DÉCOMPENSATION CARDIAQUE CHEZ UN FURET - Le Point Vétérinaire n° 431 du 01/07/2022
Le Point Vétérinaire n° 431 du 01/07/2022

CARDIOLOGIE

Nouveaux animaux de compagnie

Auteur(s) : Yassine Ben Abdennebi

Fonctions : Clinique HOPia
14 boulevard des Chênes
78280 Guyancourt

Moins fréquente que chez le chien ou le chat, la décompensation cardiaque chez le furet est un motif de consultation auquel le praticien généraliste peut être confronté.

Un furet mâle âgé de 5 ans, ayant reçu un implant de desloréline six mois plus tôt (Suprelorin® 4,7 mg), est présenté pour une toux sèche, une perte de poids et une baisse de forme qui évoluent depuis plusieurs semaines. Le propriétaire décrit également des efforts inspiratoires importants.

PRÉSENTATION DU CAS

1. Examen clinique

À l’examen clinique, l’animal est vif et présente un comportement exploratoire normal. Les muqueuses sont roses et humides, avec un temps de recoloration capillaire dans les normes. L’auscultation cardiaque révèle un souffle systolique parasternal gauche de grade 3 à 4 sur 6. Le rythme cardiaque est régulier et la fréquence élevée à 225 battements par minute (valeurs usuelles : 180 à 250 bpm) [7]. La courbe respiratoire est modifiée, avec une dyspnée mixte, caractérisée par une fréquence respiratoire élevée à 55 mouvements par minute (valeurs usuelles : 33 à 36 mpm) et un tirage costal franc.

Le reste de l’examen ne montre aucune autre anomalie [4]. L’association entre les troubles respiratoires et l’anomalie détectée lors de l’auscultation cardiaque oriente vers une dyspnée cardiogénique. Une affection pulmonaire stricte, couplée à une affection cardiaque compensée, est également possible.

2. Examens cardiaques

Un bilan cardiaque complet est entrepris chez le furet vigil. L’électrocardiogramme en décubitus latéral droit révèle une tachycardie sinusale compatible avec l’espèce et l’état d’agitation de l’animal (photo 1). Des radiographies thoraciques montrent une cardiomégalie gauche non spécifique : sur les deux vues, le vertebral heart score est augmenté et le petit axe cardiaque est plus large que 2,3 fois un espace intercostal (photos 2a et 2b) [3-7]. Cette cardiomégalie est associée à une opacification alvéolaire diffuse (nombreux bronchogrammes), ainsi qu’à des scissures interlobaires caractéristiques d’un épanchement pleural. L’examen est en faveur d’une insuffisance cardiaque congestive. Une échocardiographie est ensuite réalisée. Chez cet animal très agité, la seule position permettant l’acquisition d’images de qualité est une contention par la peau du cou. Les clichés confirment l’épanchement pleural modéré. Ils mettent en évidence une dilatation de l’oreillette gauche consécutive à un reflux mitral important : l’atrium gauche est mesuré à 13 mm (norme : 10 mm) et le rapport atrium gauche/aorte est de 2,04 (norme : 1) (photo 3). Les feuillets mitraux sont épaissis (photo 4). Les parois du ventricule gauche sont d’une épaisseur normale. Il apparaît modérément dilaté en diastole à 16 mm (norme : 13 ± 1,2 mm), mais sa contractilité, évaluée par fraction de raccourcissement et fraction d’éjection, n’est pas modifiée (photo 5) [1]. Le cœur droit semble globalement normal. Une discrète ascite est repérée à l’examen abdominal. Un diagnostic de maladie dégénérative mitrale décompensée est finalement établi.

3. Traitement

L’animal est hospitalisé et placé sous oxygène. Un cathéter veineux est posé afin de lui administrer du furosémide (à la dose de 1 mg/kg, toutes les quatre heures) et du butorphanol en cas d’agitation. Le sang récupéré lors de la pose du cathéter a permis de vérifier la fonc tion rénale de l’animal avant l’instauration d’un traitement diurétique : la créatinine est mesurée à 0,44 mg/dl (valeurs usuelles : 0,2 à 0,6 mg/dl) [4]. Une amélioration clinique est observée après 48 heures de traitement. Sur les radiographies thoraciques, l’épanchement pleural et l’œdème pulmonaire ont disparu.

L’animal est rendu à ses propriétaires avec un traitement médical à base de pimobendane (à raison de 0,5 mg/kg deux fois par jour) et de furosémide (à la dose de 1 mg/kg per os, trois fois par jour). Cinq mois plus tard, l’état de l’animal est stabilisé.

Un contrôle échocardiographique et biochimique est proposé, mais refusé par les propriétaires. Le traitement est donc poursuivi à l’identique.

