IMAGERIE
Article de synthèse
Auteur(s) : Dieudoné Kabkia*, Nora Bouhsina**, Charlotte Coeuriot***, Marion Fusellier****, Maria Dolores Sanchez*****
Fonctions :
*Service d’anatomie, histologie
et embryologie
École inter-États des sciences et
médecine vétérinaires de Dakar
Rue de l’Université, BP 5077
Dakar (Sénégal)
**Service d’imagerie médicale
d’Oniris
***Service de dermatologie
d’Oniris
101 route de Gachet
44300 Nantes
L’oreille est une structure complexe qui permet à l’animal de capter et d’intégrer les sons, mais aussi de percevoir la gravité, les accélérations et la rotation de la tête. Cet organe, essentiel pour l’audition et l’équilibre chez le chat, est la cible de nombreuses affections, parmi lesquelles figurent les polypes nasopharyngés.
Les polypes nasopharyngés félins sont des masses inflammatoires bénignes qui se forment à partir de la muqueuse de la membrane tympanique, du tube auditif (trompe d’Eustache) ou du nasopharynx du chat [14]. Le diagnostic précis de cette lésion permet la mise en place d’un traitement adapté. L’imagerie médicale occupe une place de choix dans la démarche diagnostique de cette affection, surtout lorsque les signes cliniques ne sont pas spécifiques.
Les polypes nasopharyngés se présentent comme des masses localisées au niveau de la muqueuse du pharynx, de la bulle tympanique ou du conduit auditif. Ces excroissances pédiculées bénignes apparaissent en général chez les jeunes chats et peuvent provoquer une atteinte des voies respiratoires supérieures ou de l’oreille moyenne qui ne disparaît pas avec les traitements médicaux classiques.
L’étiologie des polypes nasopharyngés est incertaine. Deux origines, infectieuse et congénitale, sont évoquées. Concernant la cause infectieuse, la bulle tympanique est probablement le site originaire des polypes, qui s’étendent à partir de là vers le conduit auditif et/ou le pharynx [10, 15, 24]. Ils peuvent également être secondaires à une infection remontant du nasopharynx [17, 21, 22]. Des virus, notamment le calicivirus félin, sont souvent mis en cause [24]. Une hypothèse congénitale, selon laquelle les polypes se développeraient à partir des restes de l’arc branchial, est aussi avancée [10].
Les polypes nasopharyngés touchent 2,5 % de la population féline et peuvent apparaître chez tous les chats sans distinction d’âge, même si ceux de 3 ans sont les plus concernés [11, 12]. Aucune prédisposition sexuelle n’est mise en évidence, ce type de polype concernant 56 % des mâles et 44 % des femelles [11]. Toutes les races félines sont affectées, bien qu’il existe une prédisposition d’atteinte préférentielle chez les chats européens [11].
Les signes cliniques présents lors de polype inflammatoire sont variables et dépendent de sa localisation : stertor, jetage, éternuements, dyspnée, dysphagie, otorrhée, otite chronique, inclinaison de la tête, nystagmus, perte de poids et ataxie sont observés (tableau) [1, 13].
Le diagnostic des polypes nasopharyngés est nécessaire pour mettre en place un traitement adapté. Des examens complémentaires sont indispensables. Le diagnostic repose sur le recueil des commémoratifs et de l’anamnèse, un examen clinique complet, l’imagerie médicale, une exploration chirurgicale et une analyse cytologique. Toutefois, il doit être confirmé par un examen histologique de la lésion. Ce dernier peut être réalisé sur une biopsie incisionnelle, afin d’établir le diagnostic avant de proposer la thérapie la plus appropriée, ou par une excision chirurgicale, dans un objectif diagnostique et thérapeutique. Cet article s’intéresse uniquement à l’intérêt de l’imagerie médicale dans le cadre du diagnostic de cette affection.
La radiographie peut constituer l’examen de première intention lors d’une suspicion de polype nasopharyngé.
