GASTRO-ENTÉROLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Pauline Beaulaton*, Tarek Bouzouraa**
Fonctions :
*(CEAV de médecine interne)
Clinique de la Brévenne
481 Les Cordes
69210 Saint-Bel
**(dipEcvim-CA)
Vetalpha
1305 route de Lozanne
69380 Dommartin
Unité de médecine interne des animaux
de compagnie, VetAgro Sup
1 avenue Bourgelat
69280 Marcy l’Étoile
Lors d’œsophagite et de mégaœsophage, des traitements hygiéniques et médicaux doivent être mis en place, tandis que les corps étrangers et les sténoses requièrent une procédure interventionnelle.
Les régurgitations ont le plus souvent une origine œsophagienne. Des atteintes pharyngées et orales peuvent y être associées, voire évoluer isolément(1). Les lésions oropharyngées sont généralement écartées lors de l’examen clinique, après une inspection minutieuse de la cavité buccale. Les atteintes fonctionnelles oropharyngées sont fréquemment combinées à des déficits d’autres nerfs crâniens.
Lorsqu’une atteinte de l’œsophage est confirmée, le praticien doit envisager une prise en charge thérapeutique spécifique si une cause est identifiée, ou générale (palliative) quand aucun traitement ne permet d’en corriger la cause ou que celle-ci est indéterminée.
Seules les dominantes pathologiques de l’œsophage (œsophagite, mégaœsophage, corps étrangers œsophagiens et complications comme les sténoses œsophagiennes) sont présentées dans cet article, qui n’aborde pas certaines entités plus rares (anomalie vasculaire, néoplasie, granulome à Spirocerca lupi).
Le mégaœsophage est anecdotique chez le chat, une espèce chez laquelle l’étiologie n’est pas clairement décrite dans la littérature. Cette affection survient quasi exclusivement chez le chien.
L’œsophagite est généralement consécutive à des brûlures dues à un reflux gastro-œsophagien ou à des vomissements. Une anesthésie générale est aussi une cause non négligeable d’œsophagite par reflux. Le contenu gastrique, riche en ions chlorure, en protons et en enzymes gastriques (pepsine et lipase), provoque une irritation et une érosion de la muqueuse œsophagienne à son passage [8]. Les vomissements sont soit d’origine digestive (gastrite aiguë ou chronique, cause toxique/iatrogénique, obstruction), soit d’origine extradigestive (azotémie, hypocorticisme, pancréatite, affection hépatobiliaire, pyomètre(1)) [8]. Dans certains cas, l’anamnèse (régurgitation, anorexie, prostration, vomissements chroniques) et le contexte épidémioclinique (notamment race brachycéphale) suggèrent fortement une œsophagite. En l’absence de critère d’urgence, il est possible d’initier une prise en charge thérapeutique avant même de confirmer l’hypothèse à l’endoscopie [8]. À l’inverse, en cas d’atteinte présumée grave et/ou urgente, l’œsophago-gastroscopie est rapidement indiquée, dès lors que l’animal est stabilisé. Plusieurs atteintes urgentes motivent cet examen, comme la suspicion d’un corps étranger, d’une sténose acquise, d’irritations à la suite de l’ingestion d’un agent caustique. Lorsqu’une œsophagite est diagnostiquée à l’endoscopie, la cause du reflux acide doit être identifiée et traitée [8].
La prise en charge d’une œsophagite combine le traitement de la cause du reflux acide ou des vomissements et le traitement médical symptomatique. Ce dernier associe l’emploi synergique d’un agent couvrant la muqueuse, d’un gastrokinétique et d’antiacides. Les pansements digestifs sont employés pour couvrir les zones ulcérées (phosphate ou oxyde d’aluminium, alginate de sodium et sucralfate). Les molécules prokinétiques (métoclopramide et dompéridone essentiellement) favorisent la vidange gastrique, réduisant ainsi son contenu et le risque de reflux et de vomissements. Elles agissent également en renforçant le tonus et l’herméticité du sphincter œsophagien inférieur. Les antisécrétoires (oméprazole, pantoprazole) permettent d’augmenter le pH gastrique et de réduire ses effets ulcératifs en cas de reflux (tableau) [8]. À cette prise en charge médicale symptomatique s’ajoute la mise en place de mesures hygiéniques, communes à toutes les situations entraînant des régurgitations.
