AVANCEMENT DU COUSSINET MÉTACARPIEN ET TRAITEMENT PAR PRESSION NÉGATIVE APRÈS UNE AMPUTATION PANDIGITÉE - Le Point Vétérinaire n° 430 du 01/06/2022
Le Point Vétérinaire n° 430 du 01/06/2022

CHIRURGIE

Chirurgie de la main

Auteur(s) : Bastien Dekerle*, Alexandre Fournet**, Renato Otaviano***, Mathieu Manassero****

Fonctions :
*Centre hospitalier universitaire vétérinaire d’Alfort
Service de chirurgie
7 avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort
**(dipl. ECVS)
***(PhD, dipl. ECVS)

Les affections des coussinets palmaires sont fréquentes chez l’animal de compagnie. Toute chirurgie de la main doit avoir pour objectif la restauration d’une surface d’appui pour favoriser une reprise fonctionnelle précoce et totale. L’utilisation de la thérapie par pression négative est une solution intéressante pour aider à la survie des lambeaux cutanés.

Les coussinets palmaires chez le chien sont des structures cutanées spécialisées qui offrent une résistance à l’abrasion, aux forces de cisaillement et permettent une absorption des chocs grâce à l’épaisseur importante de leur épiderme. Sur le membre thoracique, les coussinets des doigts III et IV et le coussinet métacarpien jouent un rôle majeur puisqu’ils supportent le maximum de l’appui. La perte d’une partie ou de la totalité des coussinets peut être à l’origine de boiteries chroniques, potentiellement sans appui. Toute intervention chirurgicale des extrémités doit donc être réfléchie et la restauration d’une surface d’appui obligatoirement anticipée par le vétérinaire.

PRÉSENTATION DU CAS

1. Anamnèse

Une chienne hovawart non stérilisée de 5,5 ans, pesant 33 kg (note d’état corporel de 4 sur 9), est présentée en consultation en raison de l’apparition, trois semaines auparavant, d’une nécrose de l’extrémité du membre thoracique droit qui va en s’aggravant. Après le questionnement du propriétaire, il apparaît qu’une gastrotomie par laparotomie médiane a été réalisée un mois plus tôt et qu’un gonflement des doigts est apparu quelques jours après, associé à une décoloration de la peau. Deux semaines plus tard, des signes d’infection cutanée ont été observés et un prélèvement bactériologique cutané a mis en évidence Klebsiellia pneumonia.

La mise en place d’une antibiothérapie à base d’enrofloxacine (Xeden®, à la dose de 5 mg/kg per os une fois par jour) n’a pas abouti à l’amélioration des signes locaux.

2. Examen clinique

À l’examen orthopédique, une boiterie franche du membre thoracique droit de degré 4, avec suppression intermittente d’appui, est observée. À l’examen rapproché, un sillon disjoncteur est visualisé distalement aux articulations métacarpo-phalangiennes des doigts II à V dorsalement, et distalement au coussinet métacarpien ventralement. Ce sillon délimite les tissus sains des tissus nécrotiques (peau, coussinets digités) caractérisés par leur couleur noirâtre et leur consistance “cartonnée” (photos 1a à 1c). Le reste de l’examen clinique est normal.

3. Examens complémentaires

Un bilan biochimique et hématologique est réalisé dans la perspective d’une anesthésie et pour rechercher un syndrome inflammatoire secondaire à la lésion du membre thoracique. Il ne révèle pas d’anomalie.

4. Diagnostic différentiel

L’aspect, la localisation et l’évolution dans le temps des lésions nécrotiques (œdème des doigts, couleur et consistance de la peau, sillon disjoncteur) sont évocateurs d’une gangrène dite “sèche” qui résulterait d’une occlusion de la vascularisation artérielle.

En médecine humaine, plusieurs causes sont décrites dans la littérature, comme les embolies, les thrombi et les traumatismes vasculaires (directs ou indirects) reconnus comme étant les plus fréquents. L’absence d’anomalie clinique ou biologique et l’apparition des premiers signes locaux peu de temps après la chirurgie abdominale laissent principalement suspecter une origine traumatique, possiblement liée à une ischémie due au serrage des liens servant à positionner l’animal pendant l’anesthésie.

5. Traitement chirurgical

La viabilité du coussinet métacarpien étant conservée, à la différence des doigts II à V, une amputation de la main associée à un avancement du coussinet métacarpien est proposée et acceptée par le propriétaire. Afin d’augmenter les chances de prise du lambeau cutané, il est décidé d’associer à cette intervention un traitement de la plaie par thérapie à pression négative.