En l’absence de disponibilité de l’imagerie en coupe, un examen radiographique est indiqué face à un chat qui présente des signes cliniques évocateurs d’un polype. Sans être spécifique, il permet de confirmer une atteinte de la bulle tympanique et/ou du nasopharynx. La visualisation des structures concernées (notamment les bulles tympaniques) nécessite de réaliser des clichés sous sédation. Cette technique est accessible dans de nombreuses structures vétérinaires et est habituellement la moins coûteuse. Cependant, le nombre de vues nécessaires peut augmenter de façon conséquente le temps d’examen, bien supérieur à la durée d’un examen radiographique classique. En effet, des projections dorso-ventrales, latérales, latérales obliques et rostro-caudales (gueule fermée) sont requises pour l’évaluation complète de la bulle tympanique et du nasopharynx.
Lors de polype inflammatoire touchant l’oreille moyenne, les lésions observées sont une opacification de type liquidien (tissu ou liquide) de la bulle tympanique, parfois une réaction périostée proliférative [6, 17]. Un épaississement ou une irrégularité de la paroi de la bulle peuvent également être visualisés (photo 1) [1]. Le nasopharynx est situé dorsalement au palais mou et n’est pas visible à l’examen direct. Ainsi, la radiographie de profil est indiquée pour son exploration. En cas de lésion, le polype apparaît comme une masse à l’opacité tissulaire dans le nasopharynx, habituellement de densité aérique (photo 2) [14].
Cependant, la non-spécificité lésionnelle des polypes à la radiographie ne permet pas d’établir un diagnostic de certitude. En effet, tissu et liquide ont la même opacité radiographique. De plus, la complexité anatomique du crâne est à l’origine d’une superposition des structures osseuses, aériques et tissulaires molles qui complique l’interprétation [4, 7]. Enfin, un mauvais positionnement de l’animal peut nuire à la qualité du diagnostic. Avec l’essor de l’imagerie en coupe, la radiographie de la région oto-rhino-laryngée est de moins en moins utilisée.
La vidéo-otoscopie(1) consiste à introduire un endoscope à fibres optiques relié à un écran dans le conduit auditif, afin de visualiser les parois de celui-ci, le tympan et une partie de la bulle tympanique. Cet examen permet de visualiser de façon optimale les lésions présentes dans le conduit auditif, l’aspect du tympan, d’établir un diagnostic d’otite externe et/ou moyenne et de réaliser des interventions diagnostiques et thérapeutiques [2, 3, 5, 18, 23].
Lorsqu’une otite chronique ou moyenne est suspectée, la vidéo-otoscopie est l’examen de choix pour examiner le conduit et le tympan. Le canal opérateur de l’embout du vidéo-otoscope permet le passage d’une sonde d’irrigation ou d’aspiration et d’instruments permettant des interventions à visée diagnostique ou thérapeutique, comme des pinces à biopsie, à polypectomie ou à préhension, une oto-brosse, une aiguille à myringotomie, etc. [2, 3, 5, 18, 23]. Chez le chat, l’une des premières causes d’otite chronique est la présence de polypes dans le conduit auditif, voire le nasopharynx. Lors de l’examen vidéo-otoscopique, ils sont visualisés et retirés grâce à une pince à polypectomie [2, 3, 5, 18, 23].
Contrairement à la radiographie, l’échographie n’est pas un examen de première intention pour l’exploration de l’oreille. En effet, la paroi osseuse intègre de labulle tympanique réfléchit les ultrasons en empêchant l’exploration de son contenu et formant une interface hyperéchogène à l’origine d’une ombre acoustique franche [8]. Son utilisation n’est d’ailleurs pas évaluée ni validée dans le cadre du diagnostic des polypes.
Dans tous les cas, le diagnostic de certitude repose sur l’imagerie en coupe (scanner et/ou IRM). Du fait de son principe de projection et de superposition en deux dimensions de structures tridimensionnelles complexes, ainsi que d’éventuelles images construites, la radiographie est un examen peu sensible et peu spécifique. L’examen tomodensitométrique (ou scanner) est un moyen d’approfondir et d’affiner le diagnostic parce qu’il permet une meilleure visualisation de la région oto-rhino-laryngée, notamment du conduit auditif externe, de la bulle tympanique et des chaînes ossiculaires, de la cochlée, du tube auditif et du nasopharynx.
