GASTRO-ENTÉROLOGIE
Article de synthèse
Auteur(s) : Tarek Bouzouraa
Fonctions : (dipl. Ecvim-CA)
Vetalpha
1305 route de Lozanne
ZA des Grandes Terres
69380 Dommartin
Le recours à des examens complémentaires est nécessaire pour diagnostiquer une péritonite septique car les signes cliniques ne sont pas pathognomoniques de cette affection. L’analyse du liquide d’épanchement est fondamentale.
La cavité péritonéale est un espace virtuel délimité par une membrane séreuse, le péritoine, qui tapisse la paroi de l’abdomen et du pelvis d’une part (péritoine pariétal) et la surface des organes abdominaux d’autre part (péritoine viscéral). Elle contient une très faible quantité de liquide qui assure un rôle de lubrification, de soutien et de protection des organes abdominaux. Le péritoine est le siège de nombreux échanges membranaires de fluides et de molécules organiques. Une péritonite se définit comme une inflammation du péritoine. L’inflammation entraîne une vasodilatation associée à une augmentation de perméabilité vasculaire à l’origine d’une exsudation et d’une accumulation de liquide inflammatoire dans la cavité péritonéale. L’inflammation peut être septique, avec l’identification d’un germe causal (le plus souvent bactérien), ou non septique. Lors de péritonite, l’inflammation cavitaire reste longtemps focalisée à la seule zone atteinte sans nécessairement être liée à des signes cliniques évidents. Cela peut retarder, voire compromettre le diagnostic (surtout chez le chat). Pourtant, sa mise en évidence doit être la plus précoce possible, afin de garantir une prise en charge rapide et adaptée, améliorant ainsi la survie.
Une péritonite septique est une inflammation de la cavité péritonéale associée à la mise en évidence d’un agent infectieux. Elle peut être secondaire à une plaie pénétrante, une contamination bactérienne lors d’un acte chirurgical, une perforation digestive, une translocation bactérienne, la rupture d’un abcès abdominal (encadré).
Il n’existe pas de “profil type” dans le cadre du diagnostic de péritonite septique chez les animaux de compagnie [4, 7, 8, 10, 12, 13, 16, 17, 24, 25, 29, 35]. Cependant, les publications identifient un lien entre la cause et le signalement de l’animal (âge, espèce et sexe). Les jeunes animaux sont, par exemple, davantage susceptibles de présenter une perforation digestive secondaire à un corps étranger intestinal [4, 7, 8, 10, 12, 13, 16, 17, 24, 25, 29, 35]. Les adultes peuvent développer une péritonite septique due à la migration d’un corps étranger en position intra-abdominale (épillet) ou à la suite d’une inoculation traumatique via la barrière cutanée (plaie de chasse chez le chien ou morsure par un congénère lors d’agression chez le chat) [4, 7, 8, 10, 12, 13, 16, 17, 24, 25, 29, 35]. Chez les chiens mâles entiers, une péritonite peut succéder à une prostatite bactérienne ou à la rupture d’un abcès prostatique, tandis que chez la chienne et la chatte, elle peut provenir d’une rupture utérine consécutive à un pyomètre à col fermé [4, 7, 8, 10, 12, 13, 16, 17, 24, 25, 29, 35]. Chez les chiens de taille géante, une torsion gastrique et/ou mésentérique et un volvulus intestinal sont des causes d’ischémie, d’exsudation et de translocation bactériennes qui évoluent vers une péritonite septique [4, 7, 8, 10, 12, 13, 16, 17, 24, 25, 29, 35]. Chez les animaux de tout âge, une péritonite septique peut également être due à la déhiscence d’une suture chirurgicale intestinale ou à la perforation d’un ulcère digestif secondaire à l’emploi d’anti-inflammatoires, non stéroïdiens principalement [1, 3, 5, 11, 12, 14, 17, 18, 19, 22, 26, 27, 28, 30, 34, 36]. Les animaux âgés sont davantage sujets à la perforation d’une tumeur digestive, ce qui est notamment bien rapporté chez le chat [7]. En effet, dans une étude ancienne, environ 25 % des chats atteints de péritonite septique présentaient une infiltration néoplasique, le plus souvent par un lymphome agressif à grandes cellules.
Il n’existe pas de signe clinique pathognomonique d’une péritonite septique chez les animaux de compagnie. Le plus souvent, l’animal présente des symptômes tels qu’une anorexie, un abattement, une faiblesse ou des troubles digestifs (vomissements ou diarrhée). Les signes digestifs sont plus rares chez le chat, voire absents [4, 7, 8, 10, 12, 13, 16, 17, 24, 25, 29, 35]. L’examen clinique peut révéler une distension abdominale avec un signe du flot positif, un inconfort abdominal ou un ictère (dans le cas d’une atteinte hépatobiliaire ou lors de sepsis chez le chat). L’association d’une tachycardie, d’une hyperthermie et d’une leucocytose chez le chien et le chat, ainsi que celle d’une bradycardie, d’une hypothermie et d’une leucopénie chez le chat doivent faire suspecter un syndrome de réponse inflammatoire systémique et/ou un sepsis, tous deux pouvant évoluer vers un état de choc compensé, puis décompensé [4, 7, 8, 10, 12, 13, 16, 17, 19, 22, 24, 25, 29, 35].
