NEUROLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Robin Cavalerie*, Stéphanie Piazza**
Fonctions :
*(dipl. ECVN)
Centre hospitalier vétérinaire Languedocia
395 rue Maurice Béjart
34080 Montpellier
Les notions de neuroanatomie sont indispensables à la bonne exécution de l’examen nerveux et à son interprétation correcte. En effet, elles permettent de comprendre ce qui est testé, afin de neurolocaliser la ou les lésions éventuelles, orientant ainsi le diagnostic.
Le système nerveux est présent au sein de l’organisme des mammifères à différentes échelles d’organisation, par exemple du récepteur thermique au niveau du derme à un ensemble de neurones formant l’encéphale. Son rôle majeur est d’assurer la captation de toutes les informations provenant de l’environnement externe et interne au corps, afin d’initier des réponses adaptatives. Le système nerveux somatique, qui régit les événements moteurs volontaires, est distingué du système nerveux autonome(1), responsable des réponses viscérales involontaires permettant le maintien de l’homéostasie (encadré).
L’unité cellulaire fonctionnelle du système nerveux est le neurone. Au niveau de son corps cellulaire ou de ses prolongements (dendrites), il est capable de recevoir des signaux d’autres neurones rapprochés ou à distance, d’autres types de cellules ou du milieu avoisinant. À partir des données collectées, il établit un signal efférent au sein du corps cellulaire, transporté le long de son axone jusqu’à une autre cellule réceptrice à laquelle le message est transmis au niveau d’une synapse.
Le système nerveux central se compose de l’encéphale et de la moelle spinale (anciennement appelée moelle épinière) qui sont protégés respectivement par le crâne et la colonne vertébrale. Cette dernière comporte généralement, chez le chien et le chat, sept vertèbres cervicales, treize vertèbres thoraciques, sept vertèbres lombaires, trois vertèbres sacrées fusionnées (sacrum) et plusieurs vertèbres coccygiennes, en nombre variable selon la race. Le système nerveux central est entouré par les méninges, une enveloppe constituée de trois couches de tissu conjonctif au rôle essentiellement protecteur (de la plus externe à la plus interne : dure-mère, arachnoïde et pie-mère). Enfin, le liquide cérébrospinal circule dans le système ventriculaire de l’encéphale et dans le canal central de la moelle spinale, ainsi que dans l’espace sous-arachnoïdien (espace vascularisé entre l’arachnoïde et la pie-mère) à l’intérieur des méninges entourant le système nerveux central.
D’un point de vue fonctionnel, l’encéphale peut être divisé en trois parties distinctes, mais étroitement reliées entre elles : le prosencéphale, le tronc cérébral et le cervelet (figure 1). Le prosencéphale est formé du télencéphale ou hémisphères cérébraux (ou encore cortex) ainsi que du diencéphale, structure interhémisphérique appartenant anatomiquement au tronc cérébral, mais fonctionnellement plus proche du télencéphale. Les deux premières paires de nerfs crâniens sont issues du prosencéphale. Avec le tronc cérébral, il est le centre d’initiation des signaux moteurs efférents par l’intermédiaire du motoneurone central. Le télencéphale est formé de plusieurs couches de neurones en périphérie qui forment la substance grise, ainsi que du réseau communicant neuronal formé des axones et des dendrites contenus au sein du tissu glial (cellules nutritives et de soutien) : la substance blanche. Cette dernière relie les différentes parties du télencéphale entre elles, ainsi qu’au reste du système nerveux central. Ses fonctions spécifiques sont l’intégration et l’interprétation des stimuli externes, qui font appel aux fonctions sensorielles (vision, ouïe, olfaction, toucher, goût), ainsi que des signaux vestibulaires et proprioceptifs. Enfin, le comportement de l’animal y est également régi. Le diencéphale contient notamment l’hypothalamus et l’hypophyse, pierres angulaires de l’homéostasie hormonale (centre de régulation du système nerveux autonome). Il est aussi la voie de transmission de signaux entre toutes les parties du système nerveux central par l’intermédiaire du thalamus.
Le tronc cérébral est la formation anatomique localisée à la base de l’encéphale, sur le plancher de la boîte crânienne. Il contient le noyau de dix paires de nerfs crâniens (nerfs III à XII) qui appartiennent au système nerveux périphérique. L’état de vigilance de l’animal est sous l’influence de la formation réticulée qui en est une structure centrale.
