Il convient, avant d’envisager cette hypothèse, de connaître la physiologie de l’espèce et d’exclure un défaut de détection des chaleurs.

Chez la chienne, les chaleurs se manifestent en moyenne tous les six à sept mois (figure) [4]. L’interœstrus désigne l’intervalle entre les chaleurs. Il est très variable selon les races, les individus et leur environnement, et il peut durer de cinq à douze mois. Les anomalies du cycle se manifestent sous la forme d’interœstrus courts, d’interœstrus longs ou de chaleurs prolongées.

Cet article traite des troubles de la cyclicité qui affectent la femelle pubère. L’anœstrus primaire, qui correspond à l’absence de signes de chaleurs à l’âge de 2 ans, n’est donc pas traité. L’anœstrus secondaire se définit comme l’absence de cyclicité depuis un an.

INTEROESTRUS LONG : « MA CHIENNE N’A PAS EU SES CHALEURS DEPUIS LONGTEMPS »

L’interœstrus est considéré comme long lorsque sa durée est supérieure à dix ou douze mois, mais chez quelques races comme le berger allemand, il l’est dès sept ou huit mois. Certaines races canines sont connues pour avoir des interœstrus longs. C’est le cas du dogue du tibet ou des races primitives telles que le basenji qui n’ont qu’un cycle annuel. À l’inverse, le lévrier et le colley peuvent avoir des chaleurs tous les huit à dix mois.

1. Absence de détection

Il convient dans un premier temps de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un défaut de détection des chaleurs : un propriétaire peut ne pas les remarquer chez sa chienne par méconnaissance des signes cliniques ou si l’animal vit à distance de son domicile (chenil éloigné). Il peut alors être utile d’effectuer un dosage de la progestérone, qui reste détectable plus de deux mois et demi après des chaleurs passées inaperçues.

2. Chaleurs silencieuses

Lorsque les manifestations cliniques sont discrètes, voire absentes, les chaleurs sont dites silencieuses. La chienne ne présente pas de modifications physiques et/ou comportementales, alors que les profils hormonal et ovarien sont normaux. Une échographie ovarienne, un dosage de la progestérone et un frottis vaginal peuvent aider à déterminer dans quelle phase du cycle se situe la chienne (tableau). Lors de l’anœstrus, les chaleurs peuvent être détectées via la réalisation d’un frottis vaginal hebdomadaire jusqu’à l’observation des signes du prœstrus.

3. Sécrétion anormale de progestérone (diœstrus anormalement prolongé)

Les kystes ovariens lutéaux peuvent produire de la progestérone à faible concentration de manière prolongée [8]. Cela peut engendrer l’allongement de l’interœstrus, voire un arrêt de la cyclicité. Il est fréquent que plusieurs types de kystes cœxistent sur un seul ovaire, à l’origine de signes cliniques variables selon les animaux. Dans les cas avérés de troubles de la reproduction, l’hypothèse d’un kyste lutéal n’est pas négligeable : dans l’étude de Knauf et ses collaborateurs, 5 des 21 chiennes (24 %) en présentaient un, alors que les kystes lutéaux ne représenteraient que 6,7 % de l’ensemble des kystes chez la chienne [9]. Le diagnostic est établi via l’échographie et par des dosages répétés de la progestérone (persistance d’une progestéronémie élevée au-delà de la durée d’un diœstrus normal) (photo 1). L’ovariohystérectomie est curative. Pour les chiennes reproductrices, une kystectomie ou une ovariectomie unilatérale peut être envisagée [14]. Une tumeur ovarienne sécrétant de la progestérone est également à suspecter. Des tumeurs des cellules de la thèque (thécome), de la granulosa ou des cellules lutéales (lutéome) sont rapportées chez la chienne, mais avec une incidence de 0,5 à 6,2 %, elles restent rares [1].

Après la réalisation d’un bilan d’extension, le traitement est chirurgical (ovariohystérectomie).

