ÉVALUATION DU BIEN-ÊTRE DES BOVINS LAITIERS EN CONCOURS ET SALONS D’EXPOSITION - Le Point Vétérinaire n° 430 du 01/06/2022
Le Point Vétérinaire n° 430 du 01/06/2022

BIEN-ÊTRE ANIMAL

Article original

Auteur(s) : Gaëlle Le Calonnec*, Alline de Paula Reis**

Fonctions :
*Clinique Univet Hyères La Rade
35 avenue Alphonse Denis
83400 Hyères
**UMR Breed
ENV d’Alfort
7 avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort

Les concours et salons sont des vitrines du monde de l’élevage. Des protocoles d’évaluation du bien-être des animaux lors de ces manifestations ont été testés dans le cadre de salons.

L’engouement pour le bien-être animal va croissant dans notre société, encouragé par divers courants de pensée tels que le welfarisme, l’animalisme ou l’antispécisme. Dans ce contexte, la mesure objective du bien-être des animaux d’élevage apparaît comme indispensable. Plusieurs protocoles d’études du bien-être des bovins ont ainsi été élaborés, à l’instar du protocole Welfare Quality, considéré par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) comme le protocole de référence [1]. Parallèlement, le monde de l’élevage bovin traverse une triple crise : économique, sociale et démographique. Le nombre d’exploitations diminue d’année en année et les départs à la retraite des éleveurs ne sont souvent pas remplacés. Les concours et les salons d’exposition apparaissent alors comme un élément de réponse prometteur à cette crise multifactorielle. En effet, ils permettent de créer un lien direct unique entre le public, souvent citadin et déconnecté du monde rural, et les éleveurs. De plus, ils permettent de présenter la filière de l’élevage à des jeunes urbains qui n’envisagent que très peu cette voie pour leur avenir professionnel, le plus souvent en raison d’un manque d’information. Ainsi, les concours et salons d’exposition se doivent d’être des vitrines du monde de l’élevage, irréprochables à tous points de vue. Toutefois, malgré l’attrait croissant pour le bien-être animal et l’enjeu représenté par les concours et salons d’exposition, il n’existe à ce jour aucun protocole d’étude du bien-être des animaux lors de ces événements. C’est pourquoi un tel protocole a été proposé et appliqué à 40 bovins laitiers, dans le cadre de travaux de thèse vétérinaire(1).

DESCRIPTION DES PROTOCOLES

1. Trois protocoles distincts

Trois protocoles d’évaluation du bien-être des bovins laitiers en concours ont ainsi été élaborés, selon l’objectif de la personne évaluatrice :

– un “protocole de recherche” ayant pour objectif d’offrir une vision scientifique la plus complète possible du bien-être animal et comportant trois prises de mesures (avant, pendant et après un salon) par un ou plusieurs examinateurs indépendants et formés afin d’identifier d’éventuelles altérations induites par l’événement ;

– un “protocole des organisateurs” visant à être appliqué par les organisateurs des manifestations, afin de leur fournir une vision globale du bien-être des animaux présents, ainsi que des pistes d’amélioration le cas échéant ;

– un “protocole des éleveurs” destiné à être appliqué en autoévaluation par les éleveurs pour qu’ils aient une vision du bien-être de leurs animaux lors de ces événements et qu’ils puissent apporter des mesures correctives si nécessaire.

2. Élaboration des protocoles

Ces trois protocoles ont été élaborés à l’aide de l’ensemble des données de la littérature sur le bien-être animal des bovins, chacun d’eux comportant entre 24 et 32 indicateurs de mesure. Ils ont été regroupés en six grands principes, reprenant les cinq libertés des animaux d’élevage (absence de faim et de soif ; absence d’inconfort ; absence de douleurs, de blessures ou de maladies ; capacité à exprimer des comportements naturels propres à l’espèce ; absence de peur ou de détresse), auxquels a été ajouté un sixième principe intitulé “bonnes pratiques en salon d’exposition” (tableau 1). Chaque indicateur est présenté dans une annexe détaillant l’échantillon, la méthode d’évaluation et la présentation des résultats, à adapter selon le protocole envisagé (tableau 2).

RÉSULTATS DU “PROTOCOLE DE RECHERCHE” EN SALON

1. Échantillon testé et déroulement du test

Le “protocole de recherche” a été testé sur 40 bovins laitiers de race prim’holstein provenant de 15 élevages différents, lors d’un salon d’exposition comportant un concours départemental pour la race prim’holstein. Parmi ces bovins se trouvaient 11 génisses et 29 vaches dont le stade de lactation variait de deux à neuf mois. Sur les 32 indicateurs prévus, 23 ont pu être testés conformément au protocole établi, les 9 autres ne l’ont pas été soit pour des raisons organisationnelles, soit pour conserver le lien de confiance instauré avec les éleveurs. En effet, lorsque ces derniers ne souhaitaient pas répondre à une question, il a été décidé de ne pas insister.

2. Résultats généraux

Concernant le critère “alimentation adaptée”, aucun des bovins n’a semblé souffrir de la soif ni n’a présenté une perte d’appétit au cours du concours. Toutefois, l’indicateur “note d’état corporel” s’est révélé préoccupant et a fait l’objet d’une analyse détaillée (voir plus loin). Ensuite, concernant le critère “logement adapté”, il a été mis en évidence que les bovins étaient dans des conditions optimales en élevage, mais pas lors du concours où l’hygrométrie était trop élevée et le système d’entrave ne permettait aucune liberté de mouvements. Tous les bovins présents lors de l’étude étaient en bonne santé et n’ont pas présenté de signes de douleur.