DISCUSSION

1. Affections cardiaques

Il existe trois grands types de maladies cardiaques chez le furet [2, 7] :

– les valvulopathies acquises, décrites chez l’adulte, qui concernent la valve aortique en priorité (90 % des cas) ou la valve mitrale (49 % des cas), voire l’association des deux ;

– les cardiomyopathies, avec en tête de liste, selon les études, la forme dilatée et la forme hypertrophique ;

– les troubles de la conduction atrioventriculaire (blocs atrioventriculaires de premier, deuxième et troisième degrés), fréquents chez les furets présentés en consultation de cardiologie (40 %).

2. Signes cliniques

À l’examen clinique, la décompensation cardiaque chez le furet est caractérisée par les mêmes altérations classiquement observées chez le chien et le chat (faiblesse, dyspnée, muqueuses pâles associées à un temps de recoloration capillaire prolongé). Une toux peut être présente lors de cardiomégalie.

L’auscultation cardiaque révèle souvent un souffle, ou au contraire ne décèle aucune anomalie en cas de cardiomyopathie hypertrophique par exemple. L’arythmie sinusale respiratoire, marquée chez le furet sain, disparaît lors de décompensation cardiaque [7]. L’animal peut présenter un épanchement pleural, voire de l’ascite lors de décompensation cardiaque gauche, comme dans le cas présenté [7].

3. Radiographie

Le recours à la radiographie thoracique chez le furet dyspnéique est parfois complexe. En effet, la contention, souvent difficile chez cette espèce, peut dégrader la fonction respiratoire de l’animal. Le cas échéant, il est alors intéressant de recourir à une sédation, à l’aide de butorphanol. La présence d’un épanchement pleural peut, comme chez le chat, limiter l’interprétation des images pulmonaires [3].

4. Évaluation radiographique d’une cardiomégalie

Plusieurs techniques existent pour évaluer la taille du cœur sur des clichés radiographiques thoraciques chez le furet. La plus précise est celle du vertebral heart score, car elle inclut les mesures des deux axes cardiaques sur deux clichés orthogonaux (figure et tableau 1) [3].

Cliché en décubitus latéral droit

Sur un cliché radiographique en décubitus latéral droit, le grand axe cardiaque est mesuré de la base du cœur, au niveau de la carène, jusqu’à l’apex. Le petit axe cardiaque est mesuré de façon orthogonale par rapport au grand axe, ventralement à la veine cave caudale. Ces deux longueurs sont reportées à partir du bord cranial de la sixième vertèbre thoracique.

Le score vertébral est ensuite calculé en faisant le rapport de la somme des longueurs par rapport à la longueur du corps vertébral de la sixième vertèbre thoracique.

Cliché dorso-ventral

Sur un cliché radiographique dorso-ventral, le grand axe cardiaque est mesuré de la base du cœur jusqu’à l’apex. Le petit axe cardiaque est mesuré de façon orthogonale par rapport au grand axe, là où le cœur est le plus large. Ces deux longueurs sont reportées de la même façon à partir du bord cranial de la sixième vertèbre thoracique. Les valeurs de référence diffèrent entre le mâle et la femelle, en raison d’un dimorphisme sexuel marqué chez le furet [3].

Autres techniques

D’autres méthodes de calcul existent, comme la comparaison du petit axe cardiaque à la largeur d’un espace intercostal, mais cette technique n’inclut qu’une dimension cardiaque, et ne prend pas en compte le dimorphisme sexuel [7]. Sur la vue de profil ou de face, le petit axe cardiaque (décrit précédemment) est physiologiquement inférieur à 2,3 espaces intercostaux (photos 6a et 6b).

5. Échographie cardiaque

L’échocardiographie constitue l’examen de choix pour évaluer la fonction cardiaque chez un furet [1]. Plusieurs solutions pratiques sont admises : en décubitus latéral, sternal, voire pendu par la peau du cou comme dans notre cas. Le recours à un aliment appétent pendant l’examen, pour distraire l’animal, peut aider à sa contention. L’habitude du praticien et la coopération de l’animal sont les facteurs qui influencent le choix du positionnement de ce dernier. La conformation du thorax et la respiration rapide du furet imposent le choix d’un transducteur de petit format pour éviter les artefacts liés aux mouvements respiratoires et aux cônes d’ombre des côtes.