Les mesures diététiques visent à garantir une meilleure prise alimentaire, à réduire le risque de pneumonie par aspiration et à couvrir au maximum les besoins caloriques. Elles consistent à proposer un aliment hyperdigestible en prises fractionnées et dans une gamelle en hauteur, afin de profiter de la gravité qui favorise la chute (donc la progression) du bol alimentaire dans l’œsophage vers l’estomac (photo 1) [8]. Les propriétaires peuvent tester plusieurs consistances, allant d’un aliment solide à une pâtée en passant par des croquettes humidifiées. Cependant, aucune donnée n’est actuellement disponible quant à la consistance idéale à proposer [7, 8].
À la suite du diagnostic radiographique de mégaœsophage, un traitement spécifique est envisagé (si la cause est identifiée), ainsi qu’une prise en charge générale d’accompagnement.
En raison de la composition de la couche musculaire œsophagienne (muscles lisses uniquement), les agents prokinétiques ne fonctionnent pas lors de mégaœsophage chez le chien. Deux études démontrent que l’emploi de sildénafil chez des chiens atteints de mégaœsophage réduit significativement le nombre de régurgitations, le diamètre œsophagien à la radiographie, et est associé à une meilleure prise de poids [13, 16]. Le mécanisme impliquerait la potentialisation de l’action de l’acide nitrique, principal neuromédiateur sécrété par les neurones du plexus myentérique, qui possède une action myorelaxante sur la musculature lisse via la synthèse du second messager, la guanosine monophosphate cyclique (GMPc). Le sildénafil, en tant qu’inhibiteur sélectif de la phosphodiestérase de type 5, réduit la dégradation de la GMPc et favorise la myorelaxation du sphincter œsophagien inférieur, ce qui permettrait d’améliorer le péristaltisme.
Les mesures diététiques sont identiques à celles mises en place lors d’œsophagite, avec les mêmes objectifs. Il est également recommandé de placer le chien à la verticale pendant le repas et au cours des quinze minutes qui suivent chaque repas, en utilisant un dispositif spécifique (Bailey chair) qui peut être commandé sur Internet ou fabriqué par les propriétaires.
Si le mégaœsophage est associé à une myasthénie, la prise en charge peut inclure l’emploi d’un agent parasympathomimétique inhibiteur des cholestérases tel que la pyridostigmine (Mestinon®(2)), à la dose de 0,5 à 3 mg/kg toutes les huit à douze heures par voie orale (mais aussi directement par voie intraveineuse lors d’une hospitalisation dans le cadre d’une épreuve thérapeutique immédiate avec une surveillance des effets indésirables cardio-vasculaires). Ce recours à la pyridostigmine peut être associé à une éventuelle corticothérapie immunosuppressive (prednisolone à la dose de 1 à 2 mg/kg par vingt-quatre heures per os) [7, 8]. Son principal objectif est d’inhiber l’effet biologique des anticorps dirigés contre les récepteurs à l’acétylcholine durant la maladie. L’administration de pyridostigmine exige en outre plusieurs précautions, puisqu’il s’agit d’un agent parasympathomimétique susceptible de provoquer une crise cholinergique s’il est administré à forte dose par voie intraveineuse (diarrhée, vomissements, ptyalisme, dyspnée, myoclonies, mais surtout syncopes vagales induites par une bradycardie réflexe marquée et potentiellement fatale) [7, 8].
La corticothérapie immunosuppressive est utilisée en raison de la pathogénie de l’affection (dysimmunitaire) lors de formes acquises. Cependant, l’emploi de corticoïdes peut entraîner une polydipsie et une polyphagie susceptibles de majorer le risque de fausse déglutition si l’œsophage et son sphincter supérieur présentent déjà un dysfonctionnement [7, 8]. Par ailleurs, la corticothérapie réduit les défenses immunitaires et le tonus musculaire (à terme), ce qui peut favoriser la survenue d’une bronchopneumonie par aspiration et contribuer ainsi à aggraver l’état de faiblesse neuromusculaire qui accompagne parfois un mégaœesophage consécutif à une myasténie. Pour cette raison, l’usage d’autres immunomodulateurs est rapporté (azathioprine, ciclosporine, mycophénolate mofétil). Le traitement immunomodulateur n’est mis en place qu’après la confirmation du diagnostic (dosage des anticorps anti-récepteurs à l’acétylcholine). Ainsi, puisque la myasthénie peut se présenter sous la forme d’une maladie autorésolutive, la prescription de chacune de ces molécules doit faire l’objet d’une prise en considération spécifique de l’état de l’animal (forme focale, générale ou fulminante) et de la phase évolutive constatée [7, 8, 14, 17].