En cas de polype inflammatoire, un comblement de la bulle tympanique par du matériel d’atténuation tissulaire peut être observé (photos 3a à 3c) [19]. Ce comblement s’accompagne parfois d’une lésion des parois de la bulle tympanique qui apparaissent alors épaissies et irrégulières [20]. Moins fréquemment, une ostéolyse peut également être associée aux modifications précédemment décrites. Elle atteint préférentiellement la bulle tympanique, mais peut aussi affecter l’os temporal [7, 16]. Dans certains cas, une masse tissulaire est observée, qui semble prendre son origine dans l’oreille moyenne et infiltre le nasopharynx et/ou le conduit auditif externe (photo 4). Souvent, du matériel liquidien est associé au polype dans la bulle tympanique comme dans le conduit auditif. La tomodensitométrie présente l’avantage de permettre une meilleure identification de l’atteinte. En effet, les coupes et les reconstructions multiplanaires en 3D aident à établir le bilan d’extension de la lésion et facilitent le travail du chirurgien. En revanche, cette technique d’imagerie a l’inconvénient de nécessiter une anesthésie générale et son coût est relativement élevé.
L’IRM offre une excellente évaluation des structures tissulaires et liquidiennes de l’oreille, notamment de l’oreille interne et des structures nerveuses adjacentes (tronc cérébral) qui ne peuvent pas être correctement visualisées au scanner. Plusieurs types de contraste (ou pondération) sont accessibles et permettent d’identifier plus spécifiquement les lésions. Selon la disponibilité technique, l’IRM est réalisée d’emblée si une atteinte nerveuse est associée à la suspicion de polype (syndrome vestibulaire le plus souvent).
Chez un animal sain, les contenus de la bulle tympanique et du conduit auditif externe sont aériques et apparaissent en hyposignal (noir) dans toutes les pondérations. Il en est de même pour la paroi osseuse de la bulle tympanique. En cas de polypes, la présence d’une structure tissulaire dans la cavité tympanique est notée et apparaît sur les images en pondération T1 et T2 par un signal intermédiaire. La séquence pondérée T2 rend possible la différenciation des exsudats présents dans les bulles tympaniques des tissus mous, et la séquence T1 postcontraste confirme le plus souvent la présence d’une masse hétérogène à prise de contraste variable dans la bulle tympanique, le conduit auditif externe ou le nasopharynx. Rarement, une infiltration de l’oreille interne, voire de la boîte crânienne, est observée (photos 5a et 5b). Bien que l’IRM possède un contraste tissulaire excellent, elle présente l’inconvénient, comme la tomodensitométrie, d’avoir une spécificité lésionnelle moyenne [9]. De plus, elle est peu disponible, ce qui en limite l’accès, et son coût est élevé.
(1) La vidéo-otoscopie ne fait pas partie des techniques d’imagerie au sens strict, mais semble importante à mentionner étant donné son intérêt pour le diagnostic des polypes inflammatoires chez le chat.
Conflit d’intérêts : Aucun
• La radiographie peut être l’examen de première intention lors d’une suspicion de polype inflammatoire, mais l’imagerie en coupe est incontournable.
• La tomodensitométrie, qui élimine la superposition des structures anatomiques de l’oreille et du crâne, est couramment utilisée car elle permet une meilleure visualisation du contenu de la bulle tympanique et du nasopharynx.
• L’imagerie par résonance magnétique offre une excellente évaluation des structures tissulaires et liquidiennes de l’oreille, notamment de l’oreille interne et des structures nerveuses adjacentes.
Le polype nasopharyngé félin est une affection qui touche des chats plutôt jeunes, sans distinction de sexe ou de race. Le diagnostic des affections de l’oreille moyenne grâce à l’examen direct est limité. L’imagerie médicale est donc le moyen d’investigation le plus indiqué pour une meilleure exploration de l’oreille du chat. Parmi ces techniques d’imagerie, la radiographie est la plus disponible et la plus économique en première intention, mais elle manque de sensibilité et de spécificité. La tomodensitométrie et l’IRM sont les examens de choix pour le diagnostic des polypes nasopharyngés, car l’imagerie en coupe permet de distinguer la nature tissulaire et/ou liquidienne de la lésion et de réaliser un bilan d’extension locale. Lors de troubles nerveux, l’IRM est à préférer au scanner.