ANTICORPS MONOCLONAUX : DÉFINITION ET HISTORIQUE - Le Point Vétérinaire n° 431 du 01/07/2022
Le Point Vétérinaire n° 431 du 01/07/2022

IMMUNITÉ

Dossier

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire
8 rue des Culquoilès
La Croix Michaud
17630 La Flotte-en-Ré

Connaître le rôle et les caractéristiques des anticorps monoclonaux est un prérequis pour comprendre leurs utilisations thérapeutiques.

Les anticorps sont des protéines produites par des lymphocytes B différenciés en plasmocytes et capables de neutraliser les éléments étrangers à l’organisme (antigènes) ou considérés comme tels (virus, bactéries, molécules de surface exprimées par les cellules cancéreuses, protéines “du soi” des maladies auto-immunes, etc.). Les anticorps sont révélateurs de la spécificité de la réponse immunitaire acquise versus la réponse immunitaire innée non spécifique (macrophages, mastocytes, cellules natural killer, système du complément).

1. RAPPELS D’IMMUNOLOGIE

Organisation du système immunitaire

Le système immunitaire est organisé autour de l’immunité innée et de l’immunité acquise (figure 1). L’immunité innée est non spécifique d’un agent étranger et ne devient pas plus efficace avec la nouvelle exposition à cet agent. Elle fait intervenir les barrières naturelles, des globules blancs (macrophages, mastocytes, cellules natural killer) et le système du complément. Ce dernier est un groupe de vingt facteurs plasmatiques normalement présents dans le sang sous une forme inactive. Le complément constitue l’un des principaux mécanismes de destruction des substances étrangères dans l’organisme. Lorsqu’il est activé, il libère des médiateurs chimiques qui accentuent pratiquement tous les aspects de la réaction inflammatoire. L’immunité acquise, quant à elle, est spécifique de l’agent causal et se caractérise par une mémoire immunitaire. Elle fait intervenir l’immunité à médiation cellulaire (lymphocytes T) et l’immunité à médiation humorale (lymphocytes B produisant les anticorps ou immunoglobulines).

Réponse du système immunitaire à un antigène

Tout anticorps est caractérisé par deux propriétés :

– la capacité de se lier spécifiquement à sa cible ;

– la participation à une ou plusieurs fonctions effectrices (activation du complément, stimulation de la phagocytose, sécrétion d’amines vasoactives, etc.).

La réponse immunitaire acquise à un antigène est généralement polyclonale et implique des milliers d’immunoglobulines (Ig) produites par des plasmocytes. Ces derniers sont des lymphocytes B différenciés après la rencontre avec un antigène, capables de produire des Ig. Environ 80 % de tous les anticorps chez les humains et les animaux de compagnie sont de la classe des IgG. L’isotype d’immunoglobuline produit dépend de l’antigène et du signal produit par le lymphocyte T. Ainsi, lorsqu’une cellule T est présentée à un antigène qui a été traité par une cellule de Langerhans, comme les acariens de poussière, il produira des cytokines telles que l’IL-4 et l’IL-13 qui stimulent le lymphocyte B pour produire des IgE spécifiques des allergènes. Chaque plasmocyte produit un anticorps dont le paratope assure la reconnaissance d’un seul segment (ou épitope) de l’antigène cible [2].

2. CARACTÉRISTIQUES DES ANTICORPS MONOCLONAUX THÉRAPEUTIQUES

Définition

Les anticorps monoclonaux sont des immunoglobulines produites par un seul clone de cellule et spécifiques d’un seul épitope d’une cible antigénique. Certains sont destinés à la recherche et n’ont pas de fonctions thérapeutiques. Ils peuvent être conçus pour lier sélectivement différentes molécules, qui sont les épitopes de la cible, afin d’identifier, de neutraliser ou de bloquer leur cible. Les anticorps monoclonaux thérapeutiques sont utilisés médicalement pour moduler le mode d’action ou bloquer une protéine soluble d’un animal (par exemple une cytokine), un récepteur sur une cellule ou des agents infectieux. La thérapie par anticorps monoclonaux imite les aspects de la réponse immunitaire normale en administrant des anticorps monoclonaux recombinants directement à l’animal. Ces derniers sont semblables à ceux produits par un seul plasmocyte, ciblant un seul antigène. Ils sont fabriqués en laboratoire à partir des gènes codant pour l’immunoglobuline d’un plasmocyte, mais plus généralement dans un système cellulaire recombinant appelé chinese hamster ovary (CHO). Il existe plusieurs techniques de production. Les anticorps monoclonaux sont produits dans le surnageant de la culture de cellules CHO avant d’être capturés par un agent chélateur comme la protéine A et purifiés. Ils reconnaissent un seul épitope sur un antigène donné [4].

Structure

Les anticorps monoclonaux sont des immunoglobulines constituées de quatre chaînes polypeptidiques formant une structure en Y (figure 2). Les deux chaînes légères sont formées d’un domaine variable (VL) et d’un domaine constant (CL). Les deux chaînes lourdes comportent un domaine N-terminal variable (VH) et trois ou quatre domaines constants (CH). Les quatre domaines variables situés aux extrémités des deux bras constituent le site de reconnaissance de l’antigène, dénommé région du fragment antigen binding (Fab) à haute spécificité de l’antigène cible (cytokines, protéines, immunoglobulines, etc.). La base du Y est la partie invariable qui est commune à chaque classe d’anticorps : elle contient la région du fragment cristallisable (Fc), impliquée dans quatre fonctions :

– l’activation du complément (immunité innée cellulaire) ;

– la liaison aux récepteurs du Fc pour faciliter la phagocytose ou la lyse cellulaire par des cellules immunitaires ;

– le catabolisme des anticorps ;

– le passage placentaire, pour les immunoglobulines de classe G uniquement.

