GINGIVOSTOMATITE CHRONIQUE FÉLINE : MANIFESTATIONS CLINIQUESET ÉTIOPATHOGÉNIE - Le Point Vétérinaire n° 437 du 01/01/2023
Le Point Vétérinaire n° 437 du 01/01/2023

DENTISTERIE

Dossier

Auteur(s) : Florian Boutoille

Fonctions : (dipEVDC)
CHV Atlantia
22 rue René Viviani
44200 Nantes

Une stomatite, généralement caudale, est observée lors de gingivostomatite féline. Cette maladie au caractère dysimmunitaire a une étiologie multiple et provoque une douleur importante.

La gingivostomatite chronique féline (GSCF) est caractérisée par des phénomènes inflammatoires qui évoluent vers la chronicité et sont rebelles aux traitements médicaux. Elle se manifeste principalement par une stomatite caudale, c’est-à-dire une atteinte des muqueuses situées le plus en arrière de la cavité buccale, bien qu’une inflammation généralisée des muqueuses de la cavité buccale soit souvent observée. La GSCF est un syndrome pour lequel la réponse immunitaire de la cavité buccale du chat, face aux différentes agressions que constituent les infections bactériennes et virales, est inadaptée.

1. DÉFINITION ET PRÉSENTATIONS CLINIQUES

Définition

La GSCF peut être définie comme un syndrome inflammatoire intéressant l’ensemble de la cavité buccale et le pharynx. Les lésions observées sont par nature ulcéreuses, mais prennent parfois une forme dite ulcéro-proliférative. Si ces lésions inflammatoires peuvent affecter l’ensemble des muqueuses buccales, c’est surtout la stomatite caudale qui est caractéristique de la GSCF : cette inflammation concerne la muqueuse orale caudale qui se situe en région rétro-molaire, latéralement aux arcs palatoglosses. Histologiquement, la GSCF se caractérise par une atteinte inflammatoire destructrice avec un infiltrat lympho-plasmocytaire des muqueuses et des sous-muqueuses buccales [1, 10].

Présentations cliniques

Cette entité clinique provoque des signes cliniques consécutifs à l’inflammation buccale et une douleur importante : dysorexie, voire anorexie liée aux douleurs buccales, sialorrhée, halitose, gêne buccale manifeste (plaintes, grimaces, mouvements anormaux des mâchoires ou de la langue), perte de poids, etc. Certains chats peuvent être très affaiblis et débilités par cette maladie, notamment en raison de sa chronicité. Généralement, les nœuds lymphatiques mandibulaires sont hypertrophiés. Comme évoqué précédemment, la GSCF se caractérise par une inflammation du fond de la cavité buccale, généralement bilatérale. En plus de la stomatite caudale, il n’est pas rare d’observer en parallèle une maladie parodontale à un stade plus ou moins avancé, des résorptions dentaires, une inflam­mation des muqueuses alvéolaires, labio-jugales, linguales et pharyngées.

Les lésions inflammatoires peuvent être caractérisées selon leur intensité et leur étendue, afin de mieux évaluer leur sévérité et suivre leur évolution en lien avec le traitement. Deux types d’indice sont utilisés pour réaliser cette évaluation (photos 1 et 2) [10]. L’indice de saignement (IS), qui évalue l’importance de l’inflammation, comprend cinq niveaux : absence d’inflammation (score 0), inflammation faible sans saignement (1), inflammation modérée sans saignement (2), inflammation modérée avec saignement induit au toucher (3), inflammation marquée avec saignement spontané (4). L’indice d’extension (IE), qui mesure le pourcentage du territoire muqueux caudal concerné par la stomatite caudale, compte quatre catégories : jusqu’à 25 %, 50 %, 75 % ou 100 % de la surface de la muqueuse buccale caudale est touchée par l’inflammation.

Diagnostic différentiel

Le diagnostic de gingivostomatite chronique féline est réservé aux cas présentant une stomatite caudale et/ou une stomatite alvéolaire et labio-jugale. Il convient donc de bien différencier les chats atteints de GSCF de ceux souffrant d’une parodontite ou de lésions de résorption dentaire pour lesquelles l’inflammation se cantonne aux tissus parodontaux et péridentaires proches des dents affectées (photo 3). Le carcinome épidermoïde est l’atteinte tumorale buccale la plus fréquente chez le chat. Souvent localisé dans la région sublinguale, il peut se présenter sous la forme de lésions ulcéro-prolifératives caudales, plus ou moins étendues mais unilatérales, dont l’aspect est parfois proche de celui des lésions observées lors de GSCF (photo 4). D’autres atteintes inflammatoires spécifiques affectent la cavité buccale du chat, telles que les lésions granulomateuses éosinophiliques ou pyogéniques. Les granulomes éosinophiliques se présentent comme des plaques rouges surélevées souvent recouvertes de multiples ponctuations blanchâtres. Les granulomes pyo­géniques correspondent à des lésions prolifératives focales liées à une stimulation chronique d’ordre traumatique. La plupart des lésions chez le chat sont observées sur la muqueuse vestibulaire, au contact de la première molaire mandibulaire, et sont causées par le frottement de la quatrième prémolaire maxillaire (photo 5) [8]. Enfin, le diagnostic différentiel doit comprendre les irritations traumatiques ou chimiques d’origine externe qui sont souvent localisées sur la langue et au palais (léchage de produit irritant, de chenilles processionnaires, etc.). Dans tous les cas, la présence de lésions à l’aspect douteux, ou dont la localisation est atypique, doit pousser le praticien à réaliser un examen histologique afin d’établir un diagnostic de certitude et de mettre en place le traitement adapté.