Le cervelet est situé à l’arrière de la boîte crânienne, dorsalement au tronc cérébral. Ses fonctions principales sont d’assurer la qualité des mouvements (coordination, amplitude, etc.), l’équilibre postural et le tonus musculaire. Il n’intervient pas dans l’initiation des mouvements – il les contrôle uniquement – ni dans l’état de vigilance ou le comportement de l’animal.
La moelle spinale s’étend de la fin du tronc cérébral au niveau de l’aspect caudo-ventral du crâne jusqu’aux dernières vertèbres lombaires et contient en son centre la substance grise entourée de la substance blanche en périphérie. C’est essentiellement une voie de communication ascendante et descendante. Elle permet la motricité des membres et du tronc, l’activité autonome des viscères (par l’intermédiaire du système nerveux autonome) ainsi que la transmission d’informations vers l’encéphale à partir du système nerveux périphérique (proprioception, thermoréception, nociception, etc.).
La moelle spinale peut être divisée en segments médullaires anatomiques. Chaque segment comprend une racine sensitive dorsale (conduisant un signal afférent vers la moelle spinale) et une racine motrice ventrale (conduisant un signal efférent vers les nerfs spinaux et les organes effecteurs). Elles se rejoignent au niveau du foramen intervertébral (orifice de passage de structures vasculaires et nerveuses entre chaque vertèbre), de part et d’autre de la moelle spinale, et forment un nerf spinal (figure 2). Il existe huit segments médullaires cervicaux, treize thoraciques, sept lombaires, trois sacrés et environ cinq coccygiens. La paire de premiers nerfs spinaux cervicaux (C1) quitte le canal vertébral par les foramens latéraux de l’atlas (première vertèbre cervicale), alors que tous les nerfs spinaux cervicaux C2 à C7 sortent au travers du foramen intervertébral cranial à la vertèbre portant le même chiffre. Par exemple, la cinquième paire de nerfs spinaux cervicaux issue du cinquième segment médullaire emprunte le foramen intervertébral entre les vertèbres C4 et C5. Les derniers nerfs spinaux cervicaux, qui ont pour origine le huitième segment médullaire, quittent le canal vertébral au travers du foramen intervertébral entre les vertèbres C7 et T1. Puis l’ensemble des autres nerfs spinaux emprunte le foramen vertébral caudalement à la vertèbre du même nombre. Anatomiquement, du fait de la différence de croissance entre les segments médullaires et vertébraux, les premiers ne sont pas parfaitement contenus au sein de la vertèbre portant le même rang et seuls les segments T12, T13, L1 et L2 le sont. Les autres se trouvent cranialement à la vertèbre du même nombre [1, 4]. En neurologie, la neurolocalisation est toujours réalisée en termes de segments médullaires, et non de segments vertébraux : par exemple, si la lésion est dite en L4, cela correspond à une lésion médullaire comprise au niveau de la vertèbre L3. Les segments médullaires sont regroupés en cinq grandes parties fonctionnelles : segments de C1 à C5, de C6 à T2 (correspondant à l’intumescence cervicothoracique), de T3 à L3, de L4 à S3 (intumescence lombosacrée) et enfin les segments coccygiens (figure 3).
Le système nerveux périphérique est composé des nerfs spinaux et crâniens ainsi que de la jonction neuromusculaire en association avec le tissu musculaire squelettique strié (figure 4). Les nerfs sont formés d’un ensemble d’axones moteurs dont le corps cellulaire est contenu dans le système nerveux central (moelle spinale pour les nerfs spinaux et tronc cérébral pour les nerfs crâniens), ainsi que d’axones sensitifs dont le corps cellulaire est contenu dans les ganglions spinaux.
Les nerfs spinaux prennent naissance à partir de chaque segment médullaire décrit précédemment. Deux regroupements de nerfs spinaux, appelés plexus, sont responsables de l’innervation somatique motrice et sensitive des muscles des membres par la formation de nerfs périphériques spécifiques. À partir des branches nerveuses des segments médullaires C6 à T2, le plexus brachial comprend l’ensemble de nerfs périphériques innervant les membres thoraciques. Le plexus lombosacré, qui regroupe les nerfs associés aux segments médullaires de L4 à S3, est consacré à l’innervation des membres pelviens, de la vessie et de la fin du tube digestif, et de la région périnéale. Les nerfs crâniens peuvent, quant à eux, être purement moteurs, sensitifs ou mixtes (tableau). La jonction neuromusculaire est le lieu de transmission du signal moteur à partir de l’axone du motoneurone périphérique vers une cellule musculaire. Un motoneurone périphérique et l’ensemble des myocytes (ou cellules musculaires) qu’il innerve forment une unité motrice.
