ÉTAPE 7 : PRENDRE UNE DÉCISION OBSTÉTRICALE - Le Point Vétérinaire n° 435 du 01/11/2022
Le Point Vétérinaire n° 435 du 01/11/2022

La reproduction en 10 étapes

Auteur(s) : Sylvie Chastant*, Alisée Raynal**, Françoise Lemoine***

Fonctions :
*NeoCare
ENV de Toulouse
23 chemin des Capelles
31300 Toulouse
**AniRepro et CHV Atlantia
22 rue René Viviani
44200 Nantes

Face à une atonie utérine ou à une expulsion compliquée, le praticien doit savoir intervenir au bon moment et de façon adaptée, le tout sous la pression du propriétaire.

La mise bas constitue pour tout propriétaire, éleveur comme particulier, un moment d’inquié­tude extrême en raison du risque de mortinatalité d’un côté, et de la douleur et des efforts observés chez la femelle de l’autre. En plus d’être anxieux pendant la phase (de tentative) d’expulsion, le propriétaire l’est également pendant les jours précédents, dans la crainte de ne pas identifier à temps une femelle qui devrait mettre bas, mais qui souffre d’atonie utérine. Néanmoins, comme les fœtus des carnivores domestiques ne deviennent aptes à s’adapter à la vie aérienne que très tard au cours de la gestation, le praticien doit savoir attendre et intervenir au bon moment afin de limiter le plus possible les risques pour la mère et les fœtus.

FAIRE VENIR LA FEMELLE À LA CLINIQUE

Divers commémoratifs partagés par le propriétaire sont associés à une augmentation du risque de mortinatalité et justifient pleinement de déplacer la femelle afin d’évaluer le degré d’urgence pour elle et sa portée (encadré 1). Cependant, dans la mesure où la prévalence de la mortinatalité n’est pas nulle en dehors de ces situations, il est conseillé de faire venir tout propriétaire inquiet avec son animal, et les fœtus déjà nés le cas échéant.

Une fois la femelle arrivée à la clinique, par ordre d’urgence, le praticien s’intéressera à la mère, puis à un éventuel fœtus incarcéré, enfin aux fœtus présents in utero. En l’absence d’urgence, il doit déterminer si la femelle est effectivement à terme. Lors de la prise en charge d’une femelle présentée pour dystocie, les modalités de prise de décision sont identiques pour la chienne et pour la chatte, sauf lorsque la femelle ne montre pas de signe de parturition (figure 1).

ÉVALUER L’ÉTAT DE LA MÈRE

L’état de la femelle doit être rapidement évalué via plusieurs paramètres, notamment la fréquence respiratoire, la fréquence cardiaque et la couleur des muqueuses. En cas d’urgence vitale, elle est prise en charge avant les fœtus.

VÉRIFIER QU’AUCUN FŒTUS N’EST INCARCÉRÉ

L’observation de la vulve et le toucher vaginal (avec un doigt ganté, lubrifié avec un gel idéalement stérile en pochette monodose) permettent de constater l’éventuelle incarcération d’un fœtus dans la filière pelvienne (photo). Lorsqu’un fœtus se trouve en position intrapelvienne, des manœuvres obstétricales d’extraction peuvent être effectuées si sa tête ou son bassin sont accessibles. Cependant, la traction sur les membres du chiot ou du chaton est dangereuse en raison d’un risque de dislocation. La prise se fait donc à deux doigts derrière l’occiput ou au niveau des ailes de l’ilium. Si la vulve gêne l’expulsion, une épisiotomie peut être pratiquée. En cas d’échec après dix minutes, le fœtus est repoussé vers l’avant autant que possible et une césarienne est effectuée.

CONDUITE À TENIR EN CAS DE SOUFFRANCE FŒTALE

La souffrance fœtale est évaluée par une échographie transabdominale des cœurs fœtaux. La fréquence cardiaque est mesurée sur au moins trois fœtus, soit directement par l’échographe, soit par comptage manuel (par exemple avec l’application BPM Tap). Lorsque la fréquence cardiaque des fœtus accessibles est supérieure à 160 battements par minute (bpm), il est capital de s’assurer que la femelle est bien à terme. Ainsi, deux situations se présentent :

– si la femelle montre au moins un signe de mise bas en cours (expulsion de liquide ou d’un fœtus, contractions abdominales) ou imminente (concentration sanguine en progestérone inférieure à 2 ng/ml), la prise en charge peut être médicale ou chirurgicale. Le choix d’une gestion médicale nécessite de réunir de nombreux critères, tant médicaux qu’organisationnels (encadré 2 et figure 2). Réaliser une césarienne dans ces conditions de bonne santé fœtale reste la solution optimale en termes de survie des fœtus ;

– si aucun signe de mise bas n’est décelé et que la concentration sanguine en progestérone est supérieure à 2 ng/ml, la prise de décision est dictée par la possibilité pour une chatte de mettre bas en présence d’une concentration élevée de progestérone sanguine et par la nécessaire détection du syndrome du chiot unique chez la chienne (encadré 3). L’enjeu pour le praticien est surtout de ne pas effectuer une césarienne chez une femelle qui ne serait pas à terme.

