RHINITE UNILATÉRALE CHEZ UN CHIEN DUE À UNE MYIASE RESPIRATOIRE À OESTRUS OVIS - Le Point Vétérinaire n° 439 du 01/03/2023
Le Point Vétérinaire n° 439 du 01/03/2023

PARASITOLOGIE RESPIRATOIRE

Parasitologie

Auteur(s) : Bertrand Naessens*, Pr Jacques Guillot**

Fonctions :
*(DE d’ophtalmologie)
Clinique des Trois moulins
58 rue du Vigné Bas
30420 Calvisson
**(EBVS en parasitologie vétérinaire)
Unité pédagogique de dermatologie,
parasitologie, mycologie
Oniris
101 route de Gachet
44307 Nantes

La rhinite due à la présence de larves d’Oestrus ovis est exceptionnelle chez le chien. Cette hypothèse doit être intégrée au diagnostic différentiel lors de rhinite réfractaire aux traitements anti-infectieux chez un animal vivant à proximité d’un élevage ovin.

Les rhinites chroniques chez le chien sont un motif de consultation fréquent. Lorsqu’une latéralisation des écoulements est observée à l’endoscopie respiratoire, les causes les plus couramment envisagées sont la présence d’une tumeur, d’un corps étranger, d’une aspergillose, d’une fistule oro-nasale ou d’un polype. Cet article illustre un cas atypique de myiase respiratoire due à Oestrus ovis.

PRÉSENTATION DU CAS

1. Commémoratifs et anamnèse

Une chienne berger blanc suisse stérilisée, âgée de 10 ans, est présentée en consultation pour une rupture du ligament croisé antérieur droit. La chienne est à jour de ses vaccins. Des traitements antiparasitaires (externes ou internes) n’ont pas été réalisés depuis longtemps. L’animal vit dans le Gard, en zone rurale, et passe des séjours dans l’élevage familial de moutons situé à quelques kilomètres. La chienne n’a pas de contact direct avec les moutons. Le propriétaire rapporte une rhinite chronique unilatérale qui évolue depuis dix-huit mois à la suite d’un épisode aigu survenu en été. Une antibiothérapie et un traitement anti-inflammatoire à base de méloxicam, mis en place peu de temps après l’apparition des signes cliniques, n’ont pas abouti à la résolution du jetage. Avant la réalisation d’une ostéotomie de nivellement du plateau tibial, une rhinoscopie est proposée au propriétaire.

2. Examen clinique

L’examen clinique général ne révèle pas d’autres anomalies que la présence d’un jetage séreux unilatéral à gauche et d’une instabilité du genou droit. L’examen de la cavité buccale ne met pas en évidence de déformation du palais et les dents ne présentent aucun signe de maladie parodontale. Aucune déformation du chanfrein n’est observée et la palpation ne provoque aucune douleur. Les nœuds lymphatiques rétro-mandibulaires ne sont pas hypertrophiés et la truffe n’est pas dépigmentée.

3. Hypothèses diagnostiques

Les causes de rhinite unilatérale chez le chien sont multiples. La survenue ­brutale en période estivale évoque, en premier lieu, la présence d’un corps étranger de type épillet. Lors de rhinite unilatérale chronique, une tumeur, une aspergillose rhino-sinusale ou une fistule oro-nasale restent possibles.

4. Examens complémentaires

Aucune anomalie n’est mise en évidence lors des bilans hématologique et biochimique. La rhinoscopie réalisée révèle un léger écoulement séreux latéralisé à gauche lors de la rétrovision des choanes (photo 1). Un remaniement nécrotique dans la région caudale du sinus gauche, à la jonction vers les choanes, est aussi visualisé (photos 2 et 3). Au sein de ce remaniement nécrotique, une inclusion évoquant un corps étranger ancien est observée. Une pince à corps étranger permet l’extraction du bloc nécrotique contenant un élément vermiforme aplati. Cet élément ressemble à une larve de diptère (photo 4). Un examen bactériologique est également pratiqué. Il permet l’isolement de deux types de bactéries, Staphylococcus aureus et Pantoea spp., sensibles à l’asso­ciation d’amoxicilline et d’acide clavulanique.