Une leucocytose neutrophilique avec virage à gauche sur la courbe d’Arneth (64 % des chats) et des signes de toxicité des granulocytes neutrophiles (36 % des chats) sont fréquemment présents lors de l’analyse hématologique [22, 24, 35]. L’analyse biochimique révèle le plus souvent une induction des transaminases hépatiques, une hyperlactatémie, une hypoglycémie, une hypocalcémie (associée à une maladie systémique “critique”), une hypoalbuminémie, une azotémie prérénale secondaire à l’état de déshydratation et/ou de choc hypovolémique [6, 15, 20]. L’hypocalcémie “critique” est due à une chute de concentration ou d’activité de la parathormone, d’une hypovitaminose D et/ ou d’une chélation du calcium circulant [15, 20].
Une perte focale ou généralisée de contraste abdominal (traduisant la présence d’un épanchement) peut être visible à la radiographie abdominale, et dans certains cas la présence d’un pneumopéritoine, en cas de rupture digestive (photos 1 et 2) [24, 25, 29, 35]. Une dilatation aérique marquée d’une partie des anses intestinales ou une distribution anormale de l’intestin grêle évoquent une occlusion intestinale en amont de l’occlusion (diamètre supérieur à 1,6 fois la hauteur de la partie centrale du corps vertébral de L5 chez le chien et supérieur à 12 mm ou deux fois le diamètre de L3 chez le chat). Le “signe du gravier” est défini par une radio-opacité irrégulière avec un contenu intestinal opaque ou parfois minéralisé. Cette anomalie radiographique est secondaire à une obstruction chronique évolutive. L’occlusion n’est souvent que partielle et des débris alimentaires peuvent s’accumuler en amont de la lésion, créant une image de densité hétérogène (“signe du gravier”). Cette image doit faire suspecter une occlusion intestinale partielle.
La présence d’un épanchement abdominal peut rapidement être confirmée par échographie (Point of care ultrasound, ou Pocus) et le liquide d’épanchement est alors prélevé sous contrôle échographique afin de réaliser des analyses et d’établir un diagnostic (voir plus loin). Une échographie abdominale complète permet aussi d’évaluer l’ensemble du tube digestif, à la recherche d’une lésion pariétale, ou de confirmer une occlusion intestinale [32]. Les annexes digestives (foie, vésicule biliaire et pancréas) et l’appareil urogénital sont également examinés à la recherche d’une lésion causale. Une étude révèle qu’une variation du diamètre intestinal de 240 % entre deux anses au scanner (rapport segment le moins dilaté/le plus dilaté supérieur à 2,4) renforce l’hypothèse d’un iléus mécanique [37]. La réalisation d’un scanner est à envisager dans certains cas, pour préciser la localisation et l’étendue des lésions, rechercher un corps étranger migrant ou réaliser un bilan d’extension lors d’un processus néoplasique [31].
L’examen du liquide d’épanchement comprend une évaluation macroscopique (couleur et aspect limpide, trouble, hémorragique, purulent ou nécrotique), biochimique (dosage des protéines totales et densité), cytologique et bactériologique.
L’analyse cytologique témoigne généralement de la présence de granulocytes neutrophiles dégénérés, avec des bactéries en quantité variable et en position intracellulaire (photo 3). La sensibilité de l’analyse cytologique pour diagnostiquer une péritonite septique est évaluée entre 57 et 100 % selon plusieurs études [1, 18, 22, 33]. Elle chute lorsqu’une antibiothérapie a déjà été initiée. La cellularité apporte également une information utile sur l’origine de l’épanchement : un comptage supérieur à 13 000/µl présente une sensibilité de 86 % et une spécificité de 100 % chez le chien pour diagnostiquer un exsudat septique, ces valeurs atteignant 100 % chez le chat [3]. L’analyse biochimique regroupe notamment le dosage du glucose, de la bilirubine, de la créatinine, du potassium et des lactates [24, 29, 35]. Les liquides septiques sont le plus souvent des exsudats hyperprotéiques (taux de protéines totales supérieur à 35 g/l) et hypercellulaires (plus de 5 000/µl). L’évaluation couplée du glucose dans le liquide péritonéal et dans le plasma est intéressante : une différence supérieure à 0,2 g/l entre la glycémie plasmatique et sa valeur dans le liquide d’épanchement est corrélée à une sensibilité et une spécificité de 100 % chez le chien pour le diagnostic d’une péritonite septique. La sensibilité est de 86 % chez le chat (avec une spécificité identique). Par ailleurs, un différentiel supérieur à 2 mmol/l entre la valeur des lactates dans le liquide d’épanchement et la lactatémie plasmatique présente une sensibilité de 63 % et une spécificité de 100 % chez le chien pour diagnostiquer une péritonite septique. Une valeur de lactates au-dessus de 2,5 mmol/l sur le liquide d’épanchement serait même directement diagnostique d’une péritonite septique chez le chien [22]. Il est néanmoins indispensable de confirmer la suspicion par l’examen cytologique et la réalisation d’une culture bactériologique, puisque les épanchements néoplasiques (carcinomatose abdominale notamment) peuvent aussi présenter des variations similaires de la valeur des lactates et du glucose [23].