Lorsque toutes les fréquences cardiaques sont nulles et que la femelle est en bon état général, elle peut mettre bas seule, éventuellement avec l’aide d’un traitement médical. Une césarienne peut être réalisée 24 heures plus tard si tous les fœtus ne sont pas expulsés. Il n’y a en tout cas plus d’urgence à pratiquer une extraction.

Enfin, lorsque la fréquence cardiaque est inférieure à 160 bpm, la mesure est renouvelée cinq minutes plus tard, car il est possible que la première mesure ait été réalisée trop rapidement ou pendant une contraction utérine : la chute de la fréquence cardiaque ne serait alors pas indicative de la souffrance fœtale. Lorsque la fréquence cardiaque d’au moins un fœtus est inférieure à 160 bpm, la césarienne doit être pratiquée dans l’heure qui suit. En dessous de 120 bpm, elle est à réaliser immédiatement.

IMPLIQUER LE PROPRIÉTAIRE DANS LA PRISE DE DÉCISION

La décision (prise en charge médicale, césarienne, ovariohystérectomie) est influencée par l’importance accordée par le propriétaire à la survie des nouveau-nés, par le prix qu’il est prêt à investir et/ou par son souhait d’une stérilisation simultanée de la femelle (encadré 4). Un document de consentement éclairé mentionnant les éléments de décision, les risques et les complications possibles, ainsi que le prix, doit être signé par le propriétaire. Dans le cas où un traitement médical est proposé, le document précise qu’en cas d’échec de l’option médicale, une intervention chirurgicale sera nécessaire et en indique également le coût. Si une décision de césarienne est prise avant que la mise bas ne soit commencée (expulsion d’au moins un fœtus par exemple), il convient d’effectuer un dosage de la progestérone sanguine et de conserver le tube de sérum/plasma prélevé au congélateur afin d’y avoir accès en cas de recours du propriétaire.

DÉCALER LA MISE BAS

Si la femelle n’est pas à terme, le défi est d’arriver à en convaincre le propriétaire. L’animal est alors renvoyé à la maison sous surveillance. La biométrie fœtale(1) permet de confirmer que la femelle est bien en fin de gestation (sans permettre de préciser la date exacte de la mise bas), puis un suivi de la fréquence cardiaque et de la progestéronémie est mis en place selon le degré de sécurité demandé par le propriétaire vis-à-vis du risque de mortinatalité, de sa disponibilité, et de l’investissement financier qu’il est prêt à consentir. L’induction de la mise bas par une injection d’aglépristone ou la programmation d’une césarienne(2) ne sont possibles que si la date d’ovulation est connue.

  • (1) Voir l’étape 6 : « Prendre en charge une gestation chez la chatte ».

  • (2) Voir l’étape 5 : « Prendre en charge une gestation chez la chienne ».

Pour en savoir plus

  • • Garcia Mitacek MC, Stornelli MC, Praderio RG et coll. Ultrasonographic and progesterone changes during days 21 to 63 of pregnancy in queens. Theriogenology. 2015;84 (7):1131-1141.
  • • Gendler A, Brourman JD, Graf KE. Canine dystocia: medical and surgical management. Compend. Contin. Educ. Vet. 2007;29 (9):551-562.
  • • Jackson PGG. Dystocia in dogs and cats. In: Handbook of Veterinary Obstetrics. Saunders. 2004;(Chap 9):141-166.
  • • Runcan EE, Coutinho da Silva MA. Whelping and dystocia: maximizing success of medical management. Top. Companion Anim. Med. 2018;33 (1):12-16.
  • • Siena G, Milani C. Usefulness of maternal and fetal parameAters for the prediction of parturition date in dogs. Animals (Basel). 2021;11 (3):878.
  • • Smith FO. Guide to emergency interception during parturition in the dog and cat. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2012;42 (3):489-499, vi.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Le dosage sanguin de la progestérone est le meilleur paramètre pour éviter qu’une césarienne ne soit réalisée trop précocement chez la chienne.

• Le dénombrement fœtal par la radiographie permet de diagnostiquer un syndrome du chiot unique et de déterminer si une prise en charge médicale de la mise bas est possible.

• L’art de l’obstétricien est de savoir attendre, tout en surveillant l’absence de souffrance fœtale.

• L’intervention chirurgicale (césarienne) n’est pas une solution de dernier recours : attendre de constater une souffrance fœtale pour décider de l’entreprendre expose à un fort risque de mortinatalité.