5. Diagnostic

La larve est envoyée au service de parasitologie de l’ENV d’Alfort pour son identification. Malgré l’état de nécrose, le spécimen est identifié comme le troisième stade larvaire du diptère Oestrus ovis. La larve est un asticot hémicylindrique de 2 cm. Dans la partie postérieure, deux plaques stigmatiques poreuses, caractéristiques de la famille des œstridés, sont observées. Chaque plaque est en forme de D et comporte un bouton central (photos 5a et 5b). Des épines sont présentes sur la face ventrale de la larve (photo 6).

6. Traitement et suivi

La chienne est rendue à son propriétaire avec un traitement anti-inflammatoire (méloxicam à la dose de 0,1 mg/kg par jour par voie orale) jusqu’à l’intervention sur le ligament croisé programmée deux semaines plus tard. Une antibiothérapie est aussi prescrite pendant dix jours (amoxicilline-acide clavulanique à raison de 12,5 mg/kg deux fois par jour par voie orale). Aucun traitement antiparasitaire spécifique n’est administré. En effet, la larve ayant eu une évolution abortive, seule sa persistance en tant que corps étranger entretenait la rhinite et les signes cliniques. Quinze jours après la première visite, une rhinoscopie de contrôle est réalisée avant l’ostéotomie du ligament croisé. Une cicatrisation complète et un remodelage de la partie distale du sinus sont alors constatés (photo 7).

L’inflammation chronique provoquée par la larve a créé une ostéonécrose du cornet nasal. Par conséquent, il est conseillé aux propriétaires d’éviter à l’avenir tout contact étroit entre la chienne et les moutons de l’élevage familial.

DISCUSSION

1. Cycle parasitaire

L’œstrose est une myiase respiratoire fréquente chez les petits ruminants. Présente dans le monde entier, cette affection demeure enzootique dans les régions d’élevage ovin du sud de la France. L’adulte d’Oestrus ovis est une mouche d’environ 12 mm de long, gris brunâtre, avec une tête volumineuse. Ses pièces buccales sont atrophiées et la durée de survie de la mouche est limitée à quelques semaines.

Une fois fécondées, les femelles d’Oestrus ovis recherchent activement des petits ruminants pour libérer (littéralement projeter) des larves L1 près de leurs naseaux. Les larves L1 mesurent environ 1,5 mm. Elles muent dans les cavités nasales puis migrent dans les sinus où elles terminent leur développement. Les larves L3 (environ 2 cm de long) sont alors rejetées lors des éternuements et s’enfoncent dans le sol pour une phase de pupaison. La pupe restera en dormance pendant la saison froide avant l’émergence d’un adulte d’Oestrus ovis. Dans les régions chaudes (comme le sud de la France), il peut y avoir plusieurs cycles de développement par an (figure).

2. Signes cliniques chez le mouton

Chez le mouton, l’œstrose se traduit par une rhinite inflammatoire à l’origine d’un jetage séreux durant la période estivale et une sinusite hivernale. L’atteinte générale est souvent limitée. Dans de très rares cas, une cécité est possible ainsi que des troubles neurologiques centraux consécutifs à la migration larvaire dans les tissus nerveux. L’œstrose est aussi dénommée faux tournis du mouton [1, 4].

3. Infestation chez l’humain

L’infestation chez l’humain est décrite dans le contexte d’une grande proximité avec des petits ruminants. Les bergers et les éleveurs sont particulièrement exposés. Les cas d’infestation chez l’homme sont plus fréquents que chez les carnivores domestiques. Le plus souvent, les larves sont accidentellement projetées par les mouches sur les yeux des individus qui s’occupent des moutons et une ophtalmo-myiase est observée dans les jours qui suivent l’infestation. Dans une enquête réalisée en Italie entre 1960 et 1990, 90 % des bergers interrogés ont déclaré avoir eu, au moins une fois dans leur vie, un épisode d’ophtalmo-myiase due à Oestrus ovis [6]. Un cas humain d’infestation des cavités nasales a été signalé à Lille en 2001 [3].