La bronchopneumonie par fausse déglutition constitue le principal risque lors d’atteinte œsophagienne. Initialement, la brûlure des parois bronchiques, induite par le contenu acide régurgité, génère une inflammation et une douleur. En l’absence d’antibiothérapie, une surinfection opportuniste, le plus souvent bactérienne, entraîne un syndrome inflammatoire et une fièvre, une dyspnée, voire une détresse respiratoire qui peut se révéler fatale sans prise en charge. La dégradation de l’état général avec un syndrome fébrile ou la survenue d’une dyspnée doivent conduire à suspecter une bronchopneumonie. Des radiographies thoraciques sont alors rapidement réalisées et une antibiothérapie empirique est mise en place (amoxicilline-clavulanate à la dose de 15 mg/kg toutes les douze heures per os) [7, 8].
Une étude chez le chien rapporte qu’environ 80 % des corps étrangers œsophagiens sont osseux [4]. D’autres objets sont également rencontrés (jouets à mastiquer ou autres éléments non comestibles). Les données de la littérature décrivent une surreprésentation du west highland white terrier [3, 6, 9]. Chez le chat, les corps étrangers sont plus souvent non obstructifs (aiguilles, hameçon, fil, trichobézoars) [7]. Dans la majorité des cas, le retrait perendoscopique d’un corps étranger œsophagien est possible (photo 2). Le taux de réussite de la procédure est proche de 90 % [3, 4, 9]. Le praticien peut employer des pinces rigides de cœlioscopie pour retirer les corps étrangers osseux volumineux (photo 3). Lorsque le retrait est impossible, il convient de repousser le corps étranger dans l’estomac pour une éventuelle gastrotomie. Cependant, les corps étrangers osseux repoussés dans le compartiment gastrique sont le plus souvent dissous spontanément par l’acidité gastrique.
Les corps étrangers contendants, tels que les aiguilles, sont les plus vulnérants. Leur retrait perendoscopique est indispensable lorsqu’il est possible. En cas de progression dans le tube digestif, une attitude expectative, avec une surveillance hospitalière et radiographie, est alors recommandée [15].
La durée de l’obstruction et le temps écoulé entre l’ingestion d’un corps étranger et sa prise en charge sont les principaux paramètres qui conditionnent le pronostic. En effet, selon une étude, la présence d’une obstruction œsophagienne depuis plus de trois jours constitue un critère pronostique péjoratif [9]. La nature du corps étranger a également un impact : les os, plus vulnérants, sont ainsi associés à un pronostic sombre. Dans une autre publication, les os à mâcher sont apparus comme les plus difficiles à déloger et ont entraîné une obstruction plus complexe à prendre en charge, avec un taux d’échec plus élevé [11, 12].
Lorsque le retrait perendoscopique est impossible, ou en cas de traumatisme de la muqueuse œsophagienne nécessitant une procédure d’urgence, l’équipe chirurgicale doit être prête à intervenir. D’après une étude ancienne, la conversion en œsophagotomie s’impose dans environ 20 % des cas, avec un taux de mortalité de 25 % [11, 12]. Une étude rétrospective plus récente rapporte un taux de succès de 100 % (15 cas sur 15) pour l’acte chirurgical, tandis que le retrait perendoscopique n’était possible que dans 75 % des cas (24 sur 32) [6].
De manière générale, la conversion de l’acte endoscopique en une prise en charge chirurgicale est envisagée quand le corps étranger n’a pu être retiré en 45 à 60 minutes, ou en cas de suspicion d’une perforation œsophagienne.
Le taux de complications lors du retrait perendoscopique d’un corps étranger œsophagien varie de 5 à 15 %. Ces complications incluent la sténose et la rupture œsophagiennes, ainsi que la formation de diverticules ou de fistules œsophagiennes. Le risque de mortalité, qui oscille entre 2 et 5 %, augmente avec une prise en charge chirurgicale [4]. Le recours à l’œsophagotomie entraînerait un risque accru de sténose postopératoire, estimé autour de 25 % [9, 11, 12]. Cependant, selon des données récentes, le taux de complications serait similaire entre le retrait perendoscopique et par œsophagotomie [6]. Il est probable que les données actuelles soutiennent les conclusions de cette étude, puisque les équipes spécialisées pratiquent plus fréquemment cette intervention, en anticipant et en maîtrisant mieux les risques associés.
