INFECTIOLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Marine Kerjean*, Élisabeth Robin**
Fonctions :
*(CEAV-MI, dipEcvim-CA)
Centre hospitalier vétérinaire Frégis
43 avenue Aristide Briand
94110 Arcueil
De nombreux facteurs de risque prédisposant à l’émergence de maladies nosocomiales sont identifiés, tant chez l’humain que chez l’animal. En médecine vétérinaire, ils peuvent être inhérents à l’animal lui-même, aux soins effectués (notamment le type de traitement reçu) ou être totalement indépendants de l’animal et consécutifs à la gestion sanitaire globale de l’hôpital vétérinaire (type de matériel utilisé, protocoles de désinfection et de nettoyage, etc.).
Les facteurs liés à l’animal sont l’âge, l’état de santé (animal malade versus animal sain présenté pour une visite vaccinale ou de contrôle, un don de sang, etc.), les affections concomitantes et leur gravité, le statut immunitaire (chiot ou chaton, statut vaccinal, animal gestant, âgé ou immunodéprimé) et les médicaments administrés. En effet, les traitements reçus, en particulier la corticothérapie et les autres immunomodulateurs (mycophénolate, cyclosporine, azathioprine, etc.) ou les agents de chimiothérapie, peuvent provoquer une dépression du système immunitaire. Celle-ci va favoriser l’émergence de maladies nosocomiales, notamment via la multiplication puis l’infection par des germes initialement non pathogènes (comme les infections à Serratia marcescens) [22]. La douleur chez l’humain et l’animal peut aussi affecter la fonction du système immunitaire et favoriser une immunodépression [29]. En effet, des études chez le rat et la souris montrent qu’une intervention chirurgicale abdominale expérimentale peut interférer avec la prolifération des lymphocytes, des cellules spléniques et des lymphocytes natural killer (NK) [29]. Enfin, le sexe de l’animal constitue dans certains cas un facteur de risque. Les femelles sont en effet plus exposées aux infections nosocomiales du tractus urinaire en raison de la longueur inférieure de leur urètre et de l’abondance de poils dans la région périnéale susceptibles d’être contaminés par la flore fécale [3].
Concernant les actes techniques identifiés dans les publications, l’emploi de cathéters intraveineux et de sondes urinaires représente le premier facteur favorisant la pénétration de bactéries au sein de l’organisme. En outre, dans un hôpital vétérinaire, des services tels que ceux de chirurgie ou de soins intensifs sont davantage propices à l’émergence d’infections nosocomiales, notamment en raison des actes invasifs qui y sont réalisés (traitement chirurgical, pose de drain thoracique ou abdominal, mise en place de cathéters veineux, transfusions) chez des animaux souvent immunodéprimés (après un acte chirurgical sous anesthésie générale ou une hospitalisation en soins intensifs pour un état de santé fortement dégradé).
Les cathéters sont des vecteurs directs de transmission des bactéries nosocomiales. Ainsi, le type de désinfection de la peau, le système de connexion ou la matière du cathéter jouent un rôle significatif dans la prévention des infections associées aux soins. Une attention particulière doit être portée au système de connexion du cathéter (bouchon perforable, petite tubulure simple, tubulure en Y, etc.) (photo 1). En effet, selon une étude de Jones et ses collaborateurs, les animaux équipés d’un cathéter en Y (trois points de sortie) ont dix fois moins de risque d’être contaminés que ceux avec un cathéter en T plus court (deux points de sortie). Plus le système de connexion est court, plus le risque d’infection apparaît donc important [11, 12]. La matière a aussi son importance : les cathéters en Téflon provoqueraient davantage de réactions inflammatoires que ceux en polyuréthane ou en silicone, que les vétérinaires utilisent plus fréquemment, bien qu’ils soient plus chers et plus difficiles à utiliser [28]. D’autres facteurs de risque ont également été étudiés (tableau).
