LUTTE ANTIBACTÉRIENNE
Article original
Auteur(s) : Céline Gaillard-Lardy
Fonctions : 1Health
11-15 quai de Dion-Bouton
92800 Puteaux
La paratuberculose a des répercussions financières pour les élevages touchés et impacte la santé animale, voire humaine, dans le monde entier.
La paratuberculose des ruminants est due à Mycobacterium avium ssp. paratuberculosis, une mycobactérie très résistante dans l’environnement, surtout dans les sols acides et lors de températures basses, qui résiste donc moins aux climats chauds et secs. Si la contamination des bovins a lieu durant les premières semaines de vie, parfois jusqu’à l’âge de 6 mois, les signes cliniques apparaissent généralement vers 24 mois, avec une diarrhée profuse et un amaigrissement intense qui ont souvent une issue fatale. L’excrétion des mycobactéries, qui a lieu essentiellement via les fèces et dans une moindre mesure par le lait, est très forte chez les animaux contaminés, symptomatiques comme asymptomatiques. S’ils se contaminent principalement par voie oro-fécale directe ou indirecte (contamination des pis ou des pâtures), la formation d’aérosols pourrait amener les bactéries vers des niches environnementales à partir desquelles elles sont susceptibles de se propager aux bovins naïfs [7]. D’autres voies, comme la voie in utero, jouent également un rôle dans la propagation de la maladie [18]. La paratuberculose est généralement moins répandue chez les bovins allaitants élevés de manière extensive que chez les bovins laitiers élevés de manière intensive, en raison d’une exposition environnementale plus faible [18]. De plus, en élevage allaitant, comme les animaux sont souvent abattus avant d’atteindre les stades d’infection avancés avec une forte excrétion, les possibilités de contamination de l’environnement sont plus limitées [18].
En élevage laitier, les pertes économiques dues à la paratuberculose ont été largement étudiées et impactent les périodes avant, pendant ou après l’abattage. Avant l’abattage, selon une revue de Whittington et ses collaborateurs, les pertes sont dues à une diminution variable de la production laitière et de la fertilité, à l’augmentation du nombre de cellules somatiques et de l’incidence des mammites cliniques ou d’autres maladies, ainsi qu’aux frais de dépistage et de traitement [18]. De plus, les bovins infectés présentent des taux de mortalité et de réforme plus élevés, tout comme les veaux de boucherie issus de troupeaux laitiers atteints de paratuberculose [3, 18]. En outre, la valeur d’abattage des bovins infectés est réduite. Les coûts après l’abattage concernent la perte de revenus futurs non réalisés en raison de l’abattage d’un ou de plusieurs animaux (photo 1).
Les pertes économiques annuelles totales par vache dans les troupeaux laitiers infectés aux États-Unis sont estimées entre 21 et 79 $, tandis que celles des troupeaux laitiers australiens, canadiens, français et britanniques infectés varient entre 45 et 88 $ australiens, 49 $ canadiens, 234 € et 27 £, respectivement [5, 14, 15, 16, 18]. L’effet sur la baisse de production laitière outre-Atlantique est évalué à 200 millions de dollars (± 160 millions) par an [10, 18]. En élevage allaitant, la présence de la paratuberculose est également associée à une diminution de la fertilité, de la croissance et à de plus faibles poids de naissance [18]. Les pertes annuelles totales par vache sont estimées à 16 £ en moyenne dans les troupeaux britanniques et à 40 € dans les troupeaux français, mais seulement de 10 à 28 € aux Pays-Bas, selon la taille des troupeaux [5, 8, 9].
Dans une revue incluant 48 pays de tous les continents, Whittington révèle que la paratuberculose est fréquente partout dans le monde : relativement peu de pays affichent une prévalence de troupeaux infectés inférieure à 1 %, et parmi ceux qui disposent de données de prévalence (58 %), le taux de troupeaux infectés dépasse 20 % [18]. En élevage laitier, l’étude montre une corrélation significative entre la taille du cheptel et la prévalence de la paratuberculose au niveau du troupeau (p = 0,001) [18]. Du côté de la prévalence intratroupeau, elle est inférieure à 1 % dans les troupeaux infectés de quelques États, mais généralement supérieure à 10 %, voire à 15 % dans un pays sur dix [18]. Toutefois, Whittington révèle que la prévalence est sous-estimée dans 60 % des 48 pays passés en revue, quelle que soit la zone géographique, pour diverses raisons : type de test utilisé, absence de surveillance, manque de connaissances ou de sensibilisation aux signes cliniques de la maladie, réticence à signaler des cas en raison des conséquences, etc. [18].
