MAMMITES ET CELLULES : RÉDUIRE LA PRESSION GRÂCE À L’ALIMENTATION - Le Point Vétérinaire n° 439 du 01/03/2023
Le Point Vétérinaire n° 439 du 01/03/2023

ÉLEVAGE LAITIER

Article original

Auteur(s) : Matthieu Leblanc

Fonctions : Responsable technique élevage
2 rue Victor Considérant
Coopérative Terre comtoise
25770 Vaux-les-Prés

Cet article passe en revue certaines carences ou excès alimentaires qui peuvent avoir un impact sur le risque de mammites dans les élevages laitiers. En outre, il analyse un essai sur l’administration dans l’alimentation d’une solution antioxydante sur la prévalence de ces affections.

Selon les études bibliographiques, 12 à 20 % des mammites seraient dues directement ou indirectement à une mauvaise alimentation du troupeau laitier [6]. Un excès ou un défaut d’énergie, pouvant conduire respectivement à des situations de sub­acidose ou de cétose subclinique, entraîne une fragilisation du système immunitaire.

De plus, les oligoéléments, les minéraux et les vitamines participent activement à la stimulation des défenses immunitaires de la vache, apportant ainsi une aide précieuse au traitement des mammites subcliniques. Leur carence serait même directement responsable de mammites. Par ailleurs, quelques situations caractéristiques (comme la gestation) entraînent une chute importante des concentrations sanguines en vitamines et en oligoéléments. Les semaines précédant la mise bas sont particulièrement à risque, en raison d’une augmentation du volume de distribution, d’une fuite des éléments vers le veau et le colostrum, mais aussi d’une mauvaise alimentation des vaches taries. Cependant, avant d’envisager tout apport complémentaire, que ce soit en oligoéléments, en vitamines ou en minéraux, il est nécessaire d’analyser la ration alimentaire du troupeau laitier dans son ensemble et à chaque stade physiologique (début, milieu et fin de lactation, mais aussi tarissement).

Cet article propose une revue des différents points d’attention pouvant relier des problèmes de mammites à des troubles d’ordre alimentaire, en s’appuyant à la fois sur la bibliographie et sur des essais de terrain menés au cours de l’année passée.

LES RISQUES LIÉS À L’ÉQUILIBRE DE LA RATION

Il est communément admis qu’un déficit énergétique peut entraîner des répercussions négatives sur le système immunitaire des vaches laitières. L’état de cétose, quelle que soit sa gravité, engendre de nombreux effets négatifs sur les cellules de l’immunité, notamment [5] :

– une baisse de la lympho-prolifération et de la production d’immunoglobulines ;

– une diminution de l’expression des récepteurs neutrophiles et de leur action de dégradation des particules et des bactéries (explosion oxydative) ;

– la synthèse de bêta-hydroxybutyrate (BHB) par lipomobilisation, qui provoque une action négative sur l’activité chimiotactique des leucocytes, sur la phagocytose et l’activité oxydative des macrophages et des neutrophiles.

Ainsi, cet affaiblissement des défenses immunitaires explique les observations de terrain qui relient cétose et mammites cliniques ou subcliniques. Dans le cas contraire, il semble que, même si certaines études tendent à montrer qu’il existe un lien positif entre l’apport azoté excédentaire et les mammites cliniques, cela n’est pas confirmé par d’autres publications. L’un des biais susceptibles d’expliquer la recrudescence des mammites pendant la période de la mise à l’herbe est le fait que l’excès d’azote soluble et l’ingestion d’une ration souvent beaucoup plus humide (en raison du faible taux de matière sèche de l’herbe) provoquent une accélération du transit, donc une diarrhée. Cela a tendance à souiller les animaux plus facilement, ce qui provoque un risque plus important de mammites, mais sans lien direct entre l’azote soluble et les mammites ou les cellules.

En revanche, concernant la mise à l’herbe, il convient de rappeler que n’importe quelle transition alimentaire au cours de la vie de la vache (tarissement, vêlage, mise à l’herbe, hivernage, etc.) doit se faire de la façon la plus harmonieuse possible, sous peine de voir s’installer des désordres physiologiques qui peuvent impacter l’ingestion, la digestion, la consommation métabolique des nutriments de la ration et, au final, l’immunité.

LES RISQUES LIÉS À LA MINÉRALISATION

1. Les macroéléments

Le calcium et le phosphore sont apportés par l’alimentation, mais une ration alimentaire normale ne couvre que 50 à 60 % des besoins de l’organisme (jusqu’à 70 % pour des rations riches en légumineuses, luzerne ou betterave entre autres). Il est donc recommandé de maintenir des apports soutenus en calcium et en phosphore tout au long de la lactation, voire d’augmenter ceux en calcium et en phosphore dans la ration alimentaire des vaches en fin de lactation pour leur permettre de reconstituer leurs réserves osseuses. A contrario, les vaches taries ont des besoins en calcium et en phosphore réduits mais non nuls, à maîtriser dans le cadre de la balance anions-cations (Baca)(1). Lors de la mise bas, le risque d’hypocalcémie, clinique ou subclinique, est le plus élevé. L’hypocalcémie entraîne une diminution de l’efficacité des contractions musculaires, donc une perte d’étanchéité du sphincter du trayon. Les agents pathogènes pénètrent plus facilement et colonisent le canal du trayon. Par ailleurs, le décubitus prolongé entraîné par une éventuelle fièvre vitulaire favorise les mammites par contact entre le sol et la mamelle. Enfin, l’augmentation des concentrations sanguines en cortisol lorsque la vache est couchée est à l’origine d’une baisse des défenses immunitaires [6]. Le magnésium, quant à lui, est très peu présent dans les fourrages. L’apport de chlorure de magnésium à raison de 150 g par vache et par jour au cours des trois dernières semaines avant le vêlage, en plus de son action d’activation du processus de mobilisation calcique, stimule les mécanismes de la phagocytose et les défenses immunitaires. Son principal inconvénient est sa faible appétence en l’état pour les animaux.

2. Les oligoéléments

Pour stimuler l’immunité via l’apport d’oligoéléments, il est nécessaire d’augmenter les quantités de 20 % par rapport aux apports journaliers recommandés (AJR) dans les publications de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) [3]. Parmi les oligo­éléments qui participent au système immunitaire par leur pouvoir antioxydant, en luttant contre les radicaux libres, plusieurs sont impliqués dans l’immunité.

Le sélénium favorise entre autres la phagocytose et la multiplication des lymphocytes lors d’une infection. C’est un cofacteur d’activation de la glutathion peroxydase, une enzyme qui agit comme un antioxydant primaire. Les antioxydants primaires agissent préventivement au niveau de la mitochondrie en contrôlant la production de radicaux libres (O2-) et en évitant ainsi qu’ils ne passent dans le cytoplasme pour provoquer des dégâts oxydatifs. Les différents types de sélénium disponibles en alimentation animale ne se valent pas : la présentation organique, sous la forme de levure séléniée, est la mieux assi­milable et la plus facile à stocker par l’organisme. C’est également la forme qui passe le mieux dans le colostrum.

Le cuivre renforce l’efficacité de la phagocytose et participe à la synthèse de la kératine, retrouvée notamment sur l’épithélium du canal du trayon et dans le bouchon synthétisé au tarissement.

Le zinc appartient au système antioxydant, particulièrement actif sur les épithéliums mammaires. Cofacteur de plus de 200 enzymes (parmi lesquelles l’anhydrase carbonique, la phosphatase alcaline et les ARN et ADN polymérases), il participe à l’intégration de la cystéine dans la kératine et assure le métabolisme de la vitamine A [6]. Comme pour le sélénium, toutes les sources de cuivre et de zinc ne se valent pas. Plusieurs études démontrent que la biodisponibilité et l’assimilation de ces oligoéléments sont doublées sous la forme chélatée [4].

Enfin, le molybdène bloque à la fois l’absorption du cuivre et du zinc, il convient donc de contrôler les apports de cet oligoélément dans l’alimentation.

LES RISQUES LIÉS À L’APPORT VITAMINIQUE

Certaines vitamines participent, elles aussi, au système antioxydant et jouent donc un rôle majeur dans la santé mammaire (figure 1). Outre la vitamine C, il s’agit de la vitamine A, du bêtacarotène et de la vitamine E. Les vitamines antioxydantes sont apportées par les végétaux, mais ne se conservent qu’un mois après leur coupe, c’est pourquoi les fourrages conservés (foin, ensilage, enrubannage, etc.) en sont pourvus de façon variable, souvent faible.

1. La vitamine A et le bêtacarotène

Également appelée rétinol, la vitamine A présente une action antioxydante qui participe au maintien des épithéliums des acini et du canal du trayon. La vitamine A stimule l’immunité cellulaire, donc celle impliquant les lymphocytes T. Elle intervient également dans le chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles. Comme la vitamine A est fournie à la vache par l’alimentation, une ration trop riche en concentrés et/ou avec une dominante de fourrages conservés conduisent à une carence. La supplémentation est donc souvent indispensable, d’autant plus en fin de gestation et au tarissement. Le bêtacarotène est le précurseur de la vitamine A, mais possède lui-même un rôle important, en participant au système antioxydant. Ces deux éléments sont des antioxydants secondaires, qui agissent de façon curative en inversant la réaction d’oxydation subie par la molécule sensible à la réaction de l’oxygène. Ainsi, contrairement aux antioxydants primaires tels que les enzymes antioxydantes (superoxyde dismutase, gluthation peroxydase notamment) qui agissent sur de multiples radicaux libres, une molécule antioxydante secondaire permet de neutraliser un radical libre.

2. La vitamine E

La vitamine E ou a-tocophérol est une vitamine liposoluble qui exerce un effet préventif contre les mammites et limite leur sévérité en stimulant les mécanismes de la phagocytose. Cette vitamine possède également des propriétés antioxydantes secondaires, de même que la vitamine A et le bêtacarotène. Très présente dans l’herbe, sa carence est possible l’hiver en cas de ration trop riche en concentrés ou en cas de fourrage de mauvaise qualité. La vitamine E exerce une synergie d’action avec le sélénium sur la tonicité du canal du trayon. Les vertus préventives de la vitamine E sur les mammites se font surtout sentir pendant la période de tarissement et au début de la lactation. La vitamine E fait partie des mécanismes de protection contre l’oxydation des membranes lipidiques principalement, mais aussi de l’ADN et des protéines [2]. En effet, elle limite les effets délétères consécutifs à la peroxydation lipidique. Le tocophérol, l’antioxydant le plus efficace, est l’espèce qui réagit le plus rapidement avec les espèces réactives de l’oxygène (ERO). L’une des particularités de la vitamine E est sa nature régénérable après l’oxydation par une chaîne de réactions, en faisant intervenir la vitamine C, elle-même régénérée par le glutathion réduit. La concentration sanguine en vitamine E chute fortement au vêlage (figure 2). Une supplémentation au tarissement et en début de lactation est donc indispensable.

3. La vitamine C

Comme mentionné plus haut, le rôle immunitaire de la vitamine C est essentiellement lié à la régénération de la vitamine E oxydée. Elle n’a a priori pas d’autre rôle en tant que telle dans l’immunité chez les bovins.

RÉSULTATS D’ESSAIS DE TERRAIN

Sur la base de ces connaissances, une solution alimentaire à base de vitamine E, de vitamine C, de sélénium et d’extraits de plantes riches en superoxyde dismutase a été testée dans deux exploitations laitières de Haute-Saône, via une administration dans l’alimentation, au cours du mois de juillet 2022. L’essai a volontairement été conduit sur cette période pour tester le produit pendant une phase de stress thermique. La solution a été conçue comme un complément à une minéralisation de fond adaptée, et non comme une substitution à celle-ci. Ainsi, il est important de rappeler, avant de présenter les résultats, que les exploitations sur lesquelles l’essai a été réalisé proposent une ration équilibrée, aux niveaux énergétique, azoté et minéral.

1. Caractéristiques des deux exploitations incluses dans l’essai

Le niveau de production des deux troupeaux est élevé pour la région, avec de 8 500 à 9 000 litres de moyenne économique par vache. Les animaux sont logés en aire paillée intégrale avec peu de surface de couchage par vache (entre 4 et 7 m2). L’environnement et la technique de traite sont maîtrisés. La pression cellulaire est soutenue lors des périodes de surpopulation (vêlages notamment) ou pendant les épisodes de fortes chaleurs. L’ensilage de maïs prédomine dans la ration distribuée, sans accès au pâturage pendant la période de l’essai. Au total, 166 vaches constituent l’échantillon et sont supplémentées durant les 30 jours de l’étude comparative (avant versus après la complémentation chez les mêmes animaux).

2. Données récoltées

La production laitière, les taux butyreux (TB) et protéique (TP) et les taux cellulaires individuels sont mesurés d’avril à juillet (contrôle laitier). Les TB, TP et les cellules du troupeau sont évalués tous les deux jours entre avril et juillet (laiterie) (figures 3 à 8). Le nombre de traitements pour cause de mammite est fourni par le registre sanitaire d’élevage.

L’utilisation de la solution semble montrer des résultats encourageants sur le maintien de la production laitière et des taux en période de stress thermique. De même, la pression cellulaire semble s’atténuer pendant la période étudiée, comme le montrent le taux de vaches saines et les interventions médicales liées aux affections mammaires. Pendant l’essai, les traitements pour mammite sont passés d’un tous les deux à trois jours à un tous les huit à dix jours. Une dizaine de mammites par mois sont ainsi observées en moyenne au cours des trois mois qui précèdent l’essai, versus trois à quatre mammites durant les trente jours de l’étude pour chaque exploitation.

3. Discussion et limites de l’étude

Une conduite de l’essai avec un groupe témoin et un groupe test sur la même période aurait été préférable, mais difficilement réalisable dans les conditions de terrain (pas de possibilité de différencier l’apport alimentaire du tourteau contenant la solution). La taille de l’échantillon et la durée de l’essai, non négligeables, restent toutefois modestes. Cependant, l’étude a été conduite pendant une période de stress thermique élevé et dans des conditions de logement limitantes, donc avec des facteurs de stress oxydatif importants.

Il faut également noter que les deux élevages sélectionnés sont très rigoureux en matière d’hygiène de traite et de conduite d’élevage. La situation sanitaire, bien que tendue du point de vue des mammites et des taux cellulaires, était maîtrisée et stable avant l’essai. Les résultats observés sont donc probablement autant le fruit de la solution testée que des conditions d’élevage rigoureuses dans ces deux exploitations.

  • (1) Voir l’article « Balance anions-cations : les besoins en calcium de la vache tarie », Point Vét. 2022;53 (436):78-81.

Références

  • 1. Fersht A. Structure and Mechanism in Protein Science: A Guide to Enzyme Catalysis and Protein Folding, 1st edition. WH Freeman. 1998:650p.
  • 2. Gaydon L. Évaluation du statut vitaminique chez les bovins. Thèse méd. vét. Lyon. 2022:130p.
  • 3. Inra. Alimentation des ruminants : apports nutritionnels, besoins et réponses des animaux, rationnement, tables des valeurs des aliments, 3e édition. Quae GIE. 2018:728p.
  • 4. Lamer JC. Bénéfices des oligo-éléments chélatés pour tous les stades de l’élevage. Lettre Synthèse élevage. 2016;(9):2p.
  • 5. Le Page P. Quelle influence de l’alimentation sur les mammites des vaches laitières ? Journées nationales GTV, Nantes. 2016:183-188.
  • 6. Rattez C. Les mammites subcliniques en élevage bovin laitier : antibiothérapie et alternatives. Thèse doct. pharma. Université de Rouen. 2017:231p.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Chez la vache laitière, un déficit énergétique peut entraîner des répercussions négatives sur le système immunitaire et être à l’origine de mammites.

• Pour stimuler l’immunité, la part des oligoéléments doit être supérieure à 20 % des apports journaliers recommandés.

• Les vitamines antioxydantes (A, C, E et bêtacarotène) sont apportées par les végétaux, mais se conservent peu de temps après leur récolte.

• Concernant les mammites, aucun complément alimentaire ne peut remplacer la rigueur de l’hygiène de traite, de la conduite technique du troupeau et du confort de logement des animaux.

CONCLUSION

Mammites et alimentation sont intimement liées sur de nombreux points comme l’équilibre énergétique et azoté de la ration, mais aussi la couverture en macroéléments, oligoéléments et vitamines. Des apports soutenus semblent montrer une certaine efficacité, mais il faut souligner que sur la question des mammites en élevage, aucun complément alimentaire ne remplacera la rigueur nécessaire dans l’hygiène de traite, la conduite technique du troupeau et le confort de logement des animaux.

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