Concernant la fréquence des contaminations et les bactéries isolées, les données disponibles sont issues de plusieurs études. Dans celle de Marsh-Ng menée au sein d’un hôpital vétérinaire américain, 24,5 % des cultures réalisées sur 151 voies veineuses se sont révélées positives, dont 46 % à une entérobactérie (Enterobacter spp.) [18]. L’étude de Lobetti et son équipe aboutit à des chiffres similaires, avec 22 % de cultures bactériennes positives réalisées sur des cathéters de jeunes chiens suspectés d’être atteints de parvovirose. Dans cette étude, la durée de conservation du cathéter est significativement plus longue chez les chiens dont la culture bactérienne est positive. Les bactéries identifiées sont principalement Serratia spp. (dont S. marcescens), Acinetobacter anitratus, Klebsiella pneumoniae, et Escherichia coli dont une forte proportion présente une résistance à l’amoxicilline, la céfalexine, l’érythromycine et le chloramphénicol [8]. Ce taux élevé de bactéries commensales témoigne de l’importance de la désinfection locale de la peau avant la mise en place d’un cathéter. Une étude de Dorey-Phillips et ses collaborateurs met de surcroît en évidence l’intérêt du choix du protocole de désinfection de la peau, en démontrant la supériorité d’une solution de chlorhexidine puis d’alcool médical par rapport à l’alcool médical seul [5]. Par ailleurs, si la colonisation bactérienne des cathéters est fréquente, très peu de cas de septicémie à partir d’un cathéter infecté sont décrits en médecine humaine (moins de 5 %) [28]. En médecine vétérinaire, il n’existe pas d’étude, à notre connaissance, rapportant des cas de septicémie à partir d’un cathéter infecté.
L’utilisation de sondes urinaires favorise également la contraction d’une infection nosocomiale, chez l’humain comme chez l’animal (photo 2) [4]. En médecine humaine, les infections urinaires représentent environ 40 % des maladies nosocomiales et sont en grande partie secondaires à l’usage de sondes urinaires, notamment de Foley [19]. Les bactéries accèdent à la vessie en étant transportées de manière mécanique par la sonde lors de son insertion dans les voies urinaires (risque minimisé par le recours à une méthode stérile), le long de la surface extérieure de la sonde (en créant pour certaines des biofilms) ou par sa lumière (flush de la sonde lors des soins, système de collecte trop surélevé par rapport au patient) [9, 10]. En cas de contamination, les bactéries mobiles remontent dans les voies urinaires par le biais de la sonde, tandis que les bactéries non mobiles atteignent la vessie en cas de fluide rétrograde (lorsque le système de collecte est surélevé par rapport au patient), si la sonde est flushée ou si le système de récolte est obstrué ou rempli [10]. Les facteurs de risque du développement d’infections urinaires nosocomiales chez l’humain sont la durée du port de la sonde, le sexe féminin, les manipulations multiples de la sonde et du système collecteur, l’âge du patient, l’existence de maladies concomitantes ou de traumatisme des voies urinaires [10, 26]. De nombreux animaux peuvent de leur côté présenter une bactériurie asymptomatique, et représentent par conséquent un risque important de dissémination de germes antibiorésistants en jouant un rôle de réservoir, en particulier s’ils reçoivent une antibiothérapie [27]. De la même façon, le facteur de risque le plus souvent incriminé en médecine vétérinaire est le temps de conservation de la sonde urinaire. Dans une étude menée par Smarick et son équipe, la probabilité de ne pas contracter d’infection du tractus urinaire avec une sonde après une journée d’hospitalisation est de 94,9 %, et seulement de 63,3 % après quatre jours [25]. Les bactéries le plus souvent détectées dans ce cas sont celles couramment retrouvées lors d’infection urinaire et qui présentent souvent peu d’antibiorésistances (Proteus mirabilis, Klebsiella pneumoniae, Escherichia coli et Streptococcus canis). Parmi les facteurs de risque identifiés dans cette même étude, l’absence d’antibiothérapie favorise significativement la survenue d’infections urinaires nosocomiales. Cette donnée reste difficile à interpréter. En effet, il n’est pas clairement précisé s’il s’agit de bactériurie ou de réelle infection urinaire, et l’état immunitaire des animaux n’est pas connu. De manière générale, toute antibiothérapie prophylactique reste très fortement déconseillée, car elle participe fortement à l’émergence d’infections par des bactéries multirésistantes [2, 25]. Dans une seconde étude d’Ogeer-Gyles et ses collaborateurs, 19 % des chiens porteurs d’une sonde urinaire ont développé une infection du tractus urinaire au cours de l’hospitalisation, et jusqu’à 79 % de ceux ayant conservé la sonde plus de 72 heures [20]. Dans cette étude, aucune prédisposition de sexe n’est identifiée, contrairement à celle de Biertuempfel et son équipe dans laquelle 20 % des cultures urinaires sont revenues positives chez les chiennes, versus 0 % chez les chiens mâles équipés d’une sonde urinaire pendant 72 heures [3]. Cette prédisposition aux infections urinaires des femelles a de nouveau été décrite par la suite, et se vérifie en médecine humaine puisque les femmes sont aussi plus sensibles [7]. Il est donc recommandé de réserver l’utilisation des sondes urinaires à certaines indications, comme la nécessité de mesurer le flux urinaire, l’incapacité à uriner (en cas d’obstruction urétrale) ou en phase postopératoire après un traitement chirurgical lorsque la vessie doit rester vide pendant un certain temps. La question se pose concernant les animaux débilités qui restent en décubitus pendant une longue période. La réalisation de taxis urinaires fréquents, bien que plus contraignante, est à privilégier dans la mesure du possible afin de limiter les infections urinaires nosocomiales [10].