Encadré 1 : COMMÉMORATIFS INDIQUANT UNE PROBABLE DYSTOCIE

L’évaluation par un vétérinaire est conseillée dans les cas suivants :

– plus de 63 jours postovulation ou 72 jours postsaillie chez la chienne, plus de 70 jours postsaillie ou ovulation chez la chatte ;

– progestéronémie inférieure à 2 ng/ml depuis plus de 24 heures sans contractions ;

– chute de la température chez la mère depuis plus de 24 heures sans expulsion ;

– chute de la température chez la mère puis retour à la normale sans expulsion ;

– température de la mère au-delà de 39,5 °C ;

– anorexie et agitation de la mère pendant 24 heures ;

– douleur abdominale aiguë ;

– pertes hémorragiques à n’importe quel moment ;

– pertes verdâtres abondantes avant l’expulsion du premier fœtus ;

– pertes verdâtres (chienne) ou brun-rouge (chatte) non suivies d’expulsion dans l’heure ;

– poche rompue ou visible sans chiot/chaton expulsé dans l’heure ;

– délai depuis l’expulsion du dernier chiot supérieur à 2 heures (chez la chatte, ce délai est difficile à établir en raison des longues pauses dans le déroulement de la mise bas) ;

– plus de 30 minutes de contractions importantes sans expulsion d’un chiot, 5 minutes chez la chatte ;

– plus de 24 heures écoulées depuis l’expulsion du premier fœtus ;

– expulsion de fœtus mort-nés ;

– fœtus incarcéré.

Encadré 2 : LES GRANDS PRINCIPES DU TRAITEMENT MÉDICAL D’UNE DYSTOCIE

• Précautions médicales

– bon état général de la mère ;

– pas plus de trois fœtus in utero ;

– fréquence cardiaque des fœtus supérieure à 160 battements par minute ;

– aucun fœtus en présentation transverse ;

– au moins un fœtus déjà expulsé (seule garantie que le col soit assez ouvert et que la filière pelvienne ne présente pas d’obstacle).

• Environnement humain

– le propriétaire doit être prévenu que le traitement médical échoue dans un cas sur deux, rendant alors la césarienne indispensable avec un coût donc potentiellement supérieur (à spécifier dans le document de consentement éclairé) ;

– il doit aussi être prévenu des risques de mortinatalité plus élevés qu’avec une césarienne, les fœtus devant subir les contractions utérines et l’engagement dans la filière pelvienne (le risque de disproportion fœto-maternelle étant toujours présent). De plus, si une césarienne se révèle finalement nécessaire, elle sera réalisée chez une femelle fatiguée et avec des fœtus ayant subi plus de travail obstétrical ;

– la gestion médicale est chronophage, puisque si trois fœtus sont présents in utero, et que chacun nécessite trois injections d’ocytocine pour être expulsé, cela prend environ cinq heures. En outre, elle mobilise une partie de l’équipe vétérinaire. Si le traitement échoue et qu’une césarienne doit être réalisée, il convient de bien réfléchir à l’horaire auquel l’acte est susceptible d’avoir lieu et de s’assurer de la disponibilité de l’équipe (praticien et auxiliaire vétérinaire) à cette heure-là.

Encadré 3 : PRISE DE DÉCISION LORS D’UN SYNDROME DU CHIOT UNIQUE

Chez une chienne menant une gestation avec un seul chiot, voire deux chez les races de grand format, il est possible que ce nombre trop limité de fœtus ne permette pas le déclenchement de la mise bas, y compris la chute de la progestéronémie. La décision dépend alors de la connaissance ou non de la date de l’ovulation, donc du terme exact de la gestation. S’il est connu, il est possible de programmer une césarienne*.

S’il ne l’est pas, seul un suivi de fin de gestation permet de limiter le risque de mort fœtale : à l’apparition d’un des deux signes indicateurs de mise bas (progestéronémie inférieure à 2 ng/ml ou fréquence cardiaque du fœtus inférieure à 180 battements par minute), une césarienne peut être réalisée. C’est la seule circonstance dans laquelle une césarienne peut ou doit être pratiquée en présence d’une concentration de progestérone encore élevée.

* Voir l’étape 5.

Encadré 4 : CÉSARIENNE OU OVARIOHYSTÉRECTOMIE ?

Réaliser une ovariohystérectomie plutôt qu’une césarienne, dans un contexte de mise bas, accroît le risque de mortalité maternelle. En cas de dystocie et d’une demande de stérilisation de la femelle, il est conseillé de pratiquer une césarienne pour la gestion de la dystocie puis, deux à trois mois plus tard, de réaliser la stérilisation (ovariectomie) pour limiter le temps chirurgical et la douleur postopératoire.

CONCLUSION

L’obstétrique est parfois qualifiée “d’art de savoir attendre”. La pression du propriétaire qui souhaite à tout prix qu’une césarienne soit réalisée pour en finir avec l’angoisse de l’attente ne doit pas inciter le praticien à pratiquer cet acte trop précocement, en ne laissant aucune chance de survie aux fœtus. Inversement, trop attendre au cours d’une mise bas enclenchée conduit à intervenir chirurgicalement avec des fœtus en souffrance et par conséquent avec un pronostic de survie plus réservé. La mise en place d’un suivi des chaleurs et d’un contrôle de la gestation constitue la meilleure arme pour la prévention des dystocies et, le cas échéant, la prise en charge d’une mise bas compliquée.

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