Pour cette espèce, des tables de références échocardiographiques ont été établies sur un animal anesthésié (à l’aide d’isoflurane ou de l’association kétamine-midazolam) et sur un animal vigil [1, 5, 6]. Ces dernières sont à privilégier pour plusieurs raisons : comme chez le chien ou le chat, il convient d’éviter la tranquillisation car les molécules anesthésiques, injectables ou inhalatoires, présentent un effet hémodynamique non négligeable [7]. Elles modifient la fonction cardiaque de façon transitoire et peuvent aboutir à un diagnostic échographique erroné. Les valeurs de référence proposées pour les différentes méthodes sont donc différentes (tableau 2). En plus de la nuisance pour le personnel lors de son utilisation au masque, l’isoflurane est inotrope et chronotrope négatif (diminution iatrogène de la fréquence cardiaque et de la contractilité évaluée par fraction de raccourcissement). La kétamine diminue peu la fréquence cardiaque et la contractilité. Néanmoins, pour l’un comme pour l’autre, le recours à des molécules anesthésiques diminue la précharge, ce qui impacte les dimensions des cavités cardiaques (diamètre nettement inférieur de l’oreillette et du ventricule gauches sous tranquillisation) [1]. Par ailleurs, le risque lié à une anesthésie ou à une sédation chez un furet cardiopathe ne doit pas être négligé. L’étude sur animal vigil est la seule à stratifier les valeurs selon le sexe de l’animal. Chez le furet, le dimorphisme sexuel étant marqué, les différences de valeurs échographiques (en modes 2D et temps-mouvement) sont significatives entre les mâles et les femelles. Les autres études, qui n’incluent qu’une cohorte mixte, comportent donc un biais non négligeable [1]. L’état d’hydratation doit en outre être évalué avant la réalisation des images, car l’hypovolémie peut entraîner une pseudo-hypertrophie du ventricule gauche, comme celle décrite chez le chat, à ne pas confondre avec une cardiomyopathie hypertrophique [7].

6. Traitement

Les molécules utilisées en cardiologie canine et féline ne bénéficient pas d’études de pharmacologie chez le furet. Le furosémide, employé de la même façon et à la même posologie que chez les autres carnivores domestiques, provoque rarement une hypokaliémie iatrogène [7]. La voie intraveineuse doit être privilégiée lors de décompensation cardiaque, comme dans le cas présenté. Lors de traitement au long cours par voie orale, il convient d’administrer le furosémide à jeun pour améliorer sa biodisponibilité. Le pimobendane, prescrit sur le long terme au furet de notre cas, est utilisé lors de maladie valvulaire mitrale dégénérative décompensée de manière empirique, en conformité avec la cardiologie canine, mais à une dose supérieure (0,5 mg/kg toutes les douze heures) [7].

À l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus concernant l’emploi d’agents anticoagulants chez le furet, même lors de dilatation atriale majeure. Cet animal ne présenterait pas d’état prothrombotique aussi fréquemment que le chat, ce qui conduit certains auteurs à déconseiller l’usage de ces molécules [7]. Dans ce cadre, la recherche de volutes préthrombotiques est importante lors de l’échocardiographie. Dans notre cas, l’échographie n’ayant pas révélé de volutes, aucun anticoagulant n’a été prescrit.

Références

  • 1. Dudás-Györki Z, Szabó Z, Manczur F et coll. Echocardiographic and electrocardiographic examination of clinically healthy, conscious ferrets. J. Small Anim. Pract. 2011;52 (1):18-25.
  • 2. MalakoffRL, Laste NJ, Orcutt CJ. Echocardiographic and electrocardiographic findings in client-owned ferrets: 95 cases (1994-2009). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2012;241 (11):1484-1489.
  • 3. Onuma M, Kondo H, Ono S et coll. Radiographic measurement of cardiac size in 64 ferrets. J. Vet. Med. Sci. 2009;71 (3):355-358.
  • 4. Quesenberry K, Orcutt C, Mans C et coll. Ferrets, Rabbits and Rodents: Clinical Medicine and Surgery. Saunders. 2020:656p.
  • 5. Stepien RL, Benson KG, Wenholz LJ. M-mode and Doppler echocardiographic findings in normal ferrets sedated with ketamine hydrochloride and midazolam. Vet. Radiol. Ultrasound. 2000;41 (5):452-456.
  • 6. Vastenburg MH, Boroffka SA, Schoemaker NJ. Echocardiographic measurements in clinically healthy ferrets anesthetized with isoflurane. Vet. Radiol. Ultrasound. 2004;45 (3):228-232.
  • 7. Wagner RA. Ferret cardiology. Vet. Clin. North Am. Exot. Anim Pract. 2009;12 (1):115-134, vii.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Les blocs atrioventriculaires sont un motif fréquent de présentation du furet en consultation de cardiologie.

• Le furet peut présenter un épanchement pleural lors de la décompensation d’une maladie cardiaque gauche.

• La technique la plus précise pour évaluer la taille du cœur du furet à la radiographie est celle du vertebral heart score.

• L’échocardiographie chez un animal vigil est l’examen de choix pour évaluer la fonction cardiaque du furet.

• Le traitement de la maladie valvulaire mitrale chez le furet est adapté de celui du chien.

CONCLUSION

Bien que partageant certaines similitudes avec celle des autres carnivores domestiques, la pathologie cardiaque du furet est spécifique de cette espèce. Les moyens diagnostiques sont comparables à ceux mis en œuvre chez le chat ou le chien de petit format. Cette espèce présente néanmoins des spécificités cliniques, étiologiques et thérapeutiques qu’il convient de connaître avant d’entreprendre le traitement médical d’une maladie cardiaque.

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