REPRODUCTION CANINE
Article de synthèse
Auteur(s) : Pr Sylvie Chastant*, Lisa Resplendino**
Fonctions :
*NeoCare
ENV de Toulouse
23 chemin des Capelles
31300 Toulouse
**Vétérinaires 2 Toute Urgence Lyon
7 rue Jean Zay
69800 Saint-Priest
À l’heure de la remise en cause (à tort ou à raison) de l’ovariectomie de convenance chez la chienne, une solution alternative déjà utilisée expérimentalement mérite d’être explorée, même si le peu de données disponibles incite à la prudence.
Dans l’espèce canine, le contrôle de la reproduction chez la femelle fait appel à des méthodes médicales ou chirurgicales qui présentent toutes deux des désavantages. Les options chirurgicales sont définitives, tandis que les solutions médicales (progestagènes et desloréline), réversibles, présentent des inconvénients liés à leurs effets indésirables, leur prix et/ou leur mode d’administration. Or, en plus d’une certaine demande pour la stérilisation temporaire, les réticences envers les méthodes chirurgicales vont croissant, ces dernières étant considérées par certains comme une atteinte au bien-être et à l’intégrité physique de l’animal. Les récentes données concernant l’impact de l’ovariectomie sur la santé de la chienne viennent encore accentuer cette tendance [3]. Dans ce contexte, les solutions mécaniques comme les dispositifs intra-utérins (DIU) ou stérilets, très utilisés en médecine humaine, représenteraient une option élégante à envisager. Cet article présente les DIU mis au point et testés chez la chienne, ainsi que les résultats obtenus en termes de contraception et d’effet sur la cyclicité, de fiabilité et d’innocuité.
Les DIU mis au point chez la chienne consistent en deux branches longues, destinées à occuper la lumière des deux cornes utérines, et qui sont solidarisées à leur base (formant un V) ou reliées à une partie commune destinée à être placée dans le corps utérin (dispositif en Y) (figure 1). Le matériau est soit une spirale en acier inoxydable, galvanisée par une couche de métal (argent, cuivre ou or), soit une structure en polyéthylène recouverte de cuivre à l’extrémité des grandes branches et autour du corps. Il ne s’agit donc pas, comme pour certains dispositifs gynécologiques, de systèmes imprégnés de progestagènes. L’effet contraceptif de ces dispositifs mécaniques non hormonaux serait lié à une inhibition de la fécondation et de l’implantation, grâce au développement d’une endométrite aseptique. De plus, les ions métalliques (cuivre et argent) qui sont déposés sur les branches sont réputés pour exercer une action électrochimique spermicide [6]. Le diamètre de chaque branche est de l’ordre de 1 mm. Pour faciliter le maintien du dispositif dans l’utérus et limiter son expulsion, les extrémités craniales des branches sont en forme de boule ou de demi-flèche, ou alors deux petites branches sont ajoutées à la base de la partie commune. Un fil de nylon relié à la base permet le retrait du DIU.
Certains dispositifs ont été déclinés en plusieurs tailles pour s’adapter au gabarit des chiennes. Mais selon les systèmes, la longueur pour une femelle de petit format varie de 2 à 6 cm et entre 3 et 12 cm pour celles de grande taille. Un dispositif a été conçu avec deux branches très longues (25 cm) destinées à être coupées selon la taille de la chienne. Pour sa mise en place, le DIU est inséré dans un cylindre, avec les deux branches réunies. L’ensemble est présenté en pochette individuelle stérile. Il existe à la fois des brevets déposés et des demandes de brevet [2, 5, 12]. Deux DIU canins ont atteint le stade de la commercialisation : Dogspiral® en Europe (produit mis en point en Bosnie-Herzégovine) et DIUC® (dispositivo intrauterino canino) en Argentine [4, 5, 8, 12].
L’accès au col utérin est rendu difficile par la disposition particulière du col de l’utérus (avec l’ostium externe du col orienté obliquement du haut vers le bas), l’existence d’un profond récessus ventral, d’un vagin très long, et la présence de plis sur la muqueuse en période de chaleurs [11]. Néanmoins, l’insertion de DIU est décrite par voie basse, sous une sédation moyenne, parfois accompagnée d’une anesthésie générale [7, 13]. L’insertion de dispositifs par laparotomie, également rapportée, ne présente qu’un intérêt limité en pratique [11].
L’insertion a lieu de préférence pendant les phases de proœstrus et d’œstrus, en raison de l’ouverture du canal cervical durant ces périodes. Chez une chienne sédatée et placée en décubitus ventral ou dorsal, la région vulvaire est désinfectée à l’aide de compresses imprégnées avec une solution antiseptique et la cavité vaginale par lavage [5]. Toutes les descriptions publiées et les vidéos existantes indiquent qu’un spéculum doit être introduit pour pouvoir visualiser le col utérin. Or seule l’endoscopie permet la visualisation de l’ostium externe, ce qui jette un doute sur la faisabilité pratique réelle de ce protocole. Volpe et ses collaborateurs décrivent l’utilisation d’un vaginoscope de 18 cm de long, d’une source lumineuse issue d’une fibre optique et d’un dilatateur de col (tige métallique portant une sorte d’ogive à son extrémité) [13]. Plusieurs auteurs suggèrent d’appliquer un gel de lidocaïne sur le col pour faciliter la dilatation du canal cervical [4, 7]. Néanmoins, la molécule ne provoque pas intrinsèquement l’ouverture du canal cervical, son action pourrait plutôt contribuer à diminuer les contractions réflexes liées aux contacts répétés avec l’applicateur lors des tentatives de passage.