Anesthésie

L’animal est prémédiqué selon un protocole usuel par voie intraveineuse avant un relais gazeux. Un bloc du plexus brachial est réalisé à l’aide de bupivacaïne (à raison de 0,3 ml/kg). L’animal est ensuite positionné en décubitus dorsal et le membre thoracique droit est préparé de manière aseptique.

Une antibioprophylaxie à base d’amoxicilline (Clamoxyl®, à la dose de 20 mg/kg par voie intraveineuse toutes les deux heures) est mise en place.

Procédure chirurgicale

La marge proximale du sillon disjoncteur est tout d’abord parée. Les tendons fléchisseurs et extenseurs des doigts sont exposés et sectionnés distalement à l’articulation métacarpo-phalangienne de chacun des doigts II à V.

Les doigts II et V sont amputés par une désarticulation métacarpo-phalangienne, en prenant garde de retirer les os sésamoïdes, tandis que les doigts III et IV sont amputés par une ostéotomie des métacarpes III et IV à la scie oscillante, au niveau de l’articulation métacarpophalangienne des doigts II et V (photo 2). Un rinçage abondant de la plaie chirurgicale est effectué et un prélèvement bactériologique réalisé sur les tissus sains. Les tendons fléchisseurs et extenseurs des doigts sont ensuite suturés l’un à l’autre à l’extrémité de chaque métacarpien. Le coussinet métacarpien est alors avancé en regard de l’extrémité des os métacarpiens puis fixé avec des points simples de rapprochement au polydioxanone (PDS® 3-0). Cela permet ainsi de protéger l’extrémité des os métacarpiens et de rétablir une surface d’appui pour l’animal. La plaie cutanée est finalement suturée avec des points simples au polyamide (Ethilon® 3-0) (photo 3).

6. Mise en place du système de thérapie par pression négative

La couche primaire du pansement à pression négative comprend un pansement non adhérent sur la plaie (pansement siliconé Adaptic Touch®(1)) et une mousse poreuse en polyuréthane scellée avec un film adhésif étanche (V.A.C. VeraFlo®(1)) (photos 4 et 5). Une ouverture de 2 cm de diamètre est effectuée dans ce film et l’extrémité distale du drain aspiratif y est accolée (V.A.C. Vera-Trac®(1)), l’extrémité proximale étant rattachée au système de thérapie par pression négative (V.A.C. Ulta®(1)) (photos 6 et 7). Une pression négative continue de - 75 mm Hg est appliquée et l’étanchéité du pansement vérifiée quelques minutes plus tard par l’absence d’une perte de dépression sur le moniteur.

7. Soins postopératoires

Un pansement de suppression d’appui du membre thoracique est mis en place et maintenu pendant dix jours dans l’objectif de limiter les mouvements de la main de l’animal (photo 8).

Le maintien de la dépression au sein de la plaie sur le moniteur de pression négative est vérifié toutes les huit heures, ainsi que la production de sérosités. Après cinq jours d’aspiration continue, aucune production liquidienne n’est observée, motivant ainsi le retrait du dispositif sous sédation. Un traitement analgésique et anti-inflammatoire (non stéroïdien) est instauré. L’antibiothérapie à base d’amoxicilline-acide clavulanique également mise en place (Kesium®, à la dose de 20 mg/kg per os toutes les 12 heures pendant dix jours) est arrêtée dès la réception des résultats négatifs de la culture bactériologique.

8. Suivi postopératoire

Un mois après l’intervention chirurgicale, la plaie est totalement cicatrisée et aucune douleur n’est exprimée par l’animal lors de sa palpation.

Cependant, une boiterie de degré 4 persiste. Un plan de rééducation active en centre spécialisé durant deux mois est proposé et accepté par le propriétaire. Il consiste à faire des exercices de proprioception dont l’objectif est de favoriser la reprise d’appui. Lors du contrôle six mois plus tard, la boiterie s’est améliorée et est estimée de degré 3 (permanente franche avec appui). Deux ans après l’intervention, elle est estimée de degré 1 (intermittente discrète avec appui) et une plus grande extension du coude et de l’épaule droite est observée par rapport au membre controlatéral, qui résulte probablement d’un phénomène de compensation du raccourcissement du membre opéré (photo 9).

DISCUSSION

1. Prise en charge des traumatismes des coussinets palmaires

Face à une lésion délabrante d’un coussinet palmaire comme dans le cas de cette chienne, l’objectif général est de rétablir une surface d’appui kératinisée solide, tout en conservant au maximum la longueur du membre antérieur. Trois cas de figure se présentent selon la localisation proximale, distale ou globale de l’atteinte (figure 1).