Concernant le critère “expression de comportements appropriés”, les bovins n’ont pas été placés dans des conditions optimales lors du concours, avec notamment une impossibilité d’interagir avec leurs congénères de manière libre. Toutefois, aucune conséquence visible de ces manquements n’a été observée, sans doute en raison de la faible durée de l’événement (trois jours).

Enfin, pour le critère “bonnes pratiques en salon d’exposition”, il a été noté un manquement important de la part des éleveurs aux règles d’hygiène et de biosécurité, principalement lié à un manque d’informations et de connaissances sur le sujet.

3. Premier point critique : une note d’état corporel faible

Concernant la note d’état corporel des bovins évaluée dans le cadre du critère d’absence de faim, à chaque mesure de notre étude, 85 à 90 % des animaux étaient en dessous de la courbe de recommandation zootechnique, avec une absence de différence significative entre chaque mesure de l’étude (p > 0,05, test de Wilcoxon) [2]. Aussi, sur l’ensemble des différents temps de l’étude, entre 28 et 30 % des vaches ont présenté une note d’état corporel de 1, donc une maigreur trop prononcée (figure). Ces pourcentages sont à la limite du seuil d’alarme de 30 % de bovins maigres préconisé par le protocole Welfare Quality [3].

Ces observations ne trouvent pas leur origine sur le temps du concours, puisque les vaches étaient déjà maigres avant et qu’aucune différence significative entre les différents temps de l’étude n’a été observée. En revanche, l’esthétique recommandée pour les bovins laitiers participant aux concours repose sur plusieurs critères, dont l’apparence avec les côtes visibles. Ces critères ont donc pu pousser les éleveurs à diminuer la ration de leurs animaux en période de préparation au concours. Néanmoins, lorsque la question leur a été posée, aucun d’eux n’a admis diminuer volontairement la ration de ses vaches avant le salon. Les faibles notes d’état corporel relevées seraient donc davantage liées aux critères “de beauté” de la sélection des bovins de concours et/ou à l’alimentation globalement fournie dans les élevages, plutôt qu’au concours. En effet, plusieurs éleveurs ont confié, au cours de l’étude, que la présence de côtes apparentes faisait partie de leurs critères de sélection pour ces salons. Les éleveurs ont donc sélectionné préférentiellement les bovins de leurs cheptels avec des notes d’état corporel peu élevées, ce qui explique, au moins en partie, les valeurs basses observées au cours de l’étude. Néanmoins, il est important de souligner que, selon ces résultats, un pourcentage élevé des animaux sélectionnés pour participer aux salons sont durablement soumis à une alimentation non adaptée à leurs besoins, même si cela est fait de façon involontaire. La note d’état corporel des bovins doit donc constituer un critère de vigilance.

4. Second point critique : les mesures de biosécurité

Une certaine insouciance a également pu être observée, tout au long de l’étude, de la part de l’ensemble des éleveurs participants vis-à-vis de la biosécurité, étudiée dans le cadre du principe des “bonnes pratiques en salon d’exposition”. En effet, durant les trois jours du concours, les bovins provenant d’élevages différents ont bénéficié d’une forte promiscuité (photo). De plus, aucune mesure préventive n’a été mise en place par les éleveurs après le concours, puisqu’aucun d’eux (à l’exception d’un seul éleveur) n’a effectué de quarantaine ni de désinfection réelle et systématique du matériel au retour à la ferme.

La promiscuité des bovins associée au manque de mesures de biosécurité constitue un réel risque sanitaire pour les bovins présents lors des concours et pour ceux restés à l’exploitation qui peuvent facilement être contaminés par la suite. C’est pourquoi il est essentiel pour le vétérinaire de prodiguer des conseils en matière de biosécurité aux éleveurs participant à des expositions, de rappeler les règles de désinfection du matériel et l’intérêt d’une quarantaine notamment.

  • (1) Le Calonnec G. Proposition et première application d’un protocole d’évaluation du bien-être des bovins laitiers en concours et salon d’exposition. Thèse de doctorat vétérinaire, ENV d’Alfort. 2021:143p.

Références

  • 1. Anses. Bien-être animal : contexte, définition et évaluation. Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. 2018:34p.
  • 2. Chagas LM, Bass JJ, Blache D et coll. Invited review: new perspectives on the roles of nutrition and metabolic priorities in the subfertility of high-producing dairy cows. J. Dairy Sci. 2007;90:4022.4032.
  • 3. Welfare Quality project. Welfare Quality assessment protocol for cattle. 2009:142p. http://www.welfarequality.net/media/1088/cattle_protocol_without_veal_calves.pdf

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Les salons d’exposition et concours bovins sont des vitrines de l’élevage et se doivent d’être irréprochables.

• Il existe une réelle volonté de bien faire de la part des éleveurs.

• Les notes d’état corporel des vaches laitières en salon sont souvent trop faibles, en raison des critères de beauté en vigueur.

• Les mesures de biosécurité sont généralement mal comprises et mal appliquées par les éleveurs.

CONCLUSION

Plusieurs points de vigilance ont pu être identifiés au cours de cette étude. Ainsi, la note d’état corporel et les risques liés à la biosécurité doivent être l’objet d’une attention particulière du vétérinaire traitant. Malgré tout, une véritable volonté de bien faire de la part des éleveurs a été observée au cours de l’étude, les points critiques relevés étant essentiellement liés à un manque d’information et de compréhension. Le vétérinaire traitant a donc un rôle pédagogique à jouer dans ce contexte.

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