Historique de fabrication

Historiquement, les premiers anticorps monoclonaux sont de type murin, sécrétés en grande quantité par des hybridomes issus de la fusion de lymphocytes B (ne se multipliant pas in vitro) avec des cellules humaines de myélome lymphoïde ayant la capacité de se multiplier rapidement et indéfiniment dans un milieu de culture : cette technique a été développée par Georges Köhler et César Milstein en 1975, qui ont par ailleurs obtenu le prix Nobel de médecine ou physiologie en 1984 avec Niels K. Jerne [1]. Ces anticorps monoclonaux de première génération ont montré des résultats thérapeutiques décevants en raison d’une demi-vie courte, d’une faible fixation sur les récepteurs Fc humains et de l’apparition d’anticorps humains anti-anticorps de souris, provoquant une diminution d’efficacité et des événements indésirables sérieux (dépôts d’immuns complexes).

Les techniques de chimérisation ont abouti progressivement à l’humanisation partielle des anticorps monoclonaux murins par le remplacement des régions constantes des chaînes lourdes et légères des immunoglobulines murines par des régions constantes humaines (technique ADN recombinant) [5]. Des anticorps monoclonaux totalement humains ont été produits par fermentation microbienne (phages) ou en utilisant la technique des souris transgéniques “XenoMouse”, c’est-à-dire des souris possédant, outre leurs propres séquences d’ADN, des gènes supplémentaires ou modifiés, dits transgènes. Ces gènes ont été ajoutés à leur patrimoine héréditaire et expriment la grande majorité des gènes codant pour les immunoglobulines humaines.

Fabrication actuelle des anticorps monoclonaux

Depuis peu, de nouvelles technologies dites “single B cell” permettent de sélectionner et de produire de façon recombinante un anticorps monoclonal à partir d’un seul lymphocyte B, généralement de l’espèce cible. Ce procédé a été utilisé pour la première fois chez le chien pour le bedinvetmab, alors que la plupart des autres anticorps monoclonaux thérapeutiques canins ont été obtenus par caninisation d’un anticorps murin : les gènes responsables de la production des Ig sont remplacés par ceux de l’espèce cible [3]. L’immunisation du chien donneur de lymphocytes B est obtenue par l’inoculation d’un nerve growth factor conjugué à une anatoxine diphtérique, puis l’anticorps monoclonal canin est exprimé de manière recombinante dans les cellules CHO. Le frunévetmab est un anticorps monoclonal félin obtenu par la technique dite de PETization (greffe de complementary determining region ou CDR, zone hypervariable de l’anticorps) puis exprimé par des techniques de recombinaison dans des CHO. Plus les anticorps monoclonaux sont spécifiques de l’espèce cible, moins l’immunogénicité induite sera susceptible de diminuer leur efficacité.

Références

  • 1. Bellet D, Pecking A, Danglas-Marie V. Xenomouse : un tour de force pour l’obtention d’anticorps humains chez la souris. Med. Sci. 2008;24:903-905.
  • 2. Drouet C. Les immunoglobulines. UFR de pharmacie, université Grenoble Alpes. Biotechnologie, L2. 2017:54p. http://www-sante.ujf-grenoble.fr/SANTE/cms/sites/bmt/portail/lm/docs/20171116120616/06 _C_Drouet_Ac structure_fonction_2017.pdf
  • 3. EMA. Assessment report as adopted by the CVMP with all information of a commercially confidential nature deleted. Committee for Medicinal Products for Veterinary Use assessment report for Librela (EMEA/V/C/005180/0000). European Medicines Agency. https://www.ema.europa.eu/en/documents/assessment-report/librela-epar-public-assessment-report en.pdf
  • 4. McDonnell S. Production of antibodies in hybridoma and non-hybridoma cell lines. In: Animal Cell Culture. Springer. 2015:65-88.
  • 5. Morrison SL, Johnson MJ, Herzenberg LA et coll. Chimeric human antibody molecules: mouse antigen-binding domains with human constant region domains. Proc. Natl. Acad. Sci. USA. 1984;81 (21):6851-6855.
  • 6. Murphy K. Janeway’s Immunobiology, 8th edition. Garland Science. 2015.

Conflit d’intérêts : Fondateur du réseau CAPdouleur, conférencier et activités de consulting en analgésie pour des organismes scientifiques et la plupart des laboratoires pharmaceutiques vétérinaires (dont Zoetis).

CONCLUSION

Les anticorps monoclonaux utilisés en médecine humaine et vétérinaire, issus d’une seule lignée de lymphocytes B, ciblent spécifiquement, avec une très forte affinité, des agents pathogènes ou des protéines natives d’intérêt comme le nerve growth factor. Les anticorps monoclonaux ont été produits à l’origine par la technique des hybridomes de souris. Les progrès du génie génétique ont diminué le recours aux animaux grâce à la mise au point des anticorps recombinants chimériques, puis intégralement spécifiques d’une espèce.

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