4. Infestation chez les carnivores domestiques

Incidence de la maladie

Bien qu’extrêmement rare, l’infestation par Oestrus ovis est également possible chez les carnivores domestiques. Un cas est décrit chez le chien en Italie, en Inde, en Espagne, en Nouvelle-Zélande, en Slovénie et au Royaume-Uni [2, 5, 8, 9, 10, 12, 13, 14]. Seuls deux cas sont rapportés chez le chat : un en Espagne et un en Australie [11, 13]. Dans les deux cas, une dyspnée sévère a été observée, ainsi que des éternuements et un prurit nasal, et la rhinoscopie a mis en évidence des larves L1. La rareté des cas canins ou félins provient de la grande spécificité des parasites vis-à-vis des petits ruminants. Il est aussi possible que les carnivores atteints ne soient pas tous diagnostiqués en raison d’une élimination spontanée des larves. Le cas décrit en 2012 au Royaume-Uni rapporte d’ailleurs une élimination spontanée d’un stade L3 viable [9].

Lors de rhinite chez un carnivore domestique, le diagnostic différentiel doit inclure l’infestation par Oestrus ovis, notamment si le chien vit à proximité d’un élevage de petits ruminants et s’il est en contact avec des moutons pendant la journée en été (période d’activité des mouches). Dans le cas présenté, la chienne avait accès au pâturage des moutons. Aucun des chiens de l’élevage n’avait jamais présenté de signes de rhinite. Lors de l’infestation de la chienne, des cas d’œstrose ovine étaient déclarés dans l’élevage. Par la suite, un traitement antiparasitaire à base d’ivermectine par voie sous-cutanée a été administré aux moutons.

Signes cliniques

Chez les carnivores domestiques, les signes initiaux de l’œstrose sont des éternuements importants. Ensuite la rhinite évolue de manière chronique, avec un jetage et une bonne tolérance clinique. Les anti-inflammatoires et les antibiotiques sont souvent inefficaces sans l’extraction concomitante des larves ou un traitement antiparasitaire. Le diagnostic de certitude passe par un examen rhinoscopique qui permet de mettre en évidence les parasites. Les larves L1 sont difficiles à observer, car elles sont de petite taille (1 mm environ). Souvent, ce sont les petites érosions de la muqueuse pituitaire et les mouvements des larves qui indiquent leur présence. Le lavage nasal semble être le moyen le plus efficace pour récupérer les larves L1 et les observer au microscope. La taille des larves L2 et L3 est beaucoup plus importante et leur extraction peut être réalisée grâce aux pinces à corps étranger du rhinoscope, comme dans ce cas.

Traitement

La prise en charge passe par l’extraction des larves et un traitement anti­parasitaire. Dans le cas décrit en Italie (avec la mise en évidence de larves L1), le chien a été traité avec succès à l’aide de trois injections d’ivermectine à la dose de 300 µg/kg par voie sous-cutanée, à sept jours d’intervalle [14]. Pour les cas félins en Espagne et en Australie, les auteurs ont eu recours à une seule injection d’ivermectine par voie sous-cutanée à la dose de 200 µg/kg [11, 13]. Néanmoins, étant donné le faible nombre de cas rencontrés, aucun protocole n’est établi pour le traitement des rhinites à Oestrus ovis.