En présence d’un épanchement chez le chien, les résultats préliminaires d’une étude récente montrent que la mesure de la protéine C réactive dans le plasma et dans le liquide d’épanchement peut orienter le clinicien [2]. Plus particulièrement, une valeur de protéine C réactive supérieure à 32,5 mg/l présente une sensibilité de 100 % et une spécificité de 90 % pour le diagnostic d’un épanchement septique (avec une aire sous la courbe de 0,97). Une autre étude récente révèle que le dosage de marqueurs tels que le chemokine ligand 2 (CCL2) ou les interleukines 6 (IL-6) et 10 (IL-10) peut renforcer la suspicion de péritonite septique, bien que ces paramètres soient moins performants que la mesure des lactates (qui reste le meilleur paramètre) et surtout non accessibles en pratique courante [21].
En Europe, les cas de péritonite septique parasitaire ou fongique sont anecdotiques chez les animaux de compagnie. Ainsi, les péritonites septiques d’origine bactérienne sont le plus souvent rencontrées chez le chien ou le chat. Le diagnostic de certitude d’une péritonite septique repose par conséquent sur la culture bactériologique, qui permet l’identification de la bactérie en cause. Elle est complétée par un antibiogramme, qui détermine le profil de sensibilité de la souche, afin de choisir l’antibiotique adapté [24, 29, 35]. Cette analyse est très importante, car une antibiothérapie empirique peut augmenter le risque d’antibiorésistance, voire conduire à un échec thérapeutique et à la mort de l’animal [9]. Selon une étude, une antibiothérapie prescrite en l’absence de culture et d’antibiogramme n’est adaptée que dans 52 % des cas (41 sur 78) seulement. En effet, les souches bactériennes tendent à présenter des profils de résistance multiples.
Les souches régulièrement isolées chez le chien sont des bactéries entéropathogènes telles qu’Escherichia coli, Clostridium perfringens ou encore Enterococcus faecalis [24, 29, 35]. Des tendances similaires sont signalées chez le chat [24, 29, 35].
Conflit d’intérêts : Aucun
– Plaie abdominale pénétrante.
– Acte chirurgical : contamination lors d’une intervention abdominale, déhiscence de suture intestinale et colique.
– Perforation digestive : corps étranger digestif perforant, rupture gastrique secondaire à un syndrome de dilatation-torsion gastrique, ulcère perforant, rupture d’une tumeur digestive.
– Translocations bactériennes gastro-intestinales : corps étranger, néoplasie, intussusception, adhérence, volvulus, gastro-entérite.
– Atteinte des annexes : rupture biliaire, torsion ou abcès lobaire hépatique, abcès pancréatique ou splénique.
– Atteinte urogénitale : pyomètre, prostatite, uroabdomen septique, abcès pyélique (pyélonéphrite, pyonéphrose) ou prostatique.
– Dialyse péritonéale.
• Les principales causes de péritonite septique chez les animaux de compagnie sont une perforation digestive, un corps étranger migrant, une plaie pénétrante, la rupture d’un abcès interne.
• L’échographie et la radiographie aident à suspecter une péritonite septique et à en identifier la cause.
• Le diagnostic de péritonite septique repose sur l’analyse cytobactériologique en laboratoire du liquide d’épanchement abdominal.
• Des biomarqueurs tels que le glucose et les lactates peuvent aider au diagnostic de péritonite septique dans l’attente des résultats du laboratoire.
Le diagnostic d’une péritonite septique requiert l’évaluation du liquide d’épanchement abdominal via une analyse cytologique, une culture bactériologique et un antibiogramme. L’évaluation des marqueurs biochimiques du liquide d’épanchement (glucose, lactates, protéine C réactive et biomarqueurs moins usuels) optimise le diagnostic de péritonite septique. L’analyse cytologique indique une inflammation suppurée avec la présence d’agents figurés (bactéries) et la culture identifie la bactérie causale et son profil de sensibilité. L’imagerie médicale aide à situer la lésion à l’origine de la péritonite et guide la prise en charge, qui nécessite toujours une stabilisation en urgence et un acte chirurgical.