L’examen des fonctions générales et la mise en œuvre des tests cliniques impliquant le système nerveux permettent d’évaluer l’intégrité de l’ensemble des structures dédiées à leur bonne réalisation.
La contraction volontaire d’une cellule musculaire striée, menant à un mouvement lorsque l’ensemble des cellules constituant un muscle est stimulé, fait intervenir un réseau de deux types de neurones : les motoneurones centraux et périphériques. Le motoneurone central, localisé dans l’encéphale (cortex moteur et tronc cérébral) représente le point initiateur du message moteur. Son axone, qui transporte le signal électrique effecteur, se projette au sein du système nerveux central vers le corps cellulaire du motoneurone périphérique, lui aussi contenu dans le système nerveux central.
Les corps cellulaires des motoneurones périphériques participant à l’activité musculaire du cou, du tronc, des membres et de la queue se trouvent au sein de la substance grise de la moelle spinale, donc inclus dans l’un des segments médullaires anatomiques décrits précédemment.
Ces derniers sont alors regroupés en cinq grandes parties fonctionnelles :
– segment de C1 à C5 responsable de l’innervation somatique du cou ;
– segment de C6 à T2, correspondant à l’intumescence cervicothoracique, responsable de l’innervation somatique des membres thoraciques ;
– segment de T3 à L3, responsable de l’innervation somatique du tronc et de l’abdomen ;
– segment de L4 à S3, correspondant à l’intumescence lombosacrée, responsable de l’innervation somatique des membres pelviens ;
– segments coccygiens, responsables de l’innervation somatique de la queue.
Ainsi, chaque segment médullaire contient des corps cellulaires de motoneurones périphériques innervant des muscles précis (dans la substance grise) ainsi que les axones des motoneurones centraux influençant les motoneurones périphériques situés plus caudalement (dans la substance blanche) (figure 5). L’action du motoneurone central est facilitatrice et majoritairement inhibitrice sur le motoneurone périphérique.
Les corps cellulaires des motoneurones périphériques participant à l’activité motrice de la tête se trouvent dans le tronc cérébral et représentent les noyaux moteurs des nerfs crâniens. L’axone de tous les motoneurones périphériques quitte le système nerveux central pour former la portion motrice des nerfs spinaux ou crâniens.
La proprioception générale est un système sensitif primordial qui permet la perception consciente et inconsciente de la position de chaque partie du corps dans l’espace. Les récepteurs proprioceptifs, localisés dans les muscles, les tendons et les articulations, transmettent le signal de position par une branche sensitive des nerfs spinaux jusqu’à un neurone de la substance grise de la moelle spinale. Le message est transmis par des voies ascendantes (substance blanche) vers des neurones du prosencéphale et/ou du cervelet, centres supérieurs de la proprioception générale qui seront à l’origine des réponses motrices adaptées au maintien correct du corps dans l’espace.
Au cours de la réalisation des réactions posturales lors de l’examen nerveux, l’entièreté de ce trajet ascendant informateur ainsi que le trajet moteur descendant sont testés (figure 6). Elles permettent donc de confirmer un déficit nerveux sans que la lésion puisse être localisée précisément [2].
Le système vestibulaire est responsable de l’équilibre et de la position des yeux, du cou, du tronc et des membres adaptés à la position et aux mouvements de la tête. Il se compose d’une portion périphérique dont les récepteurs sensitifs se situent au niveau de chacune des oreilles internes, lieu de genèse du signal vestibulaire. Ce dernier est transporté par le nerf crânien vestibulocochléaire jusqu’au système vestibulaire central composé de quatre paires de noyaux vestibulaires au niveau du tronc cérébral caudal. Des signaux efférents y sont générés et transportés vers la moelle spinale, pour faciliter le tonus extenseur du bipède ipsilatéral, vers le cervelet, ainsi que vers les noyaux moteurs des nerfs moteurs du globe (III, IV et VI) afin d’adapter l’axe visuel aux mouvements de la tête (figure 7) [3].