2. ÉPIDÉMIOLOGIE ET ÉTIOPATHOGÉNIE

Prévalence et données épidémiologiques

La prévalence de la stomatite chronique féline varie selon les études entre 0,7 et 12 % suivant la population étudiée et les modalités diagnostiques [1]. Au-delà du nombre de chats atteints, la particularité de cette affection est son caractère récidivant et réfractaire aux traitements médicaux classiques. Il est montré que la GSCF est plus fréquemment rencontrée chez les chats vivant en cohabitation à plusieurs et sans accès à l’extérieur [13].

Une étude rétrospective de 2020 confirme l’importance de la GSCF au sein de la population féline. Elle s’intéresse aux résultats histologiques obtenus sur 297 prélèvements de lésions buccales effectués chez des chats au Portugal. Le diagnostic le plus fréquemment établi est celui de GSCF (39,1 % des cas), suivi du carcinome épidermoïde (16,5 %) et du complexe éosinophilique (11,1 %) [5].

Pathogénie : une réaction dysimmunitaire locale

La GSCF (stomatite caudale et/ou stomatite alvéolaire et labio-jugale) est le résultat de réactions inflammatoires et immunitaires exacerbées, dans la cavité buccale de certains chats, contre des agents pathogènes d’origine bactérienne et virale. Des études histologiques et immunologiques font état d’un processus inflammatoire complexe, chronique et destructeur, touchant l’épithélium et la lamina propria avec des extensions fréquentes aux tissus sous-muqueux. La sévérité des lésions est corrélée au nombre de plasmocytes et de lymphocytes T. Il est démontré qu’il existe une prépondérance de lymphocytes CD8+, et non de CD4+, dans l’infiltrat cellulaire et dans la circulation sanguine des chats atteints de stomatite caudale. Ce constat est en faveur d’une réponse immunitaire à médiation cellulaire cytotoxique et à stimulation antigénique endogène (intracellulaire) qui peut correspondre à une infection virale, telle que le calicivirus. Il est également montré que les chats souffrant de GSCF présentent une surexpression des gènes codant pour différentes cytokines proinflammatoires au sein des muqueuses atteintes [9, 15, 16].

Agents étiologiques

Virus et bactéries

De nombreuses études ont été menées sur la GSCF afin de trouver le ou les agents infectieux responsables, mais aucune corrélation directe avec un agent pathogène particulier n’a pu être mise en évidence. La bactérie Bartonella sp. et les herpèsvirus, rencontrés de manière inconstante, ne sont donc pas considérés comme jouant un rôle important [3, 12, 14]. Des études utilisant la biologie moléculaire pour l’identification bactérienne ont isolé de nouveaux phylotypes bactériens jusqu’alors inconnus et une plus grande proportion de Pasteurella multocida chez les chats présentant ces lésions, par rapport aux chats sains. Tannerella forsythia, un bacille à Gram négatif anaérobie considéré comme fortement parodontopathogène pourrait également jouer un rôle défavorable sur la réponse immunitaire de l’hôte et engendrer des lésions plus sévères [2]. Les bactéries parodontales doivent certainement jouer un rôle majeur dans la survenue des stomatites alvéolaire et labio-jugale par contact de ces muqueuses avec les dents, mais elles font partie des agents pathogènes observés lors de maladie parodontale “classique”. Les lésions tissulaires résultent donc bien davantage d’une réaction dysimmunitaire locale que de l’action de bactéries en particulier.

