BÉNÉFICES/RISQUES DE LA CICLOSPORINE LORS DE PRURIT ALLERGIQUE CHEZ LE CHAT - Le Point Vétérinaire n° 435 du 01/11/2022
Le Point Vétérinaire n° 435 du 01/11/2022

DERMATOLOGIE

Thérapeutique

Auteur(s) : Emmanuel Bensignor*, Yassine Mallem**

Fonctions :
*Service de dermatologie d’Oniris, unité DPM
**Unité de pharmacologie et toxicologie d’Oniris
101 route de Gachet
44300 Nantes

La ciclosporine est un médicament à l’action lente qui n’est pas indiqué pour traiter le prurit aigu qui accompagne une dermatite atopique, mais se révèle utile à long terme lors de différentes formes d’allergie cutanée.

La ciclosporine dispose depuis 2011 d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement des dermatites allergiques du chat. Cette molécule présente des avantages par rapport aux corticoïdes, mais possède aussi quelques inconvénients à connaître.

UN MODE D’ACTION SÉLECTIF MAIS UNE PHARMACOCINÉTIQUE VARIABLE

La ciclosporine est un inhibiteur partiel de la calcineurine qui bloque sélectivement l’activation lymphocytaire et la synthèse de cytokines, notamment l’inter­leukine 2 [1]. Elle a également un effet sur d’autres cellules impliquées dans la réaction allergique, principalement les mastocytes, les granulocytes éosinophiles, les cellules de Langerhans et les kératinocytes [1]. Chez le chat, elle est utilisée par voie orale, à la dose de 7 mg/kg par jour, sous une forme buvable (formulation en sirop). Son pic d’absorption est rapide (une à deux heures après l’ingestion), mais sa biodisponibilité est relativement faible (moins de 30 %) et variable [1]. Elle est métabolisée par le cytochrome P450 dans le foie et l’intestin grêle, et éliminée principalement par voie fécale, ce qui explique sa faible toxicité rénale chez les carnivores domestiques [1].

UNE BALANCE BÉNÉFICES/RISQUES GLOBALEMENT TRÈS FAVORABLE

Indications

L’AMM mentionne l’efficacité de la ciclosporine pour traiter « les dermatites allergiques du chat », qui est bien établie dans des études de qualité (photo). Comme son action est lente, plusieurs semaines sont nécessaires avant de pouvoir juger de l’efficacité du traitement. Cette molécule n’est donc en aucun cas indiquée pour traiter une poussée de dermatite allergique ou un prurit aigu. Elle est en revanche adaptée pour prendre en charge, sur le long cours, différentes formes d’allergie cutanée. Plusieurs publications contrôlées de bonne qualité ont démontré son efficacité lors de prurit cervico-facial, d’alopécie auto-induite, de lésions du complexe gra­nulome éosinophilique et de dermatite miliaire notamment [4]. Dans ces études, la ciclosporine est rapportée comme efficace dans 40 à 100 % des cas. Elle semble aussi intéressante que la corticothérapie orale avec la prednisolone, d’après une étude menée en double aveugle [8].

Un aspect intéressant de la ciclosporine est la possibilité fréquemment utilisée de diminuer les doses avec le temps : après la disparition des signes cliniques, une administration en jours alternés, puis éventuellement deux fois par semaine (voire moins), est possible dans la majorité des cas (63 % dans une étude et 57 % dans une autre) [6, 7].

Effets indésirables

En général, l’administration de ciclosporine est bien supportée et les effets secondaires rapportés sont peu nombreux, notamment par comparaison avec la corticothérapie orale ou injectable classiquement employée lors de prurit félin. Les risques liés au recours à ce traitement découlent de sa formulation galénique et de sa nécessaire administration au long cours (contraintes d’observance majeures pour le propriétaire). Des effets indésirables digestifs sont également à prendre en compte, bien qu’ils soient relativement peu fréquents : une salivation excessive, des vomissements ou des régurgitations et une diarrhée surviennent dans environ un quart des cas traités [2].