4. Affections endocriniennes

Une hypothyroïdie peut être suspectée en cas de troubles de la reproduction, bien que la relation causale ne soit pas établie [6]. Cette affection est parfois associée à des chaleurs silencieuses ou discrètes ou à une hyperprolactinémie secondaire, expliquant ainsi l’interœstrus long [3, 12]. La mise en évidence d’une diminution du taux de thyroxine libre (FT4) et d’une augmentation de celui de l’hormone thyréostimulante (TSH) permet d’établir le diagnostic. Un traitement médical à l’aide d’une complémentation en lévothyroxine est disponible, mais compte tenu du caractère héréditaire de l’hypothyroïdie, il est préférable d’écarter les chiens concernés de la reproduction [15]. L’hyperadrénocorticisme, via le rétrocontrôle négatif des glucocorticoïdes sur l’axe hypothalamo-hypophysaire, est rarement en cause lors d’anœstrus prolongé [2].

5. Origine iatrogène

Les chiennes traitées avec des progestagènes, des androgènes, des stéroïdes anabolisants ou des antifongiques (steroid-like) peuvent présenter un anœstrus prolongé via le rétrocontrôle négatif de ces molécules sur l’axe hypothalamo-hypophysaire. L’administration de ces traitements doit être interrompue chez la chienne présentant des troubles de la cyclicité.

6. Autres causes

Un interœstrus prolongé peut affecter une chienne avec une faible note d’état corporel, souffrant d’une maladie systémique, en mauvaise santé ou pratiquant une activité physique intense. Les conditions d’élevage doivent être investiguées lors de l’anamnèse, notamment quand le chenil est surpeuplé ou si la chienne est inhibée par d’autres congénères. Après l’exclusion ou la correction des causes pathologiques, environnementales et/ou iatrogènes, une induction des chaleurs peut être réalisée en phase d’anœstrus(1).

INTEROESTRUS COURT : « MA CHIENNE A FRÉQUEMMENT SES CHALEURS »

L’interœstrus est considéré comme court lorsque sa durée est inférieure à six mois. Certaines races canines, telles que le berger allemand et le rottweiler, ont des cycles fréquents, tous les quatre à cinq mois. Il s’agit alors du syndrome de l’anœstrus court.

1. Chaleurs fractionnées (split-heat) ou “fausses chaleurs”

Un premier épisode de chaleurs est observé, puis elles s’interrompent, sans ovulation (cycle anovulatoire), même si la progestéronémie peut s’élever légèrement. Environ un à deux mois plus tard, un second épisode de chaleurs se déclenche, ovulatoire cette fois-ci. Les chaleurs fractionnées (ou disjointes) touchent 1,2 % des chiennes, souvent avant l’âge de 2 ans [8, 10]. Cela peut néanmoins toucher des animaux sans antécédents de troubles de la cyclicité, de manière sporadique [11]. La fertilité n’est pas affectée si la chienne est mise à la reproduction lors du cycle ovulatoire (second épisode de chaleurs).

2. Cycle anovulatoire

Lors de cycle anovulatoire, malgré des signes de chaleurs, la progestéronémie reste faible et l’ovulation n’a pas lieu. La chienne passe directement en anœstrus. Ce phénomène touche environ 1 % des chiennes [13]. Il n’existe pas de traitement particulier, il convient juste d’attendre le cycle suivant pour mettre la chienne à la reproduction.

3. Insuffisance lutéale

La chute prématurée de la progestérone est due à une régression prématurée des corps jaunes. La phase lutéale (diœstrus) est ainsi raccourcie, d’où un interœstrus court. Les chiennes de grand gabarit sont principalement concernées (léonberg, dogue allemand, bouvier bernois, terre-neuve). La progestérone étant une hormone nécessaire au maintien de la gestation, une progestéronémie trop basse peut entraîner son arrêt (résorption ou avortement) [5]. Au Centre d’étude et de recherche en reproduction et élevage des carnivores (Cerrec) de Lyon, une insuffisance lutéale est envisagée quand la progestérone est inférieure à 15 ng/ml le premier mois de gestation, ou inférieure à 8 ng/ml lors du deuxième mois, ou lorsqu’une chute de plus de 30 % est notée entre deux dosages hebdomadaires. En pratique, une insuffisance lutéale est recherchée chez les chiennes avec des cycles courts, ayant des antécédents d’infertilité, d’arrêt de gestation ou de petites portées [7]. Un suivi de la gestation est alors recommandé, via le dosage de la progestérone une à deux fois par semaine à partir du diagnostic de gestation, associé à une échographie (détection des résorptions, évaluation de la viabilité fœtale). En cas de suspicion d’une insuffisance lutéale, une complémentation peut alors être mise en place(2).