Des recherches sont en cours pour développer des sondes urinaires avec des matériaux innovants (dont des particules d’argent ou nitrofurazone) ou des conformations nouvelles permettant de limiter la croissance des biofilms : certaines ont déjà démontré leur supériorité pour prévenir les infections urinaires nosocomiales [8, 15, 16, 21].
Le service dans lequel un animal est hospitalisé peut avoir une incidence sur le développement de maladies nosocomiales. Au sein des unités de soins intensifs, le temps d’hospitalisation, les cas de multitraumatisme avec fractures ouvertes, la pose de drains abdominaux ou thoraciques, l’utilisation de sondes trachéales, d’une ventilation mécanique ou de cathéters veineux centraux sont les facteurs le plus souvent incriminés lors de l’émergence d’infections nosocomiales (photo 3) [1, 6, 22].
Les services de chirurgie vétérinaires sont aussi concernés par cette problématique. Dans une étude de Ruple-Czerniak et son équipe menée au sein de quatre hôpitaux vétérinaires aux États-Unis, 16,3 % des chiens et 12 % des chats ont contracté une ou plusieurs maladies nosocomiales pendant leur hospitalisation. Ces animaux avaient en majorité subi une intervention chirurgicale, en plus d’être équipés d’une sonde urinaire et d’être hospitalisés longtemps (plus de six jours) [23]. D’autres facteurs que la présence de plaies chirurgicales, donc l’effraction de la barrière cutanée, ont pu contribuer à l’infection nosocomiale : la durée de l’acte chirurgical, le type de ventilation au bloc opératoire, le protocole de stérilisation des instruments, le respect de la stérilité, le nombre de personnes en salle de chirurgie, la présence de bactéries multirésistantes au sein du bloc opératoire, etc. [30]. Dans l’étude de Keck menée en 2020 au sein d’un hôpital vétérinaire français, deux épidémies d’infections nosocomiales à Serratia marcescens sont décrites (en 2009, puis de 2014 à 2018) [14]. Au total, 32 animaux ont développé une infection associée aux soins due à cette bactérie, dont 22 au niveau du site chirurgical (articulations, organes, peau, tissus sous-cutanés). Après des prélèvements, l’étude des souches bactériennes a révélé que la même souche de S. marcescens était à l’origine des deux épidémies, et que la source de contamination provenait de récipients en plastique utilisés pour imbiber les compresses de chlorhexidine. C’est le premier cas vétérinaire rapporté de maladie nosocomiale secondaire à une solution de chlorhexidine infectée.
Le personnel soignant, par un manque d’hygiène, peut participer à l’émergence et à la transmission de maladies nosocomiales. En effet, le non-respect des règles de base comme le lavage de mains entre chaque animal et avant chaque acte invasif (pose de cathéter et de sonde urinaire en particulier) est une cause très souvent citée dans les publications [6, 22]. Plusieurs rapportent aussi des exemples de dissémination de staphylocoques résistants à la méticilline, comme celle de Singh et ses collaborateurs où la bactérie a été identifiée sur 17,5 % des blouses et tenues hospitalières du personnel soignant, ou encore celle de Julian et son équipe où elle a été retrouvée sur 2,4 % des téléphones portables personnels et professionnels [13, 24]. Enfin, le manque de personnel ou encore la surcharge des différents services par un trop grand nombre d’animaux hospitalisés sont aussi des facteurs de risque signalés [6, 22].
Conflit d’intérêts : Aucun
L’état de santé dégradé des chiens et des chats admis dans les structures vétérinaires peut participer au développement d’une infection associée aux soins. Mais, dans la plupart des cas, les vecteurs des agents infectieux responsables de l’apparition de maladies nosocomiales au sein d’un hôpital vétérinaire sont le matériel utilisé (cathéters, sondes urinaires, matériel de désinfection) et le personnel soignant, et non les contacts entre les animaux [4, 10]. Les critères inhérents à l’animal jouent aussi un grand rôle dans la sensibilité de ce dernier aux infections liées aux soins. C’est pourquoi une attention particulière doit être portée aux mesures de biosécurité afin de lutter contre l’apparition d’infections nosocomiales.