Le dispositif est inséré dans un tube applicateur (diamètre extérieur de 3 mm pour celui du DIUC®), équipé d’un piston, les deux branches rassemblées l’une contre l’autre (photo) [12]. L’applicateur est doucement inséré dans le vagin, puis à travers le col (figure 2A). Dès la perception d’une légère résistance, lorsque le système atteint la jonction entre les cornes et le corps utérin, le piston est poussé (figure 2B). L’applicateur est ensuite extrait, le fil de retrait est coupé au plus court pour éviter la possibilité pour la femelle (ou le mâle) de le tirer avec les dents (figure 2C) [4, 7, 13]. L’insertion, décrite comme assez rapide, dure entre dix et vingt minutes. La bonne position du dispositif peut être contrôlée par échographie, le DIU apparaissant alors hyperéchogène.
Le retrait semble être un acte simple et rapide : il est effectué sans sédation par une simple traction sur les fils vaginaux, repérés après la mise en place d’un spéculum. Il n’y a aucune donnée chez la chienne quant à la durée au bout de laquelle le renouvellement du DIU devient nécessaire (essentiellement en raison de la perte d’activité électrolytique des ions métalliques). Par analogie avec les pratiques humaines, un délai de dix ans est avancé, mais d’autres concepteurs limitent sa durée de vie à deux ans [4, 13].
Les performances d’un DIU s’évaluent via le taux de perte du dispositif, le taux de gestation, la durée de la contraception et la réversibilité (fertilité après le retrait). Les conclusions qui peuvent être tirées des études d’efficacité et d’innocuité des DIU canins doivent être considérées avec précaution dans la mesure où elles sont peu nombreuses, qu’elles ont été réalisées le plus souvent par leurs créateurs et qu’elles incluent un nombre très limité de chiennes (tableau). Néanmoins, d’après ces travaux, les taux de rétention déclarés sont excellents, de même que ceux de non-gestation. Les deux études qui ont évalué la fertilité après le retrait indiquent également de très bons résultats. La cyclicité n’est pas modifiée par l’insertion d’un DIU.
Comme pour tout dispositif médical, il existe des contre-indications. Certaines sont objectivées, d’autres restent à confirmer ou à préciser, telles que la mise en place d’un DIU chez des femelles gestantes, chez des chiennes de moins d’un an (l’insertion étant décrite comme difficile) ou chez celles qui présentent une affection sexuellement transmissible, car comme les chaleurs perdurent, les saillies restent possibles. Les auteurs ne précisent pas s’ils réalisent un examen échographique de l’utérus en préalable à la mise en place du DIU, afin d’exclure la présence d’une affection utérine, notamment une hyperplasie glandulo-kystique, voire un pyomètre. Il est possible de s’interroger sur la pertinence d’un prélèvement intra- utérin afin de vérifier l’absence d’inflammation endométriale. En médecine humaine, l’allergie au cuivre existe et provoque une inflammation utérine, associée à des douleurs pelviennes diffuses et des saignements génitaux anormaux (en dehors des règles), mais son existence et sa prévalence sont inconnues en médecine vétérinaire et doivent être explorées avant d’envisager une utilisation courante.
Il est important de rappeler que l’insertion d’un DIU n’interrompt pas le cycle sexuel physiologique, ce n’est d’ailleurs pas son objectif. En conséquence, ce mode de contraception ne supprime pas les comportements de chaleurs que les propriétaires peuvent trouver gênants, les écoulements vulvaires sanguins, l’attirance des mâles ou la saillie. L’ovulation, la formation et l’activité des corps jaunes ne seraient pas perturbées. Selon une étude, une chienne implantée pendant ses chaleurs aurait présenté des chaleurs persistantes et le DIU a dû être retiré 24 jours après l’intervention, l’arrêt des saignements vaginaux ayant été obtenu 24 heures après ce retrait [13].
Des écoulements vaginaux sanguinolents immédiats après la pose de DIU sont rapportés chez 30 à 100 % des chiennes, même après une insertion par laparotomie [11]. Ces saignements sont en quantité limitée et ont cessé trois à cinq jours après la pose, à la suite de l’administration d’un hémostatique. Aucune précision n’est apportée sur leur origine, ils pourraient être expliqués par l’existence de lésions créées par le DIU lui-même (insertion forcée ou plaie chirurgicale pour la laparotomie). Lors des phases de proœstrus et d’œstrus suivantes, une augmentation du volume des pertes sanguines physiologiques est également rapportée chez huit chiennes sur vingt [11]. Elle serait liée à une augmentation de la congestion physiologique de la muqueuse utérine, due au DIU, au cours du proœstrus.