4. Arrêts de gestation

Toute interruption de la gestation (liée à une infection, une anomalie de développement, une affection utérine ou induite médicalement) peut également provoquer une chute de la progestérone via la libération de prostaglandines par l’endomètre, à effet lutéolytique, et raccourcir ainsi le diœstrus. En pratique, il est difficile de déterminer si la chute de progestérone est la cause ou la conséquence d’un arrêt de gestation (photo 2).

5. Origine iatrogène

Les prostaglandines (lutéolytiques) et les inhibiteurs de la prolactine comme la cabergoline ou la bromocriptine sont néfastes pour le corps jaune, la prolactine étant le principal facteur lutéotrope. Le diœstrus est donc raccourci en raison de la lyse ou de la régression des corps jaunes. L’administration d’aglépristone (Alizine®) pendant le diœstrus entraîne un retour en chaleurs également prématuré.

6. Sécrétion anormale

d’œstrogène : hyperœstrogénisme Une sécrétion continue d’œstrogènes peut provoquer l’apparition de chaleurs fréquentes, voire permanentes. Différentes causes d’hyperœstrogénisme sont décrites (voir plus loin).

7. Autres causes

Chez les chiens hébergés en collectivité, un “effet dortoir” est fréquemment rapporté : lorsque les chaleurs d’une chienne se déclenchent, les femelles hébergées avec elle ont tendance à suivre, et à entamer un cycle de manière anticipée. Le mécanisme précis, probablement dû à des phéromones, n’est pas élucidé.

CHALEURS PERSISTANTES : « LES CHALEURS DE MA CHIENNE DURENT LONGTEMPS »

Les chaleurs sont considérées comme persistantes lorsque leur durée est supérieure à six semaines.

1. Sécrétion anormale d’œstrogène : hyperœstrogénisme

Les kystes folliculaires et les tumeurs des cellules de la granulosa sont les causes les plus fréquentes de l’hyperœstrogénisme. Outre les signes cliniques spécifiques des chaleurs (œdème de la vulve et pertes séro-hémorragiques vulvaires), l’imprégnation œstrogénique peut être démontrée par un frottis vaginal, caractéristique d’une chienne en œstrus (photo 3). Les kystes folliculaires représentent 31,6 % de l’ensemble des kystes décrits chez la chienne [9]. Ils sécrètent des œstrogènes en permanence, ce qui provoque des troubles de la cyclicité et une infertilité. Des concentrations élevées et permanentes d’œstrogènes peuvent entraîner une alopécie, une hyperpigmentation, une aplasie de la mœlle osseuse et une pancytopénie [1]. Le diagnostic est essentiellement établi par la mise en évidence, à l’échographie, d’une structure ronde anéchogène qui persiste.

La prise en charge consiste en une ponction du kyste, une kystectomie, une ovariectomie unilatérale ou encore une ovariohystérectomie (photo 4). Les tumeurs des cellules de la granulosa représentent 38 à 50 % des tumeurs ovariennes [1, 8]. Elles sont souvent unilatérales et de taille importante, ce qui peut provoquer une distension de l’abdomen. L’échographie ovarienne est diagnostique et l’ovariohystérectomie généralement curative.

2. Autres causes

Un hyperœstrogénisme peut aussi être provoqué par l’ingestion accidentelle de médicaments à base d’œstrogènes, ou le passage transcutané de topiques à base d’œstrogènes (médicaments à usage humain pour le traitement des troubles liés à la ménopause).

Les mycotoxines, produites par des moisissures, contaminent rarement les croquettes pour chien. La zéaralénone, en particulier, possède une structure similaire à celle des œstrogènes et peut donc être à l’origine d’un œstrus anormalement prolongé.