Références

  • 1. Brugère-Picoux J. Œstrose ovine. Maladies des moutons, 2e édition. France agricole. 2004:104-106.
  • 2. Casas-García DL, González-León FJ, Díaz-Cepedano B et coll. Miasis nasal (O. ovis) canina: a propósito de un caso clínico. Clin. Vet. Peq. Anim. 2017;37 (4):253-255.
  • 3. Delhaes L, Bourel B, Pinatel F et coll. Myiase nasale humaine à Oestrus ovis. Parasite. 2001;8 (4):289-296.
  • 4. Dorchies P, Alzieu JP. L’œstrose ovine : revue. Rev. Méd. Vét. 1997;7 (148):565-574.
  • 5. Heath AC, Johnston C. Nasal myiasis in a dog due to Oestrus ovis (Diptera: Oestridae). N. Z. Vet. J. 2001;49 (4):164.
  • 6. Jacquiet P, Alzieu JP, Liénard E et coll. Évolutions épidémiologiques et nouvelles contraintes dans la lutte contre les myiases ovines. Bull. Acad. Vét. France. 2016;169 (1):46-53.
  • 7. Lucientes J, Ferrer-Dufol M, Andres MJ et coll. Canine myiasis by sheep bot fly (Diptera: Oestridae). J. Med. Entomol. 1997;34 (2):242-243.
  • 8. Luján L, Vásquez J, Lucientes J et coll. Nasal myiasis due to Oestrus ovis infestation in a dog. Vet. Rec. 1998;142 (11):282-283.
  • 9. McGarry J, Penrose F, Collins C. Oestrus ovis infestation of a dog in the UK. J. Small Anim. Pract. 2012;53 (3):192-193.
  • 10. Rataj AV, Bandelj P, Erjavec V et coll. First report of canine myiasis with sheep nasal bot fly, Oestrus ovis, in Slovenia. Slov. Vet. Res. 2021;58 (4):155.
  • 11. Riera L, Pujol P, Fortuny M et coll. Miasis nasal producida por Oestrus ovis en un gato. Avepa-SEVC 46 congreso nacional, Barcelona. 2011.
  • 12. Tanwani SK, Jain PC. Oestrus ovis larva in the nasal cavity of a dog. Haryana Vet. 1986;25:37-38.
  • 13. Webb SM, Grillo VL. Nasal myiasis in a cat caused by larvae of the nasal bot fly, Oestrus ovis. Aust. Vet. J. 2010;88 (11):455-457.
  • 14. Zanzani SA, Cozzi L, Olivieri E et coll. Oestrus ovis L. (Diptera: Oestridae) induced nasal myasis in a dog from Northern Italy. Case Rep. Vet. Med. 2016;2016:5205416.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• L’infestation des carnivores par les larves d’Oestus ovis est très rarement rapportée. Une œstrose pourra cependant être suspectée en cas de rhinite réfractaire au traitement classique et lorsqu’un élevage ovin est situé à proximité du lieu de vie.

• Le diagnostic passe par la réalisation d’une rhinoscopie avec un flush nasal ou l’extraction directe de la larve (ou des larves) avec une pince à corps étranger, selon sa taille.

• Le pronostic de l’œstrose est bon chez le chien, avec des cas d’élimination spontanée. La persistance des larves L3 dans la forme abortive est quelquefois responsable d’une nécrose des cornets nasaux.

Après fécondation, les mouches femelles vivipares projettent leurs larves (L1) près des naseaux des petits ruminants (moutons surtout). Les L1 sont entraînées passivement dans les fosses nasales avec l’air inspiré. Elles atteignent les cornets et l’ethmoïde et s’y transforment en L2 qui gagnent les sinus frontaux. Les L2 muent en L3 puis, en fin de développement, quittent les sinus et sont expulsées lorsque le mouton éternue. Les L3 s’enfoncent alors dans le sol et se transforment en pupes. Une mouche adulte (mâle ou femelle) sortira de chaque pupe. Les adultes, dépourvus de pièces buccales, ont une durée de vie très courte (trois semaines au maximum).

CONCLUSION

La rhinite due à la présence de larves d’Oestrus ovis demeure exceptionnelle chez le chien. Il faut cependant y penser dans les cas de rhinite réfractaire aux traitements anti-infectieux et surtout lorsque les commémoratifs rapportent la proximité d’un élevage ovin. Le pronostic est bon, car il est possible d’extraire les larves L3 ou d’administrer un traitement antiparasitaire (à base d’une lactone macrocyclique) pour éliminer les premiers stades larvaires. Cependant, lors de lésion chronique comme dans le cas présenté, la nécrose secondaire entraîne un remaniement important des cornets nasaux.

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