Outre ses répercussions sur la santé animale et l’économie des élevages de ruminants, Mycobacterium avium paratuberculosis pourrait avoir des conséquences sur la santé publique. En effet, l’excrétion de cette mycobactérie, via le lait ou les fèces, survient chez les animaux infectés, malades ou non. De plus, cette bactérie résiste à la pasteurisation. De nombreuses publications se sont penchées sur les implications présumées de la propagation de cette mycobactérie zoonotique à l’homme. Ainsi, cette dernière serait une cause supposée de la maladie de Crohn, mais aussi d’une liste de plus en plus longue de maladies humaines. Les pays historiquement isolés de l’importation ou de l’exportation de ruminants et indemnes de paratuberculose l’ont ensuite contractée à la suite de l’ouverture des échanges [4]. Dans ces régions du monde, la maladie de Crohn est devenue un indicateur retardé de l’infection à Mycobacterium avium paratuberculosis [4]. Bien que le lien entre cet agent pathogène et la maladie de Crohn ait longtemps été controversé, plusieurs études ont récemment montré qu’une thérapie antimycobactérienne ciblée contre M. avium paratuberculosis entraîne la résolution de la maladie de Crohn [1, 4, 11]. Aujourd’hui, l’agent de la paratuberculose serait également en cause dans de nombreuses maladies humaines, inflammatoires et auto-immunes [4]. Ainsi, la mycobactérie est associée à des maladies granulomateuses telles que la sarcoïdose et le syndrome de Blau [4]. De plus, elle est à l’origine de la production d’autoanticorps, en cause dans le diabète auto-immun de type I (DT1), la sclérose en plaques, la thyroïdite auto-immune, le lupus, la polyarthrite rhumatoïde et potentiellement le syndrome de Sjögren [2, 4, 7].
À l’échelle internationale, tous les pays ne sont pas dotés d’un programme de lutte, mais parmi eux, plus de la moitié font partie de l’Europe. La majorité de ceux qui ne disposent pas de programme de lutte contre la paratuberculose sont situés en Amérique du Sud et centrale, en Asie et en Afrique (19 pays sur 25) ; seuls cinq sont en Europe [18].
Dans ce cadre mondial, trois types de contrôle de la maladie existent chez les bovins : une stratégie d’hygiène et de gestion (la plus courante), une stratégie de test et d’abattage, et une stratégie de vaccination (peu mise en œuvre). Souvent, ces stratégies sont combinées, notamment les deux premières. La stratégie d’hygiène et de gestion comprend l’adaptation de l’hygiène des nouveau-nés ou des jeunes, l’amélioration de la biosécurité, la prévention de l’introduction d’infections dans le troupeau et la gestion de l’environnement [17].
Si la vaccination des ruminants contre la paratuberculose a montré son efficacité dans des études contrôlées pour réduire l’incidence clinique, retarder l’apparition de la maladie et réduire l’excrétion fécale, elle est pourtant peu employée, en raison du risque d’interférences avec les tests intradermiques pour la tuberculose bovine [3, 18]. Pour autant, en Australie, en Islande et en Espagne, la vaccination des ovins a constitué un élément clé du contrôle de cette affection [3, 18].
Dans l’Hexagone, la paratuberculose est une maladie à surveillance et à notification obligatoires. Des plans d’assainissement sont mis en place dès lors qu’un cas est confirmé en élevage. Ils reposent sur le dépistage sérologique des bovins de plus de 24 mois, avec une réforme des animaux positifs et de leur descendance. De plus, des actions relatives à la conduite d’élevage sont également mises en œuvre :
– mise à disposition d’un local de vêlage propre et paillé, séparation précoce du veau et de la mère en élevage laitier, amélioration de l’hygiène des bâtiments d’élevage mère-veau en élevage allaitant ;
– pas d’épandage de fumier sur les parcelles accueillant de jeunes bovins ;
– désinfection des bâtiments et du matériel ;
– contrôle des animaux à l’introduction via une analyse sérologique.
Récemment, en France, des indicateurs génomiques de résistance à la paratuberculose ont été mis en évidence dans la race holstein, grâce à la coopération entre les Groupements de défense sanitaire, des entreprises de génétique et de reproduction des ruminants, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et l’École nationale vétérinaire de Nantes (Oniris) [12]. Aujourd’hui, le génotypage de ces femelles permet de déterminer leur statut de résistance à cette maladie (résistant, standard, sensible et très sensible) (photo 2). Du côté des catalogues de taureaux issus de schémas de sélection (Gènes diffusion et Évolution), un pictogramme signalera leur caractère améliorateur en matière de résistance à la paratuberculose (RPTB). Ces nouvelles solutions prometteuses devraient bientôt être également disponibles pour la race normande.
Conflit d’intérêts : Aucun
La paratuberculose est une maladie insidieuse, qui sévit partout dans le monde. Son impact économique mondial important et ses conséquences potentielles en santé humaine, récemment mises en lumière, ont conduit à la mise en place de mesures de lutte. Aujourd’hui, des pistes génétiques pourraient permettre des progrès dans la maîtrise de cette maladie, surtout en élevage laitier.