Cas particulier du calicivirus

À l’inverse, il est bien établi que le calicivirus félin peut être à l’origine de lésions ulcéreuses buccales (linguales notamment) et qu’il peut induire à lui seul une stomatite caudale aiguë. Cependant, ces lésions n’évoluent pas forcément vers la chronicité, ce qui signifie que d’autres facteurs entrent en jeu. Ainsi, l’inoculation seule de calicivirus à des chats expérimentalement vierges de tout agent pathogène (specific pathogens free cats) échoue à déclencher une GSCF, c’est-à-dire des lésions ulcéreuses et inflammatoires chroniques. Néanmoins, de nombreuses études ont prouvé une association significative entre la présence de calicivirus dans la cavité buccale et la GSCF [3, 4, 12]. Dernièrement, une large étude métagénomique sur le microbiome oral félin a révélé que les chats atteints de stomatite caudale chronique sont pour la plupart (92 %) porteurs chroniques de calicivirus [7]. Par ailleurs, 15 à 22 % des chats sans stomatite caudale sont des “porteurs sains” [6, 11]. Le calicivirus peut être considéré comme un agent étiologique prépondérant en raison d’un contexte immunitaire particulier à l’animal malade. De même, dans ce contexte, les bactéries buccales et principalement parodontales engendrent une réaction inflammatoire exacerbée au sein de la cavité buccale. Il n’existe pas un biotype spécifique de calicivirus responsable de la stomatite chronique. Les lésions observées ne seraient donc que la traduction de l’action de différents agents pathogènes et des dégâts tissulaires des réactions inflammatoires dans leur tentative inefficace de lutter contre ces intrus. Il est également montré que la maladie est plus fréquente au sein des populations de chats vivant en collectivité, le risque de GSCF étant corrélé au nombre d’animaux qui y cohabitent. Une pression virale plus importante pourrait expliquer ces résultats, ainsi que l’exposition à un facteur de stress jouant sur les compétences immunitaires [13].

Références

  • 1. Anderson JG, Hennet P. Management of severe oral inflammatory conditions in dogs and cats. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2022;52 (1):159-184.
  • 2. Dolieslager SM, Riggio MP, Lennon A et coll. Identification of bacteria associated with feline chronic gingivostomatitis using culture dependent and culture-independent methods. Vet. Microbiol. 2011;148 (1):93-98.
  • 3. Dowers KL, Hawley JR, Brewer MM et coll. Association of Bartonella species, feline calicivirus, and feline herpesvirus 1 infection with gingivostomatitis in cats. J. Feline Med. Surg. 2010;12 (4):314-321.
  • 4. Druet I, Hennet P. Relationship between feline calicivirus load, oral lesions, and outcome in feline chronic gingivostomatitis (caudal stomatitis): retrospective study in 104 cats. Front. Vet. Sci. 2017;4:209.
  • 5. Falcão F, Faísca P, Viegas I et coll. Feline oral cavity lesions diagnosed by histopathology: a 6-year retrospective study in Portugal. J. Feline Med. Surg. 2020;22 (10):977-983.
  • 6. Fernandez M, Manzanilla EG, Lioret A et coll. Prevalence of feline herpesvirus-1, feline calicivirus, Chlamydophila felis and Mycoplasma felis DNA and associated risk factors in cats in Spain with upper respiratory tract disease, conjunctivitis and/or gingivostomatitis. J. Feline Med. Surg. 2017;19 (4):461-469.
  • 7. Fried WA, Soltero-Rivera M, Ramesh A et coll. Use of unbiased metagenomic and transcriptomic analyses to investigate the association between feline calicivirus and feline chronic gingivostomatitis in domestic cats. Am. J. Vet. Res. 2021;82 (5):381-394.
  • 8. Gracis M, Molinari E, Ferro S. Caudal mucogingival lesions secondary to traumatic dental occlusion in 27 cats: macroscopic and microscopic description, treatment and follow-up. J. Feline Med. Surg. 2015;17 (4):318-328.
  • 9. Harley R, Gruffydd-Jones TJ, Day MJ. Immunohistochemical characterization of oral mucosal lesions in cats with chronic gingivostomatitis. J. Comp. Pathol. 2011;144 (4):239-250.
  • 10. Hennet P, Boutoille F. Guide pratique de stomatologie et de dentisterie vétérinaire. Med’Com. 2014:319p.
  • 11. Hou J, Sánchez-Vizcaíno F, McGahieb D et coll. European molecular epidemiology and strain diversity of feline calicivirus. Vet. Rec. 2016;178 (5):114-115.
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  • 13. Peralta S, Carney PC. Feline chronic gingivostomatitis is more prevalent in shared households and its risk correlates with the number of cohabiting cats. J. Feline Med. Surg. 2019;21 (12):1165-1171.
  • 14. Quimby JM, Elston T, Hawley J et coll. Evaluation of the association of Bartonella species, feline herpesvirus-1, feline calicivirus, feline leukemia virus and feline immunodeficiency virus with chronic feline gingivostomatitis. J. Feline Med. Surg. 2008;10 (1):66-72.
  • 15. Rolim VM, Pavarini SP, Campos FS et coll. Clinical, pathological, immunohistochemical and molecular characterization of feline chronic gingivostomatitis. J. Feline Med. Surg. 2017;19 (4):403-409.
  • 16. Vapniarsky N, Simpson DL, Arzi B et coll. Histologicalb, immunological, and genetic analysis of feline chronic gingivostomatitis. Front. Vet. Sci. 2020;7:310.

Conflit d’intérêts : Aucun

Conclusion

La gingivostomatite chronique féline est une entité pathologique complexe, souvent source de frustrations pour le praticien et pour le propriétaire. Une démarche explicative exhaustive doit être appliquée dès la première consultation afin d’expliquer au propriétaire l’étiologie multiple et notamment le caractère dysimmunitaire de cette maladie. La prise en charge optimale des chats atteints et l’établissement d’un pronostic commencent par la compréhension de ce syndrome inflammatoire.

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