Coussinet métacarpien

Lors d’atteinte du coussinet métacarpien, son remplacement s’effectue préférentiellement par la transposition d’un ou de plusieurs coussinets digitaux ou par l’avancement du coussinet carpien accessoire s’il est intact. La technique du filet phalangien consiste à réaliser un lambeau pour transposer un coussinet digital (généralement II ou V après l’amputation des phalanges) et remplacer le coussinet central [3, 6]. La procédure d’avancement du coussinet carpien accessoire est moins décrite, mais a été utilisée avec succès chez un chat et un chien de petite taille [3].

Atteinte distale

À l’inverse, une atteinte distale qui intéresse l’ensemble des coussinets des doigts porteurs requiert une amputation pandigitée suivie d’un avancement du coussinet métacarpien, comme dans le cas présenté (figure 2). Le coussinet est transposé avec son pédicule vasculaire et constitue la nouvelle surface d’appui de l’antérieur [3, 6].

Ensemble des coussinets lésés

En cas de lésion de l’ensemble des coussinets digitaux, métacarpien et carpien accessoire, il est possible de considérer l’utilisation d’une greffe microvasculaire ou d’une greffe libre segmentaire de coussinets d’un autre membre, après un parage des tissus lésés et la mise en place d’un tissu de granulation [3, 6]. La première correspond au prélèvement et à la transposition d’un coussinet digital entier depuis un autre membre, tandis que la seconde consiste en un prélèvement partiel de coussinets d’un autre membre placés en périphérie de la plaie au niveau du site receveur [3, 6]. Si l’atteinte est proximale au carpe, l’amputation proximale couplée à la mise en place d’une exoprothèse ou d’une prothèse intraosseuse transcutanée constituent les dernières options pour éviter le recours à une amputation.

2. Particularités de l’avancement du coussinet métacarpien

En période postopératoire d’une amputation des doigts combinée à un avancement du coussinet métacarpien, il est préconisé de laisser un drain en place pendant quatre à cinq jours et de réaliser une immobilisation de l’extrémité distale du membre par un pansement avec attelle ou de suppression d’appui pendant trois semaines. Ces pansements sont parfois mal tolérés par les animaux et les complications liées au bandage, décrites jusque dans 60 % des cas, doivent être surveillées [3]. Chez la chienne de notre cas, le drainage a été assuré par la thérapie à pression négative et la tolérance du pansement de suppression d’appui était bonne pendant les dix jours de sa mise en place. Une suppression d’appui restreinte à la durée de la thérapie par pression négative, suivie de pansements plus légers pendant quelques semaines, est décrite par Or et ses collaborateurs avec de bons résultats [6].

La persistance d’une boiterie est une complication attendue dans le cas d’une amputation pandigitée et elle est même rapportée sur le long terme dans 25 % des cas après l’amputation d’un doigt chez le chien [6]. La reprise d’appui a été longue dans le cas présenté, probablement parce que la nécrose était chronique et que le raccourcissement du membre secondaire à l’intervention exigeait une compensation fonctionnelle des articulations du membre thoracique. Les huit semaines de physiothérapie ont été bénéfiques pour y remédier.

3. Avantages de la thérapie par pression négative

Principes

L’utilisation de la thérapie par pression négative implique l’adaptation d’un système d’aspiration sur une plaie protégée par un pansement et recouverte par une mousse poreuse, elle-même scellée par un bandage plastique adhérent et occlusif [1, 5].

Une pression négative contrôlée est appliquée à la plaie et les exsudats sont aspirés et collectés dans un réservoir. Cette thérapie favoriserait la perfusion des tissus, la granulation et la réduction de la charge bactérienne (malgré des résultats contradictoires), de l’œdème tissulaire, des cytokines proinflammatoires et des protéases [1, 5, 6].

Intérêts

L’utilisation de la thérapie par pression négative, bien que récente en médecine vétérinaire, a montré son efficacité chez le chien dans le cas de greffes cutanées libres en pleine épaisseur, intéressant les extrémités distales des membres [5]. Dans cette étude expérimentale, la formation du tissu de granulation était significativement plus importante et la quantité de tissu nécrotique significativement moins importante, par rapport au témoin, avec l’utilisation de la thérapie par pression négative. De même, elle a favorisé le développement rapide d’un tissu de granulation et la prise de lambeaux et de greffes cutanés dans la gestion postopératoire de plaies traumatiques des extrémités distales ou du thorax chez le chien [1, 2].

L’emploi de la pression négative dans notre cas visait à faciliter l’adhérence du lambeau d’avancement au tissu sous-jacent et à promouvoir un placage des tissus, tout en mettant en place une aspiration des sécrétions susceptibles d’interférer avec la cicatrisation.