  • (1) Voir l’article « Induire des chaleurs fertiles chez la chienne et la chatte », Point Vét. n° 429, mai 2022.

  • (2) Voir l’article « Prendre en charge une gestation chez la chienne », Point Vét. n° 433, septembre 2022.

Références

  • 1. Arlt SP, Haimerl P. Cystic ovaries and ovarian neoplasia in the female dog: a systematic review. Reprod. Domest. Anim. 2016;51 (Suppl 1):3.11.
  • 2. Behrend EN. Canine hyperadrenocorticism. In: Canine and Feline Endocrinology, 4th edition. Elsevier Saunders. 2014;(Chap 10):377.451.
  • 3. Buckrell BC, Johnson WH. Anestrus and spontaneous galactorrhea in a hypothyroid bitch. Can. Vet. J. 1986;27 (5):204.205.
  • 4. Concannon PW. Reproductive cycles of the domes tic bitch. Anim. Reprod. Sci. 2011;124 (3.4):200.210.
  • 5. Görlinger S, Galac S, Kooistra HS et coll. Hypoluteoidism in a bitch. Theriogenology. 2005;64 (1):213.219.
  • 6. Johnson CA. Thyroid issues in reproduction. Clin. Tech. Small Anim. Pract. 2002;17 (3):129.132.
  • 7. Johnson CA. High-risk pregnancy and hypoluteoidism in the bitch. Theriogenology. 2008;70 (9):1424.1430.
  • 8. Johnston SD, Root-Kustritz MV, Olson PNS. Canine and Feline Theriogenology. Elsevier Saunders. 2001:608p.
  • 9. Knauf Y, Köhler K, Knauf S et coll. Histological classification of canine ovarian cyst types with reference to medical history. J. Vet. Sci. 2018;19 (6):725.734.
  • 10. Root-Kustritz MV. Clinical Canine and Feline Reproduction: Evidence-Based Answers, 1st edition. Wiley Blackwell. 2009:332p.
  • 11. Meyers-Wallen VN. Unusual and abnormal canine estrous cycles. Theriogenology. 2007;68 (9):1205.1210.
  • 12. Peter AT, Gaines JD, Smith CL. Association of weak estrual signs and irregular estrous cycles with hypothyroidism in a bitch. Can. Vet. J. 1989;30 (12):957.958.
  • 13. Risvanli A, Öcal H, Kalkan C. Abnormalities in the sexual cycle of bitches. In: Canine Medicine: Recent Topics and Advanced Research. IntechOpen. 2016:212p.
  • 14. Sasidharan JK, Patra MK, Singh LK et coll. Ovarian cysts in the bitch: an update. Top. Companion Anim. Med. 2021;43:100511.
  • 15. Scott-Moncrieff JC. Canine hypothyroidism. In: Canine and Feline Endocrinology, 4th edition. Elsevier Saunders. 2014;(Chap 3):377.451.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Une sécrétion de progestérone mime un diœstrus. Lorsque cette sécrétion se prolonge, cela entraîne un anœstrus. Si au contraire elle chute prématurément, l’interœstrus est court.

• Une sécrétion d’œstrogène mime des chaleurs. Un hyperœstrogénisme a pour conséquence des chaleurs plus fréquentes (interœstrus court), voire persistantes.

• Des chaleurs silencieuses, une mauvaise détection des chaleurs, les kystes lutéaux et les tumeurs sécrétant de la progestérone sont souvent mis en cause lors d’interœstrus long.

• Les chaleurs fractionnées, l’anovulation, l’insuffisance lutéale, les arrêts de gestation et l’hyperœstrogénisme sont souvent mis en cause lors d’interœstrus court.

• L’hypothyroïdie est associée à des troubles de la reproduction variables.

CONCLUSION

Face à un trouble de la cyclicité, la connaissance de la physiologie de la reproduction de la chienne est indispensable. Lors de cycles irréguliers, un trouble hormonal est la plupart du temps en cause. La démarche diagnostique inclut des dosages hormonaux, des frottis vaginaux et une échographie génitale. Un suivi de chaleurs et/ou de la gestation est indispensable pour les chiennes qui présentent des anomalies de la cyclicité.