Les conséquences de la pose d’un DIU sur l’histologie utérine n’ont été évaluées que dans une seule étude menée chez huit chiennes, dont les résultats n’ont été publiés que sous la forme d’une thèse de doctorat vétérinaire [11]. La présence d’un DIU serait à l’origine du développement important des glandes mucipares utérines et de la production d’une grande quantité de mucus, sans signes d’inflammation. Cette observation est similaire lors d’hyperplasies glandulo-kystiques induites par l’insertion d’un fil de soie dans l’utérus de la chienne [10]. Des analyses histologiques réalisées après le retrait du DIU suggèrent une réversibilité des lésions. Des pyomètres, avec ou sans expression clinique, sont décrits [6, 11]. Les autres études dans lesquelles le DIU a été inséré par voie transcervicale ne mentionnent pas d’affection utérine à la suite de son insertion [7, 13]. Notons cependant que les chiennes n’ont été suivies que sur la période pendant laquelle le DIU était présent, mais plus après son retrait.
L’éventualité que le dispositif intra-utérin soit à l’origine de douleurs, notamment au moment des chaleurs, n’a pas été explorée.
Les DIU à utilisation canine ont été mis au point entre la fin des années 1980 et les années 2010. Actuellement, et malgré la recherche permanente de solutions non chirurgicales de contraception, seuls deux ont fait l’objet d’une commercialisation, mais aujourd’hui plus aucun dispositif n’est disponible en France, voire dans le monde. En théorie, la pose d’un DIU est un procédé élégant en ce qui concerne sa mise en place, non chirurgicale et rapide, sous réserve que l’introduction par voie transcervicale soit réellement aussi simple que cela est indiqué dans les publications, surtout en dehors des périodes de chaleurs. Il est notamment difficile d’être certain que chaque branche s’engage bien dans une corne. Idéalement, un contrôle échographique après l’insertion serait nécessaire pour vérifier leur bon positionnement. Dans les cas où le DIU ne se positionne que dans une seule corne, les complications et l’efficacité contraceptive restent à évaluer.
Il faut retenir des expérimentations décrites que cette option de contraception mécanique est prometteuse au regard des taux de non-gestation annoncés. Cependant, des évaluations plus scientifiques de l’efficacité ainsi que de l’innocuité à court et long termes, menées de manière indépendante, demeurent nécessaires. Ce taux de non-gestation devrait être évalué chez des chiennes effectivement saillies au bon moment, par des mâles à la fertilité prouvée, ce qui est le cas dans certains essais [13]. Le taux de perte du dispositif, qui semble faible, mériterait d’être confirmé pour une grande variété de formats de chiennes. Cet inconvénient est en effet un problème majeur car, comme il passe généralement inaperçu, il est impossible pour le propriétaire de se rendre compte que sa chienne n’est plus protégée. Un contrôle échographique bisannuel (avant chaque période de chaleurs) serait donc indiqué.
Les ovaires restant présents et leur fonctionnement n’étant pas perturbé, le risque d’incontinence urinaire et d’affections tumorales ou orthopédiques n’augmente pas. De la même façon, le risque de surpoids n’est pas majoré après l’insertion d’un DIU, contrairement à ce qui est observé à la suite de l’ovariectomie et du traitement par un progestagène ou par la desloréline [7]. Les DIU ne modifient pas non plus le comportement des femelles. Mais, en contrepartie, ces dispositifs n’ont pas d’effet protecteur vis-à-vis d’un pyomètre, de tumeurs mammaires, de la lactation liée à la pseudogestation, et ne prennent pas en charge les aggravations œstrales ou diœstrales de certaines dysendocrinies telles que le diabète sucré.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Chez la chienne, la mise en place d’un stérilet permet d’obtenir une contraception durable, mais n’empêche ni la survenue des chaleurs, ni l’accouplement avec transmission éventuelle d’infections sexuellement transmissibles.
• Actuellement, plus aucun dispositif de contraception intra-utérin n’est commercialisé pour la chienne.
• Le DIU pourrait être utilisé comme un contraceptif temporaire ou une solution alternative à la chirurgie, notamment pour la gestion des populations canines.
• Les principales limites à l’utilisation de ces dispositifs sont le manque de recul quant à leur efficacité et à leur innocuité.
• La forte variabilité de format au sein de l’espèce canine complique le développement commercial de dispositifs intra-utérins, dont la taille doit être adaptée au gabarit de la chienne implantée afin de limiter le risque d’expulsion.
Il convient de garder à l’esprit que l’indication des dispositifs intra-utérins est la simple contraception, avec le maintien de tous les aspects, positifs comme négatifs, de l’activité ovarienne. Leurs intérêts et leurs limites, chez les chiens de compagnie comme pour les chiens errants, mériteraient d’être mieux explorés avant de constituer une solution alternative reconnue à la chirurgie, irréversible, et d’élargir ainsi l’arsenal thérapeutique à la disposition du praticien.