Procédure

Les descriptions actuelles des valeurs de pression négative appliquées sur des plaies cutanées en milieu vétérinaire oscillent entre - 45 et - 150 mm Hg selon les fabricants [1, 2, 5, 6].

Empiriquement, une dépression entre 65 et 80 mm Hg est privilégiée pour les greffes, tandis qu’une dépression de 100 à 125 mm Hg est préconisée pour le traitement des plaies ouvertes et des lambeaux [5].

Dans le cas présenté, une pression de - 75 mm Hg a été choisie pour privilégier la prise du lambeau cutané et assurer le rôle de drainage du site opératoire, bien qu’une dépression plus importante, comme celle décrite par Or et ses collaborateurs dans un contexte clinique similaire, aurait aussi pu être sélectionnée. En accord avec les descriptions antérieures, le lambeau a été recouvert d’un pansement non adhérent en dessous de la mousse en polyuréthrane [5]. L’utilisation de cette couche primaire non adhérente, assurée par la viscose imprégnée de silicone, est essentielle pour ne pas léser le lambeau lors du retrait.

Durée

Dans notre cas, la thérapie par pression négative a duré cinq jours, ce qui est en accord avec l’expérience clinique menée sur sept chiens par Miller et son équipe et l’utilisation dans le cadre d’un lambeau par Bristow et ses collaborateurs [2, 5]. Contrairement à ces études, aucun changement de pansement d’aspiration négative n’a été réalisé, comme cela est recommandé toutes les 24 à 48 heures par les fabricants. Ce choix a été fait notamment parce qu’aucune production n’était présente dans le réservoir du dispositif d’aspiration. Les effets indésirables qui peuvent être rapportés lorsque la thérapie par pression négative reste trop longtemps en place (inclusion de la mousse dans le tissu de granulation, réaction locale au pansement et nécrose de la peau) n’ont pas été observés chez cette chienne [1, 2, 6]. Il est possible que les propriétés du coussinet métacarpien, notamment son épaisseur, sa solidité et sa kératinisation, aient limité l’apparition de telles réactions. Par ailleurs, aucune complication n’a été constatée pendant toute la durée de l’utilisation du dispositif.

Références

  • 1. Ben-Amotz R, Lanz OI, Miller JM et coll. The use of vacuum-assisted closure therapy for the treatment of distal extremity wounds in 15 dogs. Vet. Surg. 2007;36 (7):684-690.
  • 2. Bristow PC, Perry KL, Halfacree ZJ et coll. Use of vacuum-assisted closure to maintain viability of a skin flap in a dog. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2013;243 (6):863-868.
  • 3. Cabassu J. Transposition d’un coussinet digital par une technique de filet phalangien pour le traitement d’une plaie majeure du coussinet métatarsien. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 2013;48 (2):65-69.
  • 4. De Swaim SF, Henderson RA. Small Animal Wound Management, 2nd edition. Baltimore:Williams & Wilkins. 1997:360.
  • 5. Miller AJ, Cashmore RG, Marchevsky AM et coll. Negative pressure wound therapy using a portable single-use device for free skin grafts on the distal extremity in seven dogs. Aust. Vet. J. 2016;94 (9):309-316.
  • 6. Or M, Van Goethem B, Polis I et coll. Pedicle digital pad transfer and negative pressure wound therapy for reconstruction of the weight-bearing surface after complete digital loss in a dog. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2015;28 (2):140-144.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Un coussinet est une structure cutanée spécialisée qui constitue une surface solide de contact avec le sol.

• La peau ne peut pas subir de métaplasie permettant de substituer un coussinet.

• La transposition du coussinet métacarpien après une amputation pandigitée est indiquée en cas de nécrose de l’ensemble des coussinets digitaux.

• L’utilisation de la thérapie par pression négative est intéressante pour favoriser la prise d’un lambeau d’avancement de coussinet.

CONCLUSION

Ce cas illustre la possibilité de rétablir une surface d’appui à la suite d’une atteinte sévère des coussinets d’un membre thoracique chez le chien. Une évaluation soigneuse de la plaie permet d’apprécier la viabilité des tissus et de considérer les options disponibles pour la reconstruction : en cas de nécrose avancée de l’extrémité distale des doigts, une amputation pandigitée associée à un avancement du coussinet métacarpien constitue une solution alternative intéressante à l’amputation du membre. Dans ce contexte, le recours à la thérapie par pression négative peut également être avantageux pour favoriser la prise du lambeau cutané, tout en diminuant la durée de drainage et de soustraction d’appui en phase postopératoire. D’autres descriptions de cas et leur suivi restent nécessaires pour caractériser l’évolution postopératoire attendue, notamment vis-à-vis de la persistance d’une boiterie sur le long terme.

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