Au contraire de l’humain, la ciclosporine ne présente pas de toxicité rénale particulière chez l’animal, la sécrétion de ciclosporine A se faisant par voie extratubulaire. L’absence d’infections urinaires lors des traitements, même longs, est à noter [3]. En revanche, une anorexie, une léthargie, une perte de poids et parfois une lymphopénie sont régulièrement rapportées. Plusieurs cas d’hyperplasie gingivale ont été observés, alors que cet effet indésirable n’est pas mentionné dans le résumé des caractéristiques du produit chez le chat. Toutefois, cet effet secondaire semble moins courant que chez le chien.

Précautions d’emploi

Cette molécule immunomodulatrice peut favoriser l’apparition d’infections systémiques et certaines précautions d’emploi s’imposent. Bien qu’exceptionnelle, une toxoplasmonose fatale est possible, et justifie de réaliser une analyse sérologique préalable à son utilisation ; si elle est positive et lorsque le chat est à risque, le recours à cette molécule doit être évité. La cryptococcose, les infections bactériennes et les rétroviroses justifient également d’être spécifiquement recherchées en cas de suspicion avant d’avoir recours à la ciclosporine [1, 4].

Par ailleurs, une kératite bulleuse aiguë a été associée à la prise de ciclosporine chez des chats, bien que l’incidence soit extrêmement faible (12 cas sur une population de 70 167 chats) [5].

Étant donné que la ciclosporine est un substrat et un inhibiteur de transport du gène MDR1, son administration conjointe avec des médicaments substrats de la glycoprotéine P (par exemple l’itraconazole) peut potentialiser leur toxicité.

Références

  • 1. Colombo S, Sartori E. Ciclosporine and the cat: current understanding and review of clinical use. J. Feline Med. Surg. 2018;20 (3):244-255.
  • 2. Heinrich NA, McKeever PJ, Eisenschenk MC. Adverse events in 50 cats with allergic dermatitis receiving ciclosporin. Vet. Dermatol. 2011;22 (6):511-520.
  • 3. Lockwood SL, Schick AE, Lewis TP et coll. Investigation of subclinical bacteriuria in cats with dermatological disease receiving long-term glucocorticoids and/or ciclosporin. Vet. Dermatol. 2018;29 (1):25-e12
  • 4. Mueller RS, Nuttall TJ, Prost C et coll. Treatment of the feline atopic syndrome: a systematic review. Vet. Dermatol. 2021;32 (1):43-e8.
  • 5. Pierce KE Jr, Wilkie DA, Gemensky-Metzler AJ et coll. An association between systemic cyclosporine administration and development of acute bullous keratopathy in cats. Vet. Ophthalmol. 2016;19 (Suppl 1):77-85.
  • 6. Roberts ES, Speranza C, Friberg C et coll. Confirmatory field study for the evaluation of ciclosporin at a target dose of 7.0 mg/kg (3.2 mg/lb) in the control of feline hypersensitivity dermatitis. J. Feline Med. Surg. 2016;18 (11):889-897.
  • 7. Steffan J, Roberts E, Cannon A et coll. Dose tapering for ciclosporin in cats with nonflea-induced hypersensitivity dermatitis. Vet. Dermatol. 2013;24 (3):315-322.
  • 8. Wisselink MA, Willemse T. The efficacy of cyclosporine A in cats with presumed atopic dermatitis: a double blind, randomised prednisolone-controlled study. Vet. J. 2009;180 (1):55-59.

Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

La ciclosporine peut être utilisée comme traitement de première intention du prurit chronique d’origine allergique chez le chat, à la dose quotidienne de 7 mg/kg par voie orale. Cette posologie est maintenue jusqu’à l’amélioration et la guérison clinique, puis progressivement diminuée. Dans plus de la moitié des cas, la dose pourra à terme être réduite à deux prises par semaine. Les propriétaires doivent être prévenus de la potentielle survenue de troubles digestifs et d’un amaigrissement. Une sérologie toxoplasmose peut être recommandée avant de débuter le traitement chez les chats chasseurs ayant accès à l’extérieur.

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