La nociception correspond à la perception consciente d’un stimulus douloureux qui déclenche une réaction volontaire très variable selon les individus et le stimulus. Le trajet du signal est sensiblement le même que celui décrit pour la proprioception générale. Les récepteurs et les voies ascendantes vers l’encéphale diffèrent cependant. Les tractus ascendants étant présents de part et d’autre de la portion interne de la substance blanche de la moelle spinale et des connexions reliant les tractus des deux côtés, si la nociception est absente, cela implique une lésion étendue de l’ensemble de la moelle spinale et constitue donc un facteur pronostique péjoratif.
Un réflexe spinal débute par la genèse d’un signal sensitif par des récepteurs cutanés stimulés par un pincement ou par des récepteurs tendineux/musculaires lors de leur étirement. Des voies sensitives afférentes au sein d’un nerf spinal transmettent le message directement ou indirectement (via certains interneurones situés dans la moelle spinale) vers un groupe de corps cellulaires de motoneurones périphériques qui initie une réponse motrice efférente et provoque une contraction musculaire réflexe, nommée arc réflexe (figure 8). Il se réalise de manière inconsciente, sans aucune intégration corticale. Le trajet d’informations ne concerne que le système nerveux périphérique et quelques segments médullaires, en l’absence d’une commande supérieure par un motoneurone central.
Si le réflexe est présent, cela signifie que l’arc réflexe est intègre et que la lésion, si elle existe, est à rechercher au niveau du motoneurone central. Ce dernier a en effet une influence modulatrice inhibitrice sur le motoneurone périphérique impliqué dans le réflexe. En cas de lésion du motoneurone central (corps cellulaire ou axone), le signal moteur du réflexe sera plus important et le réflexe possiblement augmenté en termes d’intensité.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Système nerveux somatique : portion du système nerveux en charge de l’activité motrice volontaire (faisant intervenir le système musculaire strié) ainsi que sensitive tactile et thermique.
• Système nerveux autonome : portion du système nerveux en charge de l’activité autonome des viscères jugulant l’activité du cœur, des cellules musculaires lisses et des glandes, et innervant les vaisseaux sanguins.
• Système nerveux central : partie du système nerveux comprenant l’encéphale et la moelle spinale, contenus au sein du squelette axial.
• Système nerveux périphérique : partie du système nerveux faisant le lien entre le système nerveux central et les organes effecteurs ou sensitifs, dont les nerfs spinaux et crâniens.
• Neurone : unité cellulaire fonctionnelle du système nerveux composée d’un corps cellulaire, de dendrites et d’un axone.
• Corps cellulaire : région du neurone contenant les organelles cellulaires traditionnelles et représentant le centre de traitement des stimuli externes et de la genèse du signal électrique.
• Axone : portion unique du neurone transmettant le signal électrique émis à partir du corps cellulaire jusqu’au bouton synaptique.
• Dendrites : prolongements cellulaires du neurone, permettant la réception des signaux du milieu avoisinant ou des cellules avec lesquelles il est en contact.
• Segments médullaires : divisions anatomiques de la moelle spinale donnant naissance à une paire de nerfs spinaux à partir d’un motoneurone périphérique contenu au sein de la substance grise.
• Intumescence médullaire : portion de la moelle spinale regroupant les noyaux des nerfs spinaux innervant les membres thoraciques (intumescence cervicothoracique) et les membres pelviens (intumescence lombosacrée) par l’intermédiaire des plexus, brachial et lombosacré respectivement. Ce terme vient du fait qu’au niveau de ces segments médullaires la moelle est plus élargie en raison du nombre important de corps cellulaires des motoneurones périphériques qui constituent les noyaux des nerfs spinaux.
• Plexus : structure du système nerveux périphérique qui correspond au regroupement anatomique de plusieurs nerfs spinaux et de laquelle sont issus les nerfs périphériques innervant les membres thoraciques (plexus brachial) et pelviens (plexus lombosacré).
La connaissance de la neuroanatomie générale est fondamentale pour comprendre et interpréter les signes cliniques que peuvent présenter les carnivores domestiques, ainsi que les anomalies observées lors de l’examen nerveux. Si le praticien est conscient de ce qu’il teste, il sera ensuite en mesure de neurolocaliser la ou les lésions, et ainsi d’orienter son diagnostic différentiel et de mettre en œuvre les examens complémentaires requis.