Après le retrait du corps étranger, un contrôle endoscopique de l’aspect de la muqueuse œsophagienne est indispensable, afin d’évaluer l’importance des lésions induites (photo 4). Une radiographie thoracique est également recommandée, afin de dépister un éventuel pneumomédiastin consécutif à une perforation œsophagienne non décelée durant la procédure. Le plus souvent, une surveillance rapprochée et le dépistage de toute dégradation du statut respiratoire permettent d’éviter le recours à la thoracotomie pour suturer une brèche œsophagienne iatrogène [19]. Si le praticien détecte une ulcération marquée et des plages de nécrose très étendues, il peut envisager la pose d’une sonde de gastrostomie par un abord perendoscopique [2, 20].
Les soins généraux à effectuer immédiatement après le retrait du corps étranger associent l’administration d’un agent couvrant (sucralfate, toutes les douze heures per os), d’un antiacide (oméprazole à la dose de 2 mg/kg par vingt-quatre heures per os) et d’un gastrokinétique (métoclopramide à raison de 0,5 mg/kg toutes les douze heures per os) à une reprise progressive de l’alimentaire humide, voire d’une antibiothérapie probabiliste (amoxicilline-clavulanate à la dose de 15 mg/kg toutes les douze heures per os) afin de prévenir une éventuelle surinfection locale et le risque de pneumonie par aspiration. Une corticothérapie anti-inflammatoire (par exemple à base de prednisolone, à la dose de 0,2 mg/kg toutes les vingt-quatre heures per os) peut être envisagée si une sténose œsophagienne est redoutée.
Les sténoses de l’œsophage correspondent à une réduction de la lumière de l’œsophage par du tissu fibreux (photo 5). Ce tissu se forme le plus souvent à la suite d’une œsophagite (notamment postanesthésique) et du retrait perendoscopique complexe d’un corps étranger œsophagien. Cette complication apparaît en général sous un délai d’une à trois semaines.
Il existe également d’autres causes de sténose. Les reflux gastro-œsophagiens, notamment liés à une anesthésie, sont ainsi fréquemment mis en cause [1, 11, 12, 21]. Les vomissements, quant à eux, sont évoqués comme des causes plus rares de sténose [1, 11, 12, 21]. Enfin, des causes iatrogéniques sont rapportées (doxycycline et clindamycine chez le chat, ingestion d’un agent caustique) [1, 11, 12, 21].
Les néoplasies, les granulomes inflammatoires (à Spirocerca lupi notamment), tout comme les anomalies vasculaires (persistance du quatrième arc aortique droit) sont des causes d’obstruction intraluminale de l’œsophage dont la pathogénie diffère de celle des sténoses inflammatoires. La prise en charge de ce type de sténoses nécessite une dilatation, voire une injection intramuqueuse de triamcinolone (corticoïde) à la dose de 10 mg par site d’injection (en général les injections sont effectuées sur quatre quadrants).
Deux systèmes de dilatation sont documentés en médecine vétérinaire : le bougienage à l’aide d’un dispositif de Savary-Gilliard ou la dilatation par ballonnet gonflable. Cette dernière est renouvelée trois à cinq fois, tous les trois à cinq jours, selon le choix du praticien, car aucun protocole précis n’est établi. Entre chaque procédure de dilatation, un traitement de l’œsophagite et une corticothérapie anti-inflammatoire sont recommandés. Parfois, une sonde alimentaire de gastrostomie est également mise en place. Le protocole de dilatation permet une reprise alimentaire immédiate dans environ 90 % des cas, bien que le diamètre final puisse ne pas être rétabli en totalité [9, 10]. Dans les rares cas où la réalimentation n’est pas possible, la sténose nécessite une prise en charge chirurgicale.
D’autres solutions alternatives innovantes ont récemment été étudiées, telles que le placement “à demeure” d’une sonde d’œsophagostomie équipée d’un ballonnet dilaté, permettant le maintien d’un diamètre optimal de la lumière œsophagienne [18]. Le placement de prothèses endoluminales est aussi rapporté avec des résultats prometteurs [5, 10].
(1) Voir l’article « Étiologie et démarche diagnostique lors de régurgitations chez le chien et le chat » dans ce dossier.
(2) Médicament à usage humain.
Conflit d’intérêts : Aucun
Les causes les plus fréquentes de régurgitations incluent l’œsophagite, le mégaœsophage et les corps étrangers. Le traitement d’une œsophagite nécessite la prise en charge de sa cause (reflux acide dû à une gastropathie), tandis que les corps étrangers et les sténoses requièrent une procédure interventionnelle (retrait et dilatation respectivement). Lors de mégaœsophage, des mesures hygiéniques s’imposent généralement. Plus rarement, sa cause peut faire l’objet d’une prise en charge spécifique, permettant ainsi sa résolution.