INFECTIOLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Marine Kerjean*, Elisabeth Robin**
Fonctions :
*(CEAV-MI, dipEcvim-CA)
Centre hospitalier vétérinaire Frégis
43 avenue Aristide Briand
94110 Arcueil
La prévention contre l’apparition d’infections nosocomiales commence par la mise en place de protocoles de lavage et de désinfection des mains du personnel, reconnu comme le premier vecteur de dissémination des infections nosocomiales [8, 19]. Le nettoyage et la désinfection des différentes surfaces de l’hôpital (sols, murs, tables, etc.), des objets de soins couramment utilisés (thermomètres, stéthoscopes, laryngoscopes, etc.) sont également primordiaux. L’instauration de protocoles standardisés dédiés aux manipulations invasives (pose de sonde urinaire ou de cathéter par exemple) est aussi impérative afin de limiter les infections nosocomiales transmises via le matériel médical. Dans certains cas, lorsqu’une maladie nosocomiale se déclare au sein d’un hôpital, des mesures renforcées sont à mettre en place, notamment par l’isolement de l’animal, l’utilisation de tenues adaptées pour le personnel et de protocoles de désinfection spécifiques. Enfin, une surveillance active de l’émergence d’infections nosocomiales à l’échelle d’un hôpital vétérinaire est essentielle et peut passer par la détection de “syndromes” via la surveillance syndromique, une méthode simple à mettre en place et efficace.
Les principales mesures de prévention décrites dans les publications s’articulent autour de deux axes principaux : l’hygiène du personnel et le nettoyage et la désinfection des surfaces. Les recommandations actuelles font consensus (tableau). L’importance du lavage des mains est capitale et est fréquemment rappelée dans les publications scientifiques, car son non-respect est identifié depuis longtemps comme la cause principale de la dissémination des maladies nosocomiales (photo 1). Malgré ce constat, plusieurs études rapportent le non-respect des recommandations associées au lavage des mains [6, 8]. Certaines signalent que les dessèchements et des irritations de la peau provoqués par l’utilisation répétée de savons désinfectants contribuent à réduire la fréquence du lavage des mains par le personnel hospitalier. D’après les auteurs, l’usage d’un savon classique (sous la forme liquide) associé à une solution désinfectante après le lavage des mains permet de maintenir une hygiène aussi bonne qu’avec un savon désinfectant, tout en diminuant les risques d’atteinte cutanée et en améliorant l’observance de cette consigne par les soignants [8, 11, 13]. Une sensibilisation du personnel concerné est fortement recommandée afin de vérifier l’application des protocoles de biosécurité. Ainsi, pour augmenter la motivation du personnel à mettre en place ces mesures et à mieux les comprendre, il convient de s’appuyer sur l’effet de groupe et l’influence des modèles, d’instaurer des moyens de surveillance de la mise en place des recommandations, de faire des campagnes d’affichage, de dédier des semaines à la sensibilisation de l’équipe (formation initiale et continue), d’impliquer les propriétaires. La facilité de mise en œuvre de ces mesures est aussi fondamentale et passe par l’accessibilité des éviers, ainsi que la mise à disposition de solutions hydroalcooliques et de crèmes hydratantes [16]. La réalisation d’ateliers au sein des cliniques (dépistage des bactéries présentes sur les mains à l’aide de cultures, comparaison avant/après lavage) peut contribuer à une meilleure prise de conscience des risques.
Comme vu précédemment, certains actes médicaux invasifs, notamment la pose de cathéters intraveineux ou centraux, de sondes urinaires ou de drains thoraciques, favorisent l’inoculation de bactéries dans les organismes (figure 1, photos 2a et 2b). Dans une étude de Willemsen et ses collaborateurs menée en 2019, il est démontré que les hôpitaux vétérinaires qui utilisent des protocoles standardisés pour la réalisation de ces actes invasifs ont un meilleur contrôle du nombre d’infections bactériennes nosocomiales [19].
En cas d’émergence d’une infection nosocomiale au sein d’un hôpital vétérinaire, il est primordial d’adopter des protocoles de prise en charge des animaux contagieux préétablis, afin de gagner du temps et de limiter la transmission de la maladie à d’autres animaux (figure 2). Dans une majorité de cas, la prise en charge d’une maladie nosocomiale contagieuse au sein d’un hôpital vétérinaire reste un réel défi, comme en témoignent les études de Deschamps sur la gestion d’une épidémie de calicivirus félin systémique et de Keck sur l’éradication d’une souche de Serratia marcescens multirésistante [2, 10].
Pour prévenir et surveiller les infections associées aux soins, deux méthodes peuvent être envisagées : soit une surveillance passive via l’analyse de paramètres documentés dans les bases de données, soit une surveillance active avec l’organisation de plans de contrôle d’un agent infectieux spécifique.
Comme évoqué précédemment, il n’existe pas à ce jour de système déclaratif des infections associées aux soins en médecine vétérinaire féline et canine, ni de réseau de surveillance dédié. Une méthode de suivi des infections liées aux soins s’est cependant développée ces dernières années, tant en médecine humaine que vétérinaire : la surveillance syndromique. Il s’agit d’un processus de collecte en temps réel (ou temps proche) de données de santé non spécifiques (notamment signes cliniques, morbidité, ventes de médicaments, etc.) qui constituent un “syndrome”. En fixant un objectif au sein d’une population, et des seuils pour la prise de décision, l’analyse des données peut permettre de détecter précocement des foyers de maladies et aider à comprendre leur mécanisme d’apparition. La surveillance syndromique se différencie des systèmes de surveillance classiques en santé humaine fondés sur des diagnostics confirmés biologiquement par des examens de laboratoire (cultures bactériennes, réaction de polymérisation en chaîne, etc.) [15]. En 2013, l’équipe de Ruple-Czerniak a utilisé une méthode standardisée de surveillance syndromique afin d’estimer la fréquence des infections associées aux soins chez les animaux hospitalisés dans les services de soins intensifs d’hôpitaux vétérinaires aux États-Unis [14]. Dans cette étude, les sept syndromes nosocomiaux surveillés par les vétérinaires étaient la présence d’une inflammation autour du cathéter ou du tractus urinaire après un sondage, l’apparition de troubles respiratoires ou digestifs, le développement d’une inflammation ou d’une infection en regard d’un site chirurgical, la survenue d’une fièvre ou d’un sepsis. Les praticiens ne devaient rapporter l’un de ces événements que s’il n’était pas en lien avec le motif de l’hospitalisation. Par exemple, dans le cadre d’une hospitalisation pour une pancréatite aiguë, l’apparition de vomissements aigus n’était pas considérée comme un syndrome nosocomial. Ainsi, avec cette méthode, il a pu être établi que 16,3 % des chiens et 12 % des chats hospitalisés en service de soins intensifs ont présenté au minimum un syndrome nosocomial pendant leur séjour [14]. Ce système de surveillance apparaît potentiellement moins onéreux puisqu’il ne nécessite pas de recourir à des analyses de laboratoire, est facilement applicable au chevet des animaux, et permettrait une détection rapide des infections associées aux soins. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, des systèmes de surveillance syndromique, sous la forme d’algorithmes, ont été récemment élaborés, testés et ont montré une réelle efficacité pour la détection de l’émergence de maladies chez les animaux de compagnie [7, 18].
Conflit d’intérêts : Aucun
Face à l’émergence des infections nosocomiales en hôpital vétérinaire, la stratégie à retenir passe par trois grands axes : la prévention avec le respect des consignes de biosécurité, la prise en charge avec l’application de protocoles préétablis pour garantir l’efficacité de l’intervention, et le suivi avec la possibilité d’adopter des méthodes